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Le judaïsme et la greffe d'organes - Dr Fabrice Lorin

Le judaïsme et la greffe d’organes

 

Dr Fabrice Lorin

CHU Montpellier

 

 

 

Il y a dans le judaïsme l’opposition entre 2 forces : le principe de ramener à soi et le principe de donner aux autres: le ‘Hesed la bonté la générosité 

 

Certains modèles de société poussent à tout ramener à soi. Le modèle ultralibéral va dans cette direction.

 

La question du don d’organes rentre dans la dialectique du don aux autres 

 

Le judaïsme est une vieille culture de 4000 ans. Une des plus vieilles et toujours vivante. Les autres ont disparu. 

Alors que peut amener le judaïsme, la Torah aux questions d’une société moderne du 21ème siècle ?

 

Nous ne pensons pas de manière éthérée, juste pour l’exercice et la jouissance de la pensée, ce que nous appelons une « expérience de pensée ». 

Nous pensons à partir de la bible hébraïque,  de la Torah ou ancien testament. Après il y a les débats entre Sages dans le Talmud au sujet de chaque verset de la Bible.

 

La question des greffes d’organes doit être divisée en trois catégories :
I- Don d’un donneur vivant
II- Don d’un donneur au stade de mort clinique : qu’est-ce que la mort ?
III- Don d’un donneur mort 

I-            Don d’un donneur vivant

 

Que dit la Torah ? 

1-   Un verset dit: « Ne reste pas indifférent devant le sang de ton frère » (Vayikra Lévitique 19:16) 

 

לֹ֥א תַֽעֲמֹ֖ד עַל־דַּ֣ם רֵעֶ֑ךָ

 

רֵעַ ami, frère



C’est un commandement une mitzva de non-assistance à personne en danger 

Le raisonnement va plus loin, il n’y a pas que la passivité de l’inaction. Laisser autrui souffrir c’est participer à sa souffrance , le sadiser directement. C’est participer activement à sa souffrance

 

2-   Pikouakh nefesh פיקוח נפש : sauver la vie (nefesh : l’âme animale, neshama : l’âme intellectuelle) 

 

Ce principe vient de Lévitique 18:5 « Vous observerez donc mes lois et mes statuts, parce que l'homme qui les pratique obtient, par eux, la vie: je suis l'Éternel »

L’homme doit rester vivant pour obéir aux lois de Dieu.

 

En pratique si une vie est en danger tous les principes du judaïsme sont mis entre parenthèses. 

Tous les interdits de Shabbat sont suspendus, toutes les règles de la casherout (manger du porc, du sang, du boudin) sont suspendues, tout est remis à plat. 

 

3- Dans Genèse 4:9, Cain pose une question à Dieu : « Suis-je le gardien de mon frère ? »

Le judaïsme répond « oui tu es le gardien de ton frère »

   

4- L’obligation de préserver l’intégrité du corps 

 

Mais il y a une contradiction entre sauver l’autre et préserver son intégrité corporelle

Maimonide : nous n’avons pas le droit de nous mutiler même pour sauver. 

Mais l’interdit de mutilation disparaît lorsqu’il faut sauver une vie. 

 

L’histoire se passe en Egypte au XVème siècle :

Le Radbaz était le grand rabbin d’Egypte sous la période du sultanat Mamelouk

Un juif est emprisonné par les mamelouks, le tyran prend alors en otage la communauté juive de la ville du Caire en disant « soit on coupe la jambe d’un juif de la communauté, soit on tue le captif ». Il n’y a pas de problème médical, mais la perversion d’un tyran mamelouk circassien abusant de son pouvoir et qui met par jeu en balance la vie d’un homme contre la jambe d’un autre homme. Les deux sont juifs.

Qu’a répondu la communauté juive à ce dilemme ? On a le droit de sacrifier un membre pour sauver la vie d’un homme. Ce principe est déjà retenu au XVème siècle

 

Pour le Radbaz, la personne qui met sa vie en danger (Safek Sakana) en faisant un don d’organe, est un « ‘Hassid chotè » (un zélé insensé). Mais ajoute également que si l’opération ne présente pas de danger pour le donneur, son don sera considéré comme une action généreuse toutefois (Midate ‘Hassidoute), mais non imposable. Ici l’injonction du verset Lévitique 19 :16 « Lo ta’amod ‘al dam ré’ékha » ne sera pas appliquée.

« Ne reste pas indifférent devant le sang de ton frère » (Vayikra Lévitique 19:16) 

Il sera donc permit de faire un don d’organe, lorsque celui-ci ne met pas en danger la vie du donneur (don de rein par exemple).

 

Les décisionnaires modernes se fondent sur ce raisonnement pour autoriser la transplantation d’un organe entre un donneur vivant pour sauver la vie d’autrui. A condition que le don soit sans danger pour la vie du donneur. Le don du vivant est donc autorisé mais la vraie question surgit lorsque la vie du donneur peut être mise en danger par le don. Il faut alors réfléchir au cas par cas et analyser les détails de la situation de greffe.

 

De manière générale, le don du vivant est autorisé.

 

 

II-         Don d’un donneur au stade de mort clinique

 

Nous avons 2 principes qui vont s’opposer : il est interdit de dégrader le corps d’un défunt. Pourquoi ?

 

Le corps est sacré. Il n’est pas simplement un objet de matière. Il est aussi le réceptacle de l’âme. « Lo taline nivlato ‘al ha’éts » (« tu ne laisseras pas séjourner son cadavre sur un arbre ») Deutéronome Devarim 21 : 23

« tu ne laisseras pas séjourner son cadavre sur l’arbre, mais tu auras soin de l'enterrer le même jour, car un pendu est chose offensante pour Dieu, et tu ne dois pas souiller ton pays, que l'Éternel, ton Dieu, te donne en héritage ».

 

De plus nous avons l’obligation d’enterrer le corps du défunt dans son intégralité.

 

Enfin nous avons l’interdiction de tirer profit d’une partie d’un défunt. Ce que certains appellent « la marchandisation des corps » est pour nous un interdit de milliers d’années. Choul’hane ‘Aroukh, Yoré Dé’a chap. 349 paragraphe 2

 

Mais face à ces 3 interdits, nous avons le commandement de sauver la vie d’autrui ! Ce commandement va prendre le dessus sur les 3 autres.

Toucher au corps même après la mort ne sera pas considéré comme une dégradation.

Au contraire le corps va gagner en Kedousha, en sacré s’il participe à aider la vie d’autrui.

Dans le judaïsme, les interdits disparaissent devant la possibilité de donner ou protéger la vie d’autrui.

 

 

III-       Don d’un donneur mort

 

Reste un problème pour nous : comment définir le moment de la mort ?

 

La question reste ouverte.

- l’arrêt de la fonction cardiaque ?
- l’arrêt de la respiration ?
- l’arrêt de l’activité cérébrale ?

 

Les rabbinats israélien et internationaux ont statué en 1986. La mort est l’arrêt de l’activité cérébrale.

 

Dès lors les grands rabbins de multiples pays autorisent le prélèvement d’organe et les dons après la mort, dès que la mort cérébrale a été diagnostiquée.

 

Mais des résistances peuvent émerger dans la communauté juive car nous croyons aussi en la résurrection des morts. Et le fidèle se pose la question : « si je donne une partie de mon corps, si un jour je dois revivre, vais-je revivre avec une partie de mon corps en moins ? »

 

Le Zohar de Shimon Bar Yo’hai donne une réponse à cette question légitime. Lorsque la résurrection des morts arrivera, toutes les maladies disparaitront. Le corps réapparaitra comme il était au moment de la mort, et si un membre a été abimé, endommagé voir perdu parce que donné à un autre pour une greffe, il réapparaitra automatiquement. Ajoutons que nous n’aurons plus de vêtements physiques, nous aurons des vêtements lumineux qui dépendront des bonnes actions que nous avons réalisé sur terre. Plus nous réalisons de bonnes actions, plus nos vêtements seront lumineux. La bonne action de permettre à autrui de vivre et de gagner des années de vie supplémentaires, me permettra d’être vêtu de plus de lumière.

 

C’est la vision de la Kabbale ou mystique juive.

 

 

 

 
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