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Séduction et homoérotisme- Dr Pierre DECOURT

Dernière mise à jour de la page: 2 juillet 2009

Dr Pierre DECOURT

Psychiatre psychanalyste

Montpellier
 
 
 Le thème de la séduction[1] est cœur de l’expérience et la théorie freudienne.Au même titre que l’ensemble des concepts freudien celui de séduction sera emporté par le courant metapsychologique détourné de son sens premier, nourri perpétuellement par les avancées théoriques de l’auteur. Sorte de marqueur, de traceur, l'intérêt soutenu de Freud pour le thème de la séduction témoigne de  ce fait de l'évolution de sa pensée et de sa pratique.

il existe trois raisons différentes pour affirmer que le concept de séduction trouve au sein de la métapsychologie une place centrale.

  - La première est d'ordre clinique ou psychopathologique.

  - La deuxième s'appuie sur l'auto-analyse de Freud.

  - La troisième est la conséquence du dispositif analytique et de la techniqueproprement dite.

Nous avancerons dans un soucis de clarification de notre propos, après avoir rapidement défini les aspects différentes formes de  séduction, une hypothèse qui ouvre laséduction à une perspective ontologique et structurale nous référant pour cela au concept ferenczien d’homoérotisme[2].

Nous montrerons dans le prolongement de Ferenczi et de Bergeret, à partir d'une brève évocation clinique, comment le concept d' l'homoérotisme, forme singulière de la séduction de son double, fournira l'opportunité d' une compréhension nouvelle de l' homosexualité.

1°L' observation  clinique donnera naissance à une première conception traumatique de la séduction qui trouvera ses sources initialement dans l'étude de l'hystérie et de ses manifestations symptomatiques dont l'expression varie selon la passivité ou l'activisme de l'être concerné face à la scène.

La passivité de l'être séduit

Conception qui illustre la définition première du concept, ou séduction et perversion entretiennent des rapports incertains; Séduire, c'est détourner, c’est selon Pascal Quignard, emmener à l’écart, dans le séparé, dans le secret. L'image d'Epinal, c'est le détournement illustré par la séduction précoce exercée par un adulte sur la personne d'un enfant au moi immature. Elle aura des conséquences dont les modes d’expression sont largement décrits non seulement dans les travaux pre-psychanalytiques mais dans tous les traités classiques de psychopathologie[3] .Les modes d’expression symptomatiques sont la conséquence de l’excitation psychique qui débordent les capacités du moi immature à métaboliser l'expérience traumatique.

L'activisme du séducteur

Autre forme de séduction est celle dans laquelle l'hystérique excelle qui est une mise en scène d'une thématique sexuelle, une theatralisation d’un scénario qui vise à réduire l’angoisse face au désir sexuel .La séduction est alors perçue comme une stratégie d' évitement, stratégie qu'une patiente a génialement résumé dernièrement sous cette forme " si je veux je le peux, comme je le peux , je ne le veux pas!" dira t' elle  à propos d'un homme qui la courtisait assidûment.

Ce constat soulignant deux formes différentes de séduction selon l'engagement du sujet dans la scène. Acteur ou spectateur les conséquences seront différentes: l'une traumatique, l'autre  plus ludique, mais les deux illustrent les rapports entre le séducteur et l'être séduit, actualisant ainsi le désir inconscient des protagonistes.

Deux questions restent  en suspens. Freud constate que

-                certaines scènes de séduction avérées n'ont pas de conséquence clinique.

-                en revanche des scènes qualifiées de mineures entraînent des manifestations souvent bruyantes à distance de l'événement initial

Il constate aussi que la séduction tire son pouvoir transformateur de l’effet hypnotique qui l’accompagne toujours qui peut aller de la soumission à l'influence.

 Elle opère ainsi une double transformation du moi, une sorte de crise identitaire à minima chez les deux acteurs. Par l’importance du mouvement projectif qui met au dehors la thématique narcissique ou /et sexuelle brutalement évacuée, le moi séducteur s’appauvrit narcissiquement, se trouve dépossédé d’une problématique qui lui échappe. La forme la plus extrême de cette modification identitaire s’observera dans la passionamoureuse qui est une expérience de dépossession desidentifiante. Modifiant les rapports du sujet au monde, le jugement sur soi et autrui s'en trouvera affecté. Le transfert est toujours teinté à des degrés divers de cette singularité plus ou moins déréalisante.

le moi du sujet séduit se trouve envahi, encombré par une excitation qui menace parfois son sentiment d’appartenance et de continuité psychique, dont la dépersonnalisation traduirait le point ultime d’affectation. l'altération du sentiment d'appartenance constitue l’ éprouvé commun au séducteur et à son objet de prédilection

L'autre question qui hante tout autant Freud porte sur la difficulté de concevoir la réalitéde la séduction. Un doute l'envahit!

- Est elle aussi fréquente que ce que les patientes veulent bien le dire?

- De quelle réalité s'agit il?

- Et s'il agissait non d'un événement accompli mais d’une construction imaginée, développée pas exclusivement par les patientes  hystériques? 

Fort de ce double questionnement Freud va engager la recherche en empruntant d'autres voies permettant une approche plus extensive du phénomène.

La première déduction de ces observations donne naissance à une conception originale de la temporalité[4].[5] L’expression symptomatique fleurit avec le renouvellement de la séduction. C’est le deuxième temps de l’ acte qui aurait le potentiel traumatique; le refoulement premier ne résistant pas à l’excitation éprouvée une deuxième fois! On résume ainsi ce phénomène ordinaire de la psychopathologie en disant que c’est dansl’apres coup de l’événement traumatique qu’ apparaît la maladie

Ce constat portant sur le deuxième temps du traumatisme comme déclencheur des troubles ne résout  en rien le problème de la réalité de la séduction, mais simplement des conditions d'émergence des symptômes.

Freud cherche alors à offrir une réponse scientifique et thérapeutique aux symptômes observés car il s'étonne à son âge, de la stratégie séductrice dont il est l'objet de la part de ses patientes, confiera t' il à Ferenczi. Il en vient à douter de la sincérité de ces patientes. Sont elles bien authentiques dans leur démonstration? On imagine l'implication contre transférentielle que suppose un tel doute.

Le passage du réel au fantasme

L' analyse de Dora révélera aux dépens de Freud  le sens de la fonction défensive de la séduction dont il se croyait l'objet, il est vrai que la théorie du transfert n'en était qu' a ses débuts.20 ans plus tard " Melle 1920" illustre le malaise de Freud toujours présent dans ses contre- attitudes thérapeutiques devant le déploiement d’une entreprise de séduction non dissimulée, dont il sait qu'il n'est qu'un agent de celle-ci; ce savoir n'apaise en rien son trouble, trouble dont il continue à se méfier à l'excès! L'étude de ce cas révèle en particulier l'extraordinaire résistance de Freud à entendre le discours latent de la jeune fille, il est vrai que " Melle 1920" avait lors de cette très brève " analyse" l'âge de sa fille Anna.

Apres s'être dégagé du sens premier de séduction, «  emmener à l'écart, corrompre , tromper  », Freud  perçoit que derrière la mise en scène séductrice une énigme se noue. Elle reste entière et impose un approfondissement des dispositions psychiques mises en jeu dans l’apparition des symptômes.

 Doutant  de la sincérité des scènes évoquées, s 'affranchissant très douloureusement de la réalité du traumatisme, il opère un glissement métonymique, un changement de perspective. Son intérêt passe alors d'une réalité à une autre, du réel du trauma inscrit dans le corps, à la réalité psychique: la sienne. Conduit à s’éloigner de l’événementiel, du factuel il portera sa réflexion sur l’univers intra-psychique, et intersubjectif qui montreront que le désir de séduire et d'être séduit constituent un couple fantasmatique complexe ou se noue la rencontre de deux subjectivité désirantes . L'exploration de  l’ espace du fantasme avec l'étude de ses propres rêves  va renouveler son questionnement, et conférer à l'inconscient sa partdans l'émergence du thème de la séduction.

L’auto-analyse sera une tentative d' auto-guerison, une tentative  de faire disparaître un  doute profond, porteur de souffrance! Freud se demande si lui même enfant, n'a pas été victime de la séduction paternelle, perspective honteuse et obturante à la fois pour la conduite de ses recherches. Ses fantasmes concourent un temps à le persuader de cette hypothèse audacieuse. L'auto- analyse, l' approfondissement de la clinique de l'hystérie, imposent  un véritable renversement  épistémologique et l'obligent à prendre en considération d'autres facteurs jusque là inconnus donnant à la compréhension de la séduction une autre ampleur.

2°Le  renoncement à la théorie traumatique [6]

Il  a pour corollaire le changement de technique. L'appareillage divan- fauteuil  qui se voulait épuré de toute influence perceptivo- motrice donnera à la séduction un nouveau relief. L' étude  des effets de la séduction sur sa propre personne, et le soucis phobique de se protéger du regard des patients vont conduire  Freud à un changement technique radical. Mais ce nouveau dispositif à des effets qu'il n'avait pas prévu! Il renonce a l'hypnose, puis  au dispositif en face à face  au profit d'une distanciation protectrice. Ce changement radical tant dans la théorie que dans la technique se sera nécessaire pour favoriser les conditions d' une observation voulue  primitivement objective. Très vite il comprend que cela n'y suffira pas, si ce changement postural ne se double d'une élaboration de ses propres troubles éprouvés au sein de la relation interpersonnelle, et de la prise en considération de ce changement du cadre sur l'économie psychique des acteurs.

 Le site et ses propriétés

la séduction n'est pas absente malgré les précautions prises dans cette nouvelle configuration divan fauteuil; bien au contraire! Le dispositif divan fauteuil supposé protéger les protagonistes du jeu croisé des regards séducteurs, des réactions phobiques insondables( devinnement transmission de pensées etc...), aura des effets imprévisibles liés à l'émergence de processus inconscients ainsi activés. L' énoncé de la règle fondamentale au destin inéluctable et imprévisible révèle un potentiel énigmatiqueinattendu. Comme dans toute énigme la séduction y règne en maître, mais cette séduction induit de surcroît le mouvement transférentiel à venir. Celui ci nait  de cet énoncé dont le contenu est fondamentalement paradoxal; il contient de fait une double valence ( JL Donnet)dont on peut caricaturer ainsi les formes. Surmoïque ; " vous devez tout dire, il s'agit d'une injonction qui contient un potentiel de violence .Que me veut il ? pensera l'analysant, ce qui ne manquera de soulever une hostilité primaire recouverte par une séduction défensive.

Séductrice " pour me faire plaisir, ne me cachez rien , dévoilez vous" tout ceci étant plus ou moins sous entendu!

Le mérite du dispositif fauteuil divan sera de révéler le Paradoxe de la Séduction et ses effets que nous allons examiner .

A) déstructuration

Dans l'analyse, en raison des caractéristiques du dispositif, la parole venue de derrière, dont les effets singuliers se différencient nettement des ceux produits par une parole venu d'en face, en raison de la desafferentation perceptive provoquée, plonge le patient dans une excitation qui peut engendrer des effets de séduction  proche de la déstructuration. Aisément intrusive, cette parole peut par son pouvoir de révélation d'une vérité cachée, bouleverser fondamentalement les assises narcissiques du sujet! Combien d'analyses se sont interrompues prématurément en raison du degré d'excitation procuré par la situation nouvelle et du fait d'une parole imprudente dont il est impossible par anticipation de prévoir totalement les manifestations à distance de l'énoncé. Au registre des causes d'interruption précoce  de la cure nous rajouterons le plaisir plus ou moins partagé par les protagonistes à comprendre trop vite le contenu latent du matériel, dont les interprétations prématurées révéleront au delà du caractère hypomaniaque des échanges interpersonnels observés, l' excitation homosexuelle partagée. La séduction est alors perçue comme dangereuse.

En voulant faire de l'interprétation une réponse scientifique à un problématique inconsciente actualisée dans et par le transfert, Freud voulait corriger les imperfections de la parole suggestive du temps de l'hypnose, retrouver le tranchant de son efficacité perdue et atténuer les décharges émotionnelles toujours propices à des effets de séduction. La technicité n'a pourtant rien résolu au sens ou toute interprétation est porteuse d'une part d'énigme; elle contient une part d'inachevée, une zone d'ombre faisant le lit d' une séduction potentielle fantasmée ou réelle.

B) La  séduction une expérience transitionnelle

La séduction quelque en soit la forme a une fonction d' anticipation et de développement des liens entre les deux acteurs. La  clarification du concept de séduction s'est imposé à Freud avec la confrontation à des conjonctures cliniques, autres que celles décrites dans l'hystérie  pour laquelle la séduction allait " du pur effroi au plaisir partagé" (jl donnet)

Cette clarification aboutira à  différencier séduction narcissique et séduction objectale. Plus encore la séduction envisagée comme expérience interactive, conduira les auteurs post-freudiens a faire de la séduction une expérience transitionnelle essentielle dans la construction du moi et le développement de l'identité.

On observera ainsi le changement du statut de la séduction qui définie à l'origine  comme " incident de jeunesse " prend alors la dimension d' une théorie  fonctionnement psychique qui montrera comment la séduction se déploie dans un double registre.

 Narcissique;

- Le modèle est celui de la relation mère enfant: Le rôle trophique de la séduction maternelle est central par l'apport en libido narcissique qu'elle délivre à son enfant. ici la fantaisie touche au solde la réalité effective, car ce fut effectivement la mère qui, dans l'accomplissement des soins corporels provoqua et peut être même éveilla la première fois des sensations de plaisir dans l'organe génital" [7].

Elle va ouvrir ou fermer l'évolution affective en direction de la séduction imaginaire d'ordre sexuel[8].

- En cas de ratage de cette évolution, la séduction de niveau narcissique prendra des formes singulièresdémoniaque par son insistance; elle officiera comme une tentative de comblement infini des failles et carences narcissiques primaires. La séduction ferra office de leurre pour masquer une profonde avidité narcissique et l'incapacité a nourrir une relation stable avec un objet génital, révélant la faiblesse de l' apport narcissique maternel.

 Œdipien;

- la séduction visera à l'établissement d' un lien identificatoire avec l'objet afin de conquérir l'autre. La séduction œdipienne, séduire l'un pour avoir l'autre, s’inscrit dans une dynamique de l’identification au sein de laquelle il s’agit pour l’enfant d’attirer alternativement les grâces d’un des deux parents, marquées en autre par l’ambivalence (amour-haine).Ce temps, celui de l’expérience des composantes féminines et masculines, tel que le fantasme de scène primitive les actualise, souligne l’intégration au sein du moi de l’enfant, de la pluralité de ses composantes psycho-sexuelles, masculine et féminine. Le jeu des identifications sexuelles contribuera à l'intégration la bisexualité psychique. Le fantasme de séduction et son double pli, séduire, être séduit, apparaîtra comme un organisateur privilégié de l’imaginaire sexué dont la bisexualité est l'aboutissement.

C) Séduction et Identité

Notre propos va se limiter à l'étude de la séduction narcissique et de son rôle dans laconstruction de la représentation de soi, nous verrons qu'elle participe non seulement à la création  mais aussi au maintien de l’identité.

Construction  de la représentation de soi

la séduction participe à la construction d’ une auto-représentation de soi c'est à dire à la création et à l'intégration d'une image interne de soi, support futur de l'identité [9]à partir précisément de ce que la mère renverra à son enfant des effets de la séduction sur son propre imaginaire.

Ce moment de perception de l'image de soi, dans le miroir ou le regard de l'autre est untemps spéculaire fugace (dont l'hallucination peut momentanément prendre le relais, le temps de la disparition de l'objet perçu). L'image de soi sera reconnue et identifiée d’abord comme ombre, reflet,  image d’abord indéfinie puis comme double, grâce à la mise en jeu d’un mouvement exploratoire du cadre sur lequel apparaît l’image du sujet. Naîtra une relation, entre soi et cette image internalisée de soi.. C'est cela de notre point de vue le destin de l'homoerotisme[10];Séduire l’autre soi- même. Les effets en retour contribuent à " l' investissement érotique infini de sa propre image  »[11]et permet au sujet de s’auto-éprouver, grâce à sa capacité d’auto-observation  en perpétuelle alerte.

Cette perception est source d'une érotisation fondatrice, si elle est investie par le sujet et l' environnement en raison du plaisir auto-érotique que  l'activité scopique procure. Ce plaisir inscrit une trace qui conduira, par la juxtaposition des traces successives, à la naissance d' une représentation de soi.(la répétition de l'expérience du plaisir éprouvé/La discontinuité - présence - absence, de l'objet perçu impose ce renouvellement).

Temps de reconnaissance de sa propre image, constitutive du double comme matrice de soi, passage obligé sur la voie de la différenciation entre le même et le différent, le soi et l’objet, l’homoérotisme est au carrefour du développement du moi, son dysfonctionnement au cœur de divers destins psychopathologiques.

 Maintien de l'identité

A ce titre il convient de préciser ce que l'on peut entendre par identité. Elle se définit par une opposition interne irréductible entre;

- L'existence d’un noyau depermanence  ou de continuité temporelle[12] qui commeun fil conducteur permet la reconnaissance de soi, par soi même ou par autrui, et assure de fait «  une mêmeté avec soi même  »- il s’agit d’une fonction du narcissisme, qui vole au secours du moi menacé.

- La marque d’une différence, qui assure la singularité subjectivante- dont le je[13] en est l’expression la plus affirmée, en ce qu’il «  objective  » la double différence des sexes et des générations. On pourrait dire de ce point de vue, contrairement au poète, que jen’est pas un autre, (alors que moi est pluriel) mais une instance différenciée et «  différenciante  » qui propulse le sujet vers son destin singulier.

Ces deux composantes organisatrices de l'identité mettent en tension des logiques contraires .Elles régulent  le fonctionnement du narcissisme et celui de la subjectivité, (détermination unifiante opposée à l' aspiration identificatoire, porteuse de conflits)

la séduction est une tentative permanente de rendre compatible la juxtaposition des ces logiques contraires

Toujours susceptible de changement, de variation ne fusse que par les effets du temps,l'image de soi doit toute la vie durant être séduiteréanimée, surlignée, redéfinie dans ses contours et son contenu. En effet  l' image de soi est en perpétuelle mutation et les changements susceptibles de l'affecter produisent une angoisse plus ou moins dépersonnalisante que la séduction à usage interne cherchera à amoindrir.Cette stabilité de l'image que nous avons besoin d'avoir de nous même, participe ainsi à la création dela mémoire de soi qui permet d'affirmer, dans les moments d'incertitudes, " c’est bien de moi dont il s’agit  » .Moment jubilatoire d’ affirmation fragile du sentiment de continuité psychique. On notera au passage les liens indissolubles qui existent entre identité et mémoire.

L' image que j' aurais de moi même sera fonction de la relation que j' entretiens avec le souvenir de mon image interne, c'est à dire avec ma mémoire et mon histoire,[14] et celle qui vise à l'unification et celle qui désorganise l' ensemble. La séduction vise au maintien d'une certaine cohérence interne, assure une adéquation entre soi et l'image interne de soi, " une mêmeté avec soi même" (Ricoeur) et cela grâce au mouvement singulier et nécessaire qu'elle impluse «  d'investissement infini de sa propre représentation" .( Guillaumin)

 De ce fait, elle lutte contre la menace de la perte de nos propres repérages internes,contre les risques de dépréciation, d 'effondrement de cette image interne, dés qu'un danger surgit avec son potentiel d' angoisse dépersonnalisante, de confusion, d' altération du système perception conscience .

 

 Séduire ou mourir ; la carence de la fonction homoérotique

Nous devons pour avancer dans la volonté d'articuler séduction et identité, s'appuyer sur le concept d'homoérotisme qu'il convient préalablement de définir.  

Pour Ferenczi" , le terme d' homoérotisme est à son avis préférable à celui d' homosexualité qui " prête à malentendus et fait ressortir , contrairement au terme biologique de sexualité, l'aspect psychique de la pulsion." [15]

L'approche de Bergeret  s'appuie sur le point de vue étymologique et clinique.

Homosexualité est porteur de l'idée de symétrie (homo), Sexus, secarer, indique l'idée de section, de coupure, de différence.

La clinique de l'homosexualité renvoie à une pluralité de conjonctures et impose une clarification des différentes formes. IL existe une hiérarchie de niveaux selon que l'on se réfère à l'homosexualité œdipienne ou  aux fantasmes homosexuels tels que le transfert les actualise en début de cure, en passant les formes perverses au caractère défensif devant la menace d'effondrement psychotique.

Une brève illustration clinique va nous fournir l'opportunité d' illustrer ces différents points.

Le cas Edouard:  homosexualité ou homoérotisme?

 

 En développant une stratégie défensive, fondée sur l’ agir compulsif,  fait de rencontres d'un soir, Edouard cherchait à sauver sa peau selon une  démarche s’inscrivant  pour Ferenczi, dans la logique obsessionnelle qui caractérise l’homoérotisme [16].Il luttait ainsi contre l'impossible élaboration d'une rupture sentimentale qui l'avait conduit au bord du suicide. Cette rupture avait fait vaciller l' univers de l’apparence et de la parodie, compléments indispensables à l’union amoureuse qui embrasait passionnément ses sentiments. La réciprocité des échanges implicites ou explicites entre ce couple et l’univers magiquement crée le temps d’une nuit, légitimait leur union. Le déroulement de ces cérémonies sublimes et décadentes, avait une fonction spéculaire particulière. Les invités étaient destinés à célébrer la magie d’une union incertaine, mais intense, union porteuse, d’une singulière énigme  ; qui était l’homme, qui était la femme  ? Cette énigme renvoyant chacun des protagonistes présents à leurs propres incertitudes, interrogeant leur rapport aux composantes bisexuelles respectives de leur personnalité. Les invités jouaient à leur insu une partition bien réglée. Assujettis ainsi complaisamment au rôle de témoins, l’émerveillement, soulevé par le décorum et ses paillettes, visible dans leurs yeux ébahis,  produisait en retour une jouissance secrète chez les hôtes, source d’une satisfaction partagée, mais discrètement retenue. L’ensemble, hôtes, invités, constituaient un univers osmotique nécessaire au maintien d’un équilibre subtil du couple ou chacun se nourrissait interactivement d’un plaisir scopique, palliant les carences homoérotiques respectives. La mise en jeu d’une étrange partition, à la gloire de la séduction tout azimut, entretenait l’illusion d’un abrasement de toute différence, entre homme et femme bien sûr, mais aussi entre homosexuels et hétérosexuels. Les jeux de regards, les bons mots, les histoires drôles, quelques références culturelles bien venues, donnaient à l’ensemble, l’éclat d’un jeu de séduction joyeux, dans lequel chacun donnait à voir sa grande satisfaction. 

C’est dans la recherche inlassable de rencontres «  sexuelles  » d’un soir qu’Edouard tentera de panser la profondeur de sa blessure liée à cette perte brutale et inattendue. La fonction apaisante de ces rencontres fugaces et compulsives[17] avaient deux conséquences  : il parvenait à maintenir artificiellement une certaine fonctionnalité à son narcissisme blessé  ;

- La première, lors de ces rencontres avec des inconnus , il  pouvait donc encore plaire  ! On notera au passage que l’objet de sa recherche n’était pas spécialement la quête du plaisir sexuel, mais l’attente d’une réparation magique de ses incertitudes identitaires. Il s’agissait en fait, de capter le regard de l’autre, et d’y lire, ou d’y deviner la naissance du désir produit par la rencontre, qui se voulait la plus brève et intense possible. A l’extrême, plus la rencontre était fugace, plus l’excitation grandissait. Pouvoir attirer le regard de cet autre lui même, et le séduire, revêtait  un grand pouvoir organisateur  ; «  tu m’as regardé, donc je te plais.  », paraphrase décrivant la logique de la séduction narcissique à l‘œuvre. 

- La deuxième, liée au rapprochement «  sexuel  » proprement dit visait à la décharge énergétique de l’excitation, née du plaisir scopique, lors de la rencontre. En rien l’acte «  sexuel  » n’était investi dans sa dimension orgastique. Bien au contraire, et paradoxalement, il constituait plutôt une menace de flottement identitaire, d’incertitude passagère, d’appauvrissement narcissique, de perte des repères. C’est précisément en ce sens, qu’il est juste de se demander si définir la rencontre, comme étant de nature sexuelle, au sens objectal du terme, ne constitue pas un contresens. Les enjeux étaient bien de nature narcissique. La quête de l’autre dans sa complémentarité, mais aussi dans sa ressemblance, visait à nourrir et à relancer la fonction homoérotique dans son rôle spécifique  : " rafistoler" une image de soi. En s’appuyant sur le lien fragile qui s’établissait avec l’autre, Edouard parvenait à créer la figure d’un autre lui même, sorte de double narcissique, dont il s’appropriait l’espace d’un instant, les qualités supposées. L’évanescence de l’image idéale de cet autre lui même, ne pouvait empêcher l’éternel retour de cette perception incertaine voire négative qu’il gardait de lui même. C’est à lutter contre ce retour diabolique de l’angoisse d’anéantissement que Edouard s’épuisait, induite par la perte irréparable de son ami. La compulsion homoérotique se tarissait, dans l’impossibilité de maintenir vivante et stable, une image de lui même. La perte du lien à ce double l’aurait plongé dans une profonde dépression, si il n’avait eu l’illusion de croire qu’une nouvelle rencontre allait combler ses incertitudes. On retrouvera ici les travaux de Jean Bergeret concernant cette difficulté particulière à garder analement l’objet investi, difficulté qui marque le défaut structurel de réceptivité  anale bloquant l’évolution libidinale, dans une position narcissique - défensive [18].L’activité perceptive surinvestie, venait pallier l’impossible mise en représentation de sa propre image. La perception n’avait qu’une portée éphémère, et devait pour remplir sa fonction défensive, être inlassablement réamorcée  ; d’ou l’impérieuse nécessité de rencontres, toujours plus nombreuses, toujours plus décevantes, sources d’une excitation prometteuse, d’une jouissance trop rapidement tarie, dont il ne pouvait garder aucune trace mentalisable.

L’ «  acte sexuel  » n’ayant d’autre finalité que cathartique. Il concrétisait la déception d’une rencontre éternellement ratée, avortée, incapable de prolonger et de combler les aspirations mises en jeu par l’entrecroisement des regards. Le contact «  sexuel  », objectivait en fait l’échec d’un rapprochement de deux corps en quête Le cas  Edouard a ceci d’intéressant pour notre propos, qu’il révèle  la dimension défensive de la " sexualité" secondaire, pour pallier la carence de la fonction homoérotique. La quête inextinguible de rencontres à la recherche d'un  amour narcissique, visant à le protéger d’un risque d’effondrement dépressif, par défaut d’apport narcissique primordial. L’instabilité de la fonction homoérotique dans son rôle d’étayage, et de stabilisation de son identité vacillante ne parvenait pas à suturer les failles narcissiques sous-jacentes. Chaque nouvelle rencontre était une tentative désespérée d’en combler les profondeurs abyssales.

 

Pour conclure, donnons la parole à Kierkegard pour qui

" Don Juan est une donnée intérieure, le sujet est alors lui même son propre objet'(à séduire.)

On pourrait élargir cette vision qu'a Kierkegard du mythe de Don Juan et considérer qu' il existe en chacun de nous un objet dont la séduction s'impose à chaque étape de la vie et qui rangerait la séduction du coté de l' activité d'auto-conservation, c'est à dire du coté de la vie,  pourtant pour Don Juan la séduction (pouvoir de l'oubli) constitue in fine une  rencontre avec la mort.

Ce que la psychanalyse nous apprend c'est la singulière juxtaposition , le difficile équilibre  entre les deux courants de VIE et de MORT portés par la séduction.

Si la séduction est du coté de la vie en  ce qu'elle nourrit les relations interpersonnelles, que penser de cette  forme particulière de séduction dont la souffrance psychique est le vecteur? La plainte masochiste, possède un pouvoir de séduction, une attraction étrange; la souffrance exhibée exerce une fascination sur l'interlocuteur appelé à jouer le rôle de témoin de la tragédie douloureuse. Quand on sait que fascinus est le mot romain pour le grec phallos[19], s'ouvre alors une nouvelle perpective qui propulse la séduction du coté de la toute puissance phallique à laquelle nous  ne sont pas  prêt à renoncer facilement , n'est ce pas ce que les patients agrippés à leur masochisme nous apprennent tous les jours!

 

 

Ainsi ces tensions sont toujours sources d' un écart, d'une béance, entre l’idéalité d’ une identité à jamais établie et la poussée pulsionnelle éternellement insatisfaite, et désorganisatrice à l’égard de l’unité du moi dont le jeu est le porte parole, pourrait on dire. Cette béance, espace de fermentation de ce qu’il y a de plus spécifique en chacun, est le lieu même d’une discontinuité  propice au déploiement de l’identité, habitée par undeuil qui ne se réduit pas aux seules conséquences de la perte. En effet ce deuil n' est pas tant en rapport avec le renoncement à la toute puissance infantile  que la manifestation de la nostalgie de l'unité perdue. Cet espace crée par la discontinuité entre idéalité et le chaos pulsionnel,»[20], en quête d’une image internalisée, plus ou moins stable du sujet. C’est à ce point précis que la séduction joue un rôle déterminant. Elle oriente son action en direction d'abord vers l'extérieur puis vers l'intériorité.

Nous attribuons à l’homoérotisme une double fonction.

. Le temps homoérotique renforce les assises narcissiques du sujet à la faveur de

- Enfin l’ étape homoérotique propulse l’investissement libidinal sur la voie de l’ identification, vers la découverte de l’objet, grâce à l’appropriation identifiante des qualités prêtées à ce dernier.

[21]. L’ensemble du système perceptif et sensoriel est assujetti à cette tâche exploratoire



[1] Alain Rey; latin seducere, subducere; emmener à l'écart, séparer, diviser, corrompre , tromper, in Le Dictionnaire étymologique de la langue française

[2] Ferenczi, S. L'homoérotisme. Nosologie de l'homosexualité masculine, in œuvres complètes t2 Payot, Paris, p117

[3]  Kraft Ebing in Essais sur les perversions dont Freud tirera le concept de narcissisme

 

[5] Saint Augustin les Confessions: Il y a trois présents , le présent du passé qui est la mémoire, le présent du futur qui est l'attente, le présent du présent qui est l'intuition ou l'attention (Ricoeur p 454, in l'Oubli , la Mémoire) Ce triple présent est organisateur de la temporalité.

[6] Révision du 21 septembre 1897 in Correspondance à Ferenczi

[7] Freud S. in Nouvelles conférences d'introduction à la psychanalyse cité par Laplanche in Etudes freudiennes, p 17

[8]  Bergeret J. in  la pathologie narcissique p 155, Dunod.

[9] Decourt P. La perte et l'identité R.F.P 1999 N°

[10] La relation au double narcissique se différencie de la relation homoérotique par le caractère idéalisé des projections sur l'autre soi même.

[11] Guillaumin J. L'objet de la perte dans la pensée de Freud;48°congrés des psychanalystes de langue française des pays romans: Genève 1988.

[12] Ricoeur P. elle permet de remonter sans rupture du présent vécu aux événements de l'enfance.

[13] Cahn R. " Moi et je ne sont pas réductibles l'un à l'autre" , in Bulletin de la S.P.P n°19, 1991

[14] On sait les effets de dépersonnalisation à minima que l'on peut éprouver lorsqu'existe un écart entre la perception que l'on peut avoir dans le miroir de soi et le souvenir que l'on garde de sa propre image (Freud et son voyage en train)

[15] Ferenczi (op; cit) note; p, 119, nous verrons qu' il existe d'autres raisons pour adopter ce terme.

[16] S.Ferenczi. op cit. p123.

[17] stratégie de défense, fondée sur l’ agir compulsif, s’inscrivant  pour Ferenczi, dans la logique obsessionnelle qui caractérise l’homoérotisme [17]

[18] J.Bergeret. in Dépressivité et Dépression dans le cadre de l’économie défensive, 36° congrès des psychanalystes de langues Romanes  : Genève 1996, P.U.F.p156.

[19] Pascal Quignard Le sexe et l'effroi Folio1999

[20] Guillaumin. J. L'objet de la perte dans la pensée de Freud;48°congrés des psychanalystes de langue française des pays romans: Genève 1988.

[21]


 

 
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