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La philosophie est-elle une thérapie? - Dr Fabrice Lorin

Docteur Fabrice Lorin

Psychiatre des hôpitaux

CHU  de Montpellier

 

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La philosophie est-elle une thérapie?

 

 

Un jeune homme se rend auprès d'un vieux rabbin et lui dit: 

- J'ai bien réfléchit et j'ai pris une grave décision, j’ai décidé de mourir. 
- Ce n'est pas une solution, lui dit le rabbin. 
Le jeune homme s'en va, et revient une semaine plus tard en disant: 
- Vous aviez raison. J’ai bien réfléchis et j'ai décidé de vivre. 
- Ce n'est pas une solution, lui dit le rabbin. 
- Mais vous m'avez dit que mourir n'était pas une solution ! Maintenant vous me dites que vivre n'est pas une solution.
Alors quelle est la solution ? 
Le rabbin lui répond :
- Parce que tu crois qu'il y a une solution ? 

 

Un rabbin sceptique…

 

1- Définition des termes

 

Philosophie signifie « qui aime la sagesse »

Thérapie en grec veut dire soigner

 

Les Sagesses millénaires sont devenues une ressource pour les psychothérapies actuelles comme la méditation empruntée au bouddhisme, le coaching... Si la psychothérapie emprunte à une Sagesse, donc à une philosophie, alors la philosophie n’est-elle pas une thérapie ? Nous allons éclairer les démarches spécifiques de la philosophie et de la thérapie, afin de sortir de la confusion entretenue par les promesses en librairie. 

 

2- Rappel historique

 

                                                                                                                                                                                   

Maître Yoda : Quand 900 ans comme moi tu auras, moins en forme tu seras



Dans la Grèce antique, avant Hippocrate et Socrate, médecine et philosophie allaient de concert. L’homme était Un. Indivisible dans sa santé physique et dans sa santé mentale.  Puis les deux disciplines, médecine et philosophie, se sont séparées. La spécialisation commençait son œuvre de partage.  Au médecin le champ du corps, au philosophe les questions de l’âme. Dès lors nous pouvons comprendre pourquoi, pour les Anciens, la philosophie reste un art de vivre et pas seulement une pure connaissance. Pourquoi la philosophie est une attitude concrète et un style de vie qui engage l’homme. L’homme grec associe pensée et manière de vivre. En langage moderne, il n’a pas "le cœur à gauche et le portefeuille à droite" ; ce comportement serait inconcevable pour un grec ancien. Il doit vivre en accord avec sa pensée.

 

La philosophie sert à vivre mieux. Descartes écrit : «  Bien penser pour bien faire » et Kant nous confirme que «  la philosophie est une pratique et un exercice de la sagesse non une simple science ».

Mais la philosophie est d’abord un art de penser avant d’être un art de vivre.  Cet art de vivre nous l’appelons la Sagesse, ou le Souverain-Bien.

 

Pour les Modernes, surtout au XXème siècle, la philosophie devient plus politique qu’éthique, la philosophie se recentre sur la question du pouvoir et de la domination, sur la lutte des classes, plus que sur une éthique personnelle. Sartre n’a jamais illustré sa philosophie par une éthique personnelle particulière. Il continue de vivre en grand bourgeois parisien tout en haranguant de discours maoïstes les ouvriers Renault de Billancourt en 1970.

 

 

 

3- Philosophie et sciences 

Maître Yoda : Nous sommes des êtres illuminés pas une simple matière brute, tu dois sentir la force autour de toi, elle est dans l’arbre la roche et même dans le sol

 

La biologie est une interprétation technique de la vie. Les sciences ne font pas de la philosophie, les sciences n’ont aucun discours éthique ou métaphysique, elles ne répondent pas aux questions sommes-nous  libres ou sommes-nous déterminés ?  Dieu existe-t-il ? Qu’est ce que la justice? Le bonheur ? La liberté ? La beauté ? Le Bien ? Le Mal ? Est-ce que la vie vaut la peine d’être vécue ?

 

A l’inverse, la philosophie n’est pas une science, et les sciences ne tiennent pas lieu de philosophie. La philosophie est juste une réflexion sur les savoirs disponibles. 

"Philosopher c’est penser sa vie et vivre sa pensée" dit André Comte-Sponville.

Une part de la vie n’a pas de réponse par la science donc nous nous tournons vers la philosophie pour chercher des réponses.

 

 

4- Le souci de soi, le développement personnel et le philosophe coach

 

Maître Yoda : 

*Toujours par deux ils vont. Ni plus, ni moins. Le maître et son apprenti

 *N’essaie pas ! Fais-le, ou ne le fais pas ! Il n’y a pas d’essai

*A vos intuitions vous fier, il faut

 

Des techniques nous sont proposées pour nous rendre meilleur ou plus heureux. Pouvant aller jusqu’à une injonction au bonheur : Tu dois être heureux !  Une injonction hédoniste à la jouissance. La philosophie risque d’être annexée par le New Age au risque de caricaturer la philosophie des Anciens. 

Certes la finalité de la philosophie, c’est le bonheur.

La philosophie eudémoniste (eudemonia = béatitude) fait du bonheur la finalité de toute pensée ou de toute sagesse. Mais elle était à l’origine pour un bonheur collectif. Marx rêvait du bonheur pour  tous dans une société socialiste utopique. Après le 20ème siècle, nous savons que les rêves d’utopie collective, qu’ils soient communiste ou nazi, sont devenus des cauchemars. Alors  la philosophie eudémoniste peut être récupérée par une philosophie individualiste avec une vision personnelle du bonheur ; mais l’illusion qu’une pratique de la philosophie pourrait amener au contentement de soi.

 

La philosophie comme thérapie ou technique de management de soi laisse de côté l’essentiel de la philosophie: la dimension critique. Et critique y compris des préjugés, comme définir ce que sont une vie réussie ou un bonheur individuel.

 

La philosophie est d’abord un art de penser avant d’être un art de vivre. Toute pensée doit se soumettre à la vérité ou au peu de vérité auquel nous avons accès, ce que Spinoza appelait "la norme de l’idée vraie donnée ".

 

Si le but de la philosophie est le bonheur comme pour tout être humain, cependant il ne faut pas confondre le but avec le fond de la philosophie qui est et reste la recherche de la vérité.

Mieux vaut une vraie tristesse qu’une fausse joie. En philosophie, la vérité prime, pas la santé mentale.

 

Pour le thérapeute, la vérité et la lucidité ne sont pas les moyens d’aider le malade au contraire du philosophe. 

La philosophie n’est ni un antalgique ni un euphorisant.

La philosophie c'est d’abord de penser ce qui paraît vrai et ensuite d’en tirer éventuellement un certain bonheur. La philosophie examine et élucide la vie.

Freud disait: "La psychanalyse ça ne sert pas à être heureux, ça sert à passer d’une souffrance névrotique à un malheur banal". On n’est alors plus prisonnier de sa névrose de ses symptômes, mais que faire ensuite quand on est dans le malheur banal? On fait de la philosophie! 

La philosophie commence là où la thérapie s’arrête.  

Il ne faut pas compter sur un psy pour vous dispenser de vivre (sauf lors d’une cure de sommeil) ou penser à votre place.

 

Philosophie et thérapie ne sont pas opposables, ce sont deux activités foncièrement différentes.  Il est exclu que l’une tienne lieu de l’autre. La philosophie n’a jamais guéri personne ; la philosophie ne peut pas guérir une dépression et ne peut pas remplacer un antidépresseur. A l’inverse, si on compte sur un antidépresseur pour nous dire comment vivre c’est la même erreur. La philosophie n’est pas une thérapie et elle ne guérira aucune pathologie mais comme la santé psychique ne suffit pas, comme la santé ne répond pas à des questions essentielles, comme la science ne répond pas à des questions essentielles,  alors nous avons besoin de la philosophie. 

 

5-  La mort de Dieu et le Tragique de la Condition humaine

 

Maître Yoda : Robuste je suis grâce à la Force, mais pas à ce point là. Le crépuscule m'envahi et bientôt, la nuit va tomber. Humm. Ainsi vont les choses. Ainsi va la Force

 


La vérité est-elle un gage de bonheur ou de joie?

 

Ernest Renan: "Il se pourrait que la vérité fût triste"

La vérité n’est pas là pour nous rendre heureux, la recherche de la vérité implique une inquiétude

 

Philosophie

 

Film: Il était une fois dans l’ouest : la vérité apparaît dans un flash-back final, où Harmonica révèle l’origine de sa vengeance. Quand il était enfant, Franck (le méchant) l’avait obligé à soutenir sur ses épaules son grand frère pendu à une arche et lui avait enfoncé un harmonica dans la bouche. La philosophie est un travail sur le Réel et la vérité.

 

 

 

 

 

Thérapie

Voir le monde à travers des lunettes roses, c'est la qualité de l'homme heureux; la thérapie est partie intégrante de la consolation et d’une distorsion volontaire du Réel. Les lunettes roses augmentent avec l'âge...

 

 

 

 

6- Consolation 

 

Maître Yoda : La mort est un élément naturel de la vie, réjouis-toi pour tous ceux autour de toi qui retournent à la Force. Ni les pleurer ni les regretter tu ne dois. L’attachement mène à la jalousie, à l’ombre de la convoitise il grandit.



Sans les arrières-mondes de la religion, l’espérance d’une vie après la mort, sans au-delà ni vie éternelle ni immortalité de l’âme, ces croyances ayant  presque disparu, comment être moderne? Etre moderne c’est être inconsolé mais pas inconsolable.  

Pour Platon, la consolation vient d’un savoir sur la métaphysique sur l’immortalité de l’âme, pour les chrétiens par la promesse d’une vie éternelle mais le philosophe a renoncé à consoler dans ce sens là. Nous savons que la perte est définitive dans l’exemple du deuil. La consolation, c’est donner à penser à imaginer au-delà de la perte. La philosophie ne console pas mais peut s’intéresser à la consolation.  Pour Kant le progrès est une des catégories de la consolation. Le progrès c’est la possibilité d’ouvrir un avenir. Une consolation future sur la base d’une désolation du présent.  

 

Freud dans le célèbre article Deuil et mélancolie écrit que : « Le travail de deuil consiste en ce que l’épreuve de réalité a montré que l’objet aimé n’existe plus, et édicte l’exigence de retirer toute la libido des liens qui la retiennent à cet objet". C’est à dire arracher la libido au monde des morts. Cesser d’aimer nos morts. Comme une injonction au travail de deuil, symétrie parfaite à l’injonction de bonheur.

 

La consolation peut aussi se faire par l’amour, l’amitié, les réseaux sociaux,  la culture, l’engagement, l’aide à autrui, les chants, le toucher, les pratiques de consolation mais sans l’impératif de ramener la perte à un non-événement. Le but du deuil c’est que la joie redevienne possible ce n’est pas désaimer les morts, mais apprendre à aimer d’autres vivants. 

 

Si  la médecine est consolatrice par essence,  la philosophie antique fait aussi œuvre de consolation face à la maladie, la douleur, la souffrance, la tromperie, la trahison, le vieillissement et la mort, l’absence de salut après la mort.

 

Spinoza est un philosophe de la joie et il dit que parce que nous savons que nous sommes complètement déterminés,  sans libre arbitre alors nous pouvons être libres et rencontrer la joie: sachant que je ne suis pas libre je deviens libre.

 

Nietzsche dit qu’il y a une volonté de puissance et qu’on débouche sur la béatitude du surhumain.

 

Schopenhauer, bien que pessimiste, dit que le désir ne tient jamais ses promesses qu’il n'y a pas de libre-arbitre et que la vie n'est qu’oscillation entre souffrance ( la semaine) et ennui ( le dimanche) mais  il dit qu’une "joie tragique" est possible à travers la pitié et l’amour du prochain, et la contemplation esthétique ( poésie , musique) avec une abstinence sexuelle pour ne plus avoir d’enfants ; donc plus de vouloir donc l’humanité disparaîtra et avec elle, la souffrance ( discours repris par certains adeptes de la décroissance économique )

La consolation, c’est imaginer Sisyphe heureux.



7-  Le sens de l’histoire : une dialectique du bien et du mal ?

 

Maître Yoda : Difficile à voir. Toujours en mouvement est l'avenir



Pour Hegel il y a une finalité à l’histoire qui va dans le sens du bien, l’histoire humaine est l’histoire de la liberté. Hegel proclame que la Raison se réalise dans l'Histoire.  "La consolation est une compensation factice d’un mal qui n’aurai pas dû se produire, son domaine est celui des choses finies, aussi bien la philosophie n’est pas une consolation elle est quelque chose de plus, elle réconcilie elle transfigure le réel qui paraît injuste et l’élève jusqu’au rationnel en montrant qu’il est fondé sur l’idée elle-même et en mesure de donner satisfaction à la raison car c’est dans la raison que réside le divin". Hegel s’inscrit dans une conception de la philosophie de l’histoire qui est la théodicée  (justice de Dieu, justification du sens de Dieu en dépit du mal): le mal, les massacres et l’injustice prennent sens. 



Michel Foucault : « L’épreuve décisive pour les philosophes de l’Antiquité c’ était leur capacité à produire des Sages, au Moyen-âge à rationaliser les dogmes, à l’Age classique à fonder la science, à l’Epoque moderne c’est leur aptitude à rendre raison des massacres. Les premiers aidaient l’homme à supporter sa propre mort, les derniers à supporter la mort des autres" 

Rupture avec l’idée de l’histoire comme laboratoire de constitution du bien. Il n’y a plus de plan spéculatif ou divin qui mènera au bien. 

Pour Spinoza la nature ne poursuit aucune fin, aucun but. 

Althusser: l’histoire est un procès sans sujet ni fin

Engels: l’histoire est soumise à un jeu de forces contradictoires "ce que veut chaque individu est empêché par ce que veut chaque autre et le résultat global est quelque chose que personne n’a voulu "

Mais doit-on s’incliner devant l’existence du mal? Mais arrêtons de l’évacuer au nom d’une impossible réconciliation. 

Le caractère non dialectisable du mal est un acquis des expériences totalitaires du 20eme siècle c’est à dire que oui à la sacralisation des notions de bien et de mal dans leur antinomie mais non à la dialectique du couple bien/mal comme justification  d’émancipation ou de progrès


Quelle est la différence entre le messie et le plombier? On les attend tous les deux mais on sait que le plombier ne viendra jamais

 

8- Conclusion

Maître Yoda : La peur mène à la colère, la colère mène à la haine, la haine...mène à la souffrance.


La philosophie n’est pas une thérapie. Elle est un outil d’analyse critique et non de réconfort. La douleur et la souffrance peuvent trouver dans la philosophie un moyen de compréhension, mais pas une consolation. Si pour le bien portant la philosophie commence là où la thérapie s’arrête,   la formule peut être inversée pour le malade souffrant : la thérapie commence quand la philosophie s’amende? Mais disait Montaigne "philosopher c'est apprendre à mourir" , alors une voie médiane entre philosophie et thérapie est souhaitable, une réflexion sur le sens de la vie associée à une consolation.

 

Remerciements aux philosophes Alain Finkielkraut, André Comte-Sponville et Michael Foessel

Talmud: l'homme qui énonce une vérité en citant son auteur accélère la venue du Messie 

 

Modifié le 08 12 2019

 

 
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