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Impact psychologique de la prostatectomie - Dr Fabrice Lorin

 

Dr Fabrice Lorin

Psychiatre des hôpitaux

CHU de Montpellier

 

 

L’impact psychologique de l’ablation de la prostate

 

Introduction :

La médecine moderne est issue de trois pratiques préhistoriques : le couteau, la plante et la parole. Le couteau a donné la chirurgie, la plante a donné la médecine, le Chaman a donné le psychiatre. C’est donc un Chaman qui va vous parler des conséquences des actes de son frère maniant le couteau.

 

Je veux d’abord vous rassurer. En 30 ans de métier, je n’ai pas souvenir d’une décompensation psychiatrique chez un homme suite à une ablation de la prostate. Je ne dirai pas la même chose pour l’ablation du sein chez la femme.

 

Une étude de 2015 confirme le faible risque de dépression et anxiété après prostatectomie d’autant que l’homme est encore actif sur le plan professionnel.

Une autre étude allemande de 2014 évalue le niveau de détresse psychologique et d’adaptation à la maladie chez 329 patients ayant subi une prostatectomie radicale. (L'impact de l'incontinence urinaire et de la dysfonction érectile sur la détresse a été évalué chez 329 patients atteints de cancer de la prostate avant l'intervention chirurgicale, ainsi que 3, 6 et 12 mois après la chirurgie. Ces résultats ont été comparés à ceux d'un groupe de référence de population générale allemande masculine.) Les patients ont signalé de faibles niveaux de détresse psychologique à tous les points d'évaluation, similaires aux normes de population des hommes allemands. Une détresse persistante a été observée chez environ 8% des patients. Les prédicteurs pertinents de la détresse psychologique après la chirurgie étaient les symptômes urinaires et la détresse initiale c’est-à-dire avant l’intervention. En général, les hommes résistent à l'expérience du cancer de la prostate localisé et s'adaptent bien psychologiquement après la chirurgie. (Cependant, 8% des patients pourraient bénéficier d'un soutien psychologique.)

 

S’il n’y a pas de détresse psychologique majeure, il y a cependant des répercussions psychologiques.

J’en distingue 5 selon le court, moyen ou long terme

 

1-     L’incontinence urinaire

2-     La dysfonction érectile

3-     L’orgasme sec

4-     La stérilité

5-     La peur de récidive du cancer

 

Inutile de vous dire que pour un psychanalyste, tous ces symptômes font résonner chez l’homme son angoisse de castration et son angoisse de mort. Donc un possible tremblement de terre. Dans une étude de 2011, 68,3 % des patients avaient des répercussions psychologiques (perte de masculinité, dévalorisation, angoisse de performance)

 

1-     L’incontinence urinaire

Elle reste la préoccupation majeure mais finalement temporaire puisque dans les 6 mois la plupart des hommes récupèrent une bonne continence

 

2-     La dysfonction sexuelle

La perte de la fonction érectile est directement reliée à la perception masculine de la virilité.

Toutes les études montrent que l’homme âgé de plus de 60 ans est moins impacté parce qu’il est…âgé. Il peut avoir déjà abandonné ou renoncé à la sexualité. Ou sa partenaire l’y a fait renoncé. Pour mémoire, le rapport Kinsey de 2015 nous dit que l’homme normal jouit lors de 95 % des relations sexuelles et sa femme dans 65%.

A l’inverse un homme jeune sera plus impacté par une prostatectomie. Ce sont les hommes de moins de 50 ans qui signalent la plus grande détresse face à la dysfonction sexuelle. Ils rapportent éprouver le plus de difficulté à obtenir de l’aide pour des problèmes sexuels, et l’implication de leur partenaire dans ce processus est faible. Ils peuvent alors se sentir trahis par le résultat chirurgical et regretter leur choix de traitement.

 

3-     L’orgasme sec

 

Les spécialistes -souvent autoproclamés- de l'orgasme masculin, décrivent chez l'homme normal, deux types d'orgasme: l'orgasme éjaculatoire et l'orgasme prostatique. Le premier est directement issu de la progression du liquide séminal dans l'urètre jusqu'à son évacuation par la verge, le second contingent d'un gonflement de la prostate pendant l'excitation.

 

 

La question est: que se passe-t'il après prostatectomie radicale puisque il n'y a plus d'éjaculation, les deux canaux déférents ont été sectionnés (comme dans une vasectomie). Par ailleurs après prostatectomie, la prostate a totalement disparu...Alors l'homme a-t'il encore un orgasme? La réponse est oui! Ce qui signifie que ces fameux modèles d'orgasmes éjaculatoire et prostatique sont très imparfaits. 

 

 

Dans une étude de 2011, 40 % d’anorgasmie et 40 % de baisse d’intensité. 8 % déclaraient leur orgasme plus intense après prostatectomie.

Les pertes d’urine lors de l’orgasme étaient rapportées par 25 % des patients mais pas au point d’éviter les rapports sexuels.


L’anéjaculation était considérée comme gênante par 54 % et très gênante au point d’éviter les rapports sexuels par seulement 8 %.

 

 

Dans une étude de 2013 parue dans l'AFU, 87.6% des hommes après prostatectomie radicale mais conservation des bandelettes nerveuses ont une RRS, reprise des rapports sexuels.

 

 

Enfin dernière remarque, un homme peut jouir et avoir un orgasme sans érection et sans éjaculation. Il faut simplement adapter la sexualité du couple à cette nouvelle configuration.

 

 

4-     La stérilité

Curieusement, aucune étude scientifique n’explore cet aspect. Autant elle est évoquée et évaluée chez les femmes après hystérectomie ou ovariectomie, autant elle n’est pas interrogée chez l’homme. L’évolution des mœurs, les unions tardives et la volonté de reproduction poseront certainement un jour l’actualité de cette conséquence.

 

5-     Peur du cancer après prostatectomie : les preuves biochimiques de récidive

Une étude de 2003 se pose la question de patients qui peuvent avoir des signes de récidive -c’est-à-dire l’augmentation du PSA- et ne savent pas ce que cela signifie en ce qui concerne l'évolution future de la maladie. Quelles sont les conséquences émotionnelles de la récidive biochimique, l’augmentation du PSA ? Elle montre que des symptômes plus importants des voies urinaires sont associés à une augmentation de la peur du cancer et à des troubles de l'humeur.

 

 

Impact sur la qualité de vie

Une étude scandinave de 2011 (avant le robot DaVinci) montre que 88% des  hommes du groupe de prostatectomie radicale , 87% des  hommes du groupe sous surveillance active et 76% des hommes du groupe témoin basé sur la population ont répondu au questionnaire. Les hommes ont eu un suivi médian de 12,2 ans (intervalle de 7 à 17 ans) et un âge médian de 77 ans (intervalle de 61 à 88 ans). Une qualité de vie élevée auto-évaluée a été rapportée par 35% des hommes affectés à la prostatectomie radicale , 34% des  hommes assignés à une surveillance active et 45% des hommes du groupe témoin. L'anxiété était plus élevée à 43% dans le groupe prostatectomie que dans le groupe témoin 33% des hommes. La prévalence de la dysfonction érectile était de 84% dans la prostatectomie radicale, 80% dans le groupe surveillance active, et 46%  dans le groupe témoin et la prévalence des fuites urinaires était de 41% après prostatectomie, 11% en surveillance active, et 3% dans le groupe témoin. La détresse causée par ces symptômes a été signalée beaucoup plus souvent chez les hommes après prostatectomie radicale que par des hommes assignés à une surveillance active. 

Dans le groupe prostatectomie , la dysfonction érectile et les fuites urinaires étaient souvent la conséquence de la chirurgie. Dans le groupe surveillance active, les effets secondaires peuvent être causés par la progression de la tumeur. Les effets secondaires évoluent avec le temps plus rapidement que le vieillissement normal et une perte de capacité sexuelle est un problème psychologique persistant pour les deux interventions.

 

L’accompagnement psychologique lors de l’annonce du cancer et de l’ablation prostatique:

L’annonce au patient du diagnostic et du traitement proposé est un choc brutal qui doit être modéré par la réalité scientifique de la maladie.

 

Stress et cancer

Le stress constitue l'ensemble des réponses psychologiques, émotionnelles et physiques de l'organisme soumis à des contraintes ou à des pressions. Ces réponses dépendent toujours de la perception qu'a l'individu des pressions qu'il ressent.

Une étude finlandaise, en 2003, ébranle les idées reçues et pointe la dangerosité du stress dans le cancer: 10.808 femmes ont été suivies à partir de 1981, soit pendant vingt-deux ans, un questionnaire listant les circonstances particulièrement stressantes (divorce, séparation, deuil conjugal, perte d'un être proche) de leur vie. Au cours du suivi, 180 cancers du sein ont été diagnostiqués. L'existence d'au moins un antécédent de stress avait augmenté le risque de cancer du sein de 35 %. Plus encore, le divorce ou la séparation multipliaient le risque par 2,2 - la mort du mari par 2 et la mort d'un parent très proche de 35 %. Chez les hommes, l'impact du stress est tout aussi terrible avec sa cohorte de dommages. En 2016, une étude britannique établissait le lien entre anxiété généralisée et le risque de mourir d'un cancer chez plus de 15.000 Anglais âgés de plus de 40 ans. Chez l'homme, l'anxiété provoquait un doublement de la mortalité par cancer.

 

Le 3 septembre 2018, une étude démontre que des mouches de laboratoire porteuses du cancer développaient moins de métastases lorsqu'elles étaient en compagnie d'autres individus cancéreux. A contrario, l'isolement social et même la compagnie d'individus sains accéléreraient le développement de la tumeur.

 

En conclusion, le traitement du cancer est triple : la chirurgie, la médecine (chimiothérapie, radiothérapie), la parole (psychothérapie). Le niveau de stress, les conditions de traitement du cancer et l'entourage affectif du patient déterminent fortement ses chances de guérison. Alors Mesdames soutenez votre époux après l’ablation de sa petite châtaigne,  rassurez-le sur sa virilité, ne le surprotégez pas en amenant dès son retour à la maison des cartons de couche-bébé, et tout rentrera vite dans l’ordre ! 

 
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