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Troubles du comportement - Dr Anne Lorin

 

PRISE EN CHARGE MÉDICO-SOCIALE DES ENFANTS ET ADOLESCENTS AVEC TROUBLES DU COMPORTEMENT ET DES CONDUITES

 

Dr Anne Lorin

 

 

L’éducation spéciale est  née du droit à l’éducation des enfants présentant un handicap. L’orientation des enfants présentant ces particularités est effectuée par la CDAPH, après évaluation par un médecin et constitution d’un dossier avec certificat médical.

Les enfants présentant une déficience intellectuelle sont orientés vers IME, ceux qui présentent un trouble du comportement  vers un ITEP.

Un ITEP, Institut Thérapeutique Éducatif Pédagogique, a pour mission la prise en charge des enfants, adolescents et jeunes adultes présentant des troubles du comportement avec des potentialités intellectuelles. Il s’agit de soigner à travers les trois dimensions : Éducative, Pédagogique, et Thérapeutique à travers des soins spécifiques. 

 

 

PARTIE 1. LES ENFANTS D’ITEP

« Les ITEP accueillent les enfants, adolescents, jeunes adultes qui présentent des difficultés psychologiques dont l’expression  par des troubles du comportement intenses perturbe la socialisation et l’accès aux apprentissages ; ces jeunes ont des potentialités intellectuelles et cognitives préservées. » (Article D.312-59-1)

Dans la réalité arrivent en ITEP, des jeunes pénibles souvent bagarreurs qui ont été exclus de façon répétée des établissements scolaires : sont-ils des sales gosses ou des enfants fous ? « Bad boys » ou « Mad boys » ? Deviendront-ils délinquants ? Ou adultes porteurs d’un trouble psychique ?

Le fait de poser un diagnostic clinique est un premier élément de réponse.

 

1.     Diagnostic  des troubles du comportement  selon les classifications internationales :

Elles tentent d’appliquer aux déviances du comportement un modèle de compréhension médical.

De fait une partie des enfants au comportement violent ou déviant manifestent un dysfonctionnement.

Le diagnostic  est basé sur un consensus d’experts  et une reproductibilité de  l’application d’un ensemble de critères par différents observateurs. Il permet de préciser les indications thérapeutiques, l’orientation à donner à la prise en charge.

Il est important de noter que les critères du « trouble des conduites » font référence à des comportements observés par autrui, sans faire référence à ce que peut ressentir le sujet lui-même ; le diagnostic repose sur le seul regard extérieur supposé objectif.

Cette notion de trouble des conduites est présente depuis les origines de la psychiatrie de l’enfant : on parle alors d’ « enfant pervers, enfant caractériel » le patient étant identifié à ses actes : « enfant voleur, enfant menteur, … »

L’éducation spéciale répond à la demande sociale de prise en charge institutionnelle de ces enfants.

 

Selon la CIM 10, le trouble des conduites, F91, est caractérisé par un ensemble de conduites dyssociales, agressives ou provocatrices, répétitives et persistantes, pendant au moins 6 mois, dans lesquelles sont bafouées les règles sociales correspondant à l’âge de l’enfant.

-         Manifestations excessives de bagarres et de tyrannie,

-         Cruauté envers personnes ou animaux

-         Destruction des biens d’autrui, conduites incendiaires, vols

-         Mensonges répétés, école buissonnière, fugues

-         Crises de colère, de désobéissance anormalement fréquentes et graves

F91.0 Trouble des conduites limité au milieu familial

F91.1 Trouble des conduites mal socialisé (type : solitaire-agressif)

Il désigne un comportement dyssocial ou agressif persistant associé à une altération globale des relations avec les autres enfants

F91.2 Trouble des conduites socialisé

Il s’agit d’un comportement dyssocial ou agressif chez des enfants bien intégrés dans leur groupe d’âge (délits en bande).

 

Selon le DSM IV :

Le diagnostic de trouble des conduites peut être porté chez un enfant ou adolescent si pendant une période d’au moins 12 mois, il présente trois symptômes au moins parmi une liste de 15 répartis en quatre groupes :

-         agression envers des personnes ou des animaux,

-         destruction de biens matériels,

-         fraude ou vol,

-         violations graves de règles établies.

Le DSM-IV fait la distinction entre le trouble des conduites débutant dans l’enfance (avant dix ans), et à l’adolescence (après dix ans) et spécifie l’intensité du trouble (léger, moyen, sévère).

Il est clair que poser le diagnostic d’un trouble des conduites ne rend pas compte de la souffrance de l’enfant ni du sens que ce comportement a pour lui, dans son contexte et dans son histoire. Nous sommes particulièrement vigilants en ITEP à ce que la question du sens du comportement ne soit jamais évacuée. 

2.     Les diagnostics retrouvés dans la population des jeunes d’ITEP

Nous vous présentons ici les résultats observés sur la population de l’ITEP Bourneville à Montpellier.

Nous avons distingué diagnostic principal et comorbidités.

 

Diagnostic principal

Six catégories diagnostiques recouvrent la totalité de la population ITEP.

A)    Quatre de ces catégories diagnostiques représentent des troubles psychiques sévères :

-      Trouble mixte des conduites et trouble émotionnel (F 92)

Ce trouble associe un trouble du comportement (F91) et un trouble émotionnel caractérisé : trouble anxieux (F93), troubles névrotiques (F40-48), trouble de l’humeur (F30-39). Il comporte un risque évolutif vers un trouble de la personnalité, une schizophrénie, un trouble bipolaire,...

Les enfants/ adolescents porteurs de ce trouble ont des réactions bizarres, décalées, des décrochages dans la relation, donnent l’impression de ne plus être connectés à notre monde par moment. « On les perd ». Et d’autres fois, ils sont quasiment conformes, adaptés.

Yanis, 13 ans, arrive sur son groupe très énervé : il insulte copieusement l’éducateur qui l’accueille et jette deux grosses pierres sur la vitre de la villa ainsi qu'une chaise qu'il explose en mille morceaux. Il donne  un coup de pied à l’éducateur puis se calme rapidement.

TSA (F84), Trouble du Spectre Autistique : avec en particulier des syndromes d’Asperger (associant traits autistiques et haut potentiel)

 

-      Schizophrénie (F20) : maladie qui se déclare chez le grand adolescent et l’adulte jeune, elle était jusqu’à présent assez peu rencontrée en ITEP ; elle touche 2% de la population générale. Une partie des jeunes présentant des troubles mixtes des conduites et troubles émotionnels sont des candidats potentiels, d’autant plus qu’ils vont rencontrer des toxiques sur leur parcours, cannabis et cocktails divers. (cf la thèse de Grégoire Benvegnu, 2016, sur les sujets à risque de transition psychotique en ITEP : repérage de symptômes (prodromes) repli, isolement social, apragmatisme, étrangeté, idées de persécution)

 

 

-      Trouble de la personnalité (F60) : ce diagnostic ne peut être posé que pour les plus de 16 ans. Les troubles de la personnalité les plus courants dans notre population : personnalité dyssociale (sociopathe), personnalité émotionnellement labile (borderline), personnalité schizoïde (tendance à l’isolement, au retrait), et personnalité paranoïaque ( méfiance, suspicion, tendance à interpréter faussement les actions d’autrui, et psychorigidité).

Ces 4 catégories de troubles psychiatriques sévères représentent un peu plus de la majorité de la population accueillie en 2016 (52% à l’ITEP BNV). Ils indiquent des prises en charge en tout petit effectif (2 à 4 jeunes) voire des prises en charges individuelles pour une part d’entre eux.

B)    Deux autres catégories diagnostiques moins lourdes sont représentées :

-      Troubles des conduites (F91), caractérisés par des comportements agressifs, provocateurs, bafouant les règles sociales correspondant à l’âge de l’enfant/ adolescent.

-      Troubles névrotiques : les enfants/adolescents qui en sont porteurs présentent des troubles anxieux, ou des obsessions, ou bien une tendance à somatiser (plaintes douloureuses et autres petits bobos qui les ramènent souvent à l’infirmerie) ; les relations avec les autres les mettent moins en danger que les enfants/ado porteurs d’un trouble psychique sévère.

Ces deux catégories diagnostiques relèvent de prises en charges de groupe, « classiques » en ITEP.

 

 

Les comorbidités

 

Complétant le diagnostic principal, les comorbidités précisent le profil des enfants et adolescents admis.

Nous avons retenu 3 comorbidités.

-      Les troubles spécifiques du développement (F80-83)

Désignent les troubles instrumentaux de naguère. Ils regroupent :

·        Troubles spécifiques du langage (F80) : dysphasie, trouble de l’articulation (ces troubles sont rares en ITEP)

·        Troubles spécifiques des acquisitions scolaires (F81) : dyslexie, dysorthographie, dyscalculie, trouble de l’acquisition des connaissances scolaires

·        Troubles spécifiques du développement moteur(F82) : dyspraxie

Ils constituent la comorbidité la plus fréquente, elle concerne la plupart des enfants et adolescents. Ces troubles spécifiques supposent un plateau technique paramédical consistant : orthophonistes, psychomotriciens. Se pose la question de l’intérêt de l’ergothérapie pour travailler la prise en main de l’outil informatique (compensation du handicap pour les enfants porteurs de dyspraxie, ou dyslexie/ dysorthographie).

-      Le TDAH (F90) Trouble Déficit Attentionnel avec Hyperactivité : il est caractérisé par l’association d’une déficience de l’attention avec hyperactivité et impulsivité. Il n’englobe pas la totalité des troubles attentionnels très fréquents en ITEP.

 

-      Le retard mental (F70), rare chez des enfants- adolescents, orientés par la MDPH vers l’ITEP, il s’agit d’enfants/adolescents présentant un déficience légère associée à un trouble du comportement qui a exclu une orientation IME.

 

-      A noter que les troubles anxieux et les troubles dépressifs, très fréquents dans la population des enfants et adolescents de l’ITEP n’ont pas été retenus comme comorbidités, car ils font partie des symptômes  des diagnostics principaux (Trouble mixte des conduites et trouble émotionnel, TSA, schizophrénie, trouble de la personnalité, et troubles névrotiques). Une partie des jeunes porteurs de trouble des conduites peuvent également présenter des symptômes anxieux ou dépressifs, dont la durée et l’intensité ne sont pas suffisantes pour répondre au diagnostic de trouble émotionnel, trouble de l’humeur, ou trouble anxieux. 

 

En conclusion, l’objectif de ce travail de diagnostic de la population ITEP, n’est pas d’épingler les jeunes dans des boites, ou de les stigmatiser, mais d’affiner les outils et les moyens à mettre en œuvre pour les soigner, leur permettre l’accès à une scolarité vers une formation professionnelle, et des relations sociales épanouissantes.

 

 

 

3.     Étiologies

Les critères du trouble des conduites sont des signes comportementaux peu spécifiques et sont peu informatifs sur les plans étiologique  et psychopathologique. L’agressivité de l’enfant est-elle une réponse à une situation de difficulté parentale, voire de maltraitance ? Ou bien cette agressivité est-elle due à une pathologie psychiatrique personnelle : dépression, psychose, trouble de la personnalité en train de se constituer ? Est-ce que des dysfonctionnements cognitifs, comme l’impulsivité  peuvent contribuer à l’émergence de comportements violents ?

En pratique clinique, la réponse à ces questions est essentielle pour une prise en charge efficace.

A)    La notion de tempérament :

C’est l’ensemble des traits de base qui décrivent les modes de réponse caractéristiques d’une personne.

Ce qui est inné, biologique dans le comportement.

La personnalité est ce qui se développe quand un tempérament rencontre un milieu.

Un tempérament est l’association  de différents traits :

-         Niveau d’activité (enfant calme, dynamique, très actif, hyperactif)

-         Seuil de réactivité aux stimuli (peu réactif, réactif, très réactif)

-         Intensité de réactivité aux stimuli (réaction faible, moyenne, intense, disproportionnée)

-         Tonalité émotionnelle (humeur de base joyeuse, triste, entre les deux )

-         Capacité d’attention (de très bonne à déficitaire)

-         Niveau d’attraction pour l’agréable (de faible à très forte, envahissante)

-         Niveau d’évitement de la douleur (sensibilité à la douleur : de très grande à très faible)

Un fort  attrait pour le plaisir combiné à une faible sensibilité à la douleur prédisposerait au comportement violent. `

      B)  Le style d’attachement :

La théorie de l’attachement a été développée par le psychologue anglais, John Bowlby.

Le terme attachement désigne tous les comportements de l’enfant pour créer du lien avec la personne qui s’occupe de lui au quotidien dans la durée. Ce lien permet à l’enfant de maintenir la proximité avec cette personne (appelée la figure d’attachement, le plus souvent la mère). Les pleurs du nouveau-né font venir la mère/ le père. Les sourires du nourrisson de quelques semaines gratifient les parents et augmentent les interactions. L’acquisition de la marche permet à l’enfant de suivre la mère, le père partout.

La figure d’attachement est la base de sécurité qui nourrit et protège et aussi le port d’attache : l’enfant de 2 ans  à partir de sa base de sécurité – les genoux de sa mère- part explorer l’environnement, puis revient rapidement se rassurer auprès de sa figure d’attachement, son port d’attache.

L’enfant s’attache instinctivement à toute personne qui prend soin de lui au quotidien.  Ce comportement social a été sélectionné par l’évolution car il augmente les chances de survie des petits, donc du groupe.

Ont été décrits 3 styles d’attachement : l’attachement sécure, et deux types d’attachements insécures anxieux : évitant, ambivalent.

L’analyse du style d’attachement se fait par l’observation de la réaction au stress du bébé, en le séparant sur un temps court de sa mère et en le mettant en présence d’une personne étrangère, il s’agit de « la situation étrange » formalisée par Mary Ainsworth, proche collaboratrice de Bowlby (1978)

1.     Attachement sécure

Quand l’attachement est sécure, le bébé est confiant dans sa figure d’attachement : l’enfant de douze mois est actif et enthousiaste dans ses activités d’exploration avant la séparation ; à la séparation il arrête de jouer, il pleure et appelle sa mère ; et à son retour, il va vers elle, demande à être pris dans les bras, puis retourne tranquillement jouer une fois rassuré.

Les enfants qui ont un attachement sécure deviennent des adolescents de plus en plus autonomes, puis des adultes capables d’une flexibilité attentionnelle et cognitive, alternant les points de vue et les centres d’intérêt, sans se mettre sur la défensive systématiquement en cas de contradiction.

2.     Attachement insécure évitant

Dans la situation étrange,  l’enfant semble indifférent à l’absence de la figure d’attachement, et à son retour  il continue d’explorer et de jouer. Il fait de même quand il est laissé seul. Il accepte généralement les contacts avec une personne étrangère. L’enfant reste distant, même s’il est en colère. Il ne cherche pas à attirer l’attention.

L’enfant dont la détresse n’est pas prise en compte par la mère – attention non disponible ou bien colère ou moquerie -  grandit en évitant d’exprimer ses états émotionnels pour éviter les conséquences déplaisantes. Il apprend à inhiber ses propres états émotionnels, le raisonnement est privilégié au détriment de l’affectif. Plus l’insécurité est grande, plus l’enfant semble indifférent mais attentif afin de ne pas risquer le rejet de la mère en cas de danger extérieur. L’enfant s’assure une proximité minimale.

À l’âge de 6 ans, les enfants continuent à se monter évitant après une séparation avec leur mère. Dans les échanges verbaux, ce sont des enfants évitant dans leurs réponses : «je ne sais pas », « rien »,…

Jeunes adultes, ils ont des difficultés relationnelles et comportementales.

3.     Attachement insécure ambivalent

L’enfant est constamment anxieux, même en présence de sa mère. Il est bouleversé lorsqu’elle part : il s’agite et pleure intensément. Quand elle revient, il cherche à la fois le contact et lui résiste en lui donnant des coups de pied par exemple, elle n’arrive pas à le calmer.

Ces enfants ont moins tendance à s’éloigner de leur mère pour explorer.

L’attachement ambivalent  s’illustre par un fonctionnement  sur un mode émotionnel chez l’enfant. Ce style d’attachement est favorisé par des réactions parentales telles que la surprotection hyper vigilante ou au contraire le désintérêt ou la négligence.

En grandissant, l’enfant ambivalent a tendance à manipuler. Il  alterne les comportements de séduction  et les comportements agressifs par manque de confiance en soi et manque de confiance en l’autre.

De nombreux enfants suivis à l’ITEP ont reçu ce style d’attachement : ils sont à la fois collés à leur mère, avec une difficulté à se séparer, et aussi dans des conduites agressives contre elle : ils la harcèlent par leurs demandes insatiables, l’insultent, la frappent. Ils ont une relation de dépendance hostile. 

Axel a 7 ans quand il est admis à l’ITEP, sa mère l’élève seule, séparée du père depuis la fin de la grossesse. Elle dit d’Axel : « Il n’a pas le respect, il me sort des gros mots, conasse, salope, pute » Quand il l’insulte, elle crie et donne la fessée. Quand elle le punit il tape dans les portes. Il dort avec elle, elle fait encore sa toilette.

 

Le style d’attachement est-il immuable ??

Les neurosciences montrent qu’effectivement la structure même du cerveau est modelée par les interactions avec autrui, et tout particulièrement les interactions précoces : les réponses obtenues de la figure d’attachement du bébé créent un conditionnement, une association neuronale spécifique qui rapidement s’active en présence de stimuli semblables, voire dans la simple anticipation de tels stimuli.

Pour autant, le cerveau est plastique et peut se reconfigurer à tout moment de la vie. C’est pour cela que les enfants et adolescents qui ont eu un style d’attachement insécure peuvent  rejouer  quelque chose dans la création du lien, dans l’attachement,  à condition de faire l’expérience d’une relation suffisamment consistante, bienveillante  et stable. Il s’agit d’une reprise de contact avec l’instinct d’attachement, qui permet une reprise du développement jusque-là bloqué. Entreprise lente qui demande patience et attention.

Dans notre prise en charge à l’ITEP, quand nous n’y arrivons pas malgré toute la bienveillance et l’attention engagées, nous avons recours à l’internat individualisé : familles d’accueil (agrées Aide Sociale à l’Enfance) recrutées par l’ITEP, comme salariées et donc intégrées à l’équipe, participant aux réunions,  et pouvant faire appel à l’équipe pluridisciplinaire à tout moment.

C’est ce qui est arrivé à Joseph : il entre à l’ITEP à l’âge de 9 ans pour  un retard d’apprentissage et des troubles du comportement  en milieu familial et scolaire. À la maison,  Joseph harcèle sa mère avec des demandes matérielles permanentes, la mère refuse,  ce qui donne lieu à des escalades agressives, la mère finit par accepter jusqu’à la prochaine demande qui ne tarde pas. La mère exprime de la violence verbale contre son fils : elle menace d’aller à l’école avec un fusil : « Je lui ai donné la vie, je peux bien la reprendre »

À l’école, Joseph a porté un couteau « pour tuer un copain ».

À l’ITEP,  Joseph a bénéficié de prise en charge éducative en individuel pour reprendre confiance en lui, le temps scolaire a été diminué au profit d’activités en atelier : manipuler lui fait du bien ; l’équithérapie l’a contenu et apaisé.

Après le constat que la place de Joseph dans sa famille, et en particulier la relation avec la mère sont très difficiles à mobiliser, l’internat familial  lui est proposé : le couple d’accueil est chaleureux : Mme est bavarde et bonne cuisinière, la nourriture est importante pour Joseph, un éducateur dit  à son sujet : « le moral est au fond des gamelles », M. est bricoleur : Joseph qui ne faisait rien chez lui, demandait chez les M. une liste de choses à faire. Joseph a refusé que sa mère rentre dans la maison des M. et il refuse de téléphoner à sa mère de chez les M. Il défend son espace de l’intrusion maternelle. Après plusieurs années de prise en charge, il va mieux nous décidons en équipe d’un arrêt de l’internat familial : Joseph vient toquer à ma porte pour exprimer, lui qui parle peu, son impossibilité à quitter la maison des M., il n’est pas prêt, il a besoin de rester un an de plus. Il est entendu et au bout d’une nouvelle année, il a pu prendre son envol, en sécurité, admis comme interne pour une formation professionnelle.

 

C) Le stress environnemental

Dans le parcours de vie des jeunes reçus en ITEP on retrouve  plus d’expositions aux violences conjugales, plus de pathologies mentales ou d’addiction chez un des parents.

La précarité sociale est aussi sur représentée.

Les parents d’Axel se sont séparés à la fin de la grossesse, le père a une addiction à l’alcool et vient souvent au domicile de la mère, saoul ; il frappe la mère devant Axel : la mère raconte : «Je me battais avec lui, l’enfant il me défendait, il tapait son père »

 

    D) L’exposition aux écrans ?

Serge Tisseron a montré qu’un tout petit devant un écran ne comprend pas bien ce qui se passe, il reçoit des émotions qui le débordent, l’insécurisent. Pour se rassurer il se raccroche au personnage dont il se sent le plus proche, il s’identifie à lui, toujours le même : celui qui commande ou celui qui est commandé, celui qui frappe ou celui qui est tapé, l’agresseur ou la victime… C’est une perte de liberté pour les relations avec les pairs, l’enfant est enfermé dans un seul rôle, l’agresseur ou la victime.

L’exposition aux images violentes depuis la prime enfance sature la partie du cerveau qui régule les émotions, le système limbique, l’enfant s’habitue à la violence, sa capacité d’empathie diminue, son comportement se modifie, il est moins dans la relation d’entraide et peut développer des comportements agressifs sans émotion : ces comportements sont de plus en plus fréquents, dès la cour de l’école maternelle.

Les enfants suivis en ITEP ont très souvent une télévision dans leur chambre, un écran allumé en permanence dans la pièce de vie. Ils sont surexposés aux écrans dès le plus jeune âge.

La violence du contenu des jeux vidéo donne une représentation d’un monde extérieur dangereux où règne la loi du plus fort. Il semble qu’elle augmente le risque de comportements agressifs. Des études sont en cours. De nombreux enfants admis en ITEP ont accès à des jeux vidéo non appropriés à leur âge (interdits aux moins de 18 ans chez des enfants de dix ans ou moins).

 

 

PARTIE 2. PRISE EN CHARGE DES TROUBLES DU COMPORTEMENT ET DES CONDUITES EN ITEP

1.     Les outils thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques

Les outils éducatifs : 

Les jeunes entrant à l’ITEP sont affectés à une unité qui regroupe au maximum une dizaine de jeunes et des éducateurs spécialisés.

Ils proposent un accompagnement en groupe (petits groupes) ou si la relation avec les autres est insupportable la prise en charge privilégie l’accompagnement individuel aussi longtemps que nécessaire. La prise en charge est alors souvent à temps partiel, en fonction des moyens dont dispose l’institution.

Un temps d’accueil particulier le lundi matin, sas entre le week-end en famille et l’institution, nous l’appelons à Bourneville « Accueil et mise en mouvement »

De nombreuses activités sportives de sports d’équipe : football, rugby, hand-ball mettent au travail la relation aux autres autour d’un objectif commun, l’acceptation des règles, la lecture des intentions des autres, le contrôle de soi, de l’impulsivité, les capacités d’attention et les fonctions exécutives.

Sont aussi proposées d’autres activités sportives plus individuelles : escalade, musculation, …

Et un atelier d’habiletés sociales.

 

Les outils pédagogiques

Les ITEP possèdent ou possédaient des classes primaires et classes collège en interne mais l’évolution actuelle privilégie l’inclusion des enfants dans les établissements scolaires, scolarisation à temps partagé et à temps plein. Les enseignants spécialisés de l’ITEP ont un rôle de lien avec l’équipe pédagogique de l’établissement scolaire d’accueil, et de soutien du jeune, comprenant entre autres des temps de soutien scolaire, le plus souvent en individuel.

Des unités d’enseignements externalisées (UEE) s’ouvrent : une classe avec enseignant et éducateur ITEP, encadrant un groupe de jeunes admis en ITEP, dans un établissement scolaire ordinaire. Il s’agit d’un dispositif permettant à des jeunes dont le comportement est encore trop problématique pour une inclusion scolaire simple, de fréquenter un environnement scolaire standard ; à partir de cette classe, le jeune peut expérimenter au rythme qui est le sien, une inclusion dans les classes environnantes, avec le projet d’une inclusion temps plein.

Certains ITEP possèdent des ateliers où les jeunes encadrés par des éducateurs techniques, apprennent les gestes des métiers du bâtiment, de la restauration, de l’horticulture, de la ferronnerie, …

 

Les outils du soin

Une partie des jeunes est en capacité d’investir une psychothérapie par la parole, en individuel et en groupe.

De nombreux enfants et adolescents ont peu de capacités d’élaboration, aussi les thérapies à médiation corporelle ont été développées : thérapies psychomotrices, aquathérapie, équithérapie, shiatsu, psycho boxe,…

Les suivis de rééducation orthophonique et psychomotrice concernent les jeunes présentant des troubles spécifiques du développement des acquisitions scolaires, le trouble des acquisitions de la coordination, … Ce type de soins quand il s’adresse à des jeunes présentant des troubles du comportement ne peut être classique : travail sur objectifs, contrat à durée limitée, remédiation cognitive, développement des fonctions exécutives avec jeux de stratégie, …

À noter que l’ergothérapie est souvent prescrite pour prise en mains de l’outil informatique (indications : trouble du développement moteur - dyspraxie, trouble spécifique du développement des acquisitions scolaires- dyslexie, dysorthographie).

 

L’ensemble des professionnels, éducatifs, pédagogiques et du soin participe à la fonction soignante institutionnelle, dans la place qu’il prend auprès de l’enfant/ adolescent.

Pour chaque unité, l’ensemble des professionnels se réunit une fois par semaine pour confronter les différents points de vue, les différentes approches des différentes facettes des jeunes. C’est ce lien avec la circulation de la parole qui fait soin

 

2.     La question des traitements médicamenteux

Il n’y a pas de molécule spécifique du trouble du comportement : nous avons vu que ce symptôme a une étiologie multifactorielle combinant les fragilités personnelles et les stress environnementaux.

Nous avons vu que le TDAH est l’une des comorbidités fréquentes et elle est traitée après bilan hospitalier, si nécessaire. Le Méthylphénidate est le traitement le plus employé.

Les troubles anxieux quand ils sont envahissants et bloquent les processus cognitifs peuvent être apaisés par un APA, type Rispéridone. En cas de crises d’agitation aigues, un neuroleptique  sédatif peut être prescrit, en pratique, la Cyamémazine.

Quand les troubles du comportement sont reliés à des symptômes psychotiques nous avons recours à l’Aripiprazole, ou à la Rispéridone.

 

3.     La question des contentions

La contention est utilisée en première intention dans l’urgence (avant le recours au médicament) en cas de crise avec mise en danger du jeune lui-même ou des personnes autour, enfants ou adultes.

En pratique, un ou plusieurs adultes vont tout en parlant avec le jeune le contenir au sol, sans violence, en continuant à parler et à apaiser.

Dans notre expérience, ce qui se joue au moment de la contention, la proximité, l’expérience de trouver enfin un contenant, une limite est souvent le point de départ d’une relation privilégiée.

Axel a 8 ans et demi. Ce matin il provoque les enfants dans la cour de l’école de l’ITEP, il insulte Kévin, qui en retour insulte la mère d’Axel, Axel le frappe aussitôt dans un état de furie : coups de poing, de pieds, L’éducateur présent à l’école, qui a une relation privilégiée avec Axel, le plaque au sol, tandis que Kévin est éloigné. Axel continue à lancer ses pieds dans tous les sens, il insulte l’éducateur, le menace de mort ; l’éducateur se protège au mieux. Il parle à Axel qui se calme progressivement.

 

4.     Une nouvelle approche : la RNV

Qu’est-ce que la RNV ? Il s’agit d’une nouvelle forme de combat développée en Inde par Gândhî dans sa lutte asymétrique contre l’occupant anglais et son armée. ’Haïm Omer l’a adaptée aux parents d’enfants au comportement violent (ses travaux sont exposés dans deux ouvrages : La Nouvelle Autorité, Ed. Fabert, 2017 et La Résistance Non Violente, Ed De Boeck, 2003).

Il s’agit d’un combat : on ne lutte pas contre la violence avec la persuasion, le dialogue et l’empathie. La persuasion ne fonctionne qu’avec ceux qui veulent bien se laisser persuader, ce qui ne correspond pas au profil de la plupart des jeunes d’ITEP. 

La RNV a pour objectif de dépouiller la violence de sa force : face à une opposition fermement non violente : la violence perd sa légitimité ; elle est inhibée par la position non violente : il est plus difficile d’attaquer quelqu’un de calme que quelqu’un qui crie et qui menace ; la confiance en soi de l’agresseur est ébranlée ;  l’asymétrie entraine l’adhésion de tiers. De plus la RNV propose à l’enfant, l’adolescent une « identification au non-agresseur».

« Il faut battre le fer quand il est froid.

Il ne faut pas vaincre, persévérer suffit.

Vous avez (nous avons) le droit de commettre des erreurs car il est possible de les corriger. »

Les enjeux de la RNV pour un ITEP :

Ce projet d’appliquer l’approche RNV en l’ITEP vient d’un double questionnement : Comment réagir à la violence des jeunes que nous recevons ? Comment travailler avec les parents comme partenaires ?

Les fonctions de l’ITEP : Accueillir, tisser des liens qui remettent sur le métier la chance de pouvoir faire société, soigner, remettre la scolarité ou la formation préprofessionnelle en marche ; protéger les plus faibles, car l’ITEP concentre à la fois les jeunes à comportement violent et moins nombreux, les victimes, boucs émissaires, inhibés.

Les professionnels doivent s’abstenir de tout comportement humiliant ou agressif, malgré toutes les «  invitations » des jeunes à le faire.

Ils doivent travailler avec les parents donc être capable de les mobiliser.

Enfin, il faut également coopérer avec les partenaires autour du jeune : éducation nationale, travailleurs sociaux, justice et structures de soins.

L’objectif de la Nouvelle Autorité et de la Résistance Non Violente est d’arriver à ces objectifs sans s’appuyer sur des menaces, des sanctions, une distance entre adultes et jeunes, une distance entre professionnels de l’ITEP et parents.

Elle consiste à restaurer l’autorité des parents/ des adultes responsables, sans le recours à la force, à la violence, à l’humiliation.

- en augmentant leur présence et leur vigilance bienveillante (attention ouverte, attention en alerte, protection active)

-  en s’appuyant sur un réseau de soutien qui légitime l’action : le parent / le pro ne parle plus et n’agit plus en son nom propre de façon arbitraire mais au nom d’un collectif NOUS

- en développant le contrôle de soi : pas de réaction immédiate à un acte de violence posé par le jeune, la réaction est différée : le parent ne se laisse pas entrainer, dériver vers le jeune au comportement violent, il est ancré en lui-même et dans son réseau de soutien. Il évite l’escalade.

 

L’application de la RNV est en phase expérimentale dans notre établissement, aussi nous allons simplement en donner les orientations générales.

D’abord se constitue un comité de pilotage : il engage l’institution dans la lutte contre la violence de façon prioritaire. Ensuite l’approche RNV est présentée aux parents.

Pour un enfant, il faut cibler en équipe, en incluant les souhaits des parents un aspect du comportement violent auquel nous allons résister.

Un réseau de soutien est réuni.

L’enfant est informé de l’engagement des adultes à résister à son comportement violent par une déclaration qui aura été écrite à plusieurs.

Quand ce comportement violent est à nouveau posé par l’enfant, l’adulte le pointe  en différant la réponse, il active le réseau de soutien, un «sit-in » est organisé, une réparation élaborée et accomplie et l’évènement est clôturé.

 

Pratiquer la RNV commence par se changer soi-même, s’engager à renoncer à toute forme de violence quelles que soient les provocations ou les actes violents des jeunes. Cela suppose de de développer le contrôle de soi, ce qui n’est pas si simple.

 

En conclusion, l’expérience  de la prise en charge de nombreux enfants au comportement perturbé nous montre  que ce qui semble opérant c’est le fait de tenir dans le temps, quelles que soient les attaques du cadre et des relations, quitte à alléger la durée hebdomadaire de présence du jeune, voire à extérioriser complètement la prise en charge pour protéger adultes et enfants. Le temps long.  Pour les enfants les plus en difficultés, des années de prises en charge sont nécessaires pour restaurer la possibilité de faire société.

 

 

EN CONCLUSION : LES ORIENTATIONS ACTUELLES, SOCIÉTÉ INCLUSIVE ET DITEP

La société inclusive : de quoi s’agit –il ?

Elle garantit le droit à toute personne, à tout enfant quelques soient ses difficultés, ses particularités, son handicap de continuer à participer à la vie de la Cité, à y occuper une place.

Ce qui modifie radicalement la notion même d’institution type ITEP : il s’agit de déplacer le centre de gravité de la prise en charge d’un enfant : plus à l’intérieur mais hors des murs, autour de sa famille et de l’école de secteur. Ce qui suppose une souplesse dans les types d’accueil segmentés jusque-là en : internat, demi-internat, SESSAD, d’où la notion de parcours d’un jeune, entre les différentes modalités. Le « Dispositif intégré ITEP », DITEP favorise le passage d’une logique d’établissement à une logique d’accompagnement et de coordination de parcours.

 

 

 

 


 

 
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