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Animalnonyme- Dr Pierre DECOURT

                                                    L’animalité ; une proximité ontologique

 

 

Nous réduisons le fossé que les époques antérieures ont creusé de façon excessive entre homme et animaL.

Moise et le monothéisme.

S. FREUD

Dr Pierre Decourt

Montpellier

 

Résumé :

 

La fonction animiste efface la dichotomie entre le monde interne et le monde externe. Elle, permet de prendre la mesure de l’importance de la sensorialité comme facteur de connaissance, de savoir et révèle l’animalité instinctuelle refoulée en chacun. Celle- ci suffit-elle à engager des rapports avec autrui sur des bases autres que celles fournies par la raison et l’entendement et dominées par les lois de la causalité ? Question au cœur de cette contribution.

 

Mots clés : Animisme, animalité, totem, pensée magique

 

 

Les références chez Freud au monde animal sont nombreuses. Elles sont diverses, souvent présentes, connotées d’une dimension phobique ou contra phobique. Arpad, Hans, l’homme aux Loups, l’homme aux rats et tant d’autres exemples figurent dans les exposés cliniques. Elles fournissent à Freud l’opportunité d’interroger et de développer les mécanismes à l’œuvre dans l’ontogenèse des angoisses phobiques nées de la rencontre avec l’animal : cheval, rat, volatile, coléoptère, chenille etc. inspirant « effroi et dégoût[1] ». Mais cette dimension psychopathologique, conséquence de l’ « incarnation animalière » du père, ne recouvre qu’un des aspects de l’intérêt de Freud pour l’univers animal. Ses recherches concernant l’animalité de l’homme sont présentes tout au long de son œuvre. Il fera d’ailleurs crédit à Darwin d’avoir « abattu la cloison édifiée par l’orgueil, entre l’homme et l’animal [2]».Freud accepte sans détour les théories évolutionnistes dont il dira la blessure qu’elles représentent pour l’humanité[3], allant même jusqu’ à considérer certains comportements humains comme l’expression d’un fonds instinctuel proche de l’animal.

C’est à une réflexion qui conduit du passage de ce fonds instinctuel à sa mentalisation que nous serons conduit et dont « l’animalité » serait l’expression la mieux partagée par la communauté humaine.

 

Animalité, humanité ; une opposition ?

 

Classiquement le concept d’animalité remplit, de par sa structure et son contenu une fonction importante dans la définition de l’humain lui–même. Ainsi la définition de l’animalité est présentée en opposition à l’univers de l’humain dans une sorte d’ontologie négative. Or l’animalité puise sa force et son histoire dans notre passé archaïque dont l’inconscient garde les traces mémorielles. Nous pouvons faire l’hypothèse qu il existe une analogie quasi structurelle de l’homme avec l’animal. Elle figure dans l’étymologie du mot animal et par extension avec le concept d’animalité. Ils se réfèrent au latin « anima [4]» et par extension à « âme ». L’animalité porte en elle l’idée de souffle, de vie, et de ce fait témoigne d’une proximité naturelle avec l’humain. Nous essayerons d’en approcher la richesse, la complexité, l’étonnante et insistante présence chez l’homme.

            Venons-en aux sources inconscientes de l’animalité. Les pulsions ne constituent-elles pas cette force « animatrice »de la libido et de ses manifestations corporelles et psychiques? L’animalité fait corps avec la fonction pulsionnelle et sa poussée constante, guidée par la recherche de satisfactions sexuelles immédiates. Cette quête de satisfaction peut être différée, secondarisée, transcendée -la sublimation en est le modèle- ou éprouvée dans la création au sens le plus élargi, sauf à s’engouffrer dans certaines dérivations perverses pour autant source d’un  plaisir d’une autre nature, aux confins de la jouissance et de la bestialité.

Avec l’homme aux Loups, mais pas seulement dans ce cas, Freud indexe à la sexualité humaine une composante franchement bestiale. Dans l’analyse de Serguei il évoque la contemplation traumatique faite par le jeune enfant du coït parental que Freud qualifie de «more ferrarum- de coitus a tergo» -à la manière des bêtes sauvages-. La vue de l’accouplement des parents est porteuse d’un potentiel désorganisateur pour l’enfant, pourtant pas si innocent, résonnant vraisemblablement comme un avant–coup traumatique. Serguei ayant été prématurément initié aux jeux sexuels séduit par sa sœur, peut-être même par la Nania. Cette scène primitive évoque analogiquement pour Serguei le spectacle de l’accouplement d’animaux observé dans les vastes étendues de la propriété familiale, ou celui offert par les animaux domestiques attachés à la maison.  Le rapprochement entre sexualité des adultes et sexualité des animaux devient superposable dans son fantasme, elles se conjuguent, se nourrissent l’une de l’autre ; le rapport sexuel des adultes est alors « animalisé », et trouve ainsi son support, son étayage chez l’animal, et organise le fantasme oedipien.

Mais il me semble qu’une autre conception de l’animalité conduit au delà ou en deçà de cette perspective sexualisante et traumatique. Une conception faisant le pont avec l’univers de l’auto-conservation, l’univers de l’accomplissement des besoins vitaux, au service du maintien de la vie, ceux là même qui président à ces expériences de survie et dont l’actualité se délecte à montrer leur caractère « non humain », voire invraisemblable. « Où a-t-il ou a-t-elle puisé de telles ressources pour surmonter l’épreuve ? » entend-t-on souvent !  L’histoire des grands explorateurs[5] fourmille d’exemples. Elle atteste de ces épreuves surmontées par des individus qui puisent on ne sait où des ressources insondables. « Ce que j’ai fait aucun animal l’aurait réalisé… » . Les expériences concentrationnaires souvent évoquées constituent les témoignages les plus bouleversants de ces aptitudes du moins pour certains à survivre en milieu hostile face à des environnements désastreux. Les ressources psychiques sollicitées dans ces situations reposent, on le sait, sur des capacités régressives protectrices d’un narcissisme malmené et se nourrissent d’identifications salutaires, identifications plus précisément à l’agresseur dans ce qu‘il peut avoir paradoxalement d’inhumain. Mais ces ressources sont aussi liées au retour de ce qu’il y a de plus archaïque en nous, voire de plus violent, illustrant bien la conception de Bergeret de la violence fondamentale. Je me souviens d’un patient mélancolique chronique, évoquant douloureusement le souvenir du débarquement en Normandie et de cette lutte acharnée pour survivre en s’accrochant à un morceau de bois dont la flottabilité ne pouvait assurer la survie que de quelques rares soldats... il n’en dira jamais plus !  .

Rapidement évoquées ces situations extrêmes où les composantes auto-conservatrices du sujet font barrage aux aspects hostiles de l’environnement humain et non humain.

 

Animalité et savoir

 

Avec le développement du concept « d’âme sentante[6] », c’est une fonction essentielle selon Hegel qui confère à l’animalité une dimension première, « magnétique » déclare-t-il, et qu’il oppose avec vigueur à une philosophe de l’entendement et de la raison. L’animalité affirme-t- il, est un outil de connaissance, laissant naître « des impressions sensorielles d’une individualité étrangère comme étant les siennes propres[7] ». La sensorialité dans ses fondements les plus archaïques ou plutôt les plus primitifs constitue ainsi un outil de connaissance d’une grande richesse. Elle est propice à la création d’un savoir profond et intime au coeur même de toute relation intersubjective, mais aussi dans le rapport secret avec soi-même. « L ‘âme sentante » précise-t-il est une modalité du sentir peu éloignée en ce sens du texte freudien portant le titre, « Le Traitement d’âme [8]», sauf que Freud y voit à propos de la parole et de ses effets une dimension magique énigmatique[9], qui ne cessera  de le hanter.

Ce « sentir » détermine pour l’individu la manière dont il va entrer en contact avec autrui selon des modalités qui ne nécessitent pas la médiation du langage mais se définissent comme le produit d’une interaction primaire émotionnelle, sensorielle, sensori-motrice...

On peut se demander à la relecture de « Mon analyse avec Winnicott » de Margaret Little[10] sur quoi reposait cette aptitude particulière qu’elle prête à son analyste et sur laquelle elle revient à plusieurs reprises dans son texte. Winnicott pouvait, dit-elle, saisir dans l’immédiateté de la rencontre avec un patient qu’elle était la nature profonde des besoins de ce dernier et les faire siens. Intuition, empathie, identification narcissique ne suffisent pas à rendre compte du caractère singulier et peut-être même fulgurant de ce phénomène qui touche à la mise en lumière de manifestations perceptives et sensorielles dont on peut faire l’hypothèse qu‘elle trouve ses ressors dans ce fonds inconscient que constitue « l’animalité » et dont le corps se fait le messager. Le geste, la posture, le regard, les odeurs, le mouvement dans l’espace, en un mot les signifiants corporels, portent en eux une possible exhumation du fonds sensoriel de la mémoire inconsciente. De l’exploration de ce fonds pourra naître une rencontre possible entre « l’animalité » du patient et celle de l’analyste en deçà de toute référence aux mots. Cette rencontre étant révélatrice alors de la demande du sujet, de sa souffrance, de ses attentes implicites. De cet éprouvé partagé peut surgir l’éclosion de signifiants communs, dont l’émergence actualisera un passé enfoui jusque là, et dont l’élaboration les rendra susceptibles de se transformer en figuration, dans le meilleur des cas en représentation, ou en acte. C‘est ainsi que ces patients très régressés cherchent à faire « sentir » ou faire « éprouver » à l’analyste quelque chose de méconnu par eux même, d’insolite, d’étrange, pan d’une histoire jamais écrite, en mal de figuration et de sens. La dimension contre-transférentielle puise sa source dans la mise en jeu de ces processus singuliers, faits de partage, d’échange, de regards, d’occupation de l’espace. Le contre transfert ne se construit-il pas sur l’intégration de messages énigmatiques empreints d’une profonde vérité. Ça ne triche pas, ça dit vrai ! Çà se sent ! Ultime consécration d’un vécu parfois indicible.

 

Une proximité ontologique

 

 La résurgence de l’animalité qui apparaît selon l’usage des modes d’échanges avec l’univers environnant humain ou non humain, témoigne de la présence toujours active de la pensée animiste. Quand je dis à mon labrador ; « viens on va se promener ! », émerge alors dans mon propos les traces irrationnelles d’une supposition. « Comprend-t-il l’injonction puisqu‘il « entend et répond ? » à sa façon. Il faudrait mieux se demander que ressent-il ? Cette imputation au monde animalier de capacités spécifiquement humaines traduit certes la dimension anthropomorphique de l’interprétation de la réponse motrice du labrador, mais révèle aussi de mon coté la saisie de l’intentionnalité de l’animal par incorporation mimétique. L’échange avec l’animal résulte de la mise en jeu d’une intentionnalité commune supposée qui me permet d’anticiper le point de vue de la bête. S’établit ainsi une sorte de partage fondé sur une analogie de nos intentions, se nourrissant des reliquats d’une toute puissance de la pensée animiste. C’est à partir de l’étude du modèle analogique, mode singulier de l’identification, « un des outils les plus versatiles de la cognition humaine[11] »qu’il faut interroger le processus animiste en jeu.

Freud dans Totem et tabou, considère que « c’est principalement le problème de la mort qui a du fournir le point de départ de cette théorie (animiste) »[12]. On peut s’étonner de l’affirmation de Freud qui considère que « l’animisme est un système intellectuel »[13]. L’animisme n‘est-il pas aussi un exercice spirituel via les transes, les rituels, célébrations sacrées du monde des origines ? Pour Freud l’étude de l’animisme répond à une autre finalité. Explorer les sources archaïques de l’animisme c’est penser l’analogie avec les mythes et les pensées du Rêve. Le point de vue des anthropologues est radicalement différent. Selon Descola[14], le propre de la pensée animiste efface, transcende la distinction entre le monde interne celui des émotions, des pensées et le monde du dehors qui constitue l’environnement, les espaces, le climat, la voûte céleste...sans oublier les défunts. Une continuité s’établit ainsi pour les peuplades aborigènes entre « deux mondes » perçus comme issus d’une même origine dont les «Récits Etiologiques » et les rites retracent, renouvellent et enrichissent l’histoire… « Quelle que soit la diversité, de leur formes apparentes, les humains et non humains qui composent le groupe totémique sont réputés être issus d’une même nature, l’être du Rêve[15] ».

Cette incursion dans l’univers anthropologique montre selon les cultures, la non séparation entre le dedans et le dehors, et illustre la proximité ontologique avec le monde animal totémique. Quand un Achouar se définit comme appartenant au clan du jaguar, il indique l’intériorisation ontologique des qualités de l’animal ; vélocité, sens de l’observation, dons pour la chasse, courage … etc. signifiant la proximité de l’homme avec l’univers animal auquel il prête ses propres contenus de pensée et s’approprie en retour les propriétés enviées de l’animal. La continuité est absolue, elle se cultive, se transmet au travers des rites et des coutumes, et définit une identité groupale. Cette interpénétration des mondes consacre la fonction totémique ; elle est de nature sacrée, et signale qu’humains et non humains partagent l’appartenance identitaire à une même classe totémique pour donner corps à une relation englobante structurant des relations hétérogènes.

 

  L’animisme et la clinique

 

Ces remarques pour introduire des éléments de la clinique psychanalytique qui vont illustrer la présence ics des mécanismes analogiques et de substitutions et tenter de montrer que la hiérarchisation freudienne entre période animiste, période religieuse et période scientifique, supposée indiquer une évolution des cultures, signe d’un hypothétique progrès est probablement à reconsidérer dans le contexte psychologique et sociologique actuel.

 

Anne consacre sa vie à la psychanalyse avec passion, dévotion, exigence, ferveur. En un mot c’est sa vie ! Son existence aura pris un sens dit-elle, depuis notre rencontre pourtant souvent orageuse, il y a bien des années. On ne sait plus quand parfois …, si la psychanalyse c’est sa vie, elle fut longtemps sa survie, à une époque où les symptômes fleurissaient, où l’espoir s’était évanoui face aux déboires venus de son enfance chaotique entre une mère glaciale et un père déprimé ; Il avait tué accidentellement un cycliste ; il ne l‘ avait pas vu, pas plus qu’il n’avait vu grandir sa fille, pousser ses seins, devenir presque une fille…presque ! Il ne la voyait toujours pas ; ce n’était pas un père ; Elle le surnomme d’ailleurs Jules, qualificatif plus ou moins impersonnel, délibidinalisé. Le risque de bascule dans un processus psychotique fut longtemps présent. Les moments de régression ont souvent mis à mal le cadre et mes propres possibilités de penser. Mon écoute était parfois saturée par des éléments incohérents, affectivement chargés d’une violence indéfinie. L’identification projective faisant des ravages, éprouvante, mais elle créait du lien. Combien de fois me suis-je demandé pourquoi l’avais-je pris en analyse trois fois par semaine. Je me sentais souvent comme cette mère dépassée, incapable. Si la psychanalyse est si investie c’est qu’Anne en attend toujours beaucoup et que ses exigences furent et sont toujours parfois douloureusement ressenties dans le contre transfert ; une idéalisation démesurée à la hauteur des reproches paroxystiques qui fusaient en salves. Pendant de longues années, la fonction réparatrice du travail fut essentielle. Combler les brèches, suturer les déchirures faites à un narcissisme en lambeaux ; le besoin d’étayage s’avérait vital. Elle évoquait cette représentation d’elle-même comme un sac troué, percé en de multiples endroits, « ça fuit de partout ! » ponctuait-elle. Elle se maltraitait, prix à payer pour renforcer masochiquement son inébranlable conviction de n’être rien; elle ne valait rien ; elle se haïssait et cherchait à me convaincre avec opiniâtreté du bien fondé de cette opinion... Récuser cette conviction était lui faire offense. Elle était en quête du moindre indice qui l’aurait renforcé dans cette certitude, qu’elle était nulle.

Sa féminité déniée pouvait donner l’impression qu’elle appartenait à un troisième genre : le genre ni femme ni homme, une catégorie indéfinissable. Une façon de ne pas être désirée et de ne pas désirer ; quelques rencontres cependant sans chaleur, fortuites, une sexualité « opératoire » pourrait on dire, une sexualité « sans sexe », probablement sans représentation, ni plaisir.

Quelque chose d’une ébauche d’hystérisation de la relation put enfin se tisser prudemment patiemment sur le mode d’une hystérisation primaire où l’affect se dévoile, se rétracte et s’évanouit dans l’instant même de son apparition, s’évacue dans  quelque rares rêves. Fugace, car dangereux en ce que l’affect peut marquer une forme d’attachement dont elle connut dans l’enfance les risques. Elle fut abandonnée pour vivre chez des cousins. Ses insomnies étaient devenues insupportables pour ses parents.

La relation d’emprise longtemps entretenue avec l’analyste visait à la protéger de quelque manquement. Avait-elle peur d’être adressée chez des « cousins analystes » lorsque elle percevait les limites de mes propres insights ?

Ma mort appartenait à ces manquements possibles, mais pas seulement. Le croisement furtif, les bruits de voix ou de talons d’une autre patiente attisaient des réactions passionnelles. Son attention était fixée sur la recherche d’éléments afin de valider cette conviction quasi délirante. Bien sûr, « elle n’avait pas sa place ici ». Exigeante, parfois tyrannique elle ressentait les modifications du cadre avec une immense détresse et une haine sans borne.  Ne pouvait-elle inventer[16], élaborer l’absence, construire les traces durables d’une présence ? Malgré des années de travail soutenu, elle n’a jamais manqué une séance en dix ans. Elle se sent toujours menacée par l’intérêt que je pourrai porter à d’autres, ce qui résonne à un premier niveau avec la rivalité avec cette sœur plus jeune, objet de toutes les attentions familiales.

Voici une séquence qui témoigne de son évolution et essentiellement du rôle de la fonction animiste et sa dimension structurante.

Le printemps s’accompagne du retour des chants des oiseaux. Anne tend l’oreille et perçoit le même gazouillis dans les arbres voisins de mon cabinet que ceux entendus chez elle avant de se rendre à la séance. Son attention reste fixée à la périphérie de l’espace de la séance ; elle a croisé sur le chemin conduisant à mon bureau la patiente précédente. Elle sait bien qu ‘elle n’est pas la seule, mais la voir est autre chose. Anne est à nouveau envahie par cette idée qu’elle n’est pas à sa place ici…Long silence puis retour associatif aux oiseaux.

« Figurez-vous me dit-elle que dimanche j’ai observé dans mon jardin un drôle de remue-ménage. Ces imbéciles de pies ont couvé à leur insu l’oeuf d’un coucou geai ; l’oisillon plus gros qu’elles, n’était pas gêné, il faisait en plus un drôle de charivari; pas gêné du tout le coucou. Je voyais ces pies vraiment idiotes faire des efforts à sa place. Figurez-vous que le coucou n’avait même pas honte. Ce gros pépère se laissait nourrir, de plus il était encouragé à sortir du nid. Elles chassaient les chats intrigués mais menaçants pour lui faire place nette. »

 

Face à ce matériel aussi riche et transférentiel dans son contenu plusieurs pistes s’offrent à l’interprétation. Anne fine, a tout de suite repéré l’analogie entre la situation de l’analyse et son fantasme d’être « un imposteur » comme le coucou. Le nid métaphore de l’espace analytique est ce lieu ou elle a pu « naître », grossir, se développer. Comme le coucou elle éprouve la même difficulté à en sortir, difficulté majorée par la perspective des vacances de l’été.

Mon intervention va se limiter dans un premier temps à lui rappeler alors ce fantasme du début de l’analyse. Elle affirmait, désemparée. : « Mes parents ne sont pas mes parents », identifiée au coucou imposteur, coucou couvé et nourri par des parents incrédules qui ne sont pas les siens.

-Vous vous trouviez dans la même situation ?

 « La différence existe pourtant; moi je ne mangeais pas (allusion à uns phase anorexique à l’adolescence) pour ne rien coûter à mes parents.

L’interprétation du transfert prolonge le mouvement et porte alors sur cette « nourriture » que je lui sers trois fois par semaine et dont elle profite souvent avec parcimonie, qu ‘elle recrache parfois, mais sur laquelle elle compte avant tout.

« La différence encore, c’est que moi, je ne veux pas quitter le nid, mais rester seule dans le nid».

Cette séquence illustre le processus animiste à l’œuvre qui réunit la problématique du Coucou et celle d’Anne dans une sorte de communauté « animale », effaçant la distinction entre deux univers séparés, l’univers humain et celui de l’animalité objet de ses projections. La non séparation résonne ici comme un processus archaïque qui enrichit l’imaginaire de la patiente auquel l’interprétation va donner sens. La fonction animiste joue ici un rôle essentiel : l’oiseau vient s’intercaler comme médiateur tiercéisant au sein d’une relation transféro-contre-transférentielle cible de mouvements pulsionnels erratiques et désorganisateurs. S’ouvre des lors une dialectisation des échanges permettant l’évocation prudente des angoisses de séparation. Anne suspendue dans la douleur de la peur du rejet put enfin trouver les mots justes pour en dire la crainte et ses conséquences. En écho je pensais en silence ;

-« Vous êtes bien dans/sur un « nid-divan » au sein duquel vous trouvez à vous nourrir, à prendre soin de ce corps souffrant, « incarnation » d’une souffrance inédite, dont le modèle offert par l’observation des vicissitudes du monde  animal vous permet de trouver une figuration possible. »

Restent évidemment les obstacles « à déblayer » avant toute perspective lui permettant de prendre son envol. La peur du vide est encore bien trop présente.

 

 

Conclusion

 

Affirmer la présence de l’animalité en nous dont la pensée animiste est une des modalités d’expression a ceci d’intéressant qu’elle constitue un mode de connaissance de notre fonds inconscient. La sensorialité et son immédiateté colorent cette pensée à l’œuvre. Médiatrice entre l’éprouvé et sa figuration, cette sensorialité exacerbée et partagée offre l’opportunité de tisser la trame d’une relation possible avec les patients en souffrance identitaire. Elle sollicite pour cela les capacités de l’analyste à éprouver et élaborer les effets de la régression topique et son destin dans le contre-transfert.

 

 Notes bibliographiques:




[1] Freud .S l’homme aux Loups in Cinq psychanalyses P u f p. 332

[2] Freud. S. in Les Résistances contre la psychanalyse, in Résultats, idées, problèmes t.2 P u f.1925 p.125

[3] Ne signale-t-il pas dans une comparaison audacieuse la fascination qu’exercent les grands fauves au même titre que celle produite par les belles et grandes hystériques dont le regard sur autrui sont fait d’une condescendance désarmante et attirante à la fois. Cette référence au pouvoir du narcissisme sur l’autre, et ses jeux de miroir restent énigmatiques liés probablement à des effets hypnotiques conjuguant à la fois une modification de l’état de conscience et l’émergence des identifications primaires.

[4] Rey Alain .Dictionnaire historique de la langue française. Édition Robert

[5] Zweig Stephan. Magellan. Les cahiers rouges .Grasset

[6] Hegel Le Magnétisme Animal. Traduction François Roustang. P u f. 2005 p 13

[7] Sic. « Chez l’animal L’âme sentante n’est pas soumise à l’espace et au temps et pas davantage à la pure connexion de la cause et de l’effet ».

[8] Sic. P. 26

[9] Freud Sigmund .Le traitement d’âme in Résultats problèmes idées.  t. 1. 1890 P u f.

 

[10] Little Margaret. Des États limites ; l’alliance thérapeutique in coll. des Femmes 1992

[11] Descola Philippe. Un monde enchevêtré, in « la Fabrique des Images ». Catalogue du musée du quai Branly p.165

[12] Freud Sigmund. Animisme, Magie, et Toute- puissance des idées, in Totem et Tabou p. b. Payot p.91

[13] Sic. p. 92

[14] Descola Philippe. Par delà nature et culture. Nr f. Ed. Gallimard

[15] Sic.p.127  

 

 
Désir d'éternité: ontogénèse et destin - Dr Pierre DECOURT

Dernière mise à jour de la page: 10 avril 2010

Dr Pierre DECOURT

Psychiatre psychanalyste

Montpellier

Désir d’éternité: ontogenèse et destin

 

 "L’éternité c’est long surtout vers la fin" Woody Allen

 

Le désir d’éternité est une des composantes plus ou moins secrète de notre vie psychique, présente à des degrés variables chez chacun d’entre nous et cela tout au long de la vie, variable néanmoins selon l’age et les péripéties de l’existence. Constat qui rejoint le point d e vue de Wittgenstein pour qui « nous sentons et expérimentons que nous sommes éternels.»

 

L’éternité n’est pas à confondre avec l’immortalité, car il ne peut y avoir de conception de l’immortalité sans une interrogation sur ce que peut être la mort. L’immortalité à ce titre est une des composantes de l'éternité. Paradoxalement elle s’en différencie, car l’immortalité suppose un début, mais pas une fin. Si on prend l'exemple des cellules germinales, on constate qu’elles se perpétuent de génération en génération et sont en théorie du moins, immortelles.

 

Soulever le thème de l'éternité c’est de façon' incontournable affronter la question de la temporalité et par voie de conséquence, celle de l’origine et de la mort.

 

Le temps des philosophes

Le rapport du sujet au temps constitue une énigme compte tenu de son hétérogénéité; il est à ce titre au cœur du débat philosophique. De quel temps parlons-nous ?  Selon la mythologie grecs la temporalité se situe du coté des dieux .Elle se définit par des propriétés spécifiques séparées dont les dieux sont les messagers.

Chronos (en grec ancien Χρόνος / Khrónos) est un dieu primordial (Titan) personnifiant le temps ; il est la représentation du temps chronologique.

 Aïon s’oppose ou plutôt prolonge la conception du temps propre à Chronos . Celui-ci est le temps de la succession matérielle, c’est à dire le temps de l’action des corps, tandis que celui-là, est le temps de l'immanence de l'Instant pur, de l’événement.  Aïon est ce pur devenir du temps non identifiable, non repérable. Le temps s’écoule sans que l’on puisse le mesurer, sans qu'aucun cadre de la représentation ne puisse l'objectiver.

 

Aristote déjà considérait la question du temps comme embarrassante; « comment savoir si sans âme le temps existerait ou non? Le temps existe il indépendamment de nous ? « S’il existe, qu’est ce qui le caractérise? De quel temps parle-t-on ? 

Pour Heidegger, la question n'est pas qu’est-ce que le temps mais « qui est le temps? », donnant au temps une dimension essentiellement subjective. Il s’agit là du temps vécu, introduisant l’affect l’émotion, la sensibilité qui sont au cœur même de l’expérience ;

A  la question lancinante qu'est ce que le temps, la réponse de Saint Augustin ( Confessions) est la suivante; « Si personne ne me le demande, je le sais ; mais si on me le demande et que je veuille l’expliquer, je ne le sais plus … pour St Augustin, le seul temps qui existe c'est le présent ; « le présent du passé c 'est la mémoire; le présent du présent c 'est l’intuition, le présent de l' avenir, c 'est l'attente.»

 On pourrait prolonger ces références à l ’ infini tant la question est complexe d’ autant que bien souvent  les débatteurs ne parlent pas de la même chose, surtout si on réfère au  temps les astrophysiciens?

Pour Einstein je cite ; « pour nous autres physiciens convaincus, la distinction entre passé, présent et futur, n‘est qu‘une illusion, même si elle est tenace. ( Prigogyne la nouvelle alliance p 366)

La question du temps traverse les recherches théologiques de toutes les religions monothéistes ou polythéistes. Elles se retrouvent sur la conviction que l’éphémèrèité du temps qui passe n ‘est qu’un viatique vers l ‘éternité? La dimension évangélique et eschatologique garantissent aux fidèles le salut éternel de l’âme ?

On retrouve avec la pensée animiste les mêmes rapports à l'éternité. L’âme du défunt reste en connexion avec les ancêtres généralement via le rêve, les rituels, ou les sacrifices; cette communion entre le monde d’ici bas et l’au delà confèrent à la temporalité un point commun propres à toutes les religions. C’est dire sa dimension transcendantale et transculturelle.

 

Temps et identité 

Pour chacun d’entre nous

Le temps est une dimension intrinsèque de la construction de notre identité. La temporalité est une des composantes de nos interrogations, parfois de notre souffrance, lorsque l’attente se prolonge et que la satisfaction se dérobe.  Notre rapport au temps est à des degrés variables chez chacun d’entre nous quelque soit l’age, cependant nous avons tous fait l’expérience qu ‘avec l’age le rapport au temps se modifie, s’accélère, s’immobilise, parfois se ralenti, parfois s’évanouit.

Mais alors Comment avec le temps qui passe pouvons nous garantir une continuité dans la perception que nous avons de nous même comment assurer le sentiment de permanence socle de notre identité ? Car tous les changements physiques et psychiques entraînent une modification de la représentation de soi, exacerbent une incertitude identitaire. Il ne suffit pas d’accepter de voir la réalité de la métamorphose de notre corps dans le miroir qu’est le regard de l'autre, mais l'essentiel c'est pouvoir se reconnaître, préserver ce sentiment de continuité malgré le changement du au vieillissement. « Dis moi comment tu vieillis je te dirai qui tu es? Avec le vieillissement les activités cognitives fléchissent. Les troubles de la mémoire, la désorientation temporelle et spatiale fusent elles éphémères signent un fléchissement de l’activité de l a conscience. La conception du temps de ce point de vue est corrélative de l’activité d e la mémoire. Paradoxalement c'est dans ces moments d’incertitude quant à l'avenir que le désir d’éternité et son corollaire le déni de la mort s'embrasent et que les incertitudes identitaires s’affirment. Au crépuscule de la vie ce rapport au temps se développe avec une acuité particulière et avec lui l’énigme propre au désir d'éternité.

 

Les origines du désir d'éternité

 Quelles sont les sources du sentiment d’éternité ? Est ce que l a psychanalyse peut apporter sa contribution au débat sur le temps et l’éternité ?

Pour Freud le rôle des parents est déterminant dans l’apparition du sentiment d ‘éternité dont la toute puissance infantile est une des modalités d’expression. Je le cite :

« L’enfant aura une meilleure vie que ses parents. Il ne sera pas soumis aux nécessités dont on a fait l’expérience..Maladie, mort, renonciation de jouissance, restrictions à sa propre volonté ne vaudront pas pour l’enfant …il sera le cœur et le centre de la création. Il accomplira les rêves, les rêves de désir que les parents n’ont pas mis à exécution. Il sera un grand homme un héros à la place du père. Le point épineux du système narcissique de cette immortalité du moi que la réalité bat en brèche, a retrouvé un lieu sur en se réfugiant chez l’enfant ». (Pour introduire le narcissisme p 96)

Les sources de ce rapport au temps, à l’éternité sont du coté du narcissisme des parents qui projettent sur leur descendance leurs propres angoisses de mort.

N’y a t’il pas dans nos rêves les plus secrets la persistance de ce sentiment que nous sommes éternels, sentiment toujours susceptible de résurgence dans certaines circonstances.

La sensation de l’éternité s’apparente si l’on en croit une lettre de Romain Rolland à Freud à « un sentiment comme quelque chose de sans frontière, sans borne, pour ainsi dire océanique, » une sorte de perte du sentiment d’identité, de dépersonnalisation à minima .Ce sentiment océanique serait la source pour Romain Rolland  de l’énergie religieuse. Freud dans sa réponse récuse cette hypothèse.

Pour Ferdinand Alquié, l'expérience de l'éternité est le trait même de la passion; celle ci est hors du temps, intemporelle, l'amour sera pour toujours pour la vie et au delà sans fin !conviction farouche porteuse souvent de fantasmes d’emprise et de mort.

 

 

Le désir d’éternité et la confrontation avec le réel

Si la psychanalyse dit quelque chose de ses sources du désir d’éternité qu’en est-il et de ses limites ?

         1°Un premier obstacle au fantasme de toute puissance porté par le désir d’éternité est cette disposition particulière de l’enfant qu’est la néoténie. Elle se traduit par cet état de dépendance physique, physiologique et affective, de l’enfant confronté à cet état d’impuissance prolongé. La néoténie est une des caractéristiques de la condition humaine. L’enfant fait très tôt l’expérience de cette dépendance dés que ses besoins physiologiques s’affirment dans l’angoisse.

         2° La fonction de l’absence et la symbolisation ;

ce sont les ruptures de rythme , les discontinuités au cœur de la relation  mère enfant qui  fondent l’intégration de la catégorie du temps pour l' enfant ; le  jeu de l'alternance  présence , absence de la mère, et sa connotation affective scandée par le de plaisir –déplaisir ;  la faillite de la  hallucination et de son pouvoir de présentification de la mère absente permet la construction d’une vectorisation du temps d' une temporalité chronologique  rythmée par l'avant, l'après .

3°La Théorie psychanalytique enrichit la conception de la temporalité avec la découverte de l'inconscient en mettant en évidence d’autres catégories temporelles.

 

A la conception chronologique de la temporalité se greffe une conception circulaire du temps .Avant d’y venir rappelons brièvement les voies de développement de la libido qui repose sur une conception chronologique ou vectorielle. Elle s'inscrit dans un  temps chronologique défini par un début, et une fin, des va et viens au rythme de la mobilité des investissements et des potentialités régressives.  La libido se déploie en théorie du moins selon une progression linéaire. C’est la théorie stadologique qui voit la libido investir tour à tour les zones érogènes ; orales, anales, génitales, contribuant ainsi à la découverte du corps et du plaisir autoérotique, étape essentielle dans la connaissance de soi et la représentation de soi.

Mais  se greffe avec la découverte d e l'inconscient et de ses propriétés une autre conception du temps.

         Au temps chronologique, phylogénétique, se rajoute un autre type de temporalité qui révèle l’hétérogénéité du psychisme humain.  Il s'agit d’une temporalité circulaire, en boucle dont l’automatisme de répétition est la manifestation la plus singulière. Le sujet répète à son insu une série de symptômes ou de signes qui ne s'inscrivent pas dans une chronologie dont on pourrait saisir le début et la fin,

Mais dont les manifestations ne semblent répondre à aucune logique consciente. La répétition s'oppose à la remémoration. « Je rejoue à mon insu le même scénario en actes ou en fantasmes sans qu’à aucun moment je ne parvienne à en élaborer psychiquement le contenu dans l’espoir de lui donner un sens ».

Cette hétérogénéité de la conception du temps chez Freud s’enrichit à partir d’observations cliniques ou la pulsion de mort œuvre à engendrer des analyses interminables

La découverte du mécanisme de l’après coup propulse au devant de la scène une autre catégorie temporelle. C ‘est le temps de l’après-coup. L’illustration ses effets est magistrale dans le film de Scorcèse,  « Shutter Island », ou l’acteur Di Caprio, confronté au meurtre dramatique de ses enfants noyés par leur  mère folle est brutalement envahi, jusqu'à en devenir fou, par le souvenir des atrocités vues et perpétrées dans les camps nazis. Le collapsus de la temporalité faisant que le passé devient présent illustre l’assertion de Saint-Augustin qui donne au présent toute sa profondeur mémorielle et rejoindrait celle d’Einstein pour qui seul le présent existerait.

Qui n’ fait l’expérience d’un deuil dont les affects éprouvés initialement sont réactivés ultérieurement lors d’une disparition nouvelle. Il y a dans ces circonstances, ainsi un renforcement après–coup de la douleur initiale parfois même méconnue ou réprimée. D’où la suggestion de Freud « L’inconscient de ne connait pas le temps » ; il y a un télescopage entre une expérience douloureuse initiale et une seconde qui à des s effets potentialisateur. Cette superposition des expériences peut donner au deuxième temps du traumatisme une ampleur inattendue.

 

 

Brèves illustrations cliniques

 

La dimension défensive du désir d'éternité

         1°- Pour Adèle le désir d’éternité agit comme défense contre les angoisses de mort. Les angoisses de mort envahissantes pendant son enfance restent aujourd'hui présentes.  Seul le recours au désir d'éternité quand je suis enceinte m apaisent? Pourtant dit elle j e n ai pas recours à la croyance ; L'éternité c est la limite qui me permet de dire que je préfère vivre ou mourir?

 

         2°-Michel, schizophrène,  témoigne d'un rapport au temps particulier fondé sur un déni de la mort. Il en atteste par cette formule énigmatique;  « si un jour par hasard il m’arrivait de mourir par surprise »

 

         3°-les analyses interminables consacrent une expérience de la relation intersubjective hors du temps. L’œuvre de la pulsion de mort dans sa radicalité  consiste à anéantir toute forme de tension en cherchant à les réduire à zéro la relation à soi et à l'autre, mais au prix d’une désorganisation de  la pensée et d’une dépendance à²l’objet.

 

 

Psychanalyse et vieillissement

 

Le Vieillissement a toujours suscité un intérêt de la part des analystes essentiellement initialement pour des problèmes techniques ;

         -Quel est le pronostic du traitement à un certain âge, pouvait »on proposer une analyse passer un certain âge lorsqu’en particulier l'armature défensive est devenue trop rigide ?

-Jusqu’à a quel âge un analyste peut il prendre un patient soulevant un problème éthique de première importance.

Depuis quelques années il existe un renouvellement de l’intérêt pour le vieillissement en raison de problèmes démographiques posés par la question de l'âge de la population, même si la tendance actuelle vise à assimiler la vieillesse à une maladie, ce qui écarte ou rend difficile toute possibilité d ‘en approcher la dynamique -sous-jacente

Pour les psychanalystes Le problème ainsi posé n’est pas celui d e la vieillesse et de ses avatars, mais celui du vieillissement est qui est un processus dynamique pas seulement un compte à rebours mais la manifestation d’une évolution spécifique.

Cet intérêt pour la question du vieillissement problématise aussi le cadre et les outils conceptuels, Induisant une évolution chez les psychanalystes. Celle ci permettant grâce à une meilleure connaissance des processus à l'œuvre au cœur du fonctionnement psychique de ces personnes et un élargissement des indications de psychothérapie ou d’analyse. Car la psychanalyse offre une source féconde d’outils conceptuels permettant de saisir le vieillissement qui en retour fournit une opportunité inattendue d’interroger ses propres limites pratiques et théoriques. La question de la régression avec le retour de l’infantile fait figure de modèle. En quoi la position dépressive, stade de développement de l ‘enfant se trouve t elle réactivée? Question qui reste en chantier.

 

Le vieillissement comme expérience de perte. Le deuil de soi-même (C. David)

         -Le repli s'accompagne d’un investissement du moi au détriment du monde environnant. Ce retrait est souvent accompagné d'un mouvement de désenchantement, d e nostalgie et illustre la dynamique dépressive -sous-jacente et la difficulté à prendre le risque d ' une confrontation à l'inconnu.

         -Le rapport au temps lui même change, à la fois il s'éternise et se fige même, à la fois il file…

         -La baisse de la libido avec des conséquences différentes chez l'homme ou la femme

Chez la femme, il convient de bien différencier le maternel du féminin.

 Le maternel a déjà fait l’objet d’un renoncement dont le moteur est physiologique, renoncement assez généralement accepté par les mères et psychologiquement assumé depuis longtemps, alors que le deuil du féminin est d’une tout autre complexité plus douloureux narcissiquement. Le deuil du   féminin suppose l’acceptation de l’impossible, c’est à dire  le fléchissement progressif du potentiel de séduction qui contribue pourtant au maintien d'une estime de soi.

Pour l'homme la quête stérile de la puissance perdue oblige à une réorganisation de  ses choix, moins centrés sur la performance et la maitrise et la lutte contre les angoisses de castration.

 

Le vieillissement est un de Deuil de soi qui impose un travail psychique spécifique

Ce n’est pas une forme extrême de résignation de détachement de soi mais une acceptation de la modification de ses propres performances physiques et intellectuelles .Mais Il s'agit d'un Travail psychique parfois douloureux qui permet de saisir du dedans le changement et de ses conséquences traumatiques qu’est la violence faite par le temps.- Pour Proust (à la recherche du temps perdu)  la vieillesse nous rend incapable d’entreprendre mais non de désirer, j'ajouterai et de penser...

 

Deuil et transmission

 

Le problème du sens et de la transmission pour tous infléchit   notre rapport au temps dans son inéluctabilité. Transmettre est un élément déterminant de notre rapport au monde et  dans  notre rapport avec nous  même. Le passage de témoin via la sublimation donne un sens à sa vie et favorise une certaine dédramatisation de la perspective  la de mort.

 Pour conclure « provisoirement »  sur un trait d'humour, il faut bien constater selon l’adage populaire qu’avec l’âge on devient de  plus en plus sélectif mais de moins en moins sélectionné!

 


 

 

 

 

 

 

 
Senat : « La Psychiatrie : Un Miroir De Notre Epoque. » - Dr Pierre DECOURT

Dernière mise à jour de la page: 2 juillet 2009

 

Dr Pierre DECOURT

Psychiatre psychanalyste

Montpellier
 
LE SENAT

 

 

 

9 octobre 2006

 

 

 

« LA PSYCHIATRIE : UN MIROIR DE NOTRE EPOQUE. »

 




 

PIERRE DECOURT
Membre de la Société Psychanalytique de Paris
Chargé de cours à l’Université René Descartes. Paris-V

 





 

La conception erronée de la science se révèle dans lasoif
d'exactitude : 
Karl Popper

 




 

Un double défi !

 

 

ARGUMENT

 

Perpétuellement en crise, déchirée par des courants divers qui on fait sa richesse, sa fécondité, la psychiatrie subit aujourd ‘hui un ébranlement sans précèdent. La crise actuelle est- elle en rapport avec de tensions internes, face à l’énigme de la folie, ou l’expression des rapports difficiles qu ‘elle entretient avec le politique qui semble méconnaître la spécificité de la discipline et ses besoins ?

 

A l’origine de ces tensions.

         1°Comment résoudre l’énigme de la maladie mentale sous toutes ses formes avec les exigences d’une société plus intolérante, ne supportant plus l’aléatoire et qui appelle à obtenir des réponses claires, parfois définitives en demandant des résultats si possible quantifiables ?

 

         Plus encore, Aujourd’hui :

 

         2° " Une méthode thérapeutique, faute d'être attestée par des preuves concluantes[1] peut bel et bien être considérée comme dénuée de toute valeur substantielle"et accusée de ce fait de charlatanisme

 

Trois questions ;

         Quelles réponses les psychiatres peuvent ils suggérer face à ce double défi ?

         Comment transmettre à une société qui demande des comptes, la complexité de ce qui spécifie la pathologie mentale sans un réductionnisme démagogique et trompeur.

         Quelles preuves avancer pour illustrer la spécificité de la discipline ?

 

les preuves ne peuvent être que cliniques !

        

En voici une illustration à partir d’une « fiction clinique plus vrai que nature ». Fiction qui j’espère va alimenter les questions ultérieurement.

Edmond est un jeune élève du conservatoire. Il consulte pour un grave état dépressif. Violoniste plutôt doué, il découvrit sa passion dés son jeune âge baigné par l'atmosphère musicale que sa grand- mère maternelle avait fait naître et su entretenir grâce à son goût pour le chant. Sorti dans un bon rang du conservatoire, les difficultés commencèrent vraiment pour Edmond ; sa passion ne lui permettait pas de subvenir à ces besoins malgré l'aide de sa famille. La confrontation avec les exigences de la vie, que sa volonté d'indépendance induisait, l'obligea à renoncer à la perspective de faire une carrière artistique .IL se retrouva au Mac do du coin; à lire les partitions griffonnées des commandes des clients pressés. Quelques mois après cette conversion, de violentes douleurs abdominales apparurent progressivement, les dimanches, rythmées par la perspective du retour à son poste le lundi à 7heures.Les interventions médicales répétées s'avérèrent peu efficientes, et les examens dits complémentaires sans particularité, n'apportèrent aucun complément!.

Comment traiter le symptôme digestif sans prendre en considération la dynamique invisible sous jacente, que l'on entrevoit et qui nécessite un changement de paradigme, pour en comprendre la fonctionnalité. Il convient d’introduire la subjectivité et l’histoire d ‘Edmond ; c'est à dire la dimension diachronique; la souffrance psychique de l’artiste indique quel que chose de profondément personnel le submerge, et apparaît dans les dédales d'une symptomatologie banale;

 

Prêtons lui ce propos ;

« Je suis un artiste qui souffre de ne pouvoir vivre de ma passion, et je dis cette souffrance à mon insu par un détour inchiffrable au regard d’une approche rationnelle, médicale ! ».

Ainsi cette souffrance ne prend sens qu'à la lumière de son interprétation.

Le symptôme indique au moins deux choses;

- La souffrance du corps dévoile l'émergence d'une passion refoulée qui donne sens au symptôme;

- Elle objective par son appel, la réalité d'un conflit psychique expression de son destin détourné.

On voit ici que la seule prise en compte du symptôme selon une logique causaliste, médicale en l’occurrence conduit à une impasse.

En isolant le symptôme d'un contexte fantasmatique particulier propre à l'histoire d'Edmond, nous nous priverions d'une compréhension générale de sa souffrance et la possibilité de fournir une réponse appropriée.

Cet exemple illustre la nécessaire pluralité des approches thérapeutiques qui s’imposent face à un symptôme qui résiste au traitement :

 Les explorations médicales sont nécessaires pour éliminer toute cause médicale,   

Mais leurs limites doivent permettre d’envisager une autre lecture de la souffrance d’Edmond. Cette autre lecture s’appuiera sur l’intuition[2] du thérapeute, sa subjectivité. Elle constitue l’outil sensible qui forge sa conviction diagnostique pour donner sens au symptôme.

Cette complémentarité des approches médico-psychologiques est une exigence dont la plus part des acteurs d’établissements psychiatriques privés ou publiques ont pris conscience depuis longtemps déjà. Mais ils sont de moins en moins entendus ! Pourtant bien des équipes au sein de ces instituions sont composées de médecins, psychologues, psychanalystes, ayant des compétences tant dans le champ somatique que psychopathologique. Cette double approche indispensable reflète, illustre la complexité du fonctionnement de l’être humain et sa richesse.

 

Comment transmettre cette complémentarité des approches ?

 

         L’illusion de la transparence ; une réponse erronée

 

A l’heure de la transparence obligée, on mesure la difficulté et la nécessité à la fois de transmettre cette complexité : complexité que les marchants d’illusion ayant réponse à tout, évacuent allègrement, faisant fi de l’effort explicatif qui s’impose et qui est requis non seulement par la société mais aussi bien légitimement par les familles et les patients eux-mêmes.

Transmettre ses propres incertitudes et ses convictions est l’épreuve la plus délicate qui soit pour un psychiatre ?

 Mais c’est le prix à payer pour qu’une relation s’institue sur un fonds de vérité et d’authenticité, ce qui peut être parfois douloureux pour les protagonistes. Hélas ce n’est pas toujours ainsi que cela se pratique aujourd’hui.

En assenant aux patients et aux familles un diagnostic dont la violence de l ‘énoncé brise toute possibilité de penser et d’échange, « vous êtes schizophrène », se bloque le tissage d’une relation de confiance et créative. Les effets seront même contraires. Le sujet malade redevient cet objet d’observation et d’étude ramené au rang de chose totalement amputée de sa spécificité, déshumanisée.

 

 

 

 

 



[1] Donnez moi la preuve de la validité de votre pratique ou de vos hypothèses alors que "la preuve est improuvable" !La pratique se fonde sur une conviction partagée qui engagent la subjectivité des acteurs. Cette petite perversion de la pensée en raison de son fondement paradoxal cherche à satisfaire des exigences contradictoires scientifiques,  juridiques, thérapeutiques qui sont fondées sur des principes différents et selon des finalités qui peuvent opposées .Petite perversion de la pensée qui procède ainsi d'une superposition des objectifs, d'un amalgame réducteur. La demande d'évaluation est une injonction qui se caractérise par le coté aporétique de l'exigence et n’appelle que des réponses insatisfaisantes au regard de l'autorité, au regard de la science, et de la praxis. Elle est trompeuse, réductrice du point de vue de la complexité du fonctionnement mental. De ce fait, elle participe et entretien la confusion entre etiopathogenie centrée sur l'étude de l'apparition des troubles selon une temporalité complexe (après coup)et la psychogenèse, régulée par une temporalité linéaire, autorisant une articulation directe entre un événement et sa manifestation.

 

[2] [2] "Une croyance selon Heidegger qui va au delà des choses perçues" ; Heidegger in Questions 2, commentaire de Platon ; la caverne)

 

 

 
 
Amour, A Mort De Soi - Dr Pierre DECOURT

Dernière mise à jour de la page: 2 juillet 2009

 

Dr Pierre DECOURT

Psychiatre psychanalyste

Montpellier
 

Parler de l'amour de soi ou de la mort de soi s'inscrit dans la rapport général que nous entretenons avec nous même. Il s'agit d'un rapport complexe fragile, souvent conflictuel!

Ma contribution vise à montrer

- dans un premier temps qu'il ne peut y avoir de conscience de soi sans un investissement érotique de soi.

- Cette conscience de soi est contemporaine de la construction de l'image de soi:

- Décrire rapidement cette opération sera l'occasion d'un plaidoyer en faveur du rôle déterminant de la sexualité infantile( Wildlocher) je montrerai la forte corrélation existant entre sexualité, construction de la représentation de soi, et identité.

j'essayerai de montrer à partir du mythe de Narcisse qui constituera le fil rouge de ma démonstration la double polarité du narcissisme telle que la psychanalyse l'a théorisé dans ses aspects organisateurs et ses soubassements destructeurs (Green)

- Puis je m'attacherai à souligner, si le temps le permet, les avatars de cette construction, en ouvrant la discussion sur le versant de la psychopathologie en m'appuyant la encore sur le mythe inépuisable de Narcisse.

Apologie de la sexualité infantile

Qu'est que la sexualité infantile?

Definissons d' abord par ce qu'elle n'est par ce qu' elle nest pas!

c'est n'est pas à un ersatz de la sexualité de l'adulte, une sexualité étriquée à minima. Elle n'est pas un modèle réduit de la sexualité de l'adulte! La sexualité est ce lieu ou l'inconscient travaille .On parlera de psychosexualité.

Le rôle de la séduction

La sexualité infantile via la séduction a une fonction exploratoire essentielle. Elle permet à l'enfant de découvrir ses propres contours, d'opérer un discernement entre l'intériorité de son corps, la surface de celui ci et les objets.

Pour comprendre la spécificité de sa fonction il faut se soustraire a la vision qui nous est proposée aujourd 'hui de la sexualité infantile sous une pression médiatique en mal de sensationnalisme, représentée dans sa seule dimension violente traumatique dont Le modèle est celui de l' enfant séduit par un adulte. IL s'agit là d'une sexualité qui n'est pas une puisque le traumatisme subi écrase durablement le capacités de symbolisation de l'enfant soumis à une excitation qu'il ne peut intégrer. elle ampute les capacités de mémorisation de l'expérience et ampute le sujet d'une partie de lui même au sens ou cette expérience se trouve clivée de son moi ( la mémoire blessée Ricoeur)

Cette forme de séduction caricaturale existe trop fréquemment mais cette vision très réductrice ne doit pas faire oublier d'autres formes de séduction plus pernicieuses (Racamier)

Ferenczi en son temps a dégagé certaines formes de séduction liées à la confusion des langues qui existent entre les adultes et les enfants. Elle tient au caractère énigmatique de la langue que les adultes utilisent pour s'adresser aux enfants. Leur caractère énigmatique est alors porteur d'un pouvoir excitant dommageable, facteur d e trouble et d'ambiguïté. Que me veut il?

L'irruption de la sexualité dans la vie psychique est toujours porteuse d'un potentiel traumatique. Sexualité vient de secarer , couper, separer. Elle inflige au moi l'épreuve de l' intégration de ses composantes masculines et féminines(bisexualité) et le confrontant à la différence des sexes, aux angoisses de castration

Mais la séduction est aussi porteuse d'une dimension organisatrice:" être séduit ou séduire la mère nourrit alors des échanges essentiels le plaisir de la découverte , d e l ' exploration

elle contribue au développement de la personnalité de l'enfant c'est à dire au développement de son identité. *

La fonction sexuelle!

c'est la mise en jeu des différentes activités auto-érotiques qui permet l'investissement libidinal des fonctions corporelles. Les activités de succion du sein , de rétention, d' expulsion anale sont les paradigmes de l'activité auto-érotique source d'un plaisir reproductible qui donne un conscience émotionnelle progressive à l'enfant de sa propre réalité corporelle et de ses exigences instinctuelles.

-Ces activités organisent l'espace , le dedans le dehors, délimitent la barrière corporelle

-Ce jeu introduit un certain degré de temporalité rythmé par le plaisir; le plaisir pendant d' un avant, d'un après l'expérience, mais aussi du manque et de son compagnon fidèle, la souffrance!

-De plus l'enfant apprend vite que la recherche du plaisir chasse les expériences d'angoisses et de solitude.(le balancement des autistes le merycisme)

Mais toute la question tourne autour de la nécessaire coordination de ces activités auto érotiques. En fonctionnant pour leur propre compte elles seraient responsables alors d' une anarchie et d' un défaut d'organisation et d'unification de tous les éprouvés somato-psychiques.

Le fonctionnement en boucle

Deux exemples qui illustrent la folie auto - érotique

-Freud;

" les lèvres qui se baisent elle mêmes" : un plaisir auto suffisant qui coupe le sujet du monde. Autisme!

- Alexis Piron petit poète de mirlitons dans l'ode à Priape

" Oh le beau et pale Narcisse brûlant du désir de se foutre lui même, meurre en tachant de s'enculer!"

c 'est à partir des formes psychopathologiques selon une procédure typiquement freudienne que l 'on pourra explorer Comment va s'effectuer la coordination des différentes activités auto érotiques, et leur conférer une porté universelle

Le Narcissisme et sa fonction spéculaire

quelques en soient les interprétations- plusieurs centaines- le mythe de narcisse s 'organise autour de la problématique de l 'image et de la perception et de l 'illusion qui l' accompagne. Il comporte une dimension spéculaire.

Freud est aller puiser dans la mythologie pour forger ce concept qui décrit ce temps unificateur et donne aux différents auto -érotismes une coloration structurante

Pourtant c'est précisément ce qui fait défaut à Narcisse que Freud prend en exemple pour illustrer la coordination des auto-érotismes. Le miroir que constitue le reflet de l'eau dans laquelle narcisse se mire ne lui permet pas de s' auto- éprouver, de s' auto- observer et de construire une image de lui même.Il ne peut percevoir son double ni l identifier dans ce miroir naturel. Winnicott considérera que le regard de la mère porté sur son enfant, aura les propriétés du miroir reflétant l' image de son enfant, dans laquelle il pourra se reconnaître.

Ce moment de perception de l'image de soi, dans le miroir ou le regard de l'autre est un temps spéculaire fugace

la séduction de sa propre image perçue par l'enfant perçu par l'enfant dans le regard la mère participe à la construction d’ une auto-représentation de soi, à la création et à l'intégration d'une image interne de soi, support futur de l'identité à partir précisément de ce que la mère renverra à son enfant des effets de la séduction sur son propre imaginaire.

L'image de soi sera reconnue et identifiée d’abord comme ombre, reflet, image d’abord indéfinie puis comme double permettant l' identification du sujet à son image

Naîtra une relation, entre soi et cette image internalisée de soi. Temps de reconnaissance de sa propre image, constitutive du double comme matrice de soi, passage obligé sur la voie de la différenciation entre le même et le différent, le soi et l’objet.

Séduire l’autre soi- même. Les effets en retour contribuent à " l' investissement érotique infini de sa propre image  "

et permet au sujet de s’auto-éprouver, grâce à sa capacité d’auto-observation en perpétuelle alerte. Cette perception est source d'une érotisation fondatrice, en raison du plaisir auto-érotique que l'activité scopique procure si elle est investie par le sujet et l' environnement . Ce plaisir inscrit une trace qui conduira, à la construction de l'image de soi Construire une mémoire de soi!

Amour de soi et identité sont intrinsèquement liés!

Comment s'aimer sans être ? Comment être sans s'aimer?

L'identité est une instance complexe

Se dessine ainsi une opposition interne irréductible entre;

L'existence d'un noyau de permanence ou de continuité qui comme un fil conducteur permet la reconnaissance de soi, par soi même ou par autrui, et assure de fait " une mêmeté avec soi même" - il s'agit d'une fonction du narcissisme, qui vole au secours du moi menacé. Cette possibilité de se reconnaître est essentielle, elle suppose l'inscription mémorielle d'une image de soi.

Pour Derrida , c'est cette mémoire de soi , qui quand on parle sans voir, dirige notre propos et les mouvements de notre corps, assure notre sentiment d'appartenance. elle nous permet en principe malgré les vicissitudes du temps de nous reconnaître grâce au dialogue permanent que nous entretenons avec nous même

- La marque d'une différence, qui assure la singularité subjectivante- dont le je en est l'expression la plus affirmée, en ce qu'il " objective" la double différence des sexes et des générations. On pourrait dire de ce point de vue, contrairement au poète, que je n'est pas un autre, (alors que moi est un, ou plusieurs autres) mais une instance différenciée et " différenciante" qui propulse le sujet vers son destin singulier.

A mort de soi, narcissisme et mort

Freud ne retient d'abord que la dimension spéculaire du mythe de narcisse, c'est à dire la dimension organisatrice. Or comme dans tout mythe, il existe une dimension polysémique.

Le mythe de Narcisse est porteur d'

-Un aspect créatif, spéculaire, donnant naissance à l'image de soi. cette image devient un objet érotique pour la mère. L'amour de soi n'est que le prolongement de l'amour de l'autre pour soi!

- Un aspect végétal Le narcisse (Narkos )depuis la plus haute antiquité apparaît comme une fleur séduisante, fascinante qui peut entraîner la mort; elle a des propriétés narcotiques; fleur de l'illusion et de la séduction, elle est une fleur funèbre. Elle pousse en lieu et place de la dépouille de Narcisse

Elle a des effets hypnotiques qui modifient les perceptions, révélant le pouvoir effrayant de l'illusion , de la démence;

Narcisse comme soumis aux effets enivrants de la plante ignore que ce reflet est son reflet. IL ne peut n'y l'identifier, ni s' y identifier!

Toutes les interprétations du mythe son unanimes ;lorsque Narcisse se voit dans la source, ce n' est pas lui qu'il croit voir, mais un autre. IL tombe amoureux de cet autre, un autre homme qui échappe sans cesse à sa convoitise dont le beauté le fascine, sans savoir que c'est son propre reflet dans l'eau, son double qui l'attire.

Narcisse est fasciné par le reflet perçu qui l'aveugle, l'anesthesie!

" IL prend son reflet pour une réalité en soi, sans voir qu'elle en est elle même la source" .(Pierre Hadot p101)

Narcisse souffre d' une carence des auto érotismes, d'un trouble identitaire, qui l'empêche d' opérer cette distinction fondatrice entre lui même et autrui.

Si il avait conçu un image interne de lui même, stable et reconnaissable, la méprise ne se serait pas produite! La symétrie entre ce reflet et l'image intériorisé de lui même ne lui aurait pas échappé

Parmi toutes les interprétations du mythe, Seul Ovide considère que le suicide de Narcisse est imputable au fait que prenant conscience de son erreur il mis fin à ces jours, une forme de dépit qui suppose ainsi que Narcisse aie put se dégager des effets curarisants du reflet.

Il est tentant pour l'esprit de se laisser emporter par nos associations qui conduisent à un autre mythe qui met en scène une autre expérience spéculaire célèbre

-le mythe de la caverne de Platon

métaphore de la voûte céleste

bien qu'il ne s'agit pas là de reflet mais d'ombre projetée les acteurs sont plongés au sein d'une expérience spéculaire singulière

le dispositif

le scénario

le commentaire de Heidegger sur la doctrine de la vérité chez Platon

nos sens sont trompeurs, l'illusion perceptive nous aliène dans

on peut considérer que l'ombre est ce qui projeté sur un écran ce qu'ils voient ils le prendraient pour ce qui est! les ombres des objets seraient la vérité. Ils attribuaient les mots entendus aux ombres alors qu'il sont prononcés par les hommes qui passent derrière les prisonniers

l'éclat de la lumière empêchaient de voir les choses le prisonnier libérés reviendraient le yeux brûlés par la lumière du soleil difficile dans ces conditions de convaincre les prisonniers enchaînés qu'il sont victimes d'une illusion, ceux précisément qui n'ont pas le moindre soupçon que son réel puisse n' être qu'ombre:

le reflet pris comme réalité en soi est aliénant

les reflets ne sont que pure fantasmagorie

Les beautés du monde visible ne sont qu'un reflet et une image fugitive trompeuse

Discussion

Deux points

1) Comment se fait t'il que le reflet que l'enfant perçoit dans le regard de sa mère n'est pas source d'aliénation alors qu' on observe à la lumière de ces deux mythes que la perception de l'ombre et du reflet sont sources de confusion?

la fonction du double

Le thème du double joue un rôle dans l'activité de représentation de soi via l'identification au même, encore faut il que ce même soit reconnu comme tel!

Pourquoi l'enfant n'est il pas soumis aux effets aliénants du reflet ?

le rôle déterminant de l'imaginaire maternel renvoie à son enfant autre chose que l'illusion aliénante de la pure symétrie, du reflet, à savoir sa différence ce qui permet à l'enfant de bénéficier de l 'investissement de son corps propre tel que la mère le perçoit

2) la dimension paradoxale du mythe; organisatrice et folle à la fois

Comment peuvent coexister les deux termes du paradoxe potentiellement porteur de confit?

Entre

- Une tendance qui possède une vertu unificatrice et séparatrice qui tend vers le un (subjectivation)

- Une tendance opposée qui irait vers la fusion, la confusion, le zéro, responsable de l'indistinction entre le monde externe et le monde interne, entre celui des reflets et la réalité

LA VOIE DE LA SUBLIMATION

Création et sublimation opèrent une neutralisation relative de la destructivité

Du paillard Alexis Piron à la brûlante Sœur IGNES DE LA CRUZ dans l'auto sacramental du divin narcisse!

" je vois ce à quoi j'aspire

mais je n e peux en jouir

et dans l'angoisse d'y parvenir

d'une mortelle inquiétude je souffre

je ne peux pas me tromper

car ma science comprend bien

que c'est ma propre apparence

qui a causé ma peine.

Deux exemples

- narcisse qui est fasciné par le eflet precu

- et l'allégorie de la caverne de Platon " la réalité visible n'est que le reflet du monde des idées" c'est la fuite du prisonnier libéré de ses entraves qui découvrent le monde tel qu'il est: le problème de la vérité

Le pouvoir maléfique des miroirs et des surfaces brillantes; l'eau joue un rôle capital, elle assure la liaison entre le coté végétal et l'aspect humain de l'histoire

Decourt P. La perte et l'identité R.F.P 1999 N°

La relation au double narcissique se différencie de la relation homoérotique par le caractère idéalisé des projections sur l'autre soi même.

Guillaumin J. L'objet de la perte dans la pensée de Freud;48°congrés des psychanalystes de langue française des pays romans: Genève 1988.

Cahn R. " Moi et je ne sont pas réductibles l'un à l'autre" , in Bulletin de la S.P.Pn°19 1991

Musil robert; l' homme sans qualité t; 2, chap xlvI .La liaison intime entre l'amour incestueux et l' amour de soi même.

 

 
 
Sublimation - Dr Pierre DECOURT

Dernière mise à jour de la page: 2 juillet 2009

 

Dr Pierre DECOURT

Psychiatre psychanalyste

Montpellier
 

Les voies de la sublimation sont elles impénétrables?

L’abord du thème de la sublimation  impose une double approche. Il  existe en effet une double entrée  selon que l ‘on privilégie les conditions de son avènement au sein de l’économie psychique d'un sujet, ou que l’on centre la réflexion sur ce qu’est la culture et le processus de civilisation. De fait toute réflexion sur la sublimation suppose un va et vient entre ces deux polarités qui constituent son essence. C’est notre partie pris.

a) civilisation

Pour certains, que  nous serions entrés dans une ère post-culturelle, pour d' autres, dans une période post- humaine, eu égard aux progrès modernes de reproduction artificielle qui bouleversent l 'univers fantasmatique touchant aux origines de l 'humanité. Période marquée par un vacillement sans précèdent des  paradigmes qui ont depuis la renaissance construits les modèles culturels qui nous furent transmis et dont la sublimation, est, fut, un des moteurs. Y aurait- il une crise du processus sublimatoire lui -même - un malaise dans la sublimation- dont nous serions les témoins et les acteurs face à ce mouvement d'acculturation, de deculturation généralisée? Accordons-nous à constater que le cycle séculaire qui faisait de la culture le cadre de notre vie et de nos aspirations, ciment de la civilisation occidentale est en train de se fermer.Le, cycle dont l’épicentre trouve ses appuis les plus solides dans le siècle des lumières, et dont notre civilisation en crise, porte un  héritage mourant.  Aujourd'hui, les échos du passé deviennent presque imperceptibles. Ils se dissolvent, le sentiment de continuité cultuelle qui jusque là permettait de contempler dans notre imaginaire les traces de ce qui avait fait l 'objet de cet héritage paraissent effacées; les conséquences sont doubles;

-  menace de l 'identité culturelle avec le retour des fanatismes et de ses formes les plus barbares!

-  fascination pour " la supériorité du fait" , l'impérialisme de la preuve, inlassablement requise face aux incertitudes de la pensée et de la réflexion, s'emparent du pouvoir sans grande résistance. Ils animent un positivisme simplificateur et imparable dont le pragmatisme pourrait conduire la culture vers un abîme sans fond, en attendant l' hypothétique jaillissement de nouveaux éclats.

Du point de vue psychanalytique, la question de la sublimation oblige à la fois, a interroger la complexité de sa nature telle que Freud en a esquissé les contours, mais aussi à ne pas se défiler devant les limites de sa propre conceptualisation, et ses contradictions; Vouloir déceler une cohérence interne au concept qu’il ne contient pas, en appauvri la richesse.

Or, ainsi  que le propose  Baldacci , Freud «  lie sur le mode antithétique sublimation et sexualisation, puisque tantôt la sublimation évite la sexualisation ( Leonard) tantôt la sexualisation défait les sublimations( Schreber)  ;  »il y a là une contradiction qui n’est pas levée loin sans faut par le commentaire de Baldacci qui considère «  qu’ il semble que la désexualisation soit à entendre dans son opposition à la sexualisation, ce qui n’est pas une opposition au sexuel  »  Comment  le sexuel et la désexualisation ne seraient pas en opposition!!!Vouloir à l’excès réduire les tensions internes propres au développement freudien nuit à la richesse dont elles sont porteuses.

 N’est-il  pas plus stimulant de faire le constat comme le fait Christian David[1]que  la sublimation conjugue " l’inachèvement et l’incertitude théorique" , plutôt que de s’efforcer de gommer les apories. Malgré son incomplétude et c'est un premier paradoxe, la sublimation est une des pièces maîtresses de la métapsychologie.

Rappelons de quelles critiques la sublimation dans la théorie freudienne, a par le passé, fait l’objet. Retrouve t-on chez les grands mystiques si l’opération sublimatoire recèle les mêmes incertitudes.

Rappelons brièvement quels sont les points d'achoppement de la théorie freudienne et ses apories. Ils sont répertoriés avec rigueur par Laplanche[2], trop connues pour être rappelées en détail ici. Je me référerai plutôt à la lecture que fait François Roustang[3], du travail de Laplanche.

Laplanche[4] considère que la sublimation est certainement une des croix (dans tous les sens du terme, à la fois un point de recoupement, de croisement, mais aussi ce qui met à la croix) de la psychanalyse et une des croix de Freud.

La sublimation étant définie comme le passage du sexuel vers des buts non sexuels d'ordre culturels, ou pourrait-on dire, supérieurs, destinés nous dit Freud[5], à fournir les forces d'une grande part des œuvres de la civilisation" .

Le passage du sexuel au non-sexuel constitue au regard de la théorie des pulsions un point de difficulté théorique peut être irréductible, assurément un deuxième paradoxe!

La question centrale posée est celle là ;

 " y a t'il un destin non-sexuel à la pulsion sexuelle qui ne soit pas de l 'ordre du symptôme, de la formation réactionnelle?

 La réponse suggérée par Roustang  serait: " ou bien le non sexuel est interprétable en sexuel, alors la sublimation n’existe pas, ou bien la sublimation existe, et il y a du non sexuel qui échappe à l'analyse  et s'écarte de la théorie des pulsions, menaçant du coup sa cohérence. La difficulté revient à imaginer comment du sexuel peut il en se développant produire du non-sexuel ? ( tout en restant du pulsionnel)

Freud contourne la difficulté et propose avec le " Léonard" une hypothèse qui évacuerait la question, en développant l’idée qu’il y aurait une sublimation dés l’origine[6], idée qui ne le convaincra peu de temps, puisque son travail sur le narcissisme offrira l’occasion d'une nouvelle conception de la sublimation. La transformation d'une activité sexuelle en une activité sublimée, nécessiterait un temps intermédiaire; le retrait de la libido sur le moi, qui rend possible la désexualisation. A partir de ce constat, Freud suggère que l 'énergie du moi s’affirme comme une" énergie désexualisée et sublimée" !

Les commentaires sont appelés à être sans fin, inépuisables pour éclairer ce mystérieux passage ! A t’il pressenti la fragilité conceptuelle de ses hypothèses? Probablement! Le chapitre sur la sublimation destiné à la contribution de l’ouvrage  métapsychologique n' y survivra pas!  Sublimation ratée, peut être ou exercice impossible?

La question de la sublimation sera néanmoins toujours présente, touchant plus précisément les rapports entre sublimation et désintrication pulsionnelle ce que je voudrais illustrer.

Claire est peintre et sculpteur, née dans un milieu d’artistes qui occupa et occupe encore le devant de la scène depuis la guerre. Violemment dénigrée par son père quant à ses dons artistiques, car elle est une femme, elle ne cessa de trouver dans la réalisation d'œuvres monumentales, une reconnaissance réparatrice. Mais l’intéressant dans le rapport de Claire avec la création concerne ce bouleversement interne qu’elle éprouve lorsqu' elle peint.

Voici le contenu d'une séance au cours de laquelle ce bouleversement est évoqué.

Des que je peins, j’ai envie  de baiser. Quand je fais de la sculpture je n’éprouve pas le même désir. C'est physique au niveau du ventre. Le relâchement de ma sexualité me permet de peindre, alors je me masturbe pour pouvoir continuer.

 L’excitation ressentie, et la violence de son activité créatrice, l’entraînent  vers des états proches de la dépersonnalisation. Elle se réfugie alors dans une masturbation, sorte de procédé auto-calmant, qui contrecarre l’hémorragie narcissique, liée à l’investissement de l 'œuvre en gestation. L'activité sublimatoire est ici à son acmé. La brutalité de l'oscillation des investissements narcissiques et objectaux est une menace pour son intégrité. Elle dépossède furtivement l’artiste de son sentiment d’existence. L’œuvre attire à elle, dans une violence créatrice, toute la libido narcissique exacerbant le risque de désintrication pulsionnelle.

Cette violence, pour Freud est liée, je cite, à " la transposition de la libido d'objet en libido narcissique (qui) comporte nécessairement l’abandon des buts sexuels, une désexualisation, donc une espèce de sublimation. En s'emparant ainsi de la libido des investissements d’objet, en s'exposant comme seul et  unique objet d'amour, en désexualisant et en sublimant la libido du ça, le moi travaille à l'encontre des destins d'éros et se met au service de motions pulsionnelles adverses[7].

Pour Julia Kristeva[8], " Le tressage habituel qui rassemble pulsion de vie et pulsion de mort se défait. Dans l’activité sublimatoire, la pulsion érotique ne vise plus un objet sexuel de satisfaction, mais un médium qui est soit un pole d'idéalisation amoureuse (la beauté, d'un autre ou de soi), soit une production verbale, musicale ou picturale, elle même hautement idéalisée. Quant à la pulsion thanatique qui s'en trouve ainsi libérée, elle a le choix: soit de se diriger vers le dehors ( objet, autre) et de l'attaquer avec un maximum de violence, de destructivité, de cruauté; soit de s'infléchir vers le moi sous l 'aspect d'une dépréciation, d'une sévérité critique, d 'une dépressivité, voire d'une mélancolie suicidaire… l'aventure sublimatoire expose en réalité le sujet qui s' y engage aux risques d'une catastrophe psychique dont seul peut le sauver… la continuation de la créativité sublimatoire elle- même.

Apparaît très nettement enfin toute la dimension violente, tragique, traumatique et douloureuse inhérente à toute aventure sublimatoire. IL est curieux de constater que l’idée de violence est quasi absente des travaux portant sur ce thème. Elle est largement contre investie, comme si l'attente du meilleur qui côtoie implicitement l 'idée de sublimation, était en soi suffisante, pour oublier la rupture profonde qui la précède. Il n'y a pas de sublimation sans crise préalable, sans effacement de la cohérence, sans deuil préalable. Il n'y a pas de sublimation sans oubli. Cet oubli est l’œuvre d'un renoncement, d'une séparation d'avec soi-même[9], dont le deuil de soi, et souvent de l’autre, s'imposent.

Les points d'achoppement de la théorie psychanalytique de la sublimation sont nombreux. Si la sublimation problématise la théorie des pulsions, l’énigme de la transformation d’une pulsion sexuelle en un but (procurant un plaisir) autre que sexuel laisse dubitatif. (Elle constitue un paradoxe majeur de la métapsychologie.( L'intérêt de ce paradoxe est qu'il laisse ouvert le débat en soulevant non seulement la question de la dérive des buts pulsionnels, mais aussi celle de l 'origine de cette transformation qui conduirait la satisfaction pulsionnelle vers des buts non sexuels.)

La sublimation n’a jamais été considérée par Freud comme une finalité de la cure. " Aimer et travailler" sont des buts bien en deçà des aspirations sublimatoires que  l’on imaginerait. Reste absent de la réflexion freudienne, un point essentiel. Les rapports entre sublimation et temporalité. La sublimation s’installe  t’elle de manière durable, porteuse d’une dynamique dont on percevrait durablement les manifestations ? N’est elle pas souvent la manifestation d'un mouvement interne frappé par son " ephemerité" ? S'agirait il alors non pas de sublimation mais d'une banale idéalisation?

Elargissons à d’autres champs notre réflexion. Celui propre au  mystique et celui du rêveur.

 1° Sublimation et religion

Les incertitudes[10], les impasses de la théorie freudienne touchant à la sublimation nous autorisent à parcourir les champs ou les manifestations de la sublimation fleurissent. Je veux parler de la place centrale que la sublimation occupe au sein de la religion et de ses formes mystiques.

Peuvent elles constituer des modèles au sein desquels nous pourrions puiser des éléments d'une réflexion? Pointer cette proximité peut- il enrichir le débat? C' est le pari proposé, qui vise à prolonger les interrogations freudiennes concernant la religion, telles qu 'elles figurent dans l 'Avenir d' une Illusion.

Le choix du titre de cette contribution, est une paraphrase un peu provocatrice d'une référence biblique généralement galvaudée, puisque on a coutume de dire ou d'entendre, " les voies du seigneur sont impénétrables!"

Je cite la traduction telle qu 'elle figure dans le texte,; " L'épître aux Romains" , traduit du grec, tiré de " l 'Hymne à la sagesse miséricordieuse."

" O abîme de la richesse, de la sagesse et de la science de dieu! Que ses décrets sont insondables et ses voies incompréhensibles! " [11] " l'impénétrabilité" n'est pas forcement incompréhensible; elle peut être un symptôme. Les hystériques peuvent en attester! Je n insisterai pas!

Cette référence trouve ici sa place, car  la psychanalyse, de mon point de vue, est une formation de compromis entre science et religion[12].

Comme les trois monothéismes, la théorie psychanalytique repose sur la référence axiologique au meurtre, ou au sacrifice, du père primitif. La psychanalyse se nourrit sans cesse de ce double référentiel, que constituent la religion d'un coté, la science de l 'autre, qu'elle enrichit d'une découverte majeure, celle de l'inconscient! Ainsi toute tentative de formalisation de la sublimation va se nourrir de ce double référentiel, pas seulement au regard de l 'exploration de cette puissance volonté et curiosité de savoir, mais en donnant à la passion d'investigation dés quelle aboutit, une coloration nouvelle, c'est à dire non- sexuelle. Ce positionnement singulier de la psychanalyse entre science et religion nous permet d' opérer un changement de perspective, afin d'examiner le processus sublimatoire sous un angle nouveau?

Sublimation, Sublimations? La métamorphose intérieure.

Tout réexamen de la théorie de la sublimation, du fait même de la richesse de ses modalités d' expression permet de soulever trois hypothèses:

La première  hypothèse; l ' expérience des mystiques si on admet que la vocation qui les anime procède d'un processus sublimatoire, peut elle enrichir notre réflexion?

Deuxième hypothèse; existe- il des invariants propres à toute  expérience sublimatoire quelques soient ses champs d'expression?

Troisième hypothèse; les psychanalystes, en vertu de leur pratique mais aussi de leur analyse personnelle, peuvent  ils  comme  observateurs privilégiés de ce que sont les processus de changement apporter leur contribution dans le prolongement ou au-delà du témoignage freudien?

Ce qui réunit les différentes modalités de la sublimation, c'est la transformation du moi soumis à La violence d'une métamorphose intérieure.

Aux frontières du théologique, la sublimation est pour les mystiques, l' épreuve [13]qu 'affronte le sujet dans la rencontre avec l' idéal. Cette étape est  la " Conversion" même ; Conversion prise ici, comme action de tourner, comme passage, changement. Pour Plotin, c'est ce mouvement par lequel les êtres se retournent vers l 'être originel dont ils procèdent. Quel est cet idéal, dont les effets animent ce mouvement conversif, et déterminent ce " saut" ,  non pas dans le somatique, mais dans la spiritualité,( même si les processus qui relient les diverses formes de conversion s'entrecroisent). Cet univers se construit paradoxalement à partir de l 'expérience du vide, de la  vacuité interne, propice à l' accueil du divin?

Pour maître Eckhart et d'autres à sa suite, c'est le détachement, l' abandon de soi qui est la voie vers le rien. Se faire " comme guenille dans la gueule du chien" [14]; S'épurer jusqu' à s'abolir[15]!

" L 'âme affranchie de toute image accomplit l 'anéantissement de son être, par où elle rejoint son essence" .

Les cathares considéraient que l 'âme d'essence divine habitait un corps d'essence diabolique. C'est par le baptême dit " de feu et d'eau" que le consolamentum apportait la pureté souhaitée. Cet idéal, on le sait, n'était pas partagé par Rome fustigeant le manichéisme. L 'attachement à cet idéal soulève une question toujours actuelle, concernant les processus à l 'œuvre dans la conversion spirituelle. Quelle  force psychique a pu conduire en 1244 les hérétiques sur le bûcher à quelques pas d'ici? Un seul mot eut suffit à leur grâce. S'agit il encore dans ce sacrifice, de sublimation, portée ici à son extrême, d'une sublimation outrepassée, d' une de ses formes ultimes? L' idéalisation de la promesse d 'être libéré de la tyrannie du corps et de ses impuretés côtoie la poussée pulsionnelle. Il n' y a pas de sublimation à l'état pur, elle contient toujours une partie de d 'idéalisation de l 'objet, et forme un mixte indissociable!

Si l'intensité des forces sublimatoires est variable, les formes de l'idéal qui les animent sont innombrables. Elles sont toujours le fait d'une rencontre, a commencer par la rencontre avec cette figure paternelle internalisée, qu'est le surmoi. Freud avait bien saisi les rapports de la sublimation et de l'identification. Mais la rencontre avec d' autres idéaux peut avoir les mêmes conséquences. La rencontre avec les textes sacrés en atteste. Le processus d'intériorisation de l 'objet idéalisé produira les mêmes effets. Le processus d'intériorisation rappelle Jeanine Chasseguet -Smirgel n' est il pas lié au remplacement des objets externes par des symboles[16]?

Cette rencontre consacre un changement radical dans l' existence du  sujet; elle donne naissance à une métamorphose intérieure profonde, durable. Désormais, rien ne sera plus comme avant! Cette expérience de la rencontre se déploie aux limites de la raison, du savoir et du pouvoir, aux limites même de soi, en un mot aux limites de l 'identité. Cette expérience est hors-langage. Elle mobilise des charges émotionnelles melancoliformes, qui côtoient une sorte de dépouillement imaginaire, cousin de la déréalisation.

Pourtant là encore, cette expérience s'effectue sous le signe du paradoxe. La sublimation, se caractérise  à la fois par sa fragilité, à la fois par sa capacité irréductible à nourrir une profonde conviction quant au choix qui se sont imposés au sujet. La lucidité qui accompagne cette certitude est singulière, irritante parfois, arrogante même ; le doute, pour qui a fait l 'expérience de la rencontre avec l 'idéal, est absent. L' autre n' existe plus! Il s'est passé quelque chose! Le regard est ailleurs! L 'émotion est à son apogée.

C' est peut  être à ce point précis que la sublimation comme expérience ultime des mystiques, se démarque de la sublimation supposée avoir déterminée nos choix professionnels de psychanalystes. Notre choix, et c'est assez spécifique de la  condition d' analyste et de sa posture, maintient et anime un double courant. La croyance en l' inconscient est indéfectible, absolue, mais sans cesse à renouveler (croyance qui se fonde sur l' expérience d' un élargissement de nos capacités auto-perceptives avec l 'analyse personnelle) mais le doute méthodologique institué comme outil de connaissance est tout aussi présent! cette posture si singulière structurellement " clivante" , folle à certains égards, nous démarque du credo sans faille des mystiques[17]  et illustre l' hypothèse formulée plus haut, indiquant ce cheminement original de la pensée et de la pratique psychanalytique sur ce sentier bordé d'un coté par la science et sa rigueur à la recherche de la validation d'  hypothèses, et de l 'autre par la religion, nourrie par une inspiration divine qu 'il convient de célébrer " ad vitam aeternam" .

Une question, quelque peu hors de propos, en tout cas impertinente trouve pourtant ici sa place.

Embrasser la carrière d’analyste, reposerait  sur une sublimation? Ce choix professionnel, engage l’essentiel de la personne de l 'analyste dans une certaine ascèse, y compris dans ses choix existentiels. Pourtant un certain degré de perplexité s 'impose quand on observe la vie des analystes, l'activité de certaines formes de clivages résistants bien  aux effets de la sublimations.

 Peut -on ainsi, en différenciant sublimation telle que l' élation des mystiques en atteste, et sublimation dont les créateurs et les analystes peuvent temoigner, concevoir plusieurs formes de sublimations[18]? Je ne le croix pas. Il existe un processus sublimatoire . En revanche les occurrences de la sublimation dépendent du degré de clivage du moi toujours actif, même dans le silence et le retrait, parfois même dans les formes d'engagement les plus irréductibles. Aussi , il n'y a pas d' état pur de la sublimation!

Une constante, un point de convergence entre les diverses modalités d'expression du fait sublimatoire se dessine: C' est  la découverte que le véritable sujet c'est l 'Autre; le moi se dépouille de ses certitudes au profit de la naissance d'une croyance ;" je crois en dieu ou encore, je crois en l' Inconscient ; je l 'ai rencontré!"

 Lacan ne disait t'il pas l 'inconscient c'est dieu! '' formule oh combien séductrice, (qu'il aurait plus ou moins récusé) qui, si elle touche quelque chose de profond, possède un pouvoir attractif redoutable. A un glissement prés on pourrait considérer que la tentation oraculaire des mystiques prompt à interpréter les rêves, serait concurrentielle de l 'interprétation psychanalytique, qui ne l 'oublions pas, confère au rêve une intelligibilité potentielle, au prix d'un travail auto-reflexif. Cette " compétition" dont le terrain de jeu serait l' interprétation du  rêve est toute relative, car dans l 'ancien testament, c 'est Dieu qui donne l 'interpretation[19].N' observe t' on pas à nouveau, combien est incertaine la ligne de crête empruntée par la psychanalyse qui serpente entre religion et psychanalyse. Dès l' instant ou on postule l 'existence d'un contenu latent déguisé en contenu manifeste, la tentation mystique rode. Freud dans " les Nouvelles conférences" constate que le sujet mystique est lui même en quête des profondeurs de l 'âme et le je le cite; " nous voulons ajouter que les efforts thérapeutiques de la psychanalyse se sont attaqués au même point[20] ( que celui des mystiques[21]) avec le même objectif ; élargir le champ perceptif: le devenir conscient; le wo es war…comme finalité commune?

Freud en appelle à la pratique herméneutique pour déjouer et circonvenir la tentation mystique qui ne cesse de le hanter, même s'il considère, dans un lettre à Jung,  je le cite; " la mystique m' est aussi fermée que la musique" [22]

Le souci de conférer le statut de science à la psychanalyse, définie elle- même comme nouvelle discipline scientifique, résonne t 'il comme formation réactionnelle face à cette trop grande proximité entre psychanalyse et religion? Les conséquences de cette proximité ne seront pas explorée par Freud. Elles seront evitées! Ni les positions de Jung, ou  l'enthousiasme messianique de Romain Rolland ne troubleront durablement l'  esprit de Freud. L'ancrage dans le champ de la science de la nouvelle discipline est une priorité.

2° Sublimation et rêve

Il existe une fonction  commune au travail du rêve et à la sublimation; celle de transformer la pulsion en un contenu acceptable pour le moi. L' un et l 'autre travaillent à contenir, transformer l 'énergie sexuelle, soit dans la sublimation en la déviant de son but, orientant alors l' énergie au dehors vers une réalisation artistique ou un dépassement de soi; soit dans le rêve en transformant celle ci  au dedans du moi, en un matériau énigmatique. Ainsi, sublimation et rêve imposent un travail au moi. La sublimation dépossède le moi de ses prétentions. Le moi du mystique s'est vidé, dans la rencontre initiatique, de toute consistance; Thérèse d' Avilla résume son sentiment;" je vis, mais sans vivre en moi -même" . C'est le prix à payer pour l 'accueil du divin. Le sujet y perdra son identité, son histoire.

le rêve quant à lui, profite de la régression induite par le retrait sensori-moteur physiologique du sommeil, pour  mettre en scène le désir inconscient. Au moi de  subvertir, de détourner ce désir en le transformant pour apaiser l' excitation qu'il contient. Le moi du rêveur laisse un chance au sujet d'étendre son territoire; son champ d'investigation s'ouvre. Ses propres perceptions endo-psychiques le conduisent vers une conquête incertaine et difficile, vers l 'exploration de l'univers inconscient animé par la poussée pulsionnelle.

 L 'analogie entre sublimation et rêve s'arrête t' elle là?

On pourrait le croire. Si la sublimation et le rêve procèdent d'un travail de transformation de la pulsion sexuelle, la finalité de cette transformation les opposent en apparence; dépossession d'un coté, conquête de l 'autre!

Nombreux sont les exemples ou le rêve apparaît comme médiateur d' une création et trouve son ressort dans la sublimation du courant pulsionnel.

En voici quelques exemples célèbres[23]: Ainsi, Borges rapporte dans son texte le rêve de Coolridge, cette étrange aptitude de Kubilay Khan, empereur mogol, à composer pendant son sommeil 300 vers, dont seuls 54 resteront mémorisés au réveil, aptitude doublée de ce pouvoir d' imaginer le plan dans tous ses détails du palais qu 'il fera construire. Mozart dit- on aurait écrit " la flûte" à la faveur d' un rêve. Wagner, le prélude à l'0r du Rhin. Einstein, on le sait, aurait découvert la théorie de la relativité en puisant son inspiration dans un rêve. Freud enfin, n 'a t' il pas avec l' interprétation du rêve de l'injection faite à Irma et de celui de la Monographie, esquissé les grandes lignes de traumdetung! La substitution passagère de son plaisir addictif, dans une période  de forte consommation de cocaïne, par l' étude de l 'activité onirique induite par les phénomènes narcotiques, constitue assurément un bel exemple de sublimation réussie, même si ses propres composantes addictives resteront intactes.

Plus proche, Mick Jagger, au cours d'une tournée en Californie, aurait pendant un rêve composé les premières notes de " Satisfaction" , enregistré dés son réveil sur le petit magnétophone qu'il ne quittait jamais.

Rêve et sublimation concourent à la réalisation d'une création ; le rêve a une fonction de médiateur sur la voie de la sublimation d'un courant pulsionnel.

Pour conclure

La sublimation comme l 'art est une aventure, pour le moi, et pour le narcissisme.

Pour le moi, nous l 'avons évoqué, elle transforme et transcende parfois le destin de l'individu. Le prix à payer est celui d' un renoncement, d'une perte de ses particularités défensives. Pour le narcissisme, l 'aventure est contradictoire ; d' abord, œuvre de mort, elle annihile toute considération positive de soi, afin de " s'épurer jusqu' à s'abolir" . L e sacrifice de soi serait la forme la plus aboutie du renoncement; être pour autrui, tel serait le credo des mystiques, imprimant au narcissisme une portée illimitée. De ce point de vue, on pourrait affirmer que la sublimation œuvre pour l 'auto-conservation, de l' individu, de la culture, voire de l ' espèce.

Comment  mieux illustrer la complexité de ce double mouvement, ses effets de rupture et de changement, si ce n 'est en évoquant, après les deux rêves de Freud fondateurs de la science des rêves, la célèbre première phrase du " Moise" ? auquel il s'est largement identifié. Elle a ceci d'intéressant car elle condense, un renoncement et une profonde métamorphose, appelant Freud- Moise, vers son propre destin sublimé.

" Déposséder un peuple de l ' homme qu 'il célèbre comme le plus grand  de ses fils est une tache sans agreement, que l 'on accomplit pas d 'un cœur léger. Toutefois aucune considération ne saurait m 'induire à négliger la vérité au nom d'un prétendu intérêt national."



[1] David Christian. La sublimation concept ou valeur? In la sublimation voies et impasses. Topique  n° 34

[2] Laplanche Jean. Problématiques III? La sublimation, PUF, 1980, p. 119

[3] Roustang François . Sublimation nécessaire et impossible.

[4] Op cit p. 17

[5] Freud Sigmund . Cinq psychanalyses , PUF, 1966, p. 35-36

[6] Une partie pulsionnelle échappe au refoulement et se sublime en curiosité intellectuelle

[7] Freud Sigmund le moi et le ça in Essais d e psychanalyse , Payot, 1981, p. 242 et  260

[8] Kristeva Julia. Colette in Le génie féminin Fayard p. 220

[9] Decourt Pierre  in La Séparation. Ouv. Coll.  éditions In Press 2003

[10] Concept ou fonction? La sublimation est un processus tel un interface qui délimite le monde extérieur et de  celui de l'univers inconscient qu 'elle transforme. Son expression se ferra non seulement au sein du moi, mais aussi dans le champ de la création et de la culture.

[11] Dans le malaise dans la culture , Freud cite ce passage en lui octroyant une traduction différente ; il parle de la même citation et évoque les voies impénétrables p;272  ( ajout de 1931)

[12] Freud  Sigmund. Le moi et le ça. " ce que l 'on avance ici peut susciter une impression d e profondeur ou émettre une résonance mystique . plus loin, il poursuit " mais encore faut il rendre compte de cet effet de résonance mystique auxquels se reconnaissent les plus précieux concept s metapsychologiques , comme si les deux types de travail se croisaient.

[13] L 'âme se dépouille de la stimulation de sensations de la fantasmatique des images , et  de la lucidité de l 'intelligence Saint Jean de la croix .La montée du Mont Carmel

[14] Suso Henri , œuvres complètes, Paris , 1977? Seuil, p.196

[15] Millot Catherine.  Beatus venter,  in Ornicar, numéro 20- 21 .1981. p. 180

[16] Chasseguet - Smirgel  Janine. Ethique et Esthétique de la perversion. l'Or d e l 'Atlante p. 152

[17] les résistances sont telles que rien ne peut infléchir la référence suprême à dieu

[18] l'adhésion au concept de sublimation n'est elle pas un acte d e fois tant l 'argumentation théorique et clinique qui le soutien est fragile.

[19] Maimonide" n 'aime pas l 'intrusion du divin dans la vie humaine , à moins qu 'elle ne se recouvre du voile pudique du sommeil ." in les songes et leur interprétation

[20] Freud Sigmund. Les nouvelles conférences

[21] je souligne

[22] lettre à Jung du 16 avril 1909, correspondance, Gallimard , tome 1 , p . 297.

[23] Lembeye Pierre. L 'homme descend du songe. A paraître. 2003

 

 
 
Séparation de soi- Dr Pierre DECOURT

Dernière mise à jour de la page: 2 juillet 2009

Dr Pierre DECOURT

Psychiatre psychanalyste

Montpellier
 

Le concept de séparation a ceci d’intéressant en raison des questions complexes qu' il soulève tant dans le champ de la clinique, du fait du polymorphisme de l'expression de la souffrance psychique qui s'y rattache , que dans le champ de la théorie, puisqu'il convoque entre autre la difficile question du traumatisme[1], manière hasardeuse d'introduire le principe de causalité dans la vie psychique.

 On sait que l'expérience de la séparation confronte le sujet à un certain de degré de souffrance psychique. Pourtant l' élaboration de la séparation et de ses effets contribue au mouvement général de subjectivation, conduisant l'enfant vers la conquête d' un premier degré de maturation. La séparation, et ce n'est pas un des moindres paradoxes, a donc une vertu organisatrice irremplaçable.

Notre propos en se dégageant de cet aspect central des conséquences nourricières de la séparation se centrera essentiellement sur les conséquences de la séparation du point de vue psychique. Aussi nous envisagerons ainsi les effets 

tant du point de vue psychopathologique que du point de vue des modalités d'élaboration de celles ci .

Au-delà de la problématique de la perte et du deuil qui révèlent la nature et les particularités du lien et de l'attachement à l' objet, du fait même de son absence, ainsi que Roussillon l'a montré, la séparation nous confronte, parfois à distance de l 'événement aux limites des ressources psychiques face au potentiel désorganisateur et traumatique qu ‘elle comporte à des degrés divers. Par les mouvementspsychiques qu 'elle mobilise, elle nous renseigne sur la structure psychique sous-jacente du sujet. Même si  toute séparation à des modalités d'expression  infinies, les outils à la disposition du moi pour faire face à ses conséquences ne sont pas innombrables. Ils sont limités et on les observera aussi bien dans les grands syndromes mélancoliques que dans des expériences plus proches de ce que chacun peut vivre dans son quotidien, dans son intimité. Comme Freud ne cessa de le proposer, nous considérerons qu' il n' existe pas de différence nette entre les processus défensifs et réparateurs observés dans les grandes dépressions et ceux que l'on côtoie dans les blessures de la vie affective quotidienne évoqués par les analysants.

Si notre intérêt aujourd'hui se concentre sur ce thème c'est qu' il n'est pas de cure analytique ou la question de la séparation ne se trouve posée des deux cotés, à un moment ou à un autre, pas seulement dans ce moment singulier  qu' est  la fin de la rencontre.

Nous examinerons dans cette courte contribution les conséquences de la séparation lorsque plus particulièrement elles sont porteuses d'un potentiel traumatique plus ou moins désorganisateur pour le moi.

Le champ d'observation singulier qu'est la situation psychanalytique offre la possibilité  de voir naître des interrogations portant sur les aptitudes d'un sujet à intégrer dans son histoire, l’événement traumatique stigmatisé par la séparation. Cette aptitude révélera les capacités de sa pensée à faire face aux exigences du travail de deuil et montrera parfois les limites de ces capacités à le surmonter. Il est intéressant aussi d' essayer d'en repérer les effets sur le fonctionnement de l'analyste lui même. C’est a ces limites que nous intéresserons, à la manière et aux conditions dans lesquelles le sujet dans la cure, va pouvoir intégrer cette expérience dans sa dimension traumatique lorsqu 'elle resurgit, bruyamment ou à l'opposé par un silence assourdissant et désorganisateur .

Deux  hypothèses se présentent sous forme de question .

 - Peut il y avoir une  réconciliation  possible entre le sujet et la partie traumatique de son histoire à laquelle il n' a pu accès. En raison du poids destructeur qu 'elle contient,  celle ci n'est pas oubliée, mais est, de facto, non inscrite dans un passé qui lui échappe alors ? On pourrait dire qu'elle se situe ne dehors de lui-même.

  -Peut- on, avec la résurgence d'un passé enfoui, et son retour au sein de la cure, concevoir la réversibilité des conséquences psychologiques du trauma?

 La rencontre analytique dans ces configurations, s’oriente de façon assez spécifique non pas tant vers l’avènement et la découverte d’un sens caché que vers une perspective d' inscription du matériel dans une histoire plus ou moins refoulée, qui n'a pu s'organiser selon le modèle de la névrose infantile. Celle ci dans les conditions que l'on pourrait qualifier de normale, se structure autour, et, avec  l'émergence de la sexualité infantile sous l'influence de la poussée constante de la pulsion et de l'investissement des idéaux parentaux. Son aboutissement conduira le sujet à prendre une part déterminante dans le scénario œdipien.

Dans les expériences traumatiques, la séparation a des conséquences qui débordent les capacité du moi à faire face à l'événement, et l'empêche de s' organiser, dans son rapport avec l'objet, selon le modèle de la névrose infantile. Paradoxalement on pourrait dire que le sujet en vient parfois pour survivre, à se séparer de lui même, il se dépersonnalise, s'extrait de ses propres contours, de sa propre histoire. Il peut alors traverser regressivemnt des situations schizo-paranoïdes irréversibles au cours desquelles hallucinatoirement reviendront du réel des éléments de son passé " abolis du dedans" .

On se souviendra de ce film adapté du roman de Styron," Sophie 's choise" ou Meryl Strip, héroïne pathétique, est confrontée à l'impossible choix; décider qui doit survivre, son fils ou sa fille; lequel des deux sacrifier sous la pression perverse d'une ultime barbarie. La mère sombrera dans un état de détresse psychique témoignant face à l'impossible, de son incapacité à surmonter l'événement traumatique. Se " séparer" d'elle même, c'est à dire perdre son identité, en sombrant dans la déchéance et la folie jusqu' à la destruction, constitue le seul recours possible pour faire face à l'indicible.

Comment imaginer dans une perspective  thérapeutique la réconciliation du passé traumatique avec le présent transférentiel, autrement dit comment renouer en situation, les fils apparemment rompus du présent avec un passé que l’on pourrait croire à jamais aboli [2].Si ce temps de liaison est concevable, il faut pour cela nous confronter à deux paradoxes.

Le premier concernela nature del’ expérience traumatique souvent précoce dont le souvenir n’a pu se construire. Or, même s'il n'a pu se construire dans une temporalité définie, les traces de l’expérience sont à la fois présentes, et inaccessibles  ;" l’expérience traumatique nourrit un inoubliable dont on ne peut se souvenir[3] .Comment renouer avec cet " oublié inoubliable" , le rendre représentable, car ce passé n’émerge pas alors sous  forme de représentation. Il émerge plutot bruyamment sous la forme d’acte, ou d'émotion, souvent les deux simultanément. L’acte se substitue alors au souvenir; il en tient lieu! Le sujet ne reproduit pas un fait oublié sous forme de souvenir, de rêve,  mais sous la forme d’action. Il répète sans savoir qu’il répète[4] des conduites parfois erratiques qui indiquent à leur manière la présence d' un événement du passé. Le débordement émotionnel, sensoriel, déconnecté de  toute représentation peut constituer un indicateur sensible. En effet, onaffirmer que face l'agir ou à l'envahissement sensoriel et en l' absence de tout embryon de représentation ou du moindre souvenir, nous sommes en présence d’un noyau traumatique enkysté ou cryptique , comme on voudra. L'impact contre transférentiel de l' émergence de ce noyau traumatique est singulier, souvent anéantissant pour la pensée de l'analyste. Il constitue lui aussi un indicateur irremplaçable.

La trace de l'expérience traumatique serait à chercher derrière tout acte insolite, considéré dans la cure comme un acting, (c'est à dire non rattachable à une chaîne associative) ou derrière l'explosion parfois violente d' affects, sans que ceux ci puissent s' articuler à une chaîne représentative dont le contenu serait à saisir.

Le deuxième paradoxe, déjà signalé, découle du premier. C' est une absence, dont la mémoire ne porte aucune trace, car atteinte dans sa fonctionnalité, qui authentifie la présence  du traumatisme. Une absence qui signe une présence!

Le célèbre exemple de ce Robinson qui découvre sur son île déserte la présence de l'empreinte d'un pied, en viendra pour calmer son angoisse, à imaginer dans la plus grande des perplexités qu 'il s'agit en fait de sa propre trace, convaincu qu 'il a oublié le parcours emprunté le matin même ( on observera la fonction de l'oubli comme procédure singulière afin de faire face à l'énigme) jusqu'à l'instant ou revenant sur ses pas, il observera avec effroi que celle ci à disparue. N' est ce pas là l'indication la plus formelle que cet effacement de la trace, objective une présence invisible. Pour Donnet[5], cité par Green " l’existence postulée d’une trace fait s’interroger non seulement sur l’effacement de la trace, mais aussi sur la trace de l’effacement" .

Mémoire et identité

 

Pour en évaluer les conséquences psychologiques,  de l'effacement, de l'altération de la fonctionnalité de la mémoire, il faut se souvenir des rapports entre mémoire et identité.

IL existe une équation fondamentale entre identité et mémoire. L’amputation d’une partie du passé affecte lourdement le rapport du sujet à lui même et à autrui  ;Ne pas se souvenir des choses c’est perdre une partie de soi  !

Ricoeur[6] illustre ce point de vue lorsqu'il suggère qu' ense souvenant de quelque chose de son passé, de son histoire, on se souvient de soi. La mémoire a quelque chose d’intime. L’altération de la fonctionnalité de celle-ci telle qu’elle s’observe dans ces configurations cliniques ou domine le poids traumatique d'une expérience donnée, témoigne d' une désorganisation du sentiment de continuité psychique. Ce sentiment singulier de continuité psychique nous garanti cette faculté de nous " appartenir" , de nous reconnaître malgré les transformations, pas seulement celles dues à l'écoulement du temps.

La clinique des états frontaliers comme on les appellent aujourd'hui, ou limites atteste de ces organisations psychiques fragiles incertaines et hétérogènes, caractérisées par le bouleversement de l’ensemble de leur être évoluant sans  fondements identitaires stables au gré des circonstances et des rencontres ; ils sont sans passé et souvent hélas sans avenir bien défini.

 Or, chez ces êtres c'est la mémoire elle-même qui est "   amputée" . La mémoire n’est porteuse en rien de l’expérience traumatique passée[7]. Ce n’est pas nécessairement du coté de la recherche d’un souvenir enfoui qu’ il faut chercher. Nous ne sommes plus en la circonstance soumis aux forces du refoulement. Le processus incriminé est autre! Le souvenir est à construire à partir de son absence, à partir d'une absence dont on peut postuler la trace perdue. «  je n’arrive plus a me regarder même en fermant les yeux  » dira ce patient pour témoigner de l'effacement de la représentation de ses propres contours, «  je vais tellement mal, dira cet autre, que je ne peux même plus  me parler  », indiquant s'il le fallait, combien les processus de symbolisation s'étaient avachis.

 

Présence de l'analyste

Poser la question de la construction de l'absence du souvenir traumatique telle que la séparation peut en attester, nous entraîne à examiner en aval les conséquences  au cœur de la relation à l’analyste. Celle ci, varie selon la nature même de l'oubli dont il faut signaler l'equivocité. Le lien transférentiel n'a pas la même coloration selon que  l'absence, signale pour autant la présence de l’objet, dont le refoulement a momentanément rendu absent sa représentation. On différenciera avec Ricoeur  l’oubli fondateur, c'est à dire l’oubli de la perte dont la trace perceptive inconsciente, mnésique est bien présente. Elle met en mouvement des procédés élaborés pour symboliser la représentation de l' objet absent, mais toujours investi. La voie de l'hallucination constitue un moyen autocratique précoce dont l'enfant use pour " supporter " un temps, l'absence de l'objet désiré.

Rien à voir avec l'oubli destructeur qui altère l'identité même du sujet dont il était question et  qui poursuit son œuvre d’érosion du sentiment de continuité psychique. Les particularités de ce dernier auront des conséquences assez spécifiques  sur la nature de la relation analytique.

Si, jusqu' à ce point, nous avons parlé de relation analytique et non de transfert [8]c'est que ce concept central, moteur du déroulement de la cure soulève ici des interrogations auxquelles il faut nous soumettre.Peut-on parler de transfert  ? Est ce bien légitime eu égard aux développements freudiens  qui n'ont d'ailleurs cessé d'évoluer? Epinglé initialement comme " immense inconvénient méthodologique" , il deviendra avec l'expérience l'outil même du changement. Fondé sur l’établissement artificiel d'une relation unique, il s' organise selon une processualité repérable, dont la forme aboutie est la névrose de transfert. Elle nait de l'actualisation des conflits dont la  répétition constitue la  réédition d’un passé refoulé, réactivé à l'insu du sujet par l'investissement inconscient de l'analyste dont il devient le révélateur.

Dans les situations cliniques marquées par une altération identitaire, elle même liée à des expériences traumatiques de l'enfance et dont la séparation n'est qu'une des modalités, on considérera que la relation est singulière et ne s' apparente en rien avec le modèle de la névrose de transfert. Les procédés de communication entre les deux acteurs régulés par les outils de la symbolisation sont l'objet d'un profond dysfonctionnement.

 Le déroulement de la cure est ici marqué par la  dérégulation du couple association libre, écoute flottante pour reprendre l'heureuse expression de Roussillon. L'association libre définie préalablement comme l'outil proposé au sujet pour explorer les couches les plus profondes de sa vie psychique, en complément de la posture de l'analyste dont l'écoute dite flottante, libérée de toute détermination perceptive afin de laisser effleurer le matériel dans sa complexité inconsciente, entretiennent ici des rapports de totale discontinuité. Face aux séquelles des expériences traumatiques on observera une véritable disjonction entre ces deux logiques complémentaires, artificiellement entrelacées au sein du dispositif analytique. Le déroulement associatif est troublé, l'attention flottante de l'analyste soumise aux puissances de la déliaison, concourent à rendre intelligible l’expérience vécue, l'a rendant du coup difficilement transmissible. Le propos souffre d' une altération de sa logique discursive, les  phénomènes de brouillage du sens, de double sens, d’altération syntaxique rendent la communication aléatoire. Le matériel pourtant est surabondant ou à l'inverse l'espace analytique est l'objet d' un envahissement silencieux.

L' importance des affects

 

Envahi par des effets hypnotiques, reliés par des phénomènes insolites d'identification projective, l' analyste éprouve de profondes modifications de ses capacités de penser. Certains y voient l'effet de l’appropriation de la problématique traumatique de son analysant, problématique qui serait perçue inconsciemment sans être représentée. Cette appropriation développe une sorte de  " flottement identitaire partagé," qui consacre les bases d'une expérience commune entre l'analyste et le sujet. Ce rapport hypnotique est une des formes de cette relation. Bloque t’ il la processualité de l’échange interpersonnel ou offre t’il de nouvelles possibilités de dialogue  ?

Avant d' examiner l' éventualité de ces nouvelles possibilités, il convient de repérer les particularités de cette relation au cœur même de l'activité de l'analyste. Sa propre vie psychique peut être soumise par le patient à une sorte de protestation silencieuse; fatigue, altération de sa vigilance, impression de défaite, de renoncement, doute,  face au poids du non sens, mis en tension de la motricité consacrent un certain degré de souffrance. Rien ne se répète mais quelque chose se passe ou plutôt se vit  sous l’effet d’ une pure projection- primaire. L’altération du système représentatif empêche la construction du souvenir. La séquence remémoration répétition élaboration est hors course. Ainsi, si la mémoire est le présent du passé, comme le suggère Saint Augustin dans ses confessions, le passé non intégré à l’histoire du sujet ne peut se presentifier, donc se répéter dans le transfert.

Parfois à l' insu de l'analyste les effets de cette relation si singulière se prolongent au sein de sa propre corporeité; Impressions cénesthésiques bizarres, besoin de bouger, de libérer par une micro motricité des tensions musculaires erratiques témoignent de l' envahissement de sa corporeité par un contenu hétérogène.

Du coté du patient, il y a évacuation, expulsion, sur le modèle de l’abcès incisé qui s’évacuerait avec son potentiel de contamination pour l’autre.  Il n’y a pas d’élaboration, mais drainage par la mise en jeu du pouvoir cathartique de l’action.

 Freud[9] avait saisi l’importance de la dimension cathartique de l’action. Il la compare aux effets de la perlaboration, à «  l’abré-action  » des charges affectives refoulées. Il suggère que l’un et l’autre ont la même vertu modificatrice en levant les résistances.Cette élaboration des résistances peut, pour l’analysé, constituer, dans la pratique, une tache ardue et être pour le psychanalyste une épreuve de patience. De toutes les parties du travail analytique, elle est pourtant celle qui exerce sur le patient la plus grande influence modificatrice, celle aussi qui différencie le travail analytique de tous les genres de traitements par suggestion. On peut la comparer du point de vue théorique à l’abréaction des charges affectives séquestrées par le refoulement et sans laquelle le traitement analytique demeurerait inopérant.

 

Il ne s’agit pas là à proprement parlé de résistances qui sous-tend l’idée d’un conflit, mais de quelque chose qui bloque la construction de la pensée .

Pourtant la relation s'organise…

 

Si elle n’est pas une répétition transférentielle, elle est  une " reprise" au sens le plus trivial des conséquences d'un événement non symbolisé. Une reprise[10] comme réparation d'une effraction dans les trames du tissu symbolique. Comment se crée telle, sur quelles bases puisque les processus de symbolisation ont été altérés?

Roustang parle à ce propos de relation réelle  [11]" qui s'établit à partir d’un degré de partage d’une sensorialité éprouvée de manière synchrone et dont le contenu serait à quelque chose près le même pour les deux protagonistes; on devrait parler de fait de co-sensorialité qui fait le lit d’une forme particulière de rencontre en dehors de tout effet de langage ou de représentance. Cette rencontre en se " transitionnalisant" constitue les conditions d' un échange. Celui ci ne pourra réellement naître et s’exploiter qu’au prix d’une modification posturale de l’analyste condamné pour survivre face au chaos, à dégager paradoxalement dans l’archaïque et l’incohérence d’une pensée en lambeau, soumise aux effets de la destructivité, les ressors utile à la construction d'une mémoire détruite.

C'est en parvenant à s’extraire, à se séparer de lui même[12] qu'il pourra vivre psychiquement, même si ce clivage temporaire à la fois défensif et créateur modifie l'ensemble des rapports qu' il entretient avec son identité. Cette hallucination négative de lui même le conduit parfois aux limites du supportable tant la connotation émotionnelle qui l'accompagne peut s'avérer dépersonnalisante. Ce détachement ainsi induit, de ses propres références, non seulement théoriques mais aussi intimes, prélude à un véritable " deuil de soi" , déterminent un état particulier de surinvestissement de l' efflorescence sensorielle. La modification de la conscience que cet état implique altère transitoirement les rapports avec lui-même, c'est à dire avec ses propres fondements. Les affects dépressifs souvent présents dans ces moments de grande intensité signent  la nature  de ces états particuliers. Le rapport avec le corps se transforme soumis à l' envahissement cénesthésique, et à l' émergence de sensations teintées d'étrangeté. La déraison est parfois proche mais riche de potentialités. On pourrait dire que cette transformation est à l' origine d'un  changement postural. Manifestation contre-transferentielle par excellence, cetteposture nouvelle que l'on peut qualifier analogiquement de «  posture du corps flottant  » avec ce que cela suppose comme desafferentation perceptive,  détermine un niveau de fonctionnement isomorphe de l’ analyste  avec le sujet, sollicitantsescapacités de régression topique et formelle. Elle révèle son aptitude à supporter un certain degré de paradoxalité au sein de ses propres processus de pensée. Rester soi-même tout en ne l'étant plus, mais en le restant quand même…pour ne plus l'être !

En surinvestissant sa propre sensorialité  et son rôle explorateur endo-psychique celle ci devient pour l'analyste un instrument de connaissance des zones enkystées, des noyaux traumatiques clivés ou cryptiques, des enclaves de violence potentielle. La sensorialité et ses déclinaisons peuvent animer la mélodie d' une même séance. Elle imprime ainsi un rythme et une temporalisation à l’expérience interpersonnelle et constituer les conditions de l’oubli et de la redécouverte, donnant à la mémoire une fonctionnalité à créer et développer. Cette expérience intersubjective dominée par son caractère régressif, va constituer un espace processuel, et sceller le socle d’un processus pre-symbolique,  susceptible de donner à un événement originairement inoubliable un caractère transmissible.

le corps comme mémoire

 

En activant les traces fondatrices d’une mémoire méconnue, d' une mémoire sans image, d' une mémoire qui rassemble et qui procède du partage d’une communauté sensorielle, émotionnelle se développera une expérience nouvelle. L' exhumation du fonds sensoriel de la mémoire, via la rencontre analytique développera ces réminiscences et lui donnera sa fonctionnalité età sa capacité première à se souvenir, au moins de ce qui s'est passé en séance; On pourrait dire que la " mentalisation" de la sensorialité possède le pouvoir de transformation de l’oubli,  et celui de faire de cet oubli destructeur un oubli fondateur. Cette transformation permet le passage de l'éprouvé au figuré et procède d'une communauté d'échanges qui prend parfois l'allure d'une folie à deux, et dont les traces vivantes combleront  selon la superbe formule de Saint Augustin " les vastes palais de la mémoire" , un temps désertés. La connaissance  de la perte, de la séparation et de ses terreurs pourra alors dessiner les prémices d'un originaire " secondaire" , à partir d'une rencontre dont la trace sera sans cesse à dessiner, pour qu 'elle devienne un temps représentable.

Enfin

Se séparer de soi- même est cette opération dont dépend toute opération réflexive, et constitutive de notre identité. Remarque bien décrite par Ferdinand Alquié , pour qui " avoir conscience de soi c'est se prendre pour objet, c'est donc ne pas coïncider avec soi, c'est renoncer à ce qu'on était" .Comment mieux illustrer ce que la confrontation avec la pathologie nous révèle. La séparation est au cœur de tous les grands mythes fondateurs. Elle est une double operation .En nous separant nous acquie aussi ce que nous conduit vers

Pierre Decourt

On retrouve là un prolongemnt de l'intuition freudienne largemnt developpée par Green ;l’affect tiendrait lieu de représentation[13]  ? Green le discours vivant p 332 toutes les représentations tient leurs origines des perceptions (se xix P 237)[14]

N' est ce pas plus important que de tenter de donner une figuration à l’expérience traumatique?

image motrice 333

souvenir et mémoire le déjà eprouv

La compulsion de répétition a paradoxalement une double fonction( cache et révèle à la fois)

-Elle lutte contre l’oubli .Elle ne cesse de faire apparaître  l’absence! en faisant émerger des comportements identiques  face à des situations au potentiel traumatique(échecs  ; addiction, automutilations ) qui pour autant ne peuvent se mentaliser

-                Elle cherche à effacer les traces d’expériences douloureuses( séparation séduction précoce, carences)en évacuant les affects douloureux

RR différencie traumatisme primaire qui affecte l’ organisation des processus et la symbolisation primaire

Le traumatisme secondaire affecte l’intégration de l’expérience p16/Agonie..)

Cette expérience ou le souvenir n’a pu se construire est à la fois présente et inaccessible mais elle n’est pas la répétition d’un  passé dont l’inconscient serait le porteur et le transfert le révélateur

La faillite des processus de symbolisation /

         A° Les conséquences au niveau du moi

Attaque de la symbolisation primaire (les outils) le trop  ; l’excès de l’excitation

On laissera de coté les Défauts de l’activité de symbolisation et attaque  de l’activité de représentation qu ‘il faut différencier des symptômes ou œuvrent des mécanismes de défense comme

- refoulement, de certaines représentations, porteuses d’un pouvoir de révélation des motions pulsionnelles sous-jacentes  elles deviennent intolérables pour le moi

- clivage, déni de la sexualité infantile, de la différences des sexes et des générations

La ressaisie interprétative de ces défauts de symbolisation que l’on qualifie de secondaire, est  induite par les effets sur le contre transfert ouvre à la  representabilité et du sens caché d’une motion pulsionnelle interdite à la conscience

La carence de l’activité de symbolisation primaire a d’autres conséquences  :effet d e réel et inintelligibilité

Le passage du perceptif au représentatif (  ?) illusion ( évacuation motrice sans représentation ni  élaboration)

A distance elle soulève  aussi la question des Limites du processus analytique  dans sonaptitud eà rendre comte de ses effets et s

?

de l’intelligibilité  de la souffrance psychique ?

des possibilités de changement  ? Y a t il réversibilité des conséquences de l’effacement, transformation de la trace corporelle  ? réversibilité des conséquences du traumatisme de la séparation    selon l a nature de l’oubli

face aux altérations des processus psychiques, conséquences de la rencontre d’un sujet avec un ou plusieurs événements au potentiel traumatique[15]

la non figurabilité de ces expériences  :la compulsion de répétition

Ferdinand Alquié



[1] Thom René. Paraboles et Catastrophes. «  les théories du traumatisme  ; une manière hasardeuse d’introduire la notion de causalité; en fait la notion de cause est une notion trompeuse, intuitivement elle paraît claire alors qu’en réalité elle est toujours faite d’un réseau subtile d’interaction P 133.Cette critique prend  aujourd'hui toute sa valeur à l' heure ou le traumato-centrisme hante les manuels explicatifs et réducteurs du comportementalisme.

[2] Ricoeur P. La Mémoire, L' Histoire, L'oubli  Seuil . 2000, p578

[3] Op, cit p576

[4] Roussillon .R Paradoxes et situations limites de la psychanalyse P.U.F 1991 p84

[5] Green A.le discours vivant, P.U.F p334

[6] Op cit. p, 115

[7] Roussillon.R; Agonie clivage et symbolisation P.U.F Ce sont comme des états de détresse, des expériences de tension et de déplaisir sans représentation( ce qui ne veut pas dire sans perception ni sans sensation) sans issue , c’est à dire sans recours internes ( ceux ci étant déjà épuises ) ni recours externes ( ceux ci sont défaillants) des états au delà du manque et de l’espoir p19

[8] Pour qu ‘il y ait relation transférentielle, il faut que le moi bénéficie d’une certaine fonctionnalité, d' une souplesse dans ses capacités d’investissement, de désinvestissement. Le transfert offre une possibilité d’ après coup symbolisant une expérience passée en en livrant une actualisation. Lorsque déplacement, et substitution  (métaphore et métonymie) font défaut,  les capacités d’identification sont limitées.Souvent massives et peu mobilisables elles rendent difficile l’articulation du passé et l’actualité des conflits, la construction ou la reconstruction de l’histoire personnelle.

Le va et vient entre les figures appartenant au monde interne et les objets composant le monde environnant est grippé. Dans ce magma, l‘analyste ne peut être qu’un support indifférencié de projections plus ou moins destructrices; elles attaquent ses modèles de pensée habituels et luttent contre le pouvoir réducteur du sens que pourrait suggérer une interprétation. Pourtant la répétition est bien présente; mais qu’est ce qui se répète?

[9] Freud S. Remémoration, Répétition, Perlaboration  P.U.F  1914, p 115

[10] Cette  reprise s'éloigne du concept de répétition d’Heidegger[10] ( Ricoeur p 574) proche en fait du concept freudien en de nombreux points. Nous sommes reconnaissant à Philippe Lacoue-Labarthe d'avoir avec beaucoup d'autorité et de clarté re-situer le sens de " Widerholung"   dans la pensée d' Heidegger .

[11] Roustang F. Le thérapeute et son patient. Edition d e l'aube 2001

[12] David C. " Le deuil de soi" , in La mort dans la vie psychique  R.F.P.1996 Tome XL

L'auteur parle de la mise en action d'un processus mental complexe sorte d' anticipation de sa propre mort, spécifique par rapport aux autres modalités de représentation de la perte.

[13] Greeen A. Le discours vivant PUF p 332

[14] Freud S;  Se xix p

[15] Thom rené paraboles et catastrophes «  les théories du traumatisme  ; une manière hasardeuse d’introduire la notion de causalité en fait la notion de cause est une notion trompeuse, intuitivement elle paraît claire alors qu’en réalité elle est toujours faite d’un réseau subtile d’interaction P 133

 

 
 
Séduction et homoérotisme- Dr Pierre DECOURT

Dernière mise à jour de la page: 2 juillet 2009

Dr Pierre DECOURT

Psychiatre psychanalyste

Montpellier
 
 
 Le thème de la séduction[1] est cœur de l’expérience et la théorie freudienne.Au même titre que l’ensemble des concepts freudien celui de séduction sera emporté par le courant metapsychologique détourné de son sens premier, nourri perpétuellement par les avancées théoriques de l’auteur. Sorte de marqueur, de traceur, l'intérêt soutenu de Freud pour le thème de la séduction témoigne de  ce fait de l'évolution de sa pensée et de sa pratique.

il existe trois raisons différentes pour affirmer que le concept de séduction trouve au sein de la métapsychologie une place centrale.

  - La première est d'ordre clinique ou psychopathologique.

  - La deuxième s'appuie sur l'auto-analyse de Freud.

  - La troisième est la conséquence du dispositif analytique et de la techniqueproprement dite.

Nous avancerons dans un soucis de clarification de notre propos, après avoir rapidement défini les aspects différentes formes de  séduction, une hypothèse qui ouvre laséduction à une perspective ontologique et structurale nous référant pour cela au concept ferenczien d’homoérotisme[2].

Nous montrerons dans le prolongement de Ferenczi et de Bergeret, à partir d'une brève évocation clinique, comment le concept d' l'homoérotisme, forme singulière de la séduction de son double, fournira l'opportunité d' une compréhension nouvelle de l' homosexualité.

1°L' observation  clinique donnera naissance à une première conception traumatique de la séduction qui trouvera ses sources initialement dans l'étude de l'hystérie et de ses manifestations symptomatiques dont l'expression varie selon la passivité ou l'activisme de l'être concerné face à la scène.

La passivité de l'être séduit

Conception qui illustre la définition première du concept, ou séduction et perversion entretiennent des rapports incertains; Séduire, c'est détourner, c’est selon Pascal Quignard, emmener à l’écart, dans le séparé, dans le secret. L'image d'Epinal, c'est le détournement illustré par la séduction précoce exercée par un adulte sur la personne d'un enfant au moi immature. Elle aura des conséquences dont les modes d’expression sont largement décrits non seulement dans les travaux pre-psychanalytiques mais dans tous les traités classiques de psychopathologie[3] .Les modes d’expression symptomatiques sont la conséquence de l’excitation psychique qui débordent les capacités du moi immature à métaboliser l'expérience traumatique.

L'activisme du séducteur

Autre forme de séduction est celle dans laquelle l'hystérique excelle qui est une mise en scène d'une thématique sexuelle, une theatralisation d’un scénario qui vise à réduire l’angoisse face au désir sexuel .La séduction est alors perçue comme une stratégie d' évitement, stratégie qu'une patiente a génialement résumé dernièrement sous cette forme " si je veux je le peux, comme je le peux , je ne le veux pas!" dira t' elle  à propos d'un homme qui la courtisait assidûment.

Ce constat soulignant deux formes différentes de séduction selon l'engagement du sujet dans la scène. Acteur ou spectateur les conséquences seront différentes: l'une traumatique, l'autre  plus ludique, mais les deux illustrent les rapports entre le séducteur et l'être séduit, actualisant ainsi le désir inconscient des protagonistes.

Deux questions restent  en suspens. Freud constate que

-                certaines scènes de séduction avérées n'ont pas de conséquence clinique.

-                en revanche des scènes qualifiées de mineures entraînent des manifestations souvent bruyantes à distance de l'événement initial

Il constate aussi que la séduction tire son pouvoir transformateur de l’effet hypnotique qui l’accompagne toujours qui peut aller de la soumission à l'influence.

 Elle opère ainsi une double transformation du moi, une sorte de crise identitaire à minima chez les deux acteurs. Par l’importance du mouvement projectif qui met au dehors la thématique narcissique ou /et sexuelle brutalement évacuée, le moi séducteur s’appauvrit narcissiquement, se trouve dépossédé d’une problématique qui lui échappe. La forme la plus extrême de cette modification identitaire s’observera dans la passionamoureuse qui est une expérience de dépossession desidentifiante. Modifiant les rapports du sujet au monde, le jugement sur soi et autrui s'en trouvera affecté. Le transfert est toujours teinté à des degrés divers de cette singularité plus ou moins déréalisante.

le moi du sujet séduit se trouve envahi, encombré par une excitation qui menace parfois son sentiment d’appartenance et de continuité psychique, dont la dépersonnalisation traduirait le point ultime d’affectation. l'altération du sentiment d'appartenance constitue l’ éprouvé commun au séducteur et à son objet de prédilection

L'autre question qui hante tout autant Freud porte sur la difficulté de concevoir la réalitéde la séduction. Un doute l'envahit!

- Est elle aussi fréquente que ce que les patientes veulent bien le dire?

- De quelle réalité s'agit il?

- Et s'il agissait non d'un événement accompli mais d’une construction imaginée, développée pas exclusivement par les patientes  hystériques? 

Fort de ce double questionnement Freud va engager la recherche en empruntant d'autres voies permettant une approche plus extensive du phénomène.

La première déduction de ces observations donne naissance à une conception originale de la temporalité[4].[5] L’expression symptomatique fleurit avec le renouvellement de la séduction. C’est le deuxième temps de l’ acte qui aurait le potentiel traumatique; le refoulement premier ne résistant pas à l’excitation éprouvée une deuxième fois! On résume ainsi ce phénomène ordinaire de la psychopathologie en disant que c’est dansl’apres coup de l’événement traumatique qu’ apparaît la maladie

Ce constat portant sur le deuxième temps du traumatisme comme déclencheur des troubles ne résout  en rien le problème de la réalité de la séduction, mais simplement des conditions d'émergence des symptômes.

Freud cherche alors à offrir une réponse scientifique et thérapeutique aux symptômes observés car il s'étonne à son âge, de la stratégie séductrice dont il est l'objet de la part de ses patientes, confiera t' il à Ferenczi. Il en vient à douter de la sincérité de ces patientes. Sont elles bien authentiques dans leur démonstration? On imagine l'implication contre transférentielle que suppose un tel doute.

Le passage du réel au fantasme

L' analyse de Dora révélera aux dépens de Freud  le sens de la fonction défensive de la séduction dont il se croyait l'objet, il est vrai que la théorie du transfert n'en était qu' a ses débuts.20 ans plus tard " Melle 1920" illustre le malaise de Freud toujours présent dans ses contre- attitudes thérapeutiques devant le déploiement d’une entreprise de séduction non dissimulée, dont il sait qu'il n'est qu'un agent de celle-ci; ce savoir n'apaise en rien son trouble, trouble dont il continue à se méfier à l'excès! L'étude de ce cas révèle en particulier l'extraordinaire résistance de Freud à entendre le discours latent de la jeune fille, il est vrai que " Melle 1920" avait lors de cette très brève " analyse" l'âge de sa fille Anna.

Apres s'être dégagé du sens premier de séduction, «  emmener à l'écart, corrompre , tromper  », Freud  perçoit que derrière la mise en scène séductrice une énigme se noue. Elle reste entière et impose un approfondissement des dispositions psychiques mises en jeu dans l’apparition des symptômes.

 Doutant  de la sincérité des scènes évoquées, s 'affranchissant très douloureusement de la réalité du traumatisme, il opère un glissement métonymique, un changement de perspective. Son intérêt passe alors d'une réalité à une autre, du réel du trauma inscrit dans le corps, à la réalité psychique: la sienne. Conduit à s’éloigner de l’événementiel, du factuel il portera sa réflexion sur l’univers intra-psychique, et intersubjectif qui montreront que le désir de séduire et d'être séduit constituent un couple fantasmatique complexe ou se noue la rencontre de deux subjectivité désirantes . L'exploration de  l’ espace du fantasme avec l'étude de ses propres rêves  va renouveler son questionnement, et conférer à l'inconscient sa partdans l'émergence du thème de la séduction.

L’auto-analyse sera une tentative d' auto-guerison, une tentative  de faire disparaître un  doute profond, porteur de souffrance! Freud se demande si lui même enfant, n'a pas été victime de la séduction paternelle, perspective honteuse et obturante à la fois pour la conduite de ses recherches. Ses fantasmes concourent un temps à le persuader de cette hypothèse audacieuse. L'auto- analyse, l' approfondissement de la clinique de l'hystérie, imposent  un véritable renversement  épistémologique et l'obligent à prendre en considération d'autres facteurs jusque là inconnus donnant à la compréhension de la séduction une autre ampleur.

2°Le  renoncement à la théorie traumatique [6]

Il  a pour corollaire le changement de technique. L'appareillage divan- fauteuil  qui se voulait épuré de toute influence perceptivo- motrice donnera à la séduction un nouveau relief. L' étude  des effets de la séduction sur sa propre personne, et le soucis phobique de se protéger du regard des patients vont conduire  Freud à un changement technique radical. Mais ce nouveau dispositif à des effets qu'il n'avait pas prévu! Il renonce a l'hypnose, puis  au dispositif en face à face  au profit d'une distanciation protectrice. Ce changement radical tant dans la théorie que dans la technique se sera nécessaire pour favoriser les conditions d' une observation voulue  primitivement objective. Très vite il comprend que cela n'y suffira pas, si ce changement postural ne se double d'une élaboration de ses propres troubles éprouvés au sein de la relation interpersonnelle, et de la prise en considération de ce changement du cadre sur l'économie psychique des acteurs.

 Le site et ses propriétés

la séduction n'est pas absente malgré les précautions prises dans cette nouvelle configuration divan fauteuil; bien au contraire! Le dispositif divan fauteuil supposé protéger les protagonistes du jeu croisé des regards séducteurs, des réactions phobiques insondables( devinnement transmission de pensées etc...), aura des effets imprévisibles liés à l'émergence de processus inconscients ainsi activés. L' énoncé de la règle fondamentale au destin inéluctable et imprévisible révèle un potentiel énigmatiqueinattendu. Comme dans toute énigme la séduction y règne en maître, mais cette séduction induit de surcroît le mouvement transférentiel à venir. Celui ci nait  de cet énoncé dont le contenu est fondamentalement paradoxal; il contient de fait une double valence ( JL Donnet)dont on peut caricaturer ainsi les formes. Surmoïque ; " vous devez tout dire, il s'agit d'une injonction qui contient un potentiel de violence .Que me veut il ? pensera l'analysant, ce qui ne manquera de soulever une hostilité primaire recouverte par une séduction défensive.

Séductrice " pour me faire plaisir, ne me cachez rien , dévoilez vous" tout ceci étant plus ou moins sous entendu!

Le mérite du dispositif fauteuil divan sera de révéler le Paradoxe de la Séduction et ses effets que nous allons examiner .

A) déstructuration

Dans l'analyse, en raison des caractéristiques du dispositif, la parole venue de derrière, dont les effets singuliers se différencient nettement des ceux produits par une parole venu d'en face, en raison de la desafferentation perceptive provoquée, plonge le patient dans une excitation qui peut engendrer des effets de séduction  proche de la déstructuration. Aisément intrusive, cette parole peut par son pouvoir de révélation d'une vérité cachée, bouleverser fondamentalement les assises narcissiques du sujet! Combien d'analyses se sont interrompues prématurément en raison du degré d'excitation procuré par la situation nouvelle et du fait d'une parole imprudente dont il est impossible par anticipation de prévoir totalement les manifestations à distance de l'énoncé. Au registre des causes d'interruption précoce  de la cure nous rajouterons le plaisir plus ou moins partagé par les protagonistes à comprendre trop vite le contenu latent du matériel, dont les interprétations prématurées révéleront au delà du caractère hypomaniaque des échanges interpersonnels observés, l' excitation homosexuelle partagée. La séduction est alors perçue comme dangereuse.

En voulant faire de l'interprétation une réponse scientifique à un problématique inconsciente actualisée dans et par le transfert, Freud voulait corriger les imperfections de la parole suggestive du temps de l'hypnose, retrouver le tranchant de son efficacité perdue et atténuer les décharges émotionnelles toujours propices à des effets de séduction. La technicité n'a pourtant rien résolu au sens ou toute interprétation est porteuse d'une part d'énigme; elle contient une part d'inachevée, une zone d'ombre faisant le lit d' une séduction potentielle fantasmée ou réelle.

B) La  séduction une expérience transitionnelle

La séduction quelque en soit la forme a une fonction d' anticipation et de développement des liens entre les deux acteurs. La  clarification du concept de séduction s'est imposé à Freud avec la confrontation à des conjonctures cliniques, autres que celles décrites dans l'hystérie  pour laquelle la séduction allait " du pur effroi au plaisir partagé" (jl donnet)

Cette clarification aboutira à  différencier séduction narcissique et séduction objectale. Plus encore la séduction envisagée comme expérience interactive, conduira les auteurs post-freudiens a faire de la séduction une expérience transitionnelle essentielle dans la construction du moi et le développement de l'identité.

On observera ainsi le changement du statut de la séduction qui définie à l'origine  comme " incident de jeunesse " prend alors la dimension d' une théorie  fonctionnement psychique qui montrera comment la séduction se déploie dans un double registre.

 Narcissique;

- Le modèle est celui de la relation mère enfant: Le rôle trophique de la séduction maternelle est central par l'apport en libido narcissique qu'elle délivre à son enfant. ici la fantaisie touche au solde la réalité effective, car ce fut effectivement la mère qui, dans l'accomplissement des soins corporels provoqua et peut être même éveilla la première fois des sensations de plaisir dans l'organe génital" [7].

Elle va ouvrir ou fermer l'évolution affective en direction de la séduction imaginaire d'ordre sexuel[8].

- En cas de ratage de cette évolution, la séduction de niveau narcissique prendra des formes singulièresdémoniaque par son insistance; elle officiera comme une tentative de comblement infini des failles et carences narcissiques primaires. La séduction ferra office de leurre pour masquer une profonde avidité narcissique et l'incapacité a nourrir une relation stable avec un objet génital, révélant la faiblesse de l' apport narcissique maternel.

 Œdipien;

- la séduction visera à l'établissement d' un lien identificatoire avec l'objet afin de conquérir l'autre. La séduction œdipienne, séduire l'un pour avoir l'autre, s’inscrit dans une dynamique de l’identification au sein de laquelle il s’agit pour l’enfant d’attirer alternativement les grâces d’un des deux parents, marquées en autre par l’ambivalence (amour-haine).Ce temps, celui de l’expérience des composantes féminines et masculines, tel que le fantasme de scène primitive les actualise, souligne l’intégration au sein du moi de l’enfant, de la pluralité de ses composantes psycho-sexuelles, masculine et féminine. Le jeu des identifications sexuelles contribuera à l'intégration la bisexualité psychique. Le fantasme de séduction et son double pli, séduire, être séduit, apparaîtra comme un organisateur privilégié de l’imaginaire sexué dont la bisexualité est l'aboutissement.

C) Séduction et Identité

Notre propos va se limiter à l'étude de la séduction narcissique et de son rôle dans laconstruction de la représentation de soi, nous verrons qu'elle participe non seulement à la création  mais aussi au maintien de l’identité.

Construction  de la représentation de soi

la séduction participe à la construction d’ une auto-représentation de soi c'est à dire à la création et à l'intégration d'une image interne de soi, support futur de l'identité [9]à partir précisément de ce que la mère renverra à son enfant des effets de la séduction sur son propre imaginaire.

Ce moment de perception de l'image de soi, dans le miroir ou le regard de l'autre est untemps spéculaire fugace (dont l'hallucination peut momentanément prendre le relais, le temps de la disparition de l'objet perçu). L'image de soi sera reconnue et identifiée d’abord comme ombre, reflet,  image d’abord indéfinie puis comme double, grâce à la mise en jeu d’un mouvement exploratoire du cadre sur lequel apparaît l’image du sujet. Naîtra une relation, entre soi et cette image internalisée de soi.. C'est cela de notre point de vue le destin de l'homoerotisme[10];Séduire l’autre soi- même. Les effets en retour contribuent à " l' investissement érotique infini de sa propre image  »[11]et permet au sujet de s’auto-éprouver, grâce à sa capacité d’auto-observation  en perpétuelle alerte.

Cette perception est source d'une érotisation fondatrice, si elle est investie par le sujet et l' environnement en raison du plaisir auto-érotique que  l'activité scopique procure. Ce plaisir inscrit une trace qui conduira, par la juxtaposition des traces successives, à la naissance d' une représentation de soi.(la répétition de l'expérience du plaisir éprouvé/La discontinuité - présence - absence, de l'objet perçu impose ce renouvellement).

Temps de reconnaissance de sa propre image, constitutive du double comme matrice de soi, passage obligé sur la voie de la différenciation entre le même et le différent, le soi et l’objet, l’homoérotisme est au carrefour du développement du moi, son dysfonctionnement au cœur de divers destins psychopathologiques.

 Maintien de l'identité

A ce titre il convient de préciser ce que l'on peut entendre par identité. Elle se définit par une opposition interne irréductible entre;

- L'existence d’un noyau depermanence  ou de continuité temporelle[12] qui commeun fil conducteur permet la reconnaissance de soi, par soi même ou par autrui, et assure de fait «  une mêmeté avec soi même  »- il s’agit d’une fonction du narcissisme, qui vole au secours du moi menacé.

- La marque d’une différence, qui assure la singularité subjectivante- dont le je[13] en est l’expression la plus affirmée, en ce qu’il «  objective  » la double différence des sexes et des générations. On pourrait dire de ce point de vue, contrairement au poète, que jen’est pas un autre, (alors que moi est pluriel) mais une instance différenciée et «  différenciante  » qui propulse le sujet vers son destin singulier.

Ces deux composantes organisatrices de l'identité mettent en tension des logiques contraires .Elles régulent  le fonctionnement du narcissisme et celui de la subjectivité, (détermination unifiante opposée à l' aspiration identificatoire, porteuse de conflits)

la séduction est une tentative permanente de rendre compatible la juxtaposition des ces logiques contraires

Toujours susceptible de changement, de variation ne fusse que par les effets du temps,l'image de soi doit toute la vie durant être séduiteréanimée, surlignée, redéfinie dans ses contours et son contenu. En effet  l' image de soi est en perpétuelle mutation et les changements susceptibles de l'affecter produisent une angoisse plus ou moins dépersonnalisante que la séduction à usage interne cherchera à amoindrir.Cette stabilité de l'image que nous avons besoin d'avoir de nous même, participe ainsi à la création dela mémoire de soi qui permet d'affirmer, dans les moments d'incertitudes, " c’est bien de moi dont il s’agit  » .Moment jubilatoire d’ affirmation fragile du sentiment de continuité psychique. On notera au passage les liens indissolubles qui existent entre identité et mémoire.

L' image que j' aurais de moi même sera fonction de la relation que j' entretiens avec le souvenir de mon image interne, c'est à dire avec ma mémoire et mon histoire,[14] et celle qui vise à l'unification et celle qui désorganise l' ensemble. La séduction vise au maintien d'une certaine cohérence interne, assure une adéquation entre soi et l'image interne de soi, " une mêmeté avec soi même" (Ricoeur) et cela grâce au mouvement singulier et nécessaire qu'elle impluse «  d'investissement infini de sa propre représentation" .( Guillaumin)

 De ce fait, elle lutte contre la menace de la perte de nos propres repérages internes,contre les risques de dépréciation, d 'effondrement de cette image interne, dés qu'un danger surgit avec son potentiel d' angoisse dépersonnalisante, de confusion, d' altération du système perception conscience .

 

 Séduire ou mourir ; la carence de la fonction homoérotique

Nous devons pour avancer dans la volonté d'articuler séduction et identité, s'appuyer sur le concept d'homoérotisme qu'il convient préalablement de définir.  

Pour Ferenczi" , le terme d' homoérotisme est à son avis préférable à celui d' homosexualité qui " prête à malentendus et fait ressortir , contrairement au terme biologique de sexualité, l'aspect psychique de la pulsion." [15]

L'approche de Bergeret  s'appuie sur le point de vue étymologique et clinique.

Homosexualité est porteur de l'idée de symétrie (homo), Sexus, secarer, indique l'idée de section, de coupure, de différence.

La clinique de l'homosexualité renvoie à une pluralité de conjonctures et impose une clarification des différentes formes. IL existe une hiérarchie de niveaux selon que l'on se réfère à l'homosexualité œdipienne ou  aux fantasmes homosexuels tels que le transfert les actualise en début de cure, en passant les formes perverses au caractère défensif devant la menace d'effondrement psychotique.

Une brève illustration clinique va nous fournir l'opportunité d' illustrer ces différents points.

Le cas Edouard:  homosexualité ou homoérotisme?

 

 En développant une stratégie défensive, fondée sur l’ agir compulsif,  fait de rencontres d'un soir, Edouard cherchait à sauver sa peau selon une  démarche s’inscrivant  pour Ferenczi, dans la logique obsessionnelle qui caractérise l’homoérotisme [16].Il luttait ainsi contre l'impossible élaboration d'une rupture sentimentale qui l'avait conduit au bord du suicide. Cette rupture avait fait vaciller l' univers de l’apparence et de la parodie, compléments indispensables à l’union amoureuse qui embrasait passionnément ses sentiments. La réciprocité des échanges implicites ou explicites entre ce couple et l’univers magiquement crée le temps d’une nuit, légitimait leur union. Le déroulement de ces cérémonies sublimes et décadentes, avait une fonction spéculaire particulière. Les invités étaient destinés à célébrer la magie d’une union incertaine, mais intense, union porteuse, d’une singulière énigme  ; qui était l’homme, qui était la femme  ? Cette énigme renvoyant chacun des protagonistes présents à leurs propres incertitudes, interrogeant leur rapport aux composantes bisexuelles respectives de leur personnalité. Les invités jouaient à leur insu une partition bien réglée. Assujettis ainsi complaisamment au rôle de témoins, l’émerveillement, soulevé par le décorum et ses paillettes, visible dans leurs yeux ébahis,  produisait en retour une jouissance secrète chez les hôtes, source d’une satisfaction partagée, mais discrètement retenue. L’ensemble, hôtes, invités, constituaient un univers osmotique nécessaire au maintien d’un équilibre subtil du couple ou chacun se nourrissait interactivement d’un plaisir scopique, palliant les carences homoérotiques respectives. La mise en jeu d’une étrange partition, à la gloire de la séduction tout azimut, entretenait l’illusion d’un abrasement de toute différence, entre homme et femme bien sûr, mais aussi entre homosexuels et hétérosexuels. Les jeux de regards, les bons mots, les histoires drôles, quelques références culturelles bien venues, donnaient à l’ensemble, l’éclat d’un jeu de séduction joyeux, dans lequel chacun donnait à voir sa grande satisfaction. 

C’est dans la recherche inlassable de rencontres «  sexuelles  » d’un soir qu’Edouard tentera de panser la profondeur de sa blessure liée à cette perte brutale et inattendue. La fonction apaisante de ces rencontres fugaces et compulsives[17] avaient deux conséquences  : il parvenait à maintenir artificiellement une certaine fonctionnalité à son narcissisme blessé  ;

- La première, lors de ces rencontres avec des inconnus , il  pouvait donc encore plaire  ! On notera au passage que l’objet de sa recherche n’était pas spécialement la quête du plaisir sexuel, mais l’attente d’une réparation magique de ses incertitudes identitaires. Il s’agissait en fait, de capter le regard de l’autre, et d’y lire, ou d’y deviner la naissance du désir produit par la rencontre, qui se voulait la plus brève et intense possible. A l’extrême, plus la rencontre était fugace, plus l’excitation grandissait. Pouvoir attirer le regard de cet autre lui même, et le séduire, revêtait  un grand pouvoir organisateur  ; «  tu m’as regardé, donc je te plais.  », paraphrase décrivant la logique de la séduction narcissique à l‘œuvre. 

- La deuxième, liée au rapprochement «  sexuel  » proprement dit visait à la décharge énergétique de l’excitation, née du plaisir scopique, lors de la rencontre. En rien l’acte «  sexuel  » n’était investi dans sa dimension orgastique. Bien au contraire, et paradoxalement, il constituait plutôt une menace de flottement identitaire, d’incertitude passagère, d’appauvrissement narcissique, de perte des repères. C’est précisément en ce sens, qu’il est juste de se demander si définir la rencontre, comme étant de nature sexuelle, au sens objectal du terme, ne constitue pas un contresens. Les enjeux étaient bien de nature narcissique. La quête de l’autre dans sa complémentarité, mais aussi dans sa ressemblance, visait à nourrir et à relancer la fonction homoérotique dans son rôle spécifique  : " rafistoler" une image de soi. En s’appuyant sur le lien fragile qui s’établissait avec l’autre, Edouard parvenait à créer la figure d’un autre lui même, sorte de double narcissique, dont il s’appropriait l’espace d’un instant, les qualités supposées. L’évanescence de l’image idéale de cet autre lui même, ne pouvait empêcher l’éternel retour de cette perception incertaine voire négative qu’il gardait de lui même. C’est à lutter contre ce retour diabolique de l’angoisse d’anéantissement que Edouard s’épuisait, induite par la perte irréparable de son ami. La compulsion homoérotique se tarissait, dans l’impossibilité de maintenir vivante et stable, une image de lui même. La perte du lien à ce double l’aurait plongé dans une profonde dépression, si il n’avait eu l’illusion de croire qu’une nouvelle rencontre allait combler ses incertitudes. On retrouvera ici les travaux de Jean Bergeret concernant cette difficulté particulière à garder analement l’objet investi, difficulté qui marque le défaut structurel de réceptivité  anale bloquant l’évolution libidinale, dans une position narcissique - défensive [18].L’activité perceptive surinvestie, venait pallier l’impossible mise en représentation de sa propre image. La perception n’avait qu’une portée éphémère, et devait pour remplir sa fonction défensive, être inlassablement réamorcée  ; d’ou l’impérieuse nécessité de rencontres, toujours plus nombreuses, toujours plus décevantes, sources d’une excitation prometteuse, d’une jouissance trop rapidement tarie, dont il ne pouvait garder aucune trace mentalisable.

L’ «  acte sexuel  » n’ayant d’autre finalité que cathartique. Il concrétisait la déception d’une rencontre éternellement ratée, avortée, incapable de prolonger et de combler les aspirations mises en jeu par l’entrecroisement des regards. Le contact «  sexuel  », objectivait en fait l’échec d’un rapprochement de deux corps en quête Le cas  Edouard a ceci d’intéressant pour notre propos, qu’il révèle  la dimension défensive de la " sexualité" secondaire, pour pallier la carence de la fonction homoérotique. La quête inextinguible de rencontres à la recherche d'un  amour narcissique, visant à le protéger d’un risque d’effondrement dépressif, par défaut d’apport narcissique primordial. L’instabilité de la fonction homoérotique dans son rôle d’étayage, et de stabilisation de son identité vacillante ne parvenait pas à suturer les failles narcissiques sous-jacentes. Chaque nouvelle rencontre était une tentative désespérée d’en combler les profondeurs abyssales.

 

Pour conclure, donnons la parole à Kierkegard pour qui

" Don Juan est une donnée intérieure, le sujet est alors lui même son propre objet'(à séduire.)

On pourrait élargir cette vision qu'a Kierkegard du mythe de Don Juan et considérer qu' il existe en chacun de nous un objet dont la séduction s'impose à chaque étape de la vie et qui rangerait la séduction du coté de l' activité d'auto-conservation, c'est à dire du coté de la vie,  pourtant pour Don Juan la séduction (pouvoir de l'oubli) constitue in fine une  rencontre avec la mort.

Ce que la psychanalyse nous apprend c'est la singulière juxtaposition , le difficile équilibre  entre les deux courants de VIE et de MORT portés par la séduction.

Si la séduction est du coté de la vie en  ce qu'elle nourrit les relations interpersonnelles, que penser de cette  forme particulière de séduction dont la souffrance psychique est le vecteur? La plainte masochiste, possède un pouvoir de séduction, une attraction étrange; la souffrance exhibée exerce une fascination sur l'interlocuteur appelé à jouer le rôle de témoin de la tragédie douloureuse. Quand on sait que fascinus est le mot romain pour le grec phallos[19], s'ouvre alors une nouvelle perpective qui propulse la séduction du coté de la toute puissance phallique à laquelle nous  ne sont pas  prêt à renoncer facilement , n'est ce pas ce que les patients agrippés à leur masochisme nous apprennent tous les jours!

 

 

Ainsi ces tensions sont toujours sources d' un écart, d'une béance, entre l’idéalité d’ une identité à jamais établie et la poussée pulsionnelle éternellement insatisfaite, et désorganisatrice à l’égard de l’unité du moi dont le jeu est le porte parole, pourrait on dire. Cette béance, espace de fermentation de ce qu’il y a de plus spécifique en chacun, est le lieu même d’une discontinuité  propice au déploiement de l’identité, habitée par undeuil qui ne se réduit pas aux seules conséquences de la perte. En effet ce deuil n' est pas tant en rapport avec le renoncement à la toute puissance infantile  que la manifestation de la nostalgie de l'unité perdue. Cet espace crée par la discontinuité entre idéalité et le chaos pulsionnel,»[20], en quête d’une image internalisée, plus ou moins stable du sujet. C’est à ce point précis que la séduction joue un rôle déterminant. Elle oriente son action en direction d'abord vers l'extérieur puis vers l'intériorité.

Nous attribuons à l’homoérotisme une double fonction.

. Le temps homoérotique renforce les assises narcissiques du sujet à la faveur de

- Enfin l’ étape homoérotique propulse l’investissement libidinal sur la voie de l’ identification, vers la découverte de l’objet, grâce à l’appropriation identifiante des qualités prêtées à ce dernier.

[21]. L’ensemble du système perceptif et sensoriel est assujetti à cette tâche exploratoire



[1] Alain Rey; latin seducere, subducere; emmener à l'écart, séparer, diviser, corrompre , tromper, in Le Dictionnaire étymologique de la langue française

[2] Ferenczi, S. L'homoérotisme. Nosologie de l'homosexualité masculine, in œuvres complètes t2 Payot, Paris, p117

[3]  Kraft Ebing in Essais sur les perversions dont Freud tirera le concept de narcissisme

 

[5] Saint Augustin les Confessions: Il y a trois présents , le présent du passé qui est la mémoire, le présent du futur qui est l'attente, le présent du présent qui est l'intuition ou l'attention (Ricoeur p 454, in l'Oubli , la Mémoire) Ce triple présent est organisateur de la temporalité.

[6] Révision du 21 septembre 1897 in Correspondance à Ferenczi

[7] Freud S. in Nouvelles conférences d'introduction à la psychanalyse cité par Laplanche in Etudes freudiennes, p 17

[8]  Bergeret J. in  la pathologie narcissique p 155, Dunod.

[9] Decourt P. La perte et l'identité R.F.P 1999 N°

[10] La relation au double narcissique se différencie de la relation homoérotique par le caractère idéalisé des projections sur l'autre soi même.

[11] Guillaumin J. L'objet de la perte dans la pensée de Freud;48°congrés des psychanalystes de langue française des pays romans: Genève 1988.

[12] Ricoeur P. elle permet de remonter sans rupture du présent vécu aux événements de l'enfance.

[13] Cahn R. " Moi et je ne sont pas réductibles l'un à l'autre" , in Bulletin de la S.P.P n°19, 1991

[14] On sait les effets de dépersonnalisation à minima que l'on peut éprouver lorsqu'existe un écart entre la perception que l'on peut avoir dans le miroir de soi et le souvenir que l'on garde de sa propre image (Freud et son voyage en train)

[15] Ferenczi (op; cit) note; p, 119, nous verrons qu' il existe d'autres raisons pour adopter ce terme.

[16] S.Ferenczi. op cit. p123.

[17] stratégie de défense, fondée sur l’ agir compulsif, s’inscrivant  pour Ferenczi, dans la logique obsessionnelle qui caractérise l’homoérotisme [17]

[18] J.Bergeret. in Dépressivité et Dépression dans le cadre de l’économie défensive, 36° congrès des psychanalystes de langues Romanes  : Genève 1996, P.U.F.p156.

[19] Pascal Quignard Le sexe et l'effroi Folio1999

[20] Guillaumin. J. L'objet de la perte dans la pensée de Freud;48°congrés des psychanalystes de langue française des pays romans: Genève 1988.

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Pulsion Herméneutique Animisme - Dr Pierre DECOURT

Dernière mise à jour de la page: 2 juillet 2009

 

Dr Pierre DECOURT

Psychiatre psychanalyste

Montpellier
 

Le passage des théories des pulsions aux théories de l ‘attachement procède d’un certain nombre de déplacements qui tiennent à l’équivocité et à l’inachèvement du concept de pulsion, ainsi qu’aux interrogations venues de la clinique, mais pas seulement.

Equivocité et Inachèvement

C’est historique, pulsion, instinct se superposent des l’origine de la théorie freudienne. Pas davantage, la pulsion ne s’affranchit nettement du besoin  ; pulsion et besoin  se confondent  ; Or l’instinct est autre chose  que la pulsion. L’instinct est l’œuvre d’une détermination quasi programmée de l ‘être vivant; sa nature est innée. l ‘instinct est un héritage.

A ce malentendu premier s’ajoute un second  ; grammatical,  selon que pulsion appelle le singulier ou le pluriel. Est- il fait référence à ce «  concept limite entre le psychique et le somatique  » dont Freud souligne la particularité de sa source ou à l’ensemble des théories des pulsions -Pour ajouter aux incertitudes, il déclare  ; «  La doctrine de la pulsion est pour ainsi dire notre mythologie.  »  C’est le concept de pulsion qui aujourd’hui vacille en raison de son opacité épistémologique originelle, mais aussi face aux interrogations actuelles soulevées par les pathologies dites contemporaines. La théorisation de l’archaïque conduit à  considérer la situation oedipienne, la castration comme des organisateurs tardifs de l’activité psychique. Sont relégués en arrière plan l’irréductible et complexe  position freudienne touchant aux pulsions dans leur articulation avec l ‘activité de l ‘ics sexué.

 La problématique du lien et de l ‘attachement aurait-elle pris le pas sur la problématique du conflit  ? La dimension narcissique du transfert et les obstacles qui l’accompagnent devancent l’intérêt pour  l‘exploration  de l ‘univers de la représentation et ses colorations sexuelles.

L’indécidable

Sortir de l ‘indécidable du choix, et conférer au concept de pulsion son originalité, suppose un rapide retour en arrière. Ce concept est initialement le fruit d’un héritage  en trois temps;

         -Issu de la neurophysiologie, il désigne l’expression motrice de l’excitation qui parcourt le neurone  ; la pulsion est assimilée à l’excitation.

         -Issu du travail de Freud sur les rêves, la pulsion est comprise alors comme une exigence de l ‘ics à la recherche de satisfaction à la faveur de la régression pendant le sommeil.  

         -Mais c’est à partir de l’observation des effets de la répétition et de leur caractère inéluctable  que Freud développera l’hypothèse  économique pour ne jamais y renoncer.  «  Toute pulsion est une fraction d’activité… elle est  une force constante, qu’on ne peut fuir  » affirme t-il  !

L’hétérogénéité du  concept de pulsion et son caractère aporétique se renforcent rendant caduque tout projet de synthèse. Rien d’étonnant à ce que  le concept de pulsion soit devenu un nouveau schibboleth  au sein de la communauté analytique. Il divise d’une part les tenants d’une conception intersubjective de l ‘analyse, fruit d’une expérience humaine singulière grâce à la création d’une relation interactive, d’autre part  les tenants  d’une  conception opposée,  rivés à l’idée que  le désir via le transfert  reste l’ approche royale de l’activité pulsionnelle. 

Les obstacles     

Toute tentative de saisie au nom de la cohérence de ce qui touche aux théories des pulsions et à l’activité l’ ics est délibérément une entreprise réductrice et trompeuse sauf si la modélisation est porteuse de son propre inachèvement. Tout essai de synthèse de l‘hétérogénéité du concept conduit invariablement à un retour de la psychologie du moi et de la conscience, ou à l’interprétation phénoménologique de la vie psychique qui s’écarte du champ de l’ics.

Parce que inachevées et incertaines les théories freudiennes selon le propre aveu de Freud méritent un prolongement à condition ;

        -de conserver à la pulsion son caractère de concept fondamental.

        -de ne perdre de vue l’importance de la réponse de la réalité extérieure,  c'est-à-dire de l’objet. 

Ces précautions prises, peut-on définir des invariants propres aux différentes catégories de pulsions  ? Un plus petit dénominateur commun  ! Qui y a-t-il de commun alors entre pulsion d’autoconservation, pulsions du moi, pulsions sexuelles, pulsions partielles, pulsion d’emprise, pulsion de vie, pulsion de mort, pulsion de destruction, d’agression,  pulsion voyeuriste ou orale et la pulsion de mort  ? A la vérité, difficile de considérer que la recherche d’un plaisir serait ce fonds commun aux pulsions sauf à étendre la conception même du plaisir, ce à quoi Freud sera contraint. Comment ne pas voir la différence qualitative entre l’excitation procurée par le regard captant un objet qui satisfait la curiosité sexuelle et la détermination prêtée à la pulsion de mort dans sa dimension destructrice qui vise ainsi à effacer toute excitation préjudiciable venue d’un objet interne. Un constat s’impose  : Vouloir déceler une cohérence unifiante se heurte rapidement à un échec. En réalité le concept de pulsion est au croisement d’une triple approche  : épistémologique, métapsychologique, clinique[1].

         1° Epistemologique 

Grande est la tentation de réduire l’activité de la pulsion à une pure manifestation biologique. Freud hésite. Bien des arguments semblent l’ y inciter. Il localise la source pulsionnelle à la limite entre somatique et psychique. Ne retenir que la polarité somatique dénaturerait profondément et réduirait la portée de son hypothèse. Si la pulsion était de nature biologique, son rapport au temps serait autre. Elle serait soumise alors à une rythmicité, celle qui caractérise les processus biologiques. Elle serait alors pulsation, définie par un début, une fréquence, une tension, une fin. L’acte de poussée serait  inscrit dans la temporalité propre aux rythmes biologiques marqués par un commencement, une période de maturité et une fin.

Le rapport au temps qui caractérise la pulsion est spécifique  ! C’est la konstantekraft, la poussée constante, pas la simple poussée, comme à tort cela est entendu de manière réductrice et fausse, mais la tension permanente qu’elle insuffle.  «  La pulsion, au contraire des impacts répétés et périodiques, n’agit jamais comme une force d’impact momentanée, mais toujours comme une force constante  »[2]. La poussée constante n’est pas une irruption brutale d’une énergie qui s’épuiserait d’elle-même, comme une vague qui viendrait mourir sur la plage avant de se retirer pour à nouveau rouler sur la grève. Elle s’exerce sans relâche et ne lâche en rien son objectif  ; obtenir satisfaction.

Mais c’est parce que la satisfaction recherchée et obtenue est toujours porteuse en son sein d’ un degré d‘insatisfaction  qu’elle pousse sans fin. La satisfaction ainsi côtoie la catégorie de l’impossible, du manque. «  Quelque chose dans la pulsion n’est pas favorable à sa pleine satisfaction  »[3], nous dit Freud. C’est cette part d’insatisfaction, d’inachevé, qui échappe sans cesse, responsable nous dit- il, «  de cette exigence de travail imposée à l’appareil psychique  ». L’insatisfaction relance l’activité du moi et ce faisant le structure et confère à la pulsion sa poussée constante. L ‘investissement opère un aller- retour qui va de l’ objet au moi, du moi frustré dans son attente de satisfaction, vers un nouvel objet «  vicariant  ». La poussée constante définit ainsi une circularité, dessine une boucle (Lacan) entre le moi corporel (la source) et son objet de satisfaction supposée qui à la fois structure la pulsion et lui donne sa force. L’insatisfaction éprouvée par le moi impose à celui-ci un travail de renoncement et de deuil du plaisir attendu. C‘est cela l’exigence de travail auquel Freud nous invite à réfléchir  ; une exigence sans fin qui se nourrit d’un deuil  !

         2° Métapsychologique

La pensée de Freud à propos des pulsions oscille entre rupture et continuité. Elle est le modèle même d’une pensée métapsychologique au travail, à la recherche d’une modélisation qu’il laisse inachevée et ouverte, vivante, même pour la pulsion de mort.

La voie royale d’ abord de la problématique des pulsions passe par une approche différente. Considérons non plus la pulsion comme concept mais la pulsionnalité  et ses effets; nous passons là, du concept de pulsion à sa fonction  dont le transfert est un indicateur. Ce qui est en jeu, n’est plus seulement l’excitation,  mais le conflit, «  produit du rapport entre la quantité de libido accumulée et celle que le moi peut maîtriser  »[4]  ! Les théories du fonctionnement pulsionnel sont elles-mêmes à l’épicentre du conflit entre rationalité et spéculation, entre rupture et continuité. Freud face à ce conflit intrinsèque ne se dérobe pas. Il le problématise en le complexifiant, ajoutant sa part de doute  ; «  Je doute, dit-il, qu’il soit possible un jour en se fondant sur l’élaboration du matériel psychologique de recueillir des indices décisifs pour séparer et classer les pulsions  ». [5] Cette conflictualité interne,   ne fragilise t –elle pas la cohérence de la théorie des pulsions elle-même  ? Avec la théorie du narcissisme «  dont j’ai difficilement accouché  », confesse t –il à Abraham, il tente de colmater les brèches  ; sans succès  ! «  Un moment fugitif chez Freud  » dit Laplanche, afin de limiter les effets de l‘antagonisme pulsionnel. L’Introduction du Narcissisme est aussi une tentative d’accorder le dualisme pulsionnel avec le monisme énergétique jungien ambiant.

Mais revenons en au Transfert. Le transfert actualise la pulsion sexuelle dans sa quête de satisfaction dont l‘analyste devient alors l’objet. L’analysant voit en lui un objet imaginaire de satisfaction, avant de devenir un objet réel d’insatisfaction. Ce passage de l’imaginaire au réel de la frustration prêté à l’objet, est fondateur du travail analytique. En marquant de façon irréductible une  dissymétrie entre objet imaginaire et objet réel, entre analysant et analyste, la pulsion cherche à se déployer, portée à l’infini par l’attente d’une satisfaction  enfin apaiser la tension. Ainsi, c’est bien le manque qui organise, structure cette étrange relation. La frustration renouvelée à chaque séance soulève tôt ou tard conflit, haine, amour, passion. Le transfert révèle et masque le mystère de cette poussée constante qui pousse et pousse encore, jusqu  ‘à devenir compulsion, compulsion de répétition. D’où cette idée de circularité, dont la cinétique ics échappe au sujet. Donner du sens à ce mouvement, rompre l’échappée infernale, témoignent de l’aptitude du moi dans le meilleur des cas à orienter la poussée pulsionnelle et à en assurer l’intégration.

 

 L’impasse herméneutique

Face à l’illusoire synthèse de l’hétérogénéité des deux théories des pulsions, la tentation herméneutique[6] s’offre comme une alternative à la problématique pulsionnelle et ses apories. Le  point de vue économique est de fait passé par-dessus bord  ! Le conflit pulsionnel est délaissé au profit de l‘exégèse du texte dont l’interprétation vise au dévoilement du sens considéré par l’herméneute comme caché derrière la littéralité du texte en question  selon la tradition aristotélicienne. Un sens en cachant un autre, toujours à découvrir. Au conflit pulsionnel se substitue le conflit des interprétations. Il n’y a pas qu’une seule interprétation de  l ‘être, mais une pluralité de sens dont il s’agit de faire pendre conscience au sujet. L’indécidable  parfois du choix au sein de plusieurs interprétations possibles crée un problème, un conflit potentiel. Mais il s’agit alors d’un conflit de sens et non sexuel. Une lecture polysémique des signes et de leurs interprétations construisent une histoire  ; celle du sujet et de son interlocuteur, sans rapport immédiat avec la sexualité infantile. Pour Ricœur, l’ics se présenterait comme une médiation symbolique qui grâce à l’interprétation  donnerait  à la  conscience l’accès à la compréhension du conflit entre les protagonistes. La tentation herméneutique et sa connotation intersubjective anticipent le courant psychanalytique intersubjectiviste.

Le courant intersubjectiviste

Il  fait aujourd‘hui florès. Schafer , Viderman, Renik en sont les représentants. Leur credo  : La psychanalyse est un acte narratif, analyste et analysant construisant toujours une histoire nouvelle, qui n’aurait d’autre réalité que celle d’être racontée et créée au cours de ces échanges. La psychanalyse serait avant tout une expérience subjective et interrelationnelle. A la question qu’il y a-t-il de spécifiquement analytique dans la psychanalyse, Schafer répondra  : «  le langage d’action  ». La représentation est porteuse de sa propre intentionnalité; Cette conception de la psychanalyse trouve ses fondements dans l’extension tendancieuse du concept de contre- transfert défini par Freud comme le résultat de «  l ‘influence du malade sur le sentiments ics du médecin  ». Très tôt pourtant l’intersubjectivisme outrepasse la notion de contre-transfert. L’intersubjectivisme, implicitement et c’est sa faiblesse, suppose l’idée d’une symétrie, d’un fonctionnement en miroir, en double, ce qui élimine de facto l’essentiel  : la notion même de dissymétrie fondatrice de la cure.

Pensée magique et  théories de l’attachement

L’animisme[7]  est l’imputation par les humains à des non humains d’une intériorité identique à la leur. Cette similitude supposée des intériorités donne naissance à l’idée d’une continuité matérielle, parfois d’une symétrie, qui réunit des individus,  voire des individus d’espèces différentes et peut s’étendre à la nature, aux animaux. Le lien analogique qui de ce fait même se tisse, est au hors langage, hors de tout champ symbolique  ! C’est le  rapport de voisinage, de contiguïté, de similarité qui favorise le développement de ce rapport particulier  à autrui, à l’environnement. On peut considérer que le principe analogique qui consiste à imputer à l’autre une intériorité identique à la sienne, est au cœur d’une ontologie du lien et de l ‘attachement, ce dont la psychanalyse fait peu de cas, aveuglée par le logos. La conséquence est la non séparation entre un sujet et son environnement.    La magie participe au maintien de cet univers indifférencié, à la création et à la sauvegarde de ce lien. Elle est à l’œuvre au sein même des relations précoces mère enfant. L’adulte impute projectivement au nouveau né ses propres contenus psychiques, tressant ainsi les brins d’une continuité entre les deux êtres. La magie est au service de l’animisme nous dit Freud. Elle «  doit servir aux fins les plus variées  : soumettre les phénomènes de la nature à la volonté de l ‘homme, protéger l’individu contre les ennemis et les dangers et lui donner le pouvoir de nuire à ses ennemis  ». Les procédures magiques construisent et protégent le lien entre un individu et un autre et entre lui et la nature. Elles écartent le danger de la séparation tant que la maturité n’est pas arrivée à son terme. Pour Freud, «  La similitude et la contiguïté sont les deux principes essentiels des processus d’association  des idées qui confèrent à la magie son caractère absurde  ». Il faut noter qu ‘il [8] se garde bien de tirer les conséquences de ce constat. Il évite de mettre en perspective «  la toute puissance des associationsdes idées,  » (par contiguïté, par similitude, affinity[9]) à l’œuvre dit- il dans la magie et la règle fondatrice, dites des associations libres. Il confère un temps à cette dernière, une fonction de toute puissance  thérapeutique, instigatrice du travail analytique  !

Cherche t- il à éviter de faire le constat que la création du lien à l’objet primaire prend ses assises sur des bases animistes. Pour lui ce qui réunit deux êtres procède d’un processus complexe qui mobilise les forces libidinales et narcissiques. Redoute t-il que l’assimilation entre l’association libre, édifiée comme principe directeur de l’investigation psychanalytique ne soit confondue avec les processus associatifs à l’œuvre dans la magie  ? Pourtant  ! Ce sont les mêmes processus associatifs à l’œuvre dans la magie qu’il condamne avec une fermeté étonnante. «  Toute l’absurdité des prescriptions magiques est dominée, pour ainsi dire par l’association d’idées  »[10]. Or, associations des idées propres à l’animisme et au déroulement de la cure ont ceci de commun  : L’action magique est porteuse d’une vertu projective lorsqu’ elle vise à transférer le mal sur d’autres objets ou personnes. Les nombreux exemples  anthropologiques en attestent. La magie au service de l’animisme a de ce fait  une  valeur thérapeutique cathartique. Est-elle de ce point de vue si éloignée du processus à l’œuvre dans le transfert qui par la voie des associations, opère sur l’analyste ce déplacement projectif déterminant  ? Non  !

Qu’est ce qui les différencient  ? C’est la transitionnalisation de l’expérience animiste première née d’une «  expérience illusoire  » commune à l’enfant et l’adulte, fondée sur la croyance que le déplaisir est au dehors et qu’il y restera. L’échec de cette croyance  permet la transitionnalisation de l ‘expérience  animiste et confère au lien par contiguïté, similitude, affinité, une dimension nouvelle, symbolique. Cette expérience illusoire commune se solde dans le meilleur des cas par un échec, par un manque. Elle ouvre une brèche au sein même de l’attachement entre une mère et son enfant.

Pour autant y aura-t-il un abandon, un renoncement aux solutions magiques d’antan, s’interroge  pertinemment Bernard Brusset  ? Rien n’est moins sùr  ; la cure atteste de leur heureuse persistance,  en particulier dans ces moments ou face au conflit, quand l’opposition entre réalité et imaginaire insiste avec ténacité, le recours à des procédés magiques est salutaire, permettant parfois de surseoir au naufrage identitaire  en assurant la permanence magique du lien.

Résumé

L’articulation des théories des pulsions aux théories de l ‘attachement met à l’épreuve la métapsychologie, sauf à réexaminer les considérations freudiennes touchant à l’animisme qui font une place particulière à la magie et à son rôle dans l’ontologie du lien. 

Mots-clés

Toute puissance des associations des pensées

Herméneutique

Magie


 



[1] Nous ne pourrons ici aborder cette dernière

[2] Freud .S in Métapsychologie  ; Pulsion et destins des pulsions. Paris, Gallimard, 1972

[3] op. cit.

[4] op.cit.

[5] Pulsions et Destins p 22,

[6] Ricœur Paul.  De L i’nterpretation  ; Essai sur Freud. Le Seuil 1965.

[7] Descola Philippe.  Par -delà Nature et Culture NRF, Gallimard 2005,  p.183.

[8]  Freud. S. Mais comme ressemblance et contiguïté sont les deux principes essentiels des processus d’association, c’est la domination de l’association des idées qui s’avère être effectivement l’explication de toute l’extravagance des prescriptions magiques, in Totem et tabou.  P 292.

[9] Freud. S;  in Totem and Taboo, SE volume 13, The Hogarth Press p 82

[10] Op.cit. p, 100 
 
Narcose toxique, narcose de transfert - Dr Pierre DECOURT

Dernière mise à jour de la page: 2 juillet 2009

 

Dr Pierre DECOURT

Psychiatre psychanalyste

Montpellier
 

Un peu de poison de temps à autre; cela donne des rêves agréables. Beaucoup de poison pour finir, cela donne une mort agréable!

Nietzsche

La différenciation est caduque d'un point de vue psychanalytique entre drogue dure et douce. La démarche psychanalytique porte sur la recherche des repères structurels qui fonderont une clinique des toxicomanies, à partir de l ' élaboration de la relation inconsciente que le toxicomane tisse entre lui et le toxique, entre lui et l 'analyste. Ce dernier propulsé à la périphérie de son cadre  théorico- spéculatif fondé à l 'origine de la psychanalyse sur le complexe d'œdipe, s' expose tant dans ses certitudes théoriques que dans sa personne! Aussi sera t 'il  confronté à plusieurs paradoxes, contradictions, ou autres apories.

 Enumérons en quelques uns.

1°Il n 'est pas sur que les psychanalystes soient les mieux placés, pour aborder la difficile question de l 'addiction, ses conséquences et les traitements qui conviennent . A bien des égards, les psychiatres et les intervenants sociaux trouvent des réponses plus pragmatiques et plus  immédiates, mais leur degré d 'implication personnel dont leurs réponses sont porteuses, les conduit parfois sur le divan.

2° Rares sont les patients souffrant d'addiction qui consultent un psychanalyste et dont la demande dépasse les premières bonnes intentions.

3° De surcroît,  il n 'existe pas à proprement parler une métapsychologie de l 'abus, même si le point de vue économique s' y réfère; il existe en revanche une métapsychologie de la dépendance ou plutôt des dépendances.

 4°  Enfin la rencontre avec les consommateurs de drogues est toujours une épreuve. L'analyste s'engouffre dans l'exploration d'un champ, celui de la non pensée, de l'indicible, de l 'agir. Ses outils seront inévitablement  soumis aux vicissitudes du potentiel destructeur exploré. Aussi, bien souvent il faut l 'avouer, les analystes se dérobent, ou  se  réjouissent pudiquement de la rareté des demandes. Quand  certaines alliances thérapeutiques peuvent se sceller, elles sont décrites souvent comme orageuses et violentes. Elles illustrent parfaitement la description faite par Bergeret de la " violence fondamentale" , violence non érotisée, régulée par le principe du tout ou rien; " c'est toi ou moi" . Dans ces rencontres, y apparaît,  la dépendance à l 'objet dans toute sa complexité. L' abus domine,           l 'excès triomphe, la destructivité règne en maître absolu! Cadre et théorie sont mises à mal. L' analyste se sent souvent comme abusé, pour ne pas dire désabusé, comme soumis aux effets stupéfiants de l ' échange,  prisonnier de l 'asservissement narcotique dont le patient est lui même la proie. On assiste alors à ce que j 'appelle cet état de co- stupéfiance qui répond au" fantasme le plus profond du toxicomane  qui est de faire tomber son thérapeute, d'en faire un dealer ou même de le rendre toxicomane, de  faire qu 'il  devienne  le dealer de son thérapeute, et de renverser la situation de dépendance." [1]

Univers de la paradoxalité au sein duquel l 'analyste est  perçu  comme ce toxique, poison et plaisir à la fois  dont le sujet attend tout et rien en même temps.

Vous êtes ma pompe à morphine, me disait dernièrement un patient, pour dire combien la perspective d'une séparation était douloureuse; Quand ça va pas, j 'appuie un petit coup, puis je relâche.

Comment mieux illustrer l 'emprise et ses effets sur l 'objet. Dépendant du désir destructeur du toxicomane, l' objet - analyste  n 'a d'existence que dans la soumission et la passivité. Cependant, tout manquement , toute absence de l 'analyste, seront perçus comme une défaillance insupportable; pire,  toute tentative de se soustraire à l'emprise constitue une menace, une attaque! Les séparations sont perçues comme des ruptures. Leur potentiel traumatique est dévastateur. Elles redupliquent des traumatismes antérieurs, lointains et inaccessibles et  résonnent comme l'annonce de la  mort.

Ne retrouve t' on pas là, dans le lien du toxicomane à son thérapeute le même rapport tyrannique qu 'il entretient avec le toxique, objet           d 'addiction. Ce rapport évoque le thème du pharmakon décrit par Platon. Platon nous  éclaire sur le rapport hétérogène et magique qu ' entretient le sujet avec le toxique.

L 'opération du pharmakon est à la fois conservatrice et destructrice. Dans l'acception grecque, le " pharmakon" définit toute substance salutaire ou malfaisante. Remède ou poison, l 'opération du pharmakon est cet acte qui transforme, entraîne une modification salutaire ou malfaisante.[2].Le recours au pharmakon, contient toujours l'espoir d'une guérison et son envers. L'opérabilité de ce médiateur est forte, immédiate, favorisant l' ultime incorporation d'un objet magique et dangereux. Par ses effets, il efface les oppositions, faisant communiquer les contraires; dehors-dedans, plaisir et destructivté se confondant. Le pharmakon guérit et tue à la fois, comme l 'injection qui sauve ou qui euthanasie, selon qui pousse la seringue et avec qu'elle arrière pensée.

Parfois

les rencontres entre l 'analyste et un sujet toxico-dépendant,  même brèves, inventent  un nouveau champ relationnel qui est précisément celui d'une clinique psychanalytique de la toxicomanie.

 L' analyste est contraint d' inventer à chaque instant un dispositif mental nouveau en puisant au plus étrange de lui même, aux confins de ses ressources mentales. Parfois c'est le dispositif lui même qui doit être réinventer; afin de concevoir de nouveaux montages, voire de nouveaux lieux de rencontres, afin de permettre la naissance de nouveaux espaces  de jeu au sens winnicotien..

Mais c'est souvent avec la rupture du lien de dépendance à         l 'autre ou à certains  idéaux,  qu' apparaîtront un certain nombre de manifestations psychopathologiques. Le sujet peut alors tenter avec des artifices et des fortunes diverses, de renouer avec l 'objet perdu.

Qui mieux que Baudelaire[3] en hommage a une amie perdue,  peut traduire les effets attendus du toxique.

L 'opium agrandit ce qui n 'a pas  de bornes,

Allonge l 'illimité

Approfondit le temps, creuse la volupté,

Et de plaisir noirs et mornes

Remplit l 'âme au delà de sa capacité.

Même

 si la pathologie addictive décentre la psychanalyse de son champ habituel d 'expérience, elle soulève une question essentielle, celle de la dépendance.

 Faut il rappeler que la dépendance n'est pas en soi pas une maladie; bien au contraire, elle caractérise certains aspects de l 'humain et de son développement, dans ses rapports avec lui-même et avec autrui. La dépendance au Surmoi , au narcissisme dans ses formes les plus structurantes pour la construction identitaire , la dépendance aux idéaux ou aux  croyances constitue un trésor dont les  manifestations  sont présentes  à tous les âges de la vie, depuis cette forme première de prématurité , qu 'est la neotenie, jusqu' à cet état de dépendance dont l' âge se fait le reflet ultime. 

Parce que  la dépendance est une des composantes profonde  de la condition humaine,  l' expérience des  psychanalystes peut s' avérer précieuse, dans l 'exploration du thème proposé.

Nous  essayerons de définir ce que pourrait être la fonction addictive et son rôle dans l 'économie psychique des toxicomanes.

La fonction  addictive et ses destins

 Deux exemples pour argumenter l 'hypothèse d'une fonction addictive!

celui d e Freud et celui de Déborah qui illustreront à la fois  l' hétérogénéité des addictions et leur caractère  paradoxal.

L 'intérêt des psychanalystes pour la question de la  dépendance  et  de l' addiction  est historique. Elle est antérieure à ce que Freud avait observé à propos de l' hypnose à propos de laquelle il écrit ; " Elle induisait, écrit il, une relation de dépendance entre     l 'hypnotisé et l 'hypnotiseur" , dont il convenait de se prémunir. Cette question de la dépendance et son énigme resteront  présentes tout au long de l 'œuvre d e Freud. Elle donnera naissance à la théorie  du transfert. Son intérêt se renouvellera avec l 'observation de certaines formes morbides du transfert, rendant parfois, la cure interminable.

  Un rappel historique s' impose pour argumenter notre propos!

Pour beaucoup, ce rappel sera redite mais il  me donnera l 'occasion de réfléchir et ce sera une partie de ma contribution, aux conditions de     l 'auto- sevrage  de Freud, dans ses rapports avec la création et la sublimation. Certains pourront  y voir un destin possible de l' addiction , c'est à dire un destin qui ouvre sur l' espace symbolique , celui de la créativité.

L' addiction de Freud [4]à la cocaïne fut à la fois source d'un enthousiasme scientifique réel, supposé lui apporter la célébrité, avec la découverte espérée de ses propriétés anesthésiques, mais fut aussi un adjuvant apprécié, stimulant sa propre créativité, et ses recherches. Nul n' ignore que son rapport avec la cocaïne fut un rapport complexe, source d'un immense espoir, à la fois scientifique et personnel, et d'un plaisir que les hagiographes ont tenté de minimiser ou dénier.

Aussi son dépit fut grand, ses ambitions déçues car la découverte des  propriétés anesthésiques du cocainum muriaticum en ophtalmologie lui échappa. La découverte appartient à Karl Koller .IL la fit  durant l ' été 1884, et   Freud la reconnaîtra assez tardivement et avec une relative rancœur.[5]

La consommation personnelle de Freud fut importante et étalée sur le temps; on considère que celle ci aura duré environ 12 ans( 1884 - 1896-peut être 1900) .Symptôme tenace d' un asservissement réel, mais aussi  source de satisfaction, puisque qu 'il en recommanda  la consommation à son entourage et en particulier à sa fiancée Martha, au prétexte " qu'elle  effaçait la fatigue, calmait sa terrible impatience" , et " déliait sa langue" .

C'est  le décès de son ami proche, Fleisch Von Markov d'une malheureuse tentative de sevrage  de sa  morphinomanie, par un traitement substitutif , premier du genre, et recommandé par Freud[6], à base d 'injection sous-cutanée de cocaïne,  qui causera la mort de cet ami. Bouleversé, Freud cessera progressivement la consommation de cocaïne.

Addiction, deuil,  sublimation et création

Double déception donc: la célébrité due à la découverte des propriétés anesthésiques lui échappait; un ami cher disparaissait, faisant peser une lourde culpabilité sur les épaules du jeune chercheur.

Mais plus intéressante est la prise en considération du travail psychique de Freud qui lui permettra de faire face à ce double deuil ; celui  de son ami cher, et le deuil de cette sournoise accoutumance .

Face à cette double perte de quels ressorts disposait Freud  pour surmonter l 'épreuve?

-                Les vertus antidépressives de la cocaïne ne suffisaient pas.               La rencontre avec Fliess eut un rôle déterminant dans le double travail de deuil que la réalité lui imposait. Tour à tour confident, conseiller, plus encore, thérapeute malgré lui,  Fliess  eut un rôle de substitution, d'objet de remplacement, de substitution en quelque sorte.

-                 La relation qui se déploya entre les deux hommes fut marquée par une profonde dépendance offrant à Freud plus qu 'un soutien , mais essentiellement un cadre psychique pour la poursuite de ses recherches, dont il tint son ami scrupuleusement informé .

Quelles étaient ses recherches ?

-                L' influence de la cocaïne  et ses effets narcotiques[7] sur sa propre activité onirique avaient stimulé sa vigilance. Cet intérêt a été déterminant  et joué un rôle  la  découverte essentielle, de son œuvre; la science des rêves . Deux rêves bien connus de Freud survenus dans le prolongement de l 'expérience  freudienne avec la cocaïne, vont marquer la naissance de la psychanalyse, et un tournant dans sa vie. IL s'agit du rêve de l 'injection faite à Irma, patiente dont la cure ne lui aura pas apporté les résultats escomptés, ce dont il se sentira personnellement très affecté, et du rêve de la monographie botanique. IL serait superflu ici de procéder à une nouvelle interprétation de ces deux rêves, objets d'innombrables études. Cependant on observera qu 'ils révèlent  au delà des éléments d'une actualité qui l 'affecte durement, les processus inconscients à l' œuvre dans le moi du reveur.

-                le thème de l' injection  renvoie aux injections de cocaïne prescrites à  Irma, l 'autre, celui de la Monographie botanique met en scène cette fameuse plante dont la forme des feuilles s'inscrit dans les pensées oniriques du rêveur, évoquant  la coca.

substitution et déplacement

Les mécanismes que Freud repère  en premier dans les rêves et l' interprétation qu' il en donne sont ceux du  déplacement, c'est à dire de la substitution! il observe une série de ricochets ou les personnages présents dans le rêve prennent la place de personnages qui lui sont proches, trop proches pour figurer comme tels. Grâce au travail du rêve ces personnages prennent des identités d'emprunt.

Si ce processus de substitution appartient au travail du rêve, constatons qu' avec son  interprétation, surgit une découverte essentielle. Au discours conscient, se substitue une autre logique , celle de l 'inconscient dont la conclusion en 1900 sera;

Je cite Freud, " Le rêve expose les faits tels que j' aurai souhaité qu'ils se fussent passés; son contenu est l 'accomplissent d'un désir, son motif,  un désir." [8]

S' opère un deuxième niveau de  substitution plus interessant.  L' 'excitation psychique provoquée par cette immense découverte lui procure t' elle un plaisir de pensée qui se substitue aux plaisirs artificiels? Simplification extrême! Mais le début de l 'abstinence du maître viennois est contemporaine de la découverte des mystères qui régulent l 'activité onirique! Comme si au plaisir narcotique s'était substitué un plaisir d'une autre nature, le plaisir de la découverte  et  de l'investigation.

Je ne peux ici que souligner le rôle de la fonction sublimatoire mise en jeu dans cette profonde transformation qui va déplacer le centre d' intérêt des recherches de Freud.

Si l'exemple freudien nous intéresse , ce n'est pas seulement en vertu de l 'addiction freudienne, mais par l 'élaboration mentale qui permet ce passage entre une dépendance tenace, et ses effets narcotiques et une théorisation de la fonction onirique, et  de la dépendance!

On arguera que cette " guérison" ne fut que relative, le temps de sceller à jamais un fort tropisme pour le tabac, pour au terme de sa vie solliciter son médecin Max Schurr , afin d'abréger sa souffrance en ayant recours à une injection de morphine. D'autres entre temps, de façon plus spécieuse, verront dans la théorisation du transfert une nouvelle détermination à explorer une autre forme particulière de dépendance. Apres tout pourquoi pas?

L' exemple freudien a ceci d'intéressant à propos du  phénomène addictif: Il illustre les conditions de la disparition progressive d'un symptôme, son penchant pour la cocaïne, grâce à la découverte  d' un champ nouveau ,celui  de l 'inconscient  où ses expériences ont trouvé à s'inscrire selon des modalités  dont il proposera une modélisation originale .Ainsi l 'addiction de Freud, nourrit une hypothèse de réflexion à partir de ses propres expériences et engage un travail psychique douloureux qui s 'appuie sur un double deuil. Naîtra de cette évolution interne, une théorie; la science des rêves.

 Le phénomène addictif est ici un médiateur entre un penchant pour certains états de modification de la conscience et la découverte universelle du sens contenu dans les états oniriques et les rêves.

Addiction et auto-guerrison

Pour Déborah, tout essai de sevrage d'une polytoxicomanie débutée à l' âge de douze ans menace gravement son espace psychique. L 'effondrement la guette, l' anéantissement de ses maigres ressources psychique prompt à révéler sa vacuité interne, et l 'absence de toute activité représentative. Elle illustre ces états d' agonie psychique tels que René Roussillon [9]les a décrits. Ces états sont au delà du manque et  de l 'espoir.

A défaut de pouvoir symboliser son vécu douloureux, seul le recours au toxique peut l' apaiser passagèrement, mais efficacement .  Ce recours au toxique qui calme et détruit à la fois, illustre le double fonctionnement du pharmakon. Ces expériences de tension et de  plaisir sont sans représentation, sans issue.

L e recours au toxique participe de mon point de vue du fonctionnement des procédés auto- calmants[10], à la recherche désespérée de l 'apaisement assurant un embryon de survie psychique .

Les procédés auto- calmants sont des procèdes de portée générale, présents chez tout individu. Ils se caractérisent par la décharge motrice d'une quantité d'angoisse plus ou moins grande.

         Certains d 'entre nous auront besoin pour écrire, de fumer, d'autres pour apprendre un texte de déambuler, de parler à haute voix,  d'écouter  de la musique etc …ils sont comme une sorte d'adjuvant, de stimulant de l' activité de pensée, qui n 'est aucunement entravée habituellement dans son déroulement, bien au contraire , elle se trouve stimulée, nourrie!

Dans d'autres cas, comme pour ce qui concerne Déborah, les procédés auto-calmants prennent une place démesurée, et empêchent les processus de pensée de se déployer. Ils révèlent alors de grandes difficultés pour un sujet à contrôler l' angoisse éprouvée et poussent inexorablement à la répétition de la consommation de toxiques. Ils assurent une certaine forme de défense contre la désintégration mentale, en faisant appel à la motricité et à la perception. On peut considérer que ces procédés sont  à l'œuvre dans les expériences de manque; ils participent d 'une forme de survie psychique, cherchant à sauvegarder le capital narcissique restant, en relançant les activités auto-érotiques de base.

Très tôt, pour Déborah, c'est à dire dés l 'enfance,  les ingrédients furent réunis pour que la fuite dans la consommation de drogue devienne à la fois une modalité de résolution des tensions et l' objet d' une souffrance extrême, à la fois bruyamment affichée et déniée à la fois. Récemment l 'accélération brutale du rythme des conduites toxiques et des conduites à risques venaient décapiter tous les projets porteurs d' un caractère organisé et structurant , pouvant offrir une limite à une dérive inéluctable, tout en répondant à ses besoins vitaux. Comment dans ces conditions assurer la survie des lambeaux d' une relation qui ne cessaient de se dissoudre? Déborah était là, prisonnière d'un logique négative, au sein de laquelle on observe un renversement radical des valeurs. La souffrance devenait plaisir, la peur, excitante, le sommeil terrifiant, l' exhibition des auto- mutilations source d'une profonde jouissance, l 'état narcotique malgré ses pièges, une finalité protectrice! Ces manifestations, où le fonctionnement de l 'appareil psychique s'emballe, en déconstruisant ce qui peut faire lien sont  un défi pour  l 'analyste, attaqué dans ses propres capacités à penser et à soutenir un cadre, même minimaliste. Dans le meilleur des cas, ce fonctionnement donnera naissance à une sorte de perversification du lien à l'autre, et au cadre, perversification qui suppose déjà une forme d'organisation mentale ou sein de laquelle la castration bien que déniée a traversé l 'espace psychique du sujet..

 Tenter de faire des liens entre des expériences appartenant à son histoire et leur répétition dans le hic et nunc de la séance, au mieux ne sert à rien! au pire, réactive des situations traumatiques du passé, à coup s^ur, " delamine" la trame du tissu relationnel.

  Pourtant Déborah était bien là! Quel lien subsistait -il au sein de ce chaos? De fait, la concordance fantasmatique ultime entre nous, reposait sur l 'idée de la mort! Nous partagions une même idée ; l'idée de la mort! Mort de nos processus psychiques respectifs, probablement! une sorte de " co- sensorialité" assurait- elle un lien entre nous? " Elle est en phase terminale" pensais- je, convoquant pour traduire ce que j'éprouvais,  l' appellation funeste  réservée aux grands malades considérés comme perdus!

L'expérience toxique et ses effets narcotiques fonctionnaient pour Déborah,  comme ultime évitement du vécu d'anéantissement. L'expérience narcotique avait ce mérite; faire surgir furtivement des sensations qui contribuaient à la survie et au sentiment d'existence.

Survivre psychiquement, grâce au recours aux stupéfiants revitalisait artificiellement les lambeaux d'un univers psychique terrassé par l'assèchement des satisfactions auto-érotiques de base. La fonction addictive fonctionnait comme une tentative  désespérée d'auto-guerison. En effet, la répétition des expériences toxiques a une finalité, généralement mal comprise, pourtant capitale. Elle cherche à renouer avec l' éprouvé de la satisfaction acquise lors de l'expérience précédente, craignant que sa trace ne s'évanouisse et disparaisse. Se dessine ainsi, un avant et un après, constitutif d' un rythme qui inscrit l'expérience dans une temporalité. Ainsi, la répétition et c'est sa fonction positive, vise à assurer tant bien que mal une sorte de continuité entre l 'actualité d'un vécu et les traces somato-psychique de l 'expérience sensorielle précédente, dans l 'espoir de construire un souvenir durable, premier temps de la revitalisation d' une mémoire effondrée. Voilà ce qu 'est la fonction addictive et sa paradoxalité. Le recours répété à l'expérience narcotique qui empoisonne et revitalise.

Ainsi,  avec ces deux exemples aux antipodes l 'un de l' autre, on peut saisir la complexité de la fonction addictive; sublimée et créatrice  dans l 'expérience freudienne, terrifiante pour Déborah qui la précipite  dans un gouffre sans fond, dont elle ne peut s' extraire qu 'en ayant recours aux stupéfiants, mais qui lui offrent in fine la possibilité de faire l' épreuve psychique des effets de sa propre sensorialité, d'exister.

Narcose toxique, Narcose transférentielle?

Je disais au début de cet exposé combien la rencontre avec les sujets addictifs faisait voler en éclats nos connaissances Dans d'autres situations psychanalytiques appliquées par exemple à des névroses graves ou a des états limites, on observe les mêmes impasses que celles rencontrées avec les toxicomanes .Ces échecs ont ceci en commun; ils se manifestent par une dégradation incontrôlable de        l 'état psychique du sujet. L' analyste assiste alors impuissant à une régression des progrès durement acquis pendant la cure. Pourtant,       d 'aucune manière le sujet ne peut concevoir une interruption de celle ci. Avec le concept de masochisme primaire, de réaction thérapeutique négative, Freud y voit l' œuvre de la pulsion de mort et de son pouvoir de déliason.

Ce rapprochement entre échecs observés dans le traitement des patients toxicodependants et dans certaines cures analytiques, ouvre une voie de recherche prometteuse .L 'exploration des formes de dépendance morbides, à l'analyste ou aux toxiques conduit à rencontrer le concept de narcissisme dans ses rapports avec l 'objet. De quel artifice, de quel support le sujet a t' il besoin pour survivre psychiquement? La quête d'une supplément ou d'une suppléance vise à anesthésier la souffrance et protéger des carences narcissiques insondables. La narcose toxique ou transférentielle a cette fonction .

Narkos[11], le narcisse depuis la plus haute antiquité apparaît comme une fleur séduisante, fascinante qui peut entraîner la mort; elle a des propriétés narcotiques; fleur de l'illusion et de la séduction, elle est une fleur funèbre.

On distingue ainsi deux pôles dans le mythe, deux aspects que l'on retrouve au cœur de la problématique narcissique des toxicomanes.

-                Un aspect végétalhypnotique révélant le pouvoir effrayant de l'illusion , de la démence[12].

-                Un aspect créatif,donnant naissance à l'image de soi.[13]

On observe la dimension paradoxale du mythe; folle et organisatrice à la fois, tellement présente dans toute addiction!

Pierre DECOURT

115, avenue de Lodeve

34070 Montpellier



[1] Lembeye Pierre " Nous sommes tous dépendants  Odile Jacob, 2001. P. 142

[2] op . cit. p.98

[3] " Le Poison" ,  in les Fleurs du mal.

[4] L' étude des rapports de Freud avec la cocaïne a on le sait été assez largement délaissé, voir censuré par les biographes officiels au point que pendant très longtemps le texte " uber cocaïne " fut maintenu à l'index

[5] Il attribuera à Martha  la cause de cet échec pressée qu 'elle fut d e voir son fiancé la rejoindre à Vienne.

[6] Amputé du pouce droit suite à une infection,  Von Markov etait devenu très dépendant de la morphine,  connue aussi pour ses propriétés analgésiques. Cette grave dépendance  se rajouta aux difficultés de ce talentueux physiologiste. Le sevrage tenté sur les conseils de Freud[6] par injection sous-cutanée de cocaïne lui fut fatale

[7] Sami -Ali ;l'ivresse cannabique restitue l 'état d e rêve

[8] Freud .S. De la Cocaïne,  éditions complexe; p. 198

[9] Roussillon René. Agonie , clivage et symbolisation. PUF. 1999

10 Smadja Claude ;" a propos de procédés autocalmants du Moi" in Revue française  de psychosomatique1993. N. 4

[11] Hadot Pierre Le mythe  de Narcisse et son interprétation par Plotin, in Narcisses N.R.P n°13 1976

[12] Pour Ovide, Narcisse " fut le seul, et le premier à concevoir un absurde amour pour lui même" . Hormis l 'interprétation d'Ovide , toutes les interprétations du mythe son unanimes ;lorsque Narcisse se voit dans la source, ce n' est pas lui qu'il croit voir, mais un autre. IL tombe amoureux de cet autre, un autre homme dont la beauté le fascine, sans savoir que c'est son propre reflet dans l'eau qui l'attire.il ignore que ce reflet est son reflet

[13] cette imagedevient un objet érotique pour la mère. L'amour de soi  n'est que le prolongement de l'amour de l'autre pour soi! 

 
L'identité et la perte- Dr Pierre DECOURT

Dernière mise à jour de la page: 2 juillet 2009

 

Dr Pierre DECOURT

Psychiatre psychanalyste

Montpellier
 

Le concept d'identité fait l'objet depuis l'origine de la pensée de débats philosophiques contradictoires .Le cogito cartésien , la virulente critique nietzschéenne ne cessent aujourd'hui encore de nourrir de puissantes réflexions, repris par des auteurs plus proches de nous, comme E.Levinas[1] et P.Ricoeur[2].Dans le prolongement critique  d'une tradition philosophique anglo-saxonne ( Locke et Hume) Ricoeur oppose mêmeté et ipséité, et distingue deux significations majeures de l'identité. Pour Husserl, " la conscience du temps" est le lieu originaire de constitution de l'unité de l'identité en général, s'établirait ainsi, une équation entre identité personnelle et mémoire. L'identité serait ainsi suspendue au seul témoignage de la mémoire.

Heidegger différencie à travers l'exemple de la fidélité à la parole donnée," la permanence substantielle et le maintien de soi" .

La psychanalyse peut- elle à la lumière de l'expérience de la cure apporter quelque éclaircissement au débat? C'est assurément un défi que Freud a évité, tout en  posant les bases critiques d'un tel projet. C'est  dans le prolongement de celles-ci  que sont nées avec la prise en considération des pathologies narcissiques, des concepts essentiels.

Le concept d'Identité n’est pas pour certains un concept psychanalytique, mais nous savons, bien qu' absent du registre metapsychologique, il n'y a pas d'analyse sans quête identitaire, ou modification profonde du sentiment identitaire tant du coté du patient que de l'analyste. Etrangement, la conjonction des altérations du sentiment identitaire chez les deux protagonistes, constitue parfois les moments les plus mutatifs de la cure. Faudrait- il un minimum de vacillement identitaire pour que l'interprétation prenne toute sa force et sa profondeur? Ce point de vue a déjà été suffisamment démontré par de nombreux auteurs pour le considérer comme acquis.

Freud à propos de l' identité est gêné.Il limite délibérément à la fois son champ d'investigation, et le sens potentiel du concept, en évitant d'approfondir son equivocité. Nous savons qu'il parle d’identité à propos de la perception, ou de la pensée, et que les références dans le  " Projet de psychologie scientifique" fourmillent .Mais la référence à l'identité[3] se fait généralement pour introduire un élément de comparaison, avec un degré de symétrie entre des courants apparemment opposés qui traversent le fonctionnement psychique.

Freud perçoit dès 1889, avec la découverte de l'inconscient, que le concept d'identité ne peut être un concept metapsychologique, mais psychologique. Comme Nietzsche, Freud  y voit une catégorie dogmatique[4].A cause de la poussée constante de la pulsion, facteur d' instabilité, d'inachèvement et de son potentiel désorganisateur, il ne peut considérer l'identité comme une instance systémique en tant que telle. Il y préférera le concept demoi, objet de remaniements incessants, qui déborde, tout en la recouvrant partiellement, la question de l'identité et la prolonge du fait de ses racines inconscientes. N'est ce pas le potentiel de confusion inhérent à la notion de moi (rappelons qu'en allemand ich désigne à la fois moi et je) et son imprécision, qui conduira de nombreux auteurs à proposer une extension théorique enrichissante, d'autant plus argumentée qu'elle s'appuiera pour se définir, sur la prise en considération de la clinique actuelle des troubles identitaires qui imposent une reconsidération de la question de l'identité, précisément à partir de ses dysfonctionnements.

Nous chercherons au cours de cette contribution à aborder le thème de l'identité dans saparadoxalité[5]Si l'identité personnelle désigne ce qui est un, (au sens de l'adjectif qualificatif  utilisé pour désigner la réunion des parties et former un tout), comment articuler cette définition qui déborde largement le champ de la philosophie et de la psychanalyse, avec le thème de la bisexualité psychique et sa fonction organisatrice de notre imaginaire sexué révélée par la découverte du complexe d'œdipe et son élaboration.

Comment penser notre identité dans son unicité, en tant qu'être divisé?

 Pour cela nous prolongerons les pistes freudiennes, grâce en particulier au développement des travaux sur le thème du double - dont la problématique est consubstantielle de celle de l'identité- dans ses rapports avec le narcissisme. Nous essayerons aussi, d'inclure dans notre réflexion le rôle et la fonction de la langue comme support et véhicule de l'identité.

Nous militerons pour une approche de l'identité en terme de processus asymptotique, dont le moteur serait l'expérience psychique de la perte. Apres avoir tenté de la définir par ce qu'elle n'est pas ou ce quelle n'est plus, à l'examen de ses dysfonctionnements, nous en viendrons à considérer que l'identité se révèle, s'éprouve et se  définit dans la capacité du sujet à supporter psychiquement l'épreuve de la perte.

De quelle perte s'agit il? Perte et/ou plutôt altération à des degrés divers de la représentation de soi,  perte aussi et alors du dialogue interne entre le sujet et son double internalisé.

L'argumentation se développera à partir de l'étude des deux paramètres qui fondent l'identité, paramètres contradictoires, porteurs d'un fort potentiel de conflictualité interne.

Se dessine ainsi une opposition interne irréductible entre;

            L'existence d'un noyau depermanence  ou de continuité qui commeun fil conducteur permet la reconnaissance de soi, par soi même ou par autrui, et assure de fait " une mêmeté avec soi même" - il s'agit d'une fonction du narcissisme, qui vole au secours du moi menacé.

- La marque d'une différence, qui assure la singularité subjectivante- dont le je[6] en est l'expression la plus affirmée, en ce qu'il " objective" la double différence des sexes et des générations. On pourrait dire de ce point de vue, contrairement au poète, que je n'est pas un autre, (alors que moi est un, ou plusieurs autres) mais une instance différenciée et " différenciante" qui propulse le sujet vers son destin singulier.

La mise en tension de logiques contraires qui régulent  le fonctionnement du narcissisme et celui de la subjectivité, dont le je en est la manifestation langagière, engendre un écart, une béance, entre l'idéalité d' une identité à jamais établie et la poussée pulsionnelle éternellement insatisfaite, et désorganisatrice à l'égard de l'unité du moi. Cette béance, espace de fermentation de ce qu'il y a de plus spécifique en chacun, est le lieu même d'une discontinuité  propice au déploiement de l'identité, habitée par un deuil qui ne se réduit pas aux seules conséquences de la perte. Cet espace engage et nourrit un mouvement singulier, " d'investissement infini de sa propre représentation" [7], en quête d'une image internalisée, plus ou moins stable du sujet.


C'est à partir de ses dysfonctionnements, que se définit habituellement l'identité

1)          Si le thème de l'identité n'appartient pas à la métapsychologie, il n'existe pas de cure ou de demande d'analyse où la problématique identitaire ne se pose!

- soit quand l'émergence de la bisexualité affleure, engendrant alors incertitude de l'organisation de l'imaginaire sexué, révélant la précarité et l'ambivalence des  identifications secondaires.

- soit quand plus crucialement, les fonctions défensives et intégratives du moi se trouvent " outrepassées" (Racamier) en raison de la perméabilité de la barrière du refoulement qui traduit son dysfonctionnement.

-                Soit enfin, quand la limite entre le monde interne et externe vacille, se fait plus poreuse, selon la description qu' André Green propose avec sa théorisation de la double limite.

Comment alors définir l’identité? L' identité se trouve généralement définie négativement, par son envers. C'est par ce qu'elle n'est pas ou ce qu'elle n'est plus, par ses manifestations psychopathologiques, qu'elle s'appréhende alors. On parle de troubles de l'identité, avec l'apparition de phénomènes de dépersonnalisation, de déréalisation, d'inquiétante étrangeté. Se trouve là indiquée la proximité des troubles de l'identité avec le fonctionnement de l'inconscient dans ses rapports avec la négativité, et avec la faillite même partielle et temporaire de la fonctionnalité du refoulement.

Mais cela est insuffisant; les troubles de l'identité que nous venons de rappeler très brièvement ne sont pas les seuls témoins de la rupture de la barrière du refoulement ou de l'émergence de la négativité; certaines situations de la vie en dehors de toute considération psychopathologique bouleversent le sentiment d'identité. Plus précisément les brutales variations des investissements objectaux et narcissiques en libido, tels qu'ils se déploient dans la vie sexuelle ou l'état amoureux engendrent des effets de rupture[8]du sentiment de continuité. Le déplacement de grandes quantités de libido tel qu'il s'observe alors, peut produire des effets de même nature que ceux que nous évoquions et qui appartiennent au registre de la psychopathlogie. Freud explique ces mouvements de la libido dans la " Théorie de la libido et le narcissisme" . Il affirme pour cela que le moi doit " être considéré comme un grand réservoir de libido; de la libido est envoyée vers les objets et le moi est toujours prêt à absorber de la libido qui reflue à partir des objets" . L'idée d'un flux incessant entre investissement objectal et narcissique, susceptible de modifier le sentiment d'appartenance est souligné par Freud.

On observe ainsi qu' il existe une corrélation étroite entre la sexualité et la permanence de la représentation de soi., produit d'une intrication complexe et fragile entre investissement du moi et l'investissement narcissique, entre économie objectale et économie narcissique.Ainsi, sila sexualité organise la création du sentiment de continuité, tout le développement freudien en atteste, sa forme la plus aboutie qu'est la genitalité peut aussi produire l'effet inverse. Au cours de l'orgasme, en raison précisément des bouleversements libidinaux qu' il entraîne, la certitude de l'appartenance à son propre corps s'évanouit,  pour à son décours se renforcer.

 

Identité et paradoxalité

Toute approche de la question de l'identité doit prendre en considération deux paramètres contradictoires, porteurs d'un fort potentiel de conflictualité interne. Se dessine ainsi une opposition interne irréductible entre.

            - Un noyau depermanence, ou de continuité, qui commeun fil conducteur permet la reconnaissance de soi même par soi même ou par autrui, source d'une impression d'adequation," d'une mêmeté avec soi même" - il s'agit d'une fonction du narcissisme.

- et la marque d'une différence, qui assure la singularité subjectivante- dont le je[9] en est l'expression la plus affirmée.

La combinaison de ces deux paramètres contribuent ausentiment d'appartenance et à ses variations

Examinons quels sont les paramètres qui caractérisent ces effets de permanence et de différence avant de penser leur  difficile conciliation.

 

A) Permanence

Nous avons vu ce qui pouvait produire la discontinuité. Qu'est ce qui garantit le sentiment de permanence, de continuité et donne à chacun de nous l'assurance de sa propre identité, y compris dans le changement? Tournons nous vers la génétique et le problème de la reproduction non sexuée de l'espèce pour prolonger cette question et en montrer les limites.

Le clonage, la réduplication infinie du même, si elle confère une continuité à l'espèce,  engendre paradoxalement une incertitude identitaire maximale, rendant impossible l'identification au sens de l'individualisation du sujet au sein d'une communauté de semblables.

Le temps du clonage et de la réduplication à l'infini de l'individu, telle qu'elle pourrait se concevoir à partir de la manipulation du code génétique illustre ce paradoxe. Le clonage, obscurcit la question de l'identité au sens où nous, psychanalystes, cherchons à l'appréhender. Produire de l'identique viendrait à produire de l'indéfini, en l'occurrence de l'indéfinissable à l'infini. Cette hypothèse a le mérite de lier l'identité à la temporalité - liée elle même à une dose de répétition- en montrant que " l'éternel retour du même" ,(Nietzsche) signe la mort de l'identité du sujet dans sa particularité- sauf pour le surhomme, suggère l'auteur- qui trouverait là, l'occasion de se surpasser. Sortir du cycle infernal des réincarnations constitue dans une autre culture l'enjeu de la liberté, et de l'épanouissement.

Qu'est ce qui assure le sentiment de continuité, puisque ça n'est pas la reproduction du même?

Qu'est ce qui garantit cette étrange capacité de se souvenir de nous-mêmes, et tisse ce fil conducteur ténu mais sensible, au delà du temps qui passe?

 Peut-on concevoir des invariants qui nous définissent, et garantissent l' illusoire mais irremplaçable sentiment de continuité psychique quelques soient les vicissitudes de la vie psychique.( même lorsque notre conscience est évanoui, comme dans le rêve à condition qu'il puisse être interprété, chacun peut y repérer la mise en scène de sa personne ).Ces invariants sont ils à l'origine de la capacité de se retrouver après s'être oublié ou perdu dans ses souvenirs? Sont-ils le support de cette double reconnaissance, par nous même d'abord, puis par autrui. Marqueurs de notre singularité, sont-ils à jamais fixés au sein de notre vie psychique, lieu supposé de notre identité, objet pourtant de remaniements perpétuels. Les traces mnésiques inscrites à notre insu, selon des expériences émotionnelles propres à chacun, accumulées tout au long de  notre vie, constituent les fondements d'une histoire qui s'inscrit dans la diachronie de notre parcours. Elles scellent le passé dans une mémoire qui nous appartient. L'investissement de ces traces jouent un rôle déterminant dans la construction d'une représentation de soi auquel le double[10]contribue largement et dont la problématique est consubstantielle de celle de l'identité même si elle ne la recouvre que partiellement.

Qu'est ce que le double?

 

Le double est une figure instable, souvent composite qui recoupe plusieurs réalités, ce qui contribue à une grande confusion conceptuelle. L’utilisation du même vocable est-elle justifiée pour décrire une modalité psychique rattachée à une problématique œdipienne ou spéculaire et une autrequi relève davantage du narcissisme primaire [11]?

 C'est à la fonction organisatrice du double que je me référerai. Ainsi «  le  temps du double  », est un temps originaire donnant naissance à la construction de sa propre image, à partir des perceptions sensorielles de ses propres contours, pour dans un moment psychique particulier, sous l'impulsion " d'une nouvelle action psychique" - opérer un  rassemblement des différents auto-érotismes. La construction  du double auto-érotique, permet au sujet de s'auto-éprouver, à partir de la perception de l'image de lui même, de sa trace, qu'il identifie en la nommant, dans le miroir, qui peut être le regard de la mère( Winnicot). Le rôle du regard dans la constitution de la représentation de soi ne doit pas être limité à la simple création d’un auto- portrait, d'une auto - représentation, même si l  ’expérience perceptive de son propre reflet est un moment identifiant, constitutif  de l'image de chacun. En contribuant au passage du registre perceptif à celui de l'auto représentation pour, via le narcissisme conduire à l'investissement de l'objet, le double participe à la construction d' une identité primaire, matrice du sentiment de continuité psychique. Le double est une sorte d’interface entre auto- conservation - reproduction du même- et sexualisation- nourri par le plaisir du jeu, du cacher- montrer: L’amour pour l’autre soi même constitue le temps homoérotique[12]Le double est une étape médiatrice qui conduit de la perception de soi à la représentation de soi, à la mémoire de soi sur le chemin de la découverte de l' altérité.

 

Avec la construction d'une représentation de soi dont l'aboutissement jaillirait dans cette affirmation;" c'est bien de moi dont il s'agit" - avec " un indice de certitude absolue"[13]-se déploie un moment jubilatoire d' émergence fragile et trompeur du sentiment de continuité psychique. En effet ce temps est complexe, lié à la qualité de la relation que le sujet entretient avec l' image interne de lui-même. La construction de la représentation de soi, et la reconnaissance de soi, supposent un certain degré de décentrement - de dédoublement- de soi par rapport à soi même, toujours source d' une angoisse plus ou moins dépersonnalisante. Echafaudée par un effet de mise en tension de la capacité d’auto- observation, la spécularisation interne, nourrira, avec l'avènement du surmoi, la capacité d'auto- critique. S' instaurera un dialogue avec un autre- soi même interne, créateur d'un lien plus ou indéfectible qui tissera la trame de ce dialogue. 

La mémoire de soi se nourrit de ce dialogue et du lien, avec ce double interne qui se tisse et se " détisse" selon un rythme, celui de l'avant, de l' après, du temps en devenir.

Le double contribue à la naissance d'un dialogue interne à usage privé avec cet autre soi même, à la création d’une mémoire de soi, qui intègre à la fois le  perpétuel changement, «  en réfléchissant les progrès de la ruine sur le visage  »J.Dérrida[14]et la continuité, car " c’est cette mémoire de soi, qui quand on parle sans se voir, dirige notre propos, et les mouvements de notre corps, assure sentiment d’appartenance" .

Il ne peut y avoir de sentiment d'appartenance sans mémoire de soi. On pourrait considérer qu' à l'approche metapsychologique de l'identité se substitue celle de la mémoire, ce qui faisait dire en un temps pas si éloigné que la psychanalyse était un essai de théorisation de la mémoire. Cette position est trop réductrice: la psychanalyse n'est pas qu'une théorie de la mémoire fut elle inconsciente ; l'identité ne se résume pas à une mémoire de soi, mais peut être davantage à un oubli et à une redécouverte de soi.

Selon que l’on se place du côté du moi ou du côté du narcissisme,  nous voyons que le thème du double comme celui de l'identité, est au croisement de deux logiques. Ces deux logiques sont potentiellement porteuses de conflits. Le double sorte d’interface, révèle l’existence d’un conflit originaire irréductible entre la détermination unifiante (réduplication du même, c'est le double animique) et l’aspiration identificatoire du moi, porteuse de changements.[15]

B) Différence

 

L 'identité ne se résume pas à la reconnaissance d'une image spéculaire  et à l'intégration dans le moi de cette image. L'affirmation  de l'identité convoque aussi d'autres processus d'un tout autre registre, qui participent au processus de subjectivation[16].

Pour J.L.Donnet , le thème du sujet est dans l'œuvre de Freud partout et nulle part, il est en quelque sorte ubiquitaire.[17]Il y a une sorte de mis en suspens d' une théorisation du sujet.

Pour P.Ricoeur[18], l'identité est corrélative de celle de l'histoire racontée. C'est ce qu'il appelle la médiation narrative! C'est l'histoire racontée qui fait l'identité du sujetest ainsi introduit au travers du temps narratif le problème de la langue qui constitue le support privilégié de l'identité, sans oublier deux points que ne souligne pas Ricoeur. Le premier concerne la qualité de l'investissement dont la langue sera l'objet, le deuxième touche à l'importance de l'effet d'après- coup, qui donnera sens à l'expérience narrative du sujet.

En affirmant que «  La distribution des effets de l’inconscient sur le langage se manifeste à tous les niveaux sans privilégier aucun d’eux, de la phonologie à l’énonciation, en passant par la syntaxe plus le rythme et l’émotion  », A.Green montre le rapport étroit entre la langue telle que le sujet en fait usage, et son propre fonctionnement inconscient. A ce titre " l'histoire racontée" est à comprendre comme une fresque qui engage le sujet au travers de la langue," qu'il parle et qui le parle" , porteuse des manifestations de son inconscient qui surgissent à son insu, et qui confèrent à son dire ce qu'il y a de plus vrai en lui, et de plus insaisissable.

La psychanalyse a montré que l'affirmation originaire de la singularité de chacun s'objective avec l'apparition de la négation[19] et de son potentiel de violence. C'est l'affirmation du non qui est fondatrice de la  démarcation qui objective la différence du sujet avec autrui .Cette opération  de démarcation est le produit " d' une objectivation qui le subjectivise" . Le paradoxe est ici à son acmé. L' assertion langagière du sujetcompose l'autre versant de l'identité[20] et participe à l'inscription après-coup de celui ci dans le récit d'une histoire la sienne, à construire ou à reconstruire. Ainsi la " polyphonie intérieure" , pour reprendre l'expression de Anne Marie Merle Beral s'organise dans et par le non, temps fondateur de l'émergence d'un sens de soi en devenir. La négationpropulse le sujet dans le registre symbolique, dont le récit est la forme aboutie, récit qui s'adresse à l'autre.

 C'est pour illustrer la fonction de la langue dans la constitution du sujet que Lacan[21]  complète la description du stade du miroir défini comme expérience spéculaire, en marquant qu'il constitue le temps initiatique d’ intégration du corps et du langage .Ce moment différenciateur et séparateur conduit de la capture imaginaire- le temps du double- à la subjectivation - Je suis bien celui dont les contours se reflètent dans le miroir sur lequel mon regard se pose. Il ne s’agit pas seulement de l’expérience d’une identification fondamentale à la conquête d’une image, celle du corps qui structure le moi, mais d'une expérience de nomination, marquée par le non, dans sa double acception signifiante.

Le dialogue créateur qui s' institue entre soi et la  représentation internalisée de soi passe par la naissance d'une grammaire et d'un vocabulaire intime, à usage personnel , avec la mise en circulation de ce que  M.de M' Uzan appelle " les idiomes identitaires" , dont l'écart avec la fonction du signifiant paraît étroit. Pour se transmettre, ce dialogue à usage singulier doit " s'affronter aux vivantes servitudes du principe royal du logos." ; Le signifiant est au carrefour du dialogue intérieur avec l'autre soi même et des exigences du cadre syntaxique. La référence au signifiant comme marqueur, poinçon de l'identité y est essentielle.

Pour nous, le signifiant doit être compris comme participant à l’activité de représentation. Position différente de celle de Lacan qui paradoxalement, récuse tout pouvoir de représentation[22]au signifiant

C’est dans le rapport du sujet à la langue - la langue comme objet de la satisfaction pulsionnelle- que s' articule pulsion, représentation, corps, prolongeant, en la compléxifiant la notion d’identité. La langue est le champ où la subjectivité, composante essentielle de l'identité va se dévoiler et s' affirmer, se véhiculer. La langue messagère du désir, est le lieu où se projette ce qu’un sujet a de plus personnel et spécifique[23]  .Elle est le lieu où peuvent se manifester les forces pulsionnelles destructrices, capables de désarticuler le rapport du signifiant et du signifié, capables d'engendrer des mouvements de régression syntaxique et de desymbolisation, dont le délire est la forme la plus parlante.

 

C)L'identité comme processus

 

La psychanalyse peut s'enrichir d' une conception dynamique de l'identité .Elle exige la mise en jeu d'une combinatoire où les fonctions du moi et celles du je  garantissent le passage du" je  me vois" , à " je me représente," à " je pense. Le passage  à " je parle" introduit une conflictualité interne, et faitappel à d'autres processus, dont la perte est le moteur. Il s'agit alors de rétablir au dedans, de " réanimer" , l'objet perdu au dehors. C'est de cette élaboration sans fin, de la perte d'objet idéal, celui entre aperçu dans les reflets du miroir que naîtra le sujet en ce qu'il révèle la plus  grande proximité avec la part la plus authentique de lui même, c'est à dire la plus endeuillée.  

Si la cure se donne alors comme lieu de reprise possible des premières intégrations du corps et du langage elle revisite ce passage du perceptif au signifiant. Cette reprise se conçoit grâce au rôle du transfert qui crée un Espace transitionnel entre les deux acteurs, espace  qui se brise et se reconstruit après chaque séance. Cette rupture organise à la fois une discontinuité- dont la perte est l'illustration la plus patente- et paradoxalement une continuité dans l' expérience émotionnelle et signifiante. Confronté à l'absence de l'objet, l' hallucination joue un rôle temporaire dans le maintien du lien perdu avec l'objet. Même absent du champ perceptif, elle assure une présence  de l’objet investi, procurant  par cette substitution sporadique le remplacement d’une satisfaction réelle par une satisfaction de nature psychique. Ainsi l'hallucination révèle sa double fonction : maintenir le lien à l'objet absent[24], et préserver le narcissisme dépossédé d'un objet étayant enm aintenant la vie psychique en activité. La précarité du processus hallucinatoire, impose au signifiant  de prendre au plus tôt le relais de l' hallucination, d'amorcer le travail de deuil. Il appartient au signifiant de conduire la pulsion sur les chemins de la satisfaction et de préserver le moi des conséquences de la perte d e l'objet idéal. Ainsi l'identité se définit et s'éprouve dans  sa capacité  à supporter  l'épreuve de la perte, grâce à la mise en jeu de la fonction signifiante et de son pouvoir de représentation. Le moi, le self, au titre de signifiant de la subjectivité, participent à la naissance du sujet, qui pour J.Paulhan  est alors " confronté au mot dans son double pouvoir de véhiculer du sens et sa propre ruine" , " assujetti aussi - selonP.Ricoeur- à l'éprouvante synthèse de l'hétérogène" .

 


D)Conclusion

Nous avons constaté au cours du déroulement de ces brèves remarques que la pratique de la psychanalyse nous confronte à cette contradiction apparente

1° Le vacillement identitaire se révèle parfois comme un moment fécond de la cure, alors que paradoxalement, ce sont souvent les incertitudes identitaires qui conduisent au divan. Nous n' avons pas développé ce qui est un fait d'observation habituel, à savoir que l'interprétation prend souvent toute sa force si elle est précédée d'une sensible modification de nature généralement hypnotique des procédés défensifs qui eux mêmes participent à  l'identité d'un sujet.

2° La quête identitaire confronte chacun de nous à la division structurelle de l' être dont la bisexualité psychique est la manifestation la plus énigmatique, et qui révèle l'impossible représentation unifiée de soi. Comment penser l'impensable, c'est à dire notre propre division? Comment accepter la blessure de cette incomplétude, si ce n'est au prix de la confrontation avec la douleur imprimée par le  mouvement perpétuel de deuil de cette perte originaire, celle du paradis perdu, dont le mythe des origines est la forme la plus secondarisée. Est-ce pour cela aussi, que le renoncement au fantasme originaire de " l'unité perdue" et l'espoir de " recomposer l'antique nature" , chère à Platon n' est jamais totalement acquis!

En posant la question de l'identité dans son rapport complexe avec la perte de l'objet fantasmatique ou réel , la psychanalyse se démarque ainsi de la tradition philosophique, qui pose la conscience comme lieu singulier de la connaissance.

Contrairement à la proposition du " cogito" ,  la pensée consciente n'est pas une garantie de la permanence identitaire, du " je suis" .

Avec sa conception transcendantale du sujet, " deviens celui que tu es" , Nietzsche( Aphorismes) affiche un certain déterminisme parfois triomphaliste, auquel s'oppose le"Wo es war soll ich werden" freudienet son indice d' incertitude, d'espoir, et de pessimisme à la foisS'ouvre avec Freud  l'idée d'une ontologie de la connaissance de soi en devenir, d'une conquête douloureuse du moi- je( ich) sur le ça, d'une découverte possible du sens  de la perte, et de l' incomplétude propre à la division qui précisément nous définit. Freud lie ainsi de manière irréductible, la question de la connaissance de soi, de l'identité en devenir à la problématique de l'inconscient. Il suggère l'idée d'une conquête, d'une définition asymptotique  du sujet, sujet qui ne sera jamais totalement assuré non seulement de ce qu'il est, ou a été, mais de ce qu'il croit  dire et parfois penser.


Résumé

 

Le concept d'identité fait l'objet depuis l'origine de la pensée de débats philosophiques contradictoires. La psychanalyse peut- elle à la lumière de l'expérience de la cure apporter quelque éclaircissement au débat, alors que Freud en posant les bases d'une conception de l'identité, n'a pas inscrit ce concept dans le champ metapsychologique. Nous en examinerons les raisons, tout en essayant d' aborder la problématique identitaire dans sa paradoxalité. Comment en effet penser la continuité de l'expérience de soi et le changement, la permanence et la différence, à partir du dialogue qui va s'instaurer le sujet et son double internalisé.

Mots clés

Sujet, représentation, double, signifiant



[1] Levinas E .Autrement qu'être ou au de-la de l'essence. Livre de poche 1978

[2] Ricoeur P. Soi même comme un autre. Editions du seuil

[3] Freud.S ; Nous avons reconnus les relations étroites et même l'identité interne entre les processus pathologiques et les processus dit normaux " ,in Les Nouvelles Conférences "

[4] Granier J.Nietzsche, p110, P.U.F

[5] Le choix du terme paradoxalité ouvre à une dialectique possible des contraires qui composent le concept d'identité .On aurait pu lui préférer dans le prolongement de Locke celui d' indecidablilité ou d'aporie face aux  paradoxes parfois paralysants que soulève la question de l'identité. C'était alors renoncer avant d'avoir commencé.

[6] Cahn R. " Moi et je ne sont pas réductibles l'un à l'autre" , in Bulletin de la S.P.Pn°19 1991

[7] Guillaumin. J. L'objet de la perte dans la pensée de Freud;48°congrés des psychanalystes de langue française des pays romans: Genève 1988.

[8] Decourt P." C'est l'aspect proprement organisateur de la sexualité qui est mis en péril au moment de l'orgasme , comme si à l'acmé du plaisir génital, rien n' était plus estompé que les limites entre les deux partenaires, unis qu'ils sont comme ces statuettes Incas, pour ne faire  plus qu'un…" in Sexualité et représentation .Privat 1979.

[9] Cahn R. " Moi et je ne sont pas réductibles l'un à l'autre" , in Bulletin de la S.P.Pn°19 1991

[10] Nous ne pourrons ici en signaler toutes la richesse du thème du double, ni montrer les effets liés à l’irruption soudaine du double au sein du moi(inquiétante étrangeté, confusion ,dépersonnalisation, et déstructuration mentale. La répétition du même engendre l’inquiétante étrangeté  .On assiste alors à l'émergence de quelque chose qui était dans l’ombre, qui aurait du y rester, et dont le retour en  débordant le refoulement et les autres procédures défensives, menace l'activité synthétique du moi.

[11] Le double animique en est la forme la plus manifeste. L' autre, son double est indistinct du sujet .Ils entretiennent des rapports marqués par l'indifférenciation, la confusion

[12] Decourt P . Destins homoérotiques: homoérotisme et économies  psychotiques in L'Erotisme narcissique, Bergeret J et coll. , Dunod 1999

[13] M.de M' Uzan; " L'indice de certitude " in NRP, automne 1993.

[14] Derrida.J .Mémoires d'aveugles p 41

[15] Au  regard du narcissisme; la création du double narcissique flatte l'idéal du moi,( Le  double narcissique est le produit des projections idéalisantes de l’idéal du moi sur l'objet.).

 et assure la reproduction du même, manifestation de l' auto-conservation,  Le double narcissique doit se modeler selon les caractéristiques fidèles et immuables de l’objet conduisant à une fusion entre la représentation de soi et cet objet. C’est le temps mimétique de la pure spécularité, de la pure symétrie, de l’indifférencié marqué par le besoin d’étayage, le besoin d’obtenir un appui ,un apport narcissique extérieur pour assurer sa propre existence, mais à ce titre, il peut être au service de la pulsion de mort  ; le même s’affiche alors comme négation de la subjectivité..

Au regard du moi  ;

La fonction du double contient en elle même une autre valence  , objectale en sa nature. Elle ouvre à la dimension de l’altérité et du désir. Pour cela, elle institue une dialectique relationnelle entre l’identique et le différent. Se dégageant de l’identification primaire, le double conduit sur le chemin de l’altérité via le jeu des identifications secondaires. A partir de l'expérience du dédoublement " s’originera" les fondements de la bilatéralité, des doubles identifications, de la  bisexualité psychique.

 Le motif du double annule et reconnaît la différence des sexes, et joue un rôle majeur dans l’intégration de la différences des sexes.

L’ autre en ouvrant le sujet à l’ altérité bouleverse radicalement le monde de l’équilibre homeostatique.

Le moi fonctionne comme processus intégrateur de ces différentes fonctions du double, de ces courants antinomiques, animés par des finalités à la fois différentes, complémentaires, voire opposées, c’est à dire organisatrices et désorganisatrices à la fois. La finalité de l’une, rappelons le, est la préservation unitaire  ;symétrie  et continuité en constituent les paradigmes et participent à une procédure d’évitement du déplaisir, l'autre bouleverse l'équilibre par la mise en jeu des identifications secondaires, et leur cortège d'ambivalence.

[16] Green A." La théorie de la subjectivation installe à son fondement le mythe de la pulsion en faisant du sujet celui de la pulsion, présentifié dans la psyché sous forme de représentations et d'affects" .(1989)

[17] Donnet J.L." Du sujet " … L' après- coup in R.F.P. 6/91

 

[19] Dans l’article sur la Négation(1925)  S.Freud affirme, qu ’ «  Un contenu de  représentation ou de pensée refoulée peut donc se frayer la voie jusqu'à la conscience à la condition de se faire nier p136  ».

 

[20] Levinas.E, La dénomination désigne ou constitue des identités; op,cit ;p; 62

[21]Le passage  du perceptif à l'imaginaire par la médiation du langage.  »Lacan  (Ecrits p 69 )

[22] Lacan récuse toute fonction de représentation au signifiant, si ce n’est qu’«  il ne représente rien d’autre que le sujet pour un autre signifiant E180  », moyennant quoi, il est bien investi de cette fonction de représentation qui lui est déniée. Borch Jacobsen M. in Le Maître absolu, p.222 Flammarion 1990.

[23]Pour Pierce selon sa conception sémiotique de la langue, celle ci est l'interprétant de tous les autres systèmes de signes. Elle est un ensemble de codes grammaticaux, phonétiques fait de scansions, en mouvement permanent.

[24] Elle a de ce point de vue une fonction anti-deuil 

 
Incertitudes Identitaires et Nouveaux Paradigmes- Dr Pierre DECOURT

Dernière mise à jour de la page: 2 juillet 2009

 

Dr Pierre DECOURT

Psychiatre psychanalyste

Montpellier
 

La crise actuelle qui touche la psychiatrie est elle circonstancielle ou la récurrence d'un mouvement plus profond qui touche à l'identité même de la discipline         ?

l' histoire

les crises et leur fécondité

:trois ruptures,

histoire

Perpétuellement en crise , déchirée par des courants divers qui ont fait sa richesse , sa fécondité et ses promesses, la psychiatrie subit-elle aujourd'hui un ébranlement sans précèdent qui touche ses fondements? Tout porte à le croire. Les prophètes écrivent déjà la chronique d 'une mort annoncée de la discipline. Ne se heurtent ils pas à d' autres qui en contre point voient dans ces soubresauts salutaires la naissance d'un pragmatisme nouveau, prometteur au nom de la modernité qui étonnamment, se voudrait dégagée de toute idéologie.

 

Sommes nous face à une situation nouvelle, ou à la récurrence d'une histoire ancienne? En fait Les conflits, les crises ont perpétuellement traversés le temps. des qu 'il s'agit de se confronter à l'énigme de la folie. Toutes les interprétations données à la folie pour saisir ce quelle contient d'énigmatique, d'irrationnel et d'inquiétant ont soulevés des passions haineuses. tout aussi irrationnelles

A ce titre la psychiatrie n' a jamais été indemne de ces luttes passionnelles, Elle fut traversée tout au long de son histoire pourtant si récente, par des critiques hostiles ou des disqualifications pernicieuses?

Ce sont les conséquences de ces crises qui nous intéresserons, en ce que leur impact touche l'identité même de la discipline, et par voie de conséquence celle des psychiatres dans leur exercice

Pourtant je vais essayer de montrer que si les crises successives ont données naissance à une série de ruptures elles ont  permis la transmission à la période suivante d' un héritage, d' une nouvelle manière de voir et comprendre la folie Nous verrons que grâce à ces ruptures de nouveaux paradigmes surgirent (def khun)

Quelles sont ces crises? Elle sont au nombre de trois

On ne peut comprendre la situation actuelle sans un très bref rappel de ce que fut l' histoire de la folie. Ce sera pour nous l'occasion de nous interroger sur les raisons de l' éclatement actuel des principes qui pour une génération , la notre, en a fait l'attrait et la richesse.

La naissance de la psychiatrie

Jeune discipline, qui selon Foucault dans son " histoire de la folie" , la psychiatrie naîtra en fait au 19 siècle, de la volonté de la société de déléguer aux médecins la charge des malades mentaux. Les fous de ce fait venaient de changer de statut; la folie aussi. Elle gagnait une reconnaissance. elle ne serait plus jamais considérée comme la manifestation outrageante d'un funeste destin comme l'expression d'une expérience cosmique, ou surnaturelle, comme le fruit ou l'effet d'une possession divine. (Les innocents)

RUPTURE FONDATRICE

Le changement de statut social de la folie lui conférait une identité nouvelle .Le fou devait malade; la folie objet d'étude. Ce premier changement, est le fruit d'une premièrerupture,que l'on peut qualifier de fondatrice

Cette rupture originaire fit de la folie, une maladie, du possédé un malade qui devientobjet d'étude. Ce changement ne fut pas brutal mais le fruit d'un longue évolution .

C'est l 'héritage transmis par le siècle des lumières au cours duquel la pensée philosophique se trouva tout entière dominée par le primat de la raison Le legs transmis par la pensée de Descartes fut la véritable référence de ce courant philosophique qui rompra avec le baroque et le classique  cette première rupture marque le fin La fin d' une période bénie ou le fou était porteur d' un savoir inaccesible L'irrationnel perdait alors son pouvoir de fascination.

LAICISATION

Avec la laïcisation des phénomènes observés. disparaît l'idée, de purification, seul espoir jusque là d' une Rédemption, d'une guérison, grâce aux vertus de la conversion:

La THYRANIE DE LA RAISON

Exercera son pouvoir de manière particulière. le fou sera maintenu à distance; pire encore assimilé au déviant le fou, sera au nom de la tyrannie de la raison, rejeté, sa parole bâillonnée, parole qui par son incohérence dévalorisait d'avance les manifestations de la rationalité promue comme nouveau modèle de l' investigation de la condition humaine

Disparaît avec la conception divine de la folie chassée par l'avènement de la rationalité, toute une fantasmagorie merveilleuse, toute une esthétique du possédé, animée par cette fascination pour ce savoir inaccessible et redoutable prêté au fou. " La vertigineuse déraison du monde des insensés," inspiratrice des plus beaux chef d'œuvre de Breugehel , Bosch et tant d'autres, inspirés par ces malheureux embarqués dans ces nefs, étranges bateaux filant le long des rives de la rhénanie ou des canaux flamands. Cette déraison et son esthetisation donnait à l'homme sa véritable complexité: celle qui n'échappa pas à Erasme, constatant " ce spectacle divin qu 'est la folie des hommes" , spectacle ou la raison et la folie se côtoient; la folie s'attachant à la raison comme la raison s'attache à la folie. Réciprocité énigmatique d'ou naît cette vertigineuse déraison du monde.

L' EXCLUSION

Ce changement en appelait un autre! Apres avoir accueilli les lépreux et les malades souffrant d'affection vénérienne , les hospices offriraient les espaces nécessaires à l' abri des malades. Nous ne sommes pas encore à l'ère des asiles. Les malades mentaux seront encore tenus à l'écart, mais pour y être mieux observés, mieux disséqués pourrait on dire. Objet d'une observation méticuleuse, ils transcendaient à leur insu les pulsions voyeuristes des aliénistes, sorte d'entomologistes de l' âme, en une volonté obsédante de classer et de classer sans relâche. Une sublimation réussie en quelque  sorte.! L'ordonnancement des faits observés ne donnait lieu portant à aucune tentative explicative, sauf à alimenter les théories dégénératives La notion de faute non pas divine mais morale était toujours présente L'espace moral d'exclusion dont les malades étaient frappés n'avait en rien changé. L' évanouissement de la portée morale qui condamnait implicitement le malade s'accentua grâce à la prise en considération du dysfonctionnement somatique, responsable de troubles psychiques:

PRINCIPE DE CAUSALITE

C'est cette première rupture qui consacra l' introduction du principe de causalité, permettant de tisser un lien positiviste entre une cause [1]et son expression, fut elle psychique. [2] ( délire , confusion mélancolie etc avaient déjà chez les Grecs fait l'objet de rapprochements multiples avec l'état des humeurs),  Une étape essentielle venait d'être franchie. Le regard posé sur la maladie mentale avec le passage d' une détermination divine à un principe de causalité ne sera jamais plus le même. (il faudra attendre bien plus tard pour que ce principe soit mis en doute; P.Valéry indique que " Rien ne prouve que le principe de causalité soitapplicable en psychologie" . Dans le même sens, pour R. Thom [3], " La notion de cause est une notion trompeuse, la réalité est faite d'un réseau complexe d'interactions " )

La psychiatrie en tant que discipline naîtra selon ce principe de causalité en s'accolant aux disciplines médicales, la neurologie en particulier. Cet étayage éphémère conférant à la psychiatrie un statut identitaire précaire, une pseudo- identité, régulée par le principe de causalité [4]qui aura et a toujours la peau dure. cet étayage artificiel n'assurera pas pour autant la reconnaissance scientifique de la discipline, pourtant requise. Reconnaissance après laquelle elle ne cesse encore de courir

D'emblée corsetée la psychiatrie naissante éprouvait déjà quelques difficultés à affirmer son identité bridée par ce principe de causalité, éminemment réducteur

Deuxième rupture .psychiatrie et psychanalyse Une rencontre inévitablement manquée ou l'histoire d'un malentendu

Pour quelles raisons? Elles sont de deux types

1°Les raisons épistémologiques

                     GLISSSEMENT DE PERSPECTIVE

En renouvelant la réflexion sur la folie, la psychanalyse opère un glissement de perspective grâce auquel la différenciation entre l'irrationnel et le normal devient plusdifficile à saisir. Ainsi en faisant l'hypothèse d'une continuité structurelle entre processus morbides et processus psychiques " normaux" , Freud considère qu'il est en mesure de démontrer que la folie est l'oeuvre de l'emballement de certains mécanismes inconscients qui habitent chacun d'entre nous, à notre insu. La folie est susceptible de devenir l'objet d'une connaissance rationnelle, (évacuation du principe de causalité avec l'introduction du concept d'après-coup)plénitude offerte à la connaissance scientifique pour devenir théorie à partir de l'étude de nos propres pensées ,fantasmes, rêves etc....

                     EXPERIENCE SUBJECTIVE

De ce fait, la folie est considérée comme distanceprise par rapport à la raison, comme écart relatif , au sein duquel l'expérience subjective se déploie. Cela définit une opposition franche entre psychanalyse et psychiatrie; la référence au pathos constituant pour la psychiatrie le point à partir duquel une logique classificatoire, un pronostic, un traitement s'instituent .( opposition entre le malade comme objet d'étude et le malade comme sujet de sa souffrance)

Selon Freud" la psychiatrie reste incapable de donner des explications aux phénomènes observés" .

                     DEGAGEMENT DE PRINCIPES SCIENTIFIQUES

On ne pourra cependant nier qu' elles procèdentl'une et l'autre d'un même mouvement objectivant dont l' intention vise au dégagement de principes scientifiques. Toute interprétation animiste ou syncrétique du " mal" soit en termesde possession ou d'appartenance diabolique surnaturelle est récusé par chacune des deux disciplines.( premier point d e convergence)

                     DISCONTINUITE DES PROCESSUS PSYCHIQUES

La psychanalyse va cependant plus loin, prétendant constituer à elle seule une science. Sa démarche se singularise lorsque en affichant la continuité des processus psychiques à l'oeuvre dans la folie et dans l'état normal, non seulement le modèle organiciste paradigmatique, causaliste s'effondre, mais elle poinçonne de manière irréductible son originalité. Actes manqués, lapsus, affichent la discontinuité de l'activité du Moi, du fait de son hétérogénéité structurelle, discontinuité qui s'articule et s'oppose à la fois à la continuité qu'elle suggère entre folie et activité psychique " normale" .

                     L'ILLUSION DU TRAUMATO-CENTRISME

Pourtant, le retour en force de la théorie du traumatisme ( traumato-centrisme)aura rapproché un temps les deux disciplines, en inférant à une causalité plus ou moins repérable l'origine des désordres (deuxième point de convergence); la connexion objectivante proposée entre une altération organique et certains troubles psychiques avait en effet quelque chose de profondément logique et de cohérent.

                     Le temps de la réconciliation épistémique, avec le retour de la théorie du traumatisme via la théorie de laséduction précoce, aura été bref même si le modèle causaliste n'est pas absent de l'œuvre de Freud, loin s'en faut. Son intérêt pour la théorie du traumatisme évoluera mais ne faillira jamais, et c'est bien injustement qu'une traditionphilosophique française ( P Ricoeur  et J Hippolyte ) a considéré que l'irruption inattendue de ces " impuretés causalistes" devait être expurgée de toute référence métapsychologique digne de ce nom, afin d'assigner à la psychanalyse une fonction exclusivement herméneutique. cf P L. Assoun.([5])

2eme Raison ;les hommes

A partir de cette différence épistémologique irréductible les choses vont rapidement se gâter entre Freud et les psychiatres On ne peut ici en retracer l 'histoire, il suffirait de se référer à l'accueil que les psychiatres français en particulier ont réservés à la " nouvelle discipline scientifique"

Voici quelques morceaux choisis de ces relations tumultueuses

je cite Freud

- tous ces psychiatres et psychothérapeutes qui font cuire leurs petits potages sur notre feu sans même se montrer reconnaissants de notre hospitalité, ces soi-disant savants qui ont coutume de s'approprier les découvertes intéressantes de la science...([6]).

                     - Dans le cadre même de la médecine ,la psychiatrie, il est vrai, s'occupe de décrire les troubles psychiques qu'elle observe et à les réunir en tableaux cliniques, mais dans leur bons moments, les psychiatres se demandent eux mêmes si leurs arrangements purement descriptifs méritent le nom de science.([7])

                     -[1] " La méfiance du psychiatre a mis en quelque sorte la psyché sous curatelle et exige qu'aucune de ses motions ne trahisse un pouvoir qui lui soit propre"[8]

 

La troisième rupture qui donnera à la discipline une inflexion nouvelle et prometteuse, s' inscrira dans un contexte politique particulier animé par un profond mouvement de revendication généralisé, lié aussi aux promesses déçues Elle se manifesta brutalement , selon le mode d'une aspiration bruyante et politisée sur le terrain sociologique.  (le malade comme produit du socius malade)

En se dégageant en 1968 de sa tutrice tyrannique qu 'est la neurologie, qui lui faisait tant d' ombre , la psychiatrie dans un  mouvement animé par une forte revendication identitaire chercha à fonder son champ d'intervention sur de nouveaux fondements.

Cette quête pathétique porteuse de tant d'illusions la conduira alors tantôt du coté du somatique, tantôt du coté du social.

ANTIPSYCHIATRIE

Elle n'aura pas non plus résisté à l'effondrement des idéologies qui ont animés bien des courants, depuis la psychiatrie institutionnelle pure et dure, fondée sur le déni de la différence des sexes et des générations, en passant par l'anti-psychiatrie naïvement nourrie à la mamelle pernicieuse du déni de la maladie

En se raccrochant à ces sciences émergentes pleines de promesses, (les neurosciences ; la génétique; la pharmaco-genomique) les psychiatres ou plutôt certains d'entre eux commettent ils encore la même erreur? Evacuer la dimension intra-psychique à l'œuvre dans la maladie mentale! 

Désillusion et ASPIRATION MECANICISTE

Quatrième rupture épistémologique

(Le retour à l'objectivation )

Fascinés aujourd'hui par ces attracteurs séduisants mais réducteurs que sont les neurosciences, et la génétique en particulier, les psychiatres voient leur discipline menacée d' un véritable éclatement. Son unité  trompeuse s'est évanouie, décomposée en de multiples sous-ensembles, menaçant le projet même de son champ d'investigation qu 'est le sujet souffrant

Récapitulons les trois raisons au cœur de cette transformation qui ne sont pas le fruit du hasard ; les psychiatres y ont leur part!

1° La volonté d'en faire de la psychiatrie une discipline scientifique.[9]

excluant l'étude de la part d'irrationalité présente pourtant dans chaque) qui compose notre vie psychique. Ses conséquences engendrent un appauvrissement conceptuel qui dénature la complexité de l'humain

2°En laissant aux prescripteurs de tout poil la liberté de prescrire les médicaments propre à leur spécialité, ce que ces derniers font souvent avec talent et mesure, les psychiatres se trouvent doublement déshérites  et affaiblis dans leurs prérogatives en participant au démembrement de leur spécialité

3°enfin et surtout en abandonnant le champ de la " réalité psychique" (intériorité de la vie psychique)[10] et son exploration ,aux cohortes de psychothérapeutes plus ou moins identifies, les psychiatres ne laissent ils pas filer ce qui constitue le champ même de leur spécificité?

DISCUSSSION

Ce nouveau défi nous confronte pour citer P.Ricoeur à " l'éprouvante synthèse de l'hétérogène" . -

Nous ne pourrons avancer sans accepter une confrontation avec un certain nombre de paradoxes  liés à L'HETEROGENEITE DE LA PSYCHIATRIE;

1°Fiction clinique

2° Evaluation

3°Identité

 

1°Fiction clinique

Edmond est un jeune élève du conservatoire. Violoniste plutôt doué il découvrit sa passion des son jeune âge baigné dans l'atmosphère musicale que sa grand mère maternelle avait fait naître et su entretenir grâce à son goût pour le chant. Sorti dans un bon rang de l'école les difficultés commencèrent vraiment pour Edmond: Sa passion ne lui permettait pas de subvenir à ces besoins malgré l'aide de sa famille La confrontation avec les exigences de la vie, que sa volonté d'indépendance induisait, l'obligea à renoncer à l a perpective de faire une carrière artistique .IL se retrouva au Mac do du coin; à lire les partitions griffonnées des commandes des clients pressés. Quelques mois après cette conversion, de violentes douleurs abdominales apparurent progressivement, les dimanches, rythmées par la perspective du retour à son poste le lundi à 7heures.Les interventions médicales répétées s'avérèrent peu efficientes, et les examens dits complémentaires sans particularité, n'apportèrent aucun complément!.

Comment 'évaluer le symptôme digestif si ce n'est en terme de quantité, ( plus ou moins)sauf à prendre en considération la dynamique invisible sous jacente, que l'on entrevoit et qui nécessite un changement de paradigme,( pour en comprendre la fonctionnalité) introduisant subjectivité et histoire; c'est à dire la dimension diachronique; la souffrance psychique de l'artiste  indique quel que chose de profondément personnel qui le submerge, et apparaît dans les dédales d'une symptomatologie banale; je suis un artiste qui souffre de ne pouvoir vivre de ma passion, et je dis cette souffrance à mon insu par un détour inchiffrable au regard d' un approche evaluative standardisée. Mais cette souffrance ne prend sens qu'à la lumière de son interprétation; elle ne peut avoir de valeur généralisante.

Le symptôme indique  au moins deux choses; la souffrance d'un organe, et dévoile l'émergence d'une passion refoulée qui donne sens au symptôme; Il objective un signe et la réalité d'un conflit psychique et son destin détourné. La disparition du signe ne modifiera en rien la causalité, sauf à donner satisfaction au désir empêché dans sa réalisation

La seule prise en compte du symptôme selon une logique causaliste conduit à uneimpasse. En isolant le symptôme d'un contexte fantasmatique particulier propre à l'histoire d'Edmond, nous nous priverions d'une compréhension générale de sa souffrance et d'une réponse appropriée.

Mais La difficulté est grande d'apporter la preuve de ce changement afin de valider et de transmettre ce qui a été percu

2 Evaluation

 

-Le credo est le suivant

une méthode thérapeutique, faute d'être attestée par des preuves concluantes peut bel et bien être considérée comme dénuée de toute valeur substantielle"

Le corollaire de cette assertion est le suivant: Seule l' évaluation d' une méthode thérapeutique est en mesure de fournir des preuves concordantes, quant à son efficacité, à défaut de preuve elle sera considérée caduque.

-Un saut de nature qualitative

L'argument souleve sans le poser réellement un problème épistémologique complexe qui traduit avec l'introduction de l'exigence evaluative, un double changement de paradigme[11] ; Avec la volonté de propulser la médecine au rang des sciences dites dures, s'opère un saut de nature qualitative, révolutionnaire pour la pensée de ceux qui sont confrontés dans leur exercice à la complexité du fonctionnement psychique;

Les conséquences seraient les suivantes

-                La médecine ne serait plus hippocratique dans son essence en perdant l'exercice de cet l'art bien spécifique qui la caractérisait[12], fondée sur la relation interpersonnelle et ses effets.

-                Cette position imposerait un renoncement radical à toute approche psychopathologique, en ne faisant plus de la recherche du sens du symptôme ou de la souffrance le moteur du changement. La tradition herméneutique, s'évanouirait!

C'est à ce poin

         - P.Valéry indique que " Rien ne prouve que le principe de causalité soitapplicable en psychologie" . Dans le même sens, pour R. Thom [13], " La notion de cause est une notion trompeuse, la réalité est faite d'un réseau complexe d'interactions " . Pour le même auteur,l'approche réductionniste, (conséquence du principe decausalité)échoue face au phénomène quasi universel d'unehiérarchie de niveauxtelle que la métapsychologie freudienne en atteste dans saconception des instances psychiques. De façon plus générale la conception causaliste simplifie à l'extrême la complexité desphénomènes, dont les scientifiquesont tendance depuis 20 ans à faire l'éloge.

-Faut il se soumettre ou non à la problématique de l'évaluation?

La preuve est le produit transmissible de la rencontre de deux expériences émotionnelles partagées dans une même temporalité dont naîtra la conviction, parfois la certitude, dans tout les cas une adhésion nuancée, à la fois " irréductible et dubitative" [14]; On comprendra dans cette approche que sa modélisation soit complexe, et insatisfaisante au regard de l'exigence tutélaire.  Qu' est qu'une preuve en psychologie ou dans le domaine de la psychopathologie?

Une trace objective? Qu'est ce que l'objectivité dans le champ de l' intersubjectivité, de l'intrapsychique? Un accord tacite entre les protagonistes concernant la disparition de tel ou tel symptôme? Certes, mais qui peut garantir qu'il ne s'agit là que d' un effet de séduction, ou la manifestation d'une guérison paradoxale?[15]

Donnez moi la preuve de la validité de votre pratique ou de vos hypothèses alors que " la preuve est improuvable" !La pratique se fonde sur une conviction partagée qui engagent la subjectivité des acteurs. Cette petite perversion de la pensée en raison de sonfondement paradoxal cherche à satisfaire des exigences contradictoires scientifiques,  juridiques, thérapeutiques qui sont fondées sur des principes différents et selon des finalités qui peuvent opposées .Petite perversion de la pensée qui procède ainsi d'une superposition des objectifs, d'un amalgame réducteur. La demande d'évaluation est une injonction qui se caractérise par le coté aporétique de l'exigence et n' appelle que des réponses insatisfaisantes au regard de l'autorité, au regard de la science, et de la praxis. Elle est trompeuse, réductrice du point de vue de la complexité du fonctionnement mental. De ce fait, elle participe et entretien la confusion entre etiopathogenie centrée sur l'étude de l'apparition des troubles selon une temporalité complexe (après coup)et la psychogenèse, régulée par une temporalité linéaire, autorisant une articulation directe entre un événement et sa manifestation.

3°Identité et paradoxe .entre Discontinuité et permanence

 

UNE QUESTION METHODOLOGIQUE

Ce qui est approprié pour défendre l'identité d'un sujet peut il être pertinent pour son application à une discipline?

sommes nous en droit de parler d'identité en ce qui concerne une discipline , une théorie? Assignée généralement à définir ce qui caractérise un sujet, je propose comme hypothèse de réflexion d'opérer un glissement certes discutable afin de dégager les principes " identitaires" qui pourrait caractériser la psychiatrie

Mais ce que les travaux psychanalytique post freudien ont montré c'est que toute approche de la question de l'identité doit prendre en considération deux paramètres contradictoires, porteurs d'un fort potentiel de conflictualité interne. Se dessine pour le sujet, une opposition interne irréductible entre.

         - Un noyau depermanence, ou de continuité, qui commeun fil conducteur permet la reconnaissance de soi même par soi même ou par autrui, source d'une impression d'adéquation," d'une mêmeté avec soi même" - il s'agit d'une des fonctions du narcissisme.

- et la marque d'une différence, qui assure la singularité subjectivante- dont le je[16]en est l'expression la plus affirmée; ce qui me permet de me différencier d'autrui.

La combinaison de ces deux paramètres contribuent ausentiment d'appartenance et à ses variations avec un certain degré de paradoxalité qui fait qu 'aujourd' hui je suis différent d'hier et déjà autre que  ce que je serai demain mais pour autant le même

CONCLUSION

Les crises successives ont considérablement modifiées le statut du fou L' enseignement de ces crises et ruptures sont elles un facteur de progrès? Je le crois profondement.

De possédé , d'innocent, il deviendra avec le siècle de lumières un être source d'intérêt et d'étude sous couvert de rationalité

Avec la psychanalyse naîtra un formidable espoir. La dignité du malade s'en trouvera grandie, il n'est plus si étranger à nous même

La crise actuelle sonne t' elle le glas de la discipline?

Elle apparaît pour certains comme une immense régression, l'approche biologique et génétique nous éloigne de cette rencontre si particulier qui fait l 'honneur et la richesse de la spécialité

Les discussions avec les chercheurs montrent leur enthousiasme et leur optimisme qu 'il faut au nom d'une ouverture d'esprit respecter/Elles conduisent assurément à ce que la psychiatrie marque son identité?

La discipline doit affronter si elle veut survivre , ce terrible paradoxe

Affronter la part d'irrationnel et sa richesse fruit de la complexité humaine et de ses déviances

Affirmer sa dimension scientifique sans se résoudre au seul pragmatisme offert par le constat de la disparition de symptômes, Mais en la rendant transmissible, tout en sachant que La conception erronée de la science se révèle dans la soif d'exactitude Karl Popper[17],

 



[1] Cette approche découle d' un des axiomes fondamentaux de la pensée Kantienne à savoir le principe de causalité(" tous les changements arrivent selon la loi de liaison entre la cause et l'effet" ) .

[2] Pinel 1793 la déformation du crâne de certains aliénés. On retrouve déjà dans les ouvrages grecs et romains un conception localisatrice puisque pour Alexendre de Tralles" la sensibilité a son siège dans la partie antérieure du cerveau. La pathogénie est dominée par la théorie humorale

[3] Thom R. Paraboles et catastrophes; Fammarion 1984  p,133

[4] [4] Thom René. "   les théories du traumatisme  ; une manière hasardeuse d’introduire la notion de causalité; en fait la notion de cause est une notion trompeuse, intuitivement elle paraît claire alors qu’en réalité elle est toujours faite d’un réseau subtile d’interactions" in Paraboles et catastrophes" Flammarion 1984, p: 133.Cette critique prend  aujourd'hui toute sa valeur à l' heure ou le traumato-centrisme hante les manuels explicatifs et réducteurs du comportementalisme.

[5] Assoun P L Introduction à l'épistémologie freudienne Payot 1981

[6] Freud S.Révision de la théorie des rêves in Nouvelles conférences sur la psychanalyse coll Idées 1971 p12

[7] Freud S Introduction à la psychanalyse op cit p11

[8]

[9] Popper Karl . in La logique de la découverte scientifique; in Payot , Paris 1982

[10] Freud  L' interprétation du rêve in Œuvres complètes P.U.F p 71.72 La méfiance du psychiatre a mis en quelque sorte la psyché sous curatelle et exige qu'aucune de ses motions ne trahisse un pouvoir qui lui soit propre

[11] Kuhn Thomas S, La structure des révolutions scientifiques, Flammarion 1982

[12] Fort heureusement la pratique renvoie sans cesse à la méditation du praticien face aux incertitudes de la clinique dont l'effet placebo n'est pas le moindre.

[13] Thom R. Paraboles et catastrophes; Fammarion 1984  p,133

[14] " une croyance selon Heidegger qui va au dela des choses percues" (Heidegger Questions 2 commentaire de Platon la caverne)

[15] On comprend mieux que l'hystérie ne figure pas dans les classification modernes .Elle subvertit toute rationalité affichée et invalide la logique causaliste.

 

[17] Popper Karl R, La logique de la découverte scientifique, p 287 Payot 1982

 

 
 
Entre Clivage et Confusion- Dr Pierre DECOURT

Dernière mise à jour de la page: 2 juillet 2009

 

Dr Pierre DECOURT

Psychiatre psychanalyste

Montpellier
 

 C'est le psychiatre et non la psychiatrie qui s'oppose à la psychanalyse.

             S. Freud([1])

     Il ne serait pas du tout impossible que ces contre indications (psychoses, états confusionnels ,mélancolies profondes) cessassent d'exister si l'on modifiait la méthode de façon adéquate et qu'ainsi puisse être constituée une psychothérapie des psychoses.

             S. Freud([2])

     Pour moi il a été extrêmement intéressant de découvrir qu'autant le travail avec des patients gravement malade nous aide à comprendre les conflits les plus profonds des individus moins malades,autant le travail avec les moins malades nous aide à comprendre les patients beaucoup plus malades ,et donc,dans bien des cas s'exprimant plus difficilement.

             H. SEARLES([3]3)

 

 

           Notre intention au cours de cette contribution visera moins à développer les interactions entre psychiatrie et psychanalyse qu'à tenter de réfléchir aux problèmes internes,et épistémologiques que soulève l'exercice conjoint des deux disciplines.

           L'analyste peut être confronté à la pathologie psychiatrique en différentes occasions.

           - lorsqu'il exerce une double activité de psychanalyste et de psychiatre .

           - ou lorsque  dans le déroulement de certaines cures, il devient le témoin de l'irruption de désorganisations psychotiques généralement passagères de l'activité du moi.

 

Influences et Resistances

 

     Si les pratiques spécifiques à chaque discipline ont pour objet la souffrance psychique,elles s'observeront toutefois selon des angles extrêmement différents.Cette différence s'est trouvée amplifiée avec l'évolution de la pathologie mentale,dont les modes d'expression,leur causalité,et les réponses qu'elles appellent,ont bouleversé les modèles référentiels habituels. Ces disciplines gardent des points de vue souvent contraires,tant dans leurs buts que dans leurs éthiques respectives.

     L'intérêt commun partagé initialement par Freud et les psychiatres,a porté sur les états hypnoïdes et la pathologie hystérique ,et a semblé dés l'origine prometteur.Se sont tissés,des liens tenaces, entre ces deux disciplines, faits de réciprocités,de malentendus et de conflits;Ces conflits,parfois féconds, étaient animés par une difficulté concernant chacune d'entre elles, à définir ses propres limites,son propre champ d'action,ou ses prérogatives.Les enjeux ont été de niveau " identitaire" . Ces conflits font partie de notre héritage.Ils fleuriront avec le temps,et les époques, même si leur objet reste le même, à savoir le rôle que Freud attribuera à l'inconscient ,rôle contesté longtemps et peut-être aujourd'hui plus qu'hier par la communauté médicale et psychiatrique internationale.

     Freud pour sa part a largement contribué à soulever des réticences considérables chez les psychiatres, à la communauté desquels il n'appartenait pas. En voiçi quelques brévesillustrations;" tous ces psychiatres et psychothérapeutes qui font cuire leurs petits potages sur notre feu sans même se montrer reconnaissants de notre hospitalité,ces soi disant savants qui ont coutume de s'approprier les découvertes intéressantes de la science...([4]).

Dans le cadre même de la médecine ,la psychiatrie,il est vrai,s'occupe de décrire les troubles psychiques qu'elle observe et à les réunir en tableaux cliniques,mais dans leur bons moments, les psychiatres se demandent eux mêmes si leurs arrangements purement descriptifs méritent le nom de science.([5])

           Afin d'essayer de comprendre comment les interactions théorico-cliniques entre psychiatrie et psychanalyse peuvent se concevoir aujourd'hui,il convient d' examiner les enjeux épistémologiques,et praxéologiques qui différencient ,et singularisent psychiatrie et psychanalyse..

           En renouvelant la réflexion sur la folie, la psychanalyse opère un glissement de perspective grâce auquel la différenciation entre l'irrationnel et le normal devient plus difficile à saisir.Ainsi en faisant l'hypothèse d'une continuité structurelle entre processus morbides et processus psychiques " normaux" , Freud considère qu'il est en mesure de démontrer que la folie est l'oeuvre de l'emballement de certains mécanismes inconscients qui habitent chacun d'entre nous, à notre insu.La folie est susceptible de devenir l'objet d'une connaissance rationnelle,plénitude offerte à la connaissance scientifique pour devenir théorie à partir de l'étude de nos propres pensées ,fantasmes,rêves etc....

           De ce fait, la folie est considérée comme distance prise par rapport à la raison,comme écart relatif , au sein duquel l'expérience subjective se déploie.Cela definit une opposition franche entre psychanalyse et psychiatrie;la référence au pathos constituant pour la psychiatrie le point à partir duquel une logique classificatoire,un pronostic, un traitement s'instituent .Selon Freud" la psychiatrie reste incapable de donner des explications aux phénomènes observés" .

           On ne pourra cependant nier qu' elles procédent l'une et l'autre d'un même mouvement objectivant dont l' intention vise au dégagement de principes scientifiques.Toute interprétation animiste ou syncrétique du " mal" soit en termes de possession ou d'appartenance diabolique surnaturelle est récusé par chacune des deux disciplines.

           La psychanalyse va cependant plus loin, prétendant constituer à elle seule une science.Sa démarche se singularise lorsque en affichant la continuité des processus psychiques à l'oeuvre dans la folie et dans l'état normal, non seulement le modèle organiciste paradigmatique,causaliste s'effondre, mais elle poinçonne de manière irréductible son originalité.Actes manqués,lapsus,affichent la discontinuité de l'activité du Moi,du fait de son hétérogénéité structurelle, discontinuité qui s'articule et s'oppose à la fois à la continuité qu'elle suggère entre folie et activité psychique " normale" .

           Pourtant,le retour en force de la théorie du traumatisme aura rapproché un temps les deux disciplines ,en inférant à une causalité plus ou moins repérable l'origine des désordres;la connexion objectivante proposée entre une altération organique et certains troubles psychiques avait en effet quelque chose de profondément logique et de cohérent.Cette approche découle d' un des axiomes fondamentaux de la pensée Kantienne à savoir le principe de causalité(" tous les changements arrivent selon la loi de liaison entre la cause et l'effet" ) .

           Le temps de la réconciliation épistémique,avec le retour de la théorie du traumatisme via la théorie de la séduction précoce, aura été bref même si le modèle causaliste n'est pas absent de l'oeuvre de Freud,loin s'en faut.Son intérêt pour la théorie du traumatisme évoluera mais ne faillira jamais,et c'est bien injustement qu'une tradition philosophique française ( P Ricoeur  et J Hippolyte ) a considéré que l'irruption inattendue de ces " impuretés causalistes" devait être expurgée de toute référence métapsychologique digne de ce nom,afin d'assigner à la psychanalyse une fonction exclusivement herméneutique. cf P L. Assoun.([6])

           En réalité le débat de fond est le suivant ; la fonction thérapeutique de l'analyse reste-elle comme seconde par rapport à sa fonction épistémologique et explicative,en quoi elle s'opposerait de maniére irréductible à la démarche " médico-psychiatrique" ,dont la finalité plus pragmatique vise la disparition du symptôme.

 

Pychanalyse et psychothérapie institutionnelle:un malentendu?

 

               Si le formidable espoir que portait avec elle la psychanalyse s'est sensiblement modifié ces dernières décennies, son influence aujourd'hui au sein des milieux psychiatriques reste bien présente,certes marquée d'une ambivalence significative, comme le font remarquer très justement les auteurs de l'argument proposé .

           Freud fut le premier à élargir en les extrapolant les découvertes nées de l'étude de l'inconscient,les appliquant à des champs d'étude autres,la pathologie psychiatrique étant originairement désignée pour fournir aux concepts métapsychologiques un terrain d'étude et d' application privilégiés. La psychanalyse influença à la fois la compréhension de la maladie mentale, et favorisa le développement et l'organisation des structures chargées d'accueillir les patients ,ainsi que les pratiques institutionnelles.

           Pourtant le retrait historique de Freud de l'institution soignante pour des raisons liées à l'extrême complexification des problèmes transférentiels ne parait pas avoir focalisé pleinement l'intérêt des thérapeutes ayant une activité en Institution .Freud écrira pourtant:" D'ailleurs,les phénomènes de transfert négatif sont choses courantes dans les maisons de santé,et, dés qu'ils se manifestent ,le patient quitte l'établissement,sans être guéri,ou même dans un état aggravé..." Au point de vue du traitement ,il importe peu que le malade puisse surmonter dans une maison de santé., telle ou telle angoisse ,telle ou telle inhibition ;ce qui compte au contraire c'est qu' il parvienne dans la vie réelle à se libérer de ses symptômes " ([7]). Le renoncement de Freud aux visites des patientes dans des maisons de santé,consacrera à jamais la rupture avec sa pratique en institution.C'est peut être davantage la difficulté d'analyser les phénomènes de transfert que leur contenu érotique qui présida à son renoncement à exercer en " institution" .

           Un courant psychiatrique français réfute,tout en se réclamant de la psychanalyse,([8])les particularités des phénomènes de transfert tels que l'exercice en institution les révèle, les amplifie ,voire les rend insolubles.Si le bref " exercice institutionnel" de Freud s'avéra source de multiples déconvenues, il fournira pourtant de multiples enseignements.Il n'y a pas de notre point de vue, de psychanalyse institutionnelle,mais présence parfois de psychanalystes qui peuvent influencer et aider le fonctionnement de l'institution.Le repérage des mouvements répétitifs débouchera non pas sur des interprétations ,mais sur des stratégies thérapeutiques adaptées. Il nous semble que la psychothérapie institutionnelle en incorporant mal, bien des concepts issus du champ de la psychanalyse, n'a pas rendu justice à l'expérience de Freud quant à la question du transfert dans les institutions

L'appropriation des concepts métapsychologique pour rendre compte de la nature et de la régulation des échanges au sein d'une institution pose de sérieux problèmes épistémologiques .La pratique psychanalytique est née d'un non fondateur de Freud, de son retrait de l" institution" , d'une expatriation,donnant naissance à un nouveau site,à une nouvelle instrumentation,à un cadre défini .Ainsi sera promu " un processus  d'exploration et d'exploitation du site qui résulte de la séquence indéfinie ,de l'interaction entre le patient et le site" .([9])

           Nous pouvons affirmer que la fondation de la Psychanalyse s'est faite sur le négatif de l'institution;aussi garde t'elle à l'égard de celle ci,une dette .

           L'espoir d'une continuité,d'une communauté d'intérêt demeurerait-il entre psychiatrie et psychanalyse ? C'est que Freud([10]) proclame:" une contradiction entre ces deux ordres d'études dont l'une continue l'autre ,est inconcevable" .

 

Ruptures épistémologiques:

 

La singularité de chacune des disciplines s'est d'un point de vue épistémologique également organisée autour de conceptions différentes de la temporalité.

               Avec le dégagement d'un principe déterminant,l'aprés coup, présent très tôt dans les textes de Freud, dés le projet de psychologie scientifique se profile une différence radicale concernant la conception du temps dans ses rapports avec l'événement traumatique et son histoire.

           La conception psychanalytique de l'après coup réfute l'idée même d'une linéarité entre un événement causal et son expression symptomatique,d'une action directe du passé sur le présent.Dans les études sur l'hystérie et ailleurs,en particulier dans l'Homme aux Loups, Freud montrera comment un événement initial ,une séduction précoce plus précisément, prendront bien plus tard une signification sexuelle ,à l'occasion d'une nouvelle expérience de séduction ;c'est ce deuxième temps qui lui consacrera son poids traumatique .

           Nous sommes donc là face à deux conceptions du temps qui divergent notablement, ne s'excluent pas,mais qui colorent toute compréhension psychopathologique de manière spécifique.

           -    une conception linéaire qui trace une ligne directe entre une cause et son expression ,et définit une axiomatique spécifique au champ médical .

           -    une conception différente qui donne (déjà) à la répétition un pouvoir particulier,une nouvelle efficacité psychique,parfois même un nouveau sens.On sent bien qu'elle est à la fois une condition nécessaire au développement de la théorie , mais qu'elle peut traduire une double défaite ;celle de la raison scientifique(on se souviendra de l'accueil fait à la deuxième topique,considérée comme un égarement spéculatif de son auteur),et celle de l'espérance utopique.

           Freud n'est pas un prédicateur, hanté par le temps certes, celui de sa propre mort.Il affirme constamment l'impossibilité de prédire l'avenir tout en sachant ce qu'il doit à Nietzsche, convaincu que sous le foisonnement infini des événements aucun grand dessein n'organiserait le chaos;la fatalité de la répétition du même, inéluctable et sans espoir.Freud est un penseur de l'improbable ,de l'incertain ,de l'aléatoire, dirait on aujourd'hui ,tout en étant habité par la nécessité inéluctable du progrès face à la souffrance psychique et à ses modalités particulières d'expression. Elle constituera inlassablement la source de ses " spéculations" et sa raison sur un fond de déterminisme relatif.

           Ces deux conceptions du temps n'en excluent pas d'autres à l'oeuvre dans le fonctionnement de l'inconscient,aux cotés des précédentes . Ces temporalités évoluent selon leurs propres logiques tout en se recoupant et s'influençant l'une l'autre.En leur point particulier de recoupement,voire de convergence et d'alliance, se definit un lieu privilégié d'observation,et d'interrogation du fait psychopathologique.A partir de ce lieu géométrique fleurissent des champs d'interrogation et d'incertitude voisins qui se concentrent sur certains désastres psychopathologiques. " Le psychisme paraissant le plus asséché(le temps encore dans son rapport à la mort) par un processus vicariant surprend alors par sa compléxité,par ses contradictions et sa capacité de découverte,d'ou la nécessité d'employer de nouvelles références semiologiques([11])" .

           Notre réflexion trouvera son assise précisement au lieu même de ces incertitudes,là ou les modèles théoriques se recoupent avant de s'éloigner,pour se retrouver encore et se perdre à nouveau ,au croisement de deux logiques dont la cohabitation redistribueles exigences métapsychologiques et éthiques de manière nouvelle et probablement inconciliable.Le lieu particulier d'observation défini, reste à forger l'outil à l'aune duquel peut se mesurer les influences respectives ,et les enrichissements qui peuvent en naître.

           Comment une pratique double de psychiatrie et de psychanalyse peut elle cohabiter? A quelles exigences éthiques doit elle répondre? Quelle disposition psychique requière t'elle?

 

Au croisement de deux pratiques: Entre clivage et confusion.

 

           S'il était concevable il y plusieurs années d'exercer le métier d'analyste exclusivement,aujourd'hui il n'est pas rare que nos collègues accumulent en plus de leur exercice analytique d'autres activités psychiatriques, universitaires ...L'époque n'est pourtant pas lointaine ou il était courant d'entendre dire par des analystes expérimentés ,peut être avaient ils raison ,que la psychanalyse était comme la musique :il n' était pas concevable lorsque l'on voulait devenir soliste de ne jouer de son instrument que deux ou trois heures par jour!Il fallait y consacrer tout son temps, voire sa vie.L'exemple de Freud accrédite largement ce point de vue. Pourtant force est de constater que les choses ne vont plus ainsi!

           Nous n'évoquerons pas les problèmes rencontrés par les collègues analystes qui excercent comme consultants externes ou superviseurs au sein d'institutions psychiatriques. Leur modèle référentiel est fondamentalement approprié pour rendre compte dans l'après coup interprétatif et théorisant de leur écoute d'un point particulier du matériel proposé,leur exercice reste en permanence guidé par l'émergence et la valorisation du latent  dans ses rapports avec le désir.

           Le problème est tout autre lorsque les pratiques imposent la délimitation de deux espaces de travail,de deux cadres différenciés,notamment pour les patients psychotiques,qui nécessitent un environnement thérapeutique spécialisé . Comment les psychiatres psychanalystes " travaillent " ils au sens psychique du terme, la référence à des modèles théorico-pratiques foncièrement hétérogènes aux finalités divergentes, et parfois opposées.

           Les modalités d'intégration de ces différences au dedans du moi sont multiples.Pour certains praticiens, ces différences sont tout simplement niées.Les conséquences immédiates, aisément repérables sont les suivantes ; un secteur de l'activité professionnel sera largement idéalisé, au détriment de l'autre déclassé .Se pose naturellement le problème du clivage dans sa dimension défensive, qui sous tend une telle position ,et de ses conséquences sur l'économie psychique de l'analyste.Pour le coup, en séparant le bon grain de l'ivraie,il lesterait la resistance d'un poids particulier,en raison de l'absence d'élaboration du conflit interne.A l'idéalisation, ferait écho la dimension persécutive projetée sur le secteur d'activité moins investi,sinon desinvesti.On imaginera aisément le fondement narcissique, et ses répercussions contre-transférentielles, qui cimenteraient un tel positionnement,face à l'impossible intégration de la conflictualité liée à l'usage de méthodologies disparates.

           Continuons à examiner pour l'instant, l'approche des pluralités intégratives de modèles référentiels singuliers,et leur conséquences praxéologiques.

               a)Juxtaposition :il y aurait en quelque sorte une continuité isomorphique ,un prolongement plus ou moins harmonieux entre deux pratiques différentes, mais reconnues comme telles soumises à la prévalence référentielle du modèle analytique dont le champ d' application déborderait largement celui auquel elle est historiquement circonscrit. C'est ce qu' H.Searles observe chez les thérapeutes dont la générosité,et le désir de guérir s'expriment ouvertement,y compris dans le cadre de cures analytiques cachant en réalité une fantasmatique complexe, axée sur la toute-puissance narcissique,Le conflit méthodologique est encore détourné dans un évitement phobique du cadre et de ses exigences pour sauver les identifications du moi.Toute capacité d'attente et de soutien d'un certain degré de paradoxe fait défaut. La confusion se maintient et se développe au sein d'un imaginaire redoutant l'intégration des charges pulsionnelles violentes.Le conflit méthodologique, avec ce qu'il recouvre comme problématique à la fois narcissique et oedipienne demeure enfoui.

               b)Complémentarité ;conséquence de la première modalité,l'ensemble de la souffrance psychique serait peu différencié en termes de profondeur,de qualité, d'économie , couverte par des pratiques thérapeutiques s'articulant les unes aux autres sans aucune contradiction, selon un principe homologique aseptisant toute hétérogénéité créatrice.

               c)Conflictualisation;elle est le produit de l'affrontement intériorisé de modèles référentiels différents voire contradictoires ,regulés par des logiques ayant leur propre cohérence .Mais ayant des fondements et des finalités spécifiques,ils ne peuvent cohabiter qu'au prix d'un travail psychique incessant.Cette capacité suppose l'existence d'un espace psychique possédant une organisation interne suffisamment différenciée pour conférer aux objets des régimes d'investissement divers dans une ambivalence créatrice.L' enjeu dans cette éventualité,étant la disposition interne de l'analyste à se mouvoir analytiquement au sein d'investissements théorico-cliniques multiples, parfois antinomiques.Ainsi face à une décompensation psychotique malgré le poids de l'angoisse dont il devient le porteur et parfois le messager auprés d'une famille désemparée ,parviendra t'il à garder cette aptitude profonde et fragile à considérer que l'expérience délirante est une production à la fois défensive et créatrice.Parce qu'elle expurge une conflictualisation silencieuse et secréte,chargé d'un désir en opposition avec les contraintes de la réalité,elle surgit pour tenter de renouer quelque chose de vivant avec objet.C'est au prix d'une profonde et patiente intégration de la valeur et de la fonction des processus de métaphorisation et de figurations,dans leurs relations avec les forces inconscientes sous jacentes en particulier destructrices, qu'il parviendra à preserver le developpement de ses capacités de compréhension du processus psychotique en cours. Autrement dit ,c'est le rapport subjectif qu'entretient l'analyste avec la folie qui se trouve posé.La métabolisation de ce rapport avec les incertitudes,les obscurités qu'elle recèle offre une autre possibilité d'écoute plus secondarisée affinant ses capacités d'accueil de la maladie mentale .Face à l'imbrication théorico clinique plus ou moins confusante produite par des axes référentiels hétérogènes, l'engagement subjectif de l'analyste dans l'expérience de la déraison quelqu'en soit sa forme est ce qu'il y a de plus sûr comme guide, s' il parvient a accepter les risques encourus ,à savoir les effets de la déliason sur ses propres certitudes, sur sa psyché .

            En devenant l'observateur de son propre moi au travail,au prix d'une sorte de dédoublement auto-representatif de sa propre activité élaborative ,en particulier dans les instants de profonde incertitude, une rencontre authentique se produira,avec lui même et l'autre ,offrant à la compréhension de la folie de nouvelles pistes.La formation d'un rêve obscur en un contenu clair et compréhensible était pour Freud l'occasion de se réjouir et d'espérer en la valeur de ses recherches.

           La disparition d'un symptôme par une prescription pertinente peut à juste titre être considérée comme pouvant procurer une satisfaction professionnelle au prescripteur,mais elle repond à une autre prise en considération de la souffrance,qui ne s'articule pas avec le modéle précédent. Les choses deviennent beaucoup plus compliquées lorsque une seule et même personne peut jouer du fait de ses compétences professionnelles sur les deux registres à la fois, en théorie du moins.

           Qu'est ce qui préside à ces choix thérapeutiques?Est ce precisement la peur d'affronter les conséquences pour soi même de la folie de l'autre ?

           Quel pouvoir thérapeutique attribue l'analyste à l'interprétation en dehors de son site originaire qu'est la cure? En quoi les effets de sa propre parole sur le" materiel" modifieront ils le rapport intime qu'il entretient avec sa" foi" dans son engagement psychanalytique et son efficience.Cela infléchira t'il ses conduites thérapeutiques et sa position à l' égard de ses idéaux et de son éthique?

Il n'y a que reponse individuelle à ces questionnements,mais il est clair que derrière des considérations techniques, sont à l'oeuvre des éléments contre transférentiels non élaborés susceptibles de se frayer une voie de passage vers l'agir,dont la prescription médicamenteuse peut être parfois la voie la plus insidieuse.

           Nous resterons fermement convaincu avec Freud que le médecin appartient tout à fait ou pas du tout à la psychanalyse. ." Les psychothérapeutes(et les psychiatres) qui se servent occasionnellement de la psychanalyse ne se trouvent pas sur un terrain bienferme,n'admettant pas tout de l'analyse,ils l'ont affadie ,peut être même traînée dans la boue;ils ne peuvent être comptés parmi les psychanalystes" .([12])

Nous pensons que la pratique psychiatrique d'un analyste dans sa rencontre avec la pathologie psychotique souléve une réflexion parfois douloureuse sur la pertinence de ses propres outils, forgés par l'expérience de la psychanalyse.

 

la relation de l'analyste à l'analyse?

 

           Cette somme inépuisable de questions née de la rencontre entre psychiatrie et psychanalyse peut elle modifierla relation de l'analyste à l'analyse? Probablement en confrontant le clinicien à des situations dont le caractère paradoxal impose une réelaboration d'antagonismes pouvant secondairement devenir féconds et structurants.Ainsi le jeu des représentations psychiques activé par la mise  en mouvement de systèmes référentiels antagonistes génère des antinomies entre l'exigence de la réponse attendue par le patient dans certaines situations et l'exigence de distanciation que la formulation correcte d'une réponse nécessite au plan thérapeutique.Celle ci atteindra son maximum d'effets en décloisonnant et dialectisant les oppositions.L'affect est un agent de liaison.Il peut opérer entre les circuits référentiels hétérogènes ayant un caractère paradoxal .Il favorisera un fonctionnement dynamique organisateur de l'excitation et du conflit.

           Le travail avec les psychotiques confronte le clinicien à des messages paradoxants véhiculés par des canaux incompatibles entre eux.La communication paradoxale attaque les capacités de liaison de la psyché, et trouble l' organisation de l'excitation ,l' organisation des affects ,et l' organisation des représentations elles mêmes. La communication entre ces différents registres peut alors se brouiller et en venir à désorganiser l'affect lui-même.Peut résulter de cette situation extrême un retournement de l'alliance thérapeutique,découragant toute tentative de conférer une quelconque validité à la relation. Ces situations soulévent une double question;

           Celle du moi aux prises avec les origines de son activité de liaison ,c'est à dire avec son aptitude singulière à rendre présent ce qui a été perçu une fois,par reproduction dans la représentation sans que l'objet ait besoin d'être encore présent au dehors([13]).

           elle confronte le moi à sa capacité autoréfléxive,c'est à dire de recentrement sur son propre fonctionnement.La finalité de cet autocentrement permet une sorte d'auto représentation du moi en situation de travail,dans son activité de liaison et de mise en représentation;cette activité peut être compromise si la capacité de l'analyste à halluciner son fonctionnement ,à la maintenir au dedans de lui même, vient à se tarir. Il est clair que la rencontre du moi de l'analyste avec la pathologie psychiatrique donne à penser une double problématique.Celle de la transformation de ses facultés de mise en représentation de son propre fonctionnement psychique ,mais aussi celle de l'influence de autre,(identification projective) qui pourra modifier son propre sentiment d'appartenance .

 

Une nouveau champ d'exploration des phénomènes transférentiels?.

 

           Les positions changeantes de Freud à propos du transfert dans les psychoses donnent la mesure de ses incertitudes et de leurs fécondités .Il illustre comment sa rencontre avec la pathologie psychiatrique a fait évoluer sa compréhension des phénomènes transférentiels.Ainsi ses premiéres remarques furent teintées d'un profond péssimisme." Les malades atteints de névrose narcissique ne possèdent pas la faculté de transfert,ou n'en présentent que des restes insignifiants.Ils repoussent le médecin,non avec hostilité mais avec indifférence.C'est pourquoi ils ne sont pas accessibles à soninfluence...ils restent ce qu'ils sont,concluera Freud.([14])

           Il existe une chronologie dans ses publications qui ne doit rien au hasard .En procédant à une étude chronologique des textes freudiens ,premiére et deuxième topiques confondues,nous pourrions faire remarquer comment Freud a été amené, après avoir procédé à l'étude de cas de psychoses,et de névroses narcissiques à revenir dans ses écrits au thème de l'interprétation que ce soit du rêve ou du transfert.Nous considèrons ce mouvement comme ayant une portée générale.La confrontation théorico-clinique avec la psychose impose,un perpétuel recentrement,un retour vers un axe de recherche centré sur les processus de symbolisation,infléxion nécessaire pour revitaliser les incorporats mortiféres produits de l'identification projective.Ce balancement n'est pas une fatalité;il s'impose à notre insu procédant d'une nécessité intérieure permettant de lutter contre le risque d'enkystement,et de fragmentation du Moi,lorsqu'il est envahi au dedans par des contenus hétérogènes .Cette dynamique met en jeu précisément une exigence de théorisation de certains aspects archaïques du transfert ,et des identifications primaires. Une nouvelle compréhension des phénomènes transferentiels,naitra de la prise en considération de ces phénomènes sur le moi de l'analyste permettant une revision du pessimisme freudien des débuts..

           Ainsi pour P C Racamier([15]), c'est avec les psychotiques que l'on a compris que le contre-transfert était un instrument de connaissance.L'affirmation de H Searles([16]) poussera encore plus loin l'intérêt pour l'étude du contre transfert en lui confèrant aussi un rôle indéniable dans le diagnostic de certains fonctionnements psychopathologiques.L'appréciation et l'identification du contenu du contre transfert par l'analyste recèlent des éléments significatifs de la structuration psychique du patient.Son élaboration en faisant obstacle au processus de néantisation, permettra une retransitionnalisation de l'expérience et le redéploiement d'après coups féconds ouvrant à une inscription de la séquence dans un passé à venir.

           Avec l'apparition de nouvelles formes d'expression de la pathologie mentale,(etats limites, personnalités pharmaco-dépendantes ,névroses et psychoses de comportement et de caractère) doit-on s'attendre à l'apparition de modalités nouvelles d'expression du transfert convoquant de nouvelles exigences d'élaboration,impliquant différemment la dimension subjective de l'analyste? Nécessiteront elles un changement permanent de registre conceptuel,en recourant à de nouvelles métaphores, pour tenter de saisir les enjeux de l'instant(,menace de passage à l'acte,destructivité,regressions etc) et dégager des modalités de réponses nouvelles(le recours à l'hypnose,les représentations d'attente?).

           Certaines conjonctures cliniques problématisent à la fois le dispositif analytique, mais aussi la théorie.La confrontation avec la psychose  et les pathologies narcissiques a imposé une révision de la conceptualisation et un élargissement de la théorie;celle ci,en particulier a largement tiré profit de l'exploration de l'univers prégénital grâce à l'expérience des analystes engagés dans le traitement de patients psychotiques.

     Nous pensons que la confrontation avec certaines formes actuelles d'expression de la souffrance, pourra favoriser une révision des origines de la théorie et-ou des théories de l'origine de la pensée.C'est à l'insuffisance ou la faillite des processus de pensée que nous sommes habituellement confrontés, au profit d'expressions symptomatiques multiples,lorsque en particulier, l'action motrice ajourne le travail de symbolisation.Se trouve alors court-circuitée,cette aptitude de mise à distance d'une tension interne,soumise alors au registre de l'agir.Sont responsables de ces phénomènes toutes les pathologies que l'on pourrait caractériser comme ayant pour effet de fragiliser, d'annihiler la transformation du système pulsionnel en représentations, entraînant au sein du cadre analytique, une sorte de dérègulation, de glissement du couple attention flottante -association libre. La fonction de la pensée au sens analytique se trouve affectée.Ces" situations limites" ([17]) ou la souffrance, désaccouple le complexe attention flottante-association libre, convoque une réponse urgente pas nécessairement verbale,du fait de l'extraordinaire affaiblissement de l'opérativité des mots,et de la perte de leur pouvoir de figuration, coupés de leur racines pulsionnelles.L' analyste est confronté à un exercice pragmatique singulier  qui consiste à inventer au dedans de soi une modélisation transmissible et réflexive de l'indicible,le recours à ses propres théories ou à d'autres pouvant assurer la refonctionnalisation de son préconscient et éviter l'écrasement traumatique des instances psychiques.

     Freud avait un temps proposé le recours à des représentations d'attentes, dont la fonction substitutive et pragmatique avait pour but de combler les béances du tissu imaginaire .Cette initiative,rejeton opératoire de l'hypnose, s'imposant parfois dans l'urgence n'est autre qu'une tentative plus ou moins heureuse de formuler des hypothèses reconstructives;la fonction de ces représentations d'attente sera prothétique.Joueront-elles le rôle d'un greffon permettant la relance de l'investissement auto-érotique de l'activité de penser? Nos associations nous guident vers des métaphores corporelles, vers un retour du(au) corps chargé de drainer à lui le courant libidinal, dispersé. Ce type d'intervention qualifié de pragmatique ne s'effectue pas sans soulever de profondes résistances nourries par le modèle d'une cure idéale enfoui en chaque analyste.Elle est aussi une façon insidieuse de réintroduire le principe causaliste dont l'analyse s'est pourtant virtuellement dégagée.C'est probablement en reconflictualisant ses propres positions qu'une possibilité de mise en jeu des failles actualisées par la situation s'offrira à l'analyste.

     Ces situations de crises épistémologiques sont porteuses d'une conflictualité intrinsèque, permutatives en ce qu'elles déstabilisent le modèle originaire,et son invariance attention flottante _ association libre.S'y substituera un régime nouveau pourquoi pas inversé , en négatif,pour devenir" l'attention libre- l'association flottante" .L'attention devenant " libre" de prendre en considération toutes les formes d'expression de la souffrance ,pas seulement langagière ,sans pour autant les interpréter.L'association suivra un cheminement débridé et dont le flottement fera surgir des moments plus ou moins oniroides, à la limite du dédoublement,de l'auto-hypnose,de la dépersonnalisation .

 

Limites du transfert comme effet de substitution.

 

     En jouant sur la gamme de l'analogie, du déplacement,du substituable ,du métaphorisable ,selon une logique d'échanges, de nouveaux investissements pourront s'effectuer entre deux acteurs ;c'est le principe même de la névrose de transfert.

     Plus complexes ,les situations rencontrées généralement à la lisière du champ de la psychiatrie,dominées par les effets psychiques de la pharmaco-dépendance.Rien n'est en apparence substituable , partageable dans l'échange.Ces situations nous confrontent aux limites de l'analyse ou aux limites de l'analyste?

     La demande du patient frappe par son caractère impérieux non différable,son exigence est à la hauteur de l'enjeu;son rapport au cadre est d'emblée décalé; Son attente est claire ;survivre psychiquement, revitaliser artificiellement les lambeaux d'un univers psychique terrassé par l'assèchement des satisfactions auto-érotiques de base.Elles ne peuvent être réanimées que chimiquement, grâce au recours au " pharmakon" ,dernier médiateur disponible.Dans l'acception grecque,le " pharmakon" définit toute substance salutaire ou malfaisante.Reméde ou poison, il est tout acte qui transforme,entraine une modification salutaire ou malfaisante. P Lembeye([18]).Le manque dévastateur, contient toujours l'espoir d'une guérison et son envers.La requête d' une satisfaction est sans détour.L'opérabilité de ce médiateur est forte,immédiate, favorisant l' ultime incorporation d'un objet disqualifié et pourtant magique, avec lequel le sujet se confond.

     Dans ces situations aucun déplacement n'est possible dont le transfert pourrait se nourrir,et se vivifier.La dépendance et son caractère inexorable sont maîtres du jeu;l' éphémère échange sera possible,hors du registre de la métaphore, dans celui de l'agir,du geste,de l'action. La substitution pharmacologique dans le meilleur des cas est supposée pallier la carence de la fonction hallucinatoire dans sa double fonction de présentification de l'objet et de réalisation du désir.

     Est-elle une étape première à laquelle fera suite une possible transitionnalisation de l'échange ? Rien n'est moins sûr.Peut être dans le meilleur des cas donnera t'elle naissance à une sorte de perversification du lien à l'autre,et au cadre.Il est difficile d'espérer une possible dialectalisation des deux registres de la substitution( la substitution comme moteur et effet de transfert ,et la substitution comme recours à un produit chimique ,passage d'une dépendance à une autre).Faut-il voir dans la récurrence de la consommation du pharmaco-dépendant la répétition inlassable d'un événement traumatique premier ,comme pour s'en libérer? Cette forme particulière de dépendance s'apparente t' elle à d'autres formes de dépendance, telles que certaines cures interminables les révèlent?

         Comment fonctionner analytiquement dans ce type de situation.?la mobilité respective des processus de pensée parait figée. Voila un champ d'exploration dans lequel bien peu d'analystes se sont engagés,et d'ou pourrait jaillir une nouvelle compréhension de la faillite ,du ratage de la convergence des auto-érotismes pour constituer le narcissisme.

     Propulsé à la périphérie de son cadre théorico-spéculatif habituel,bien loin des bases oedipiennes des origines de la psychanalyse,l'analyste s'engouffre dans l'exploration( avec son appareillage ,la pensée et son support, le langage) d'un champ, celui de la non pensée, de l'indicible.L'instrumentation sera inévitablement elle-même soumise aux vicissitudes du potentiel destructeur exploré.Nous voila plongé dans le registre de la négativité ,et de la richesse plus ou moins silencieuse et déconcertante de ses modalités d'expression.Le lieu d'exploration est ainsi balisé,entre les formes les plus silencieuses d'une pulsionnalité mortifére fondamentalement désorganisatrice et les couches les plus basales du narcissisme primaire, marqué par un défaut non cicatrisable d'investissement en libido.

     A Green([19]),en ciblant sa réflexion autour du pulsionnel, fournit une hypothèse de travail très démonstrative et convaincante, lorsqu'il évoque le pouvoir de désinvestissement désobjectalisant de certaines forces psychiques,de la pulsion de mort plus précisément, qui se manifestera par la paralysie de l'activité projective.La relation à l'objet analyste ne peut se nouer afin de devenir le support d'un investissement,quelqu'en soit la forme et le contenu.Le vecteur qui conditionne cet échange ,la projection, étant suspendue dans sa fonction.Au dedans stagnera ce qui aurait du être expulsé,et infiltrera pour la fragiliser, l'intrication des couples pulsionnels.La paralysie des mouvements internes se traduit par une sensation de mort psychique ,une impossibilité pour le moi d'halluciner son propre fonctionnement.Le recours au renforcement chimique des bribes de sensations internes constituant le dernier rempart contre l'éffondrement,la régression topique.Le recours au " pharmakon" est en ce sens paradoxalement un processus d'auto- guérison:il assure in fine une satisfaction auto_érotique dans l'attente putative d' " une nouvelle action psychique," synthétisant l'ensemble sous le primat du narcissisme.

 

Psychiatrie et métapsychologie

 

     Le détour par les formes les plus assujetissantes de la pathologie psychiatrique donne à penser différemment le dysfonctionnement pulsionnel.Il renforce et illustre de manière éclatante l'hypothèse de la pulsion de mort ,tout en montrant les limites du couple association- libre, écoute- flottante,et celle du pouvoir organisateur du cadre. Le potentiel métapsychologique loin d'être tari doit être mis au travail différement,quitte à ce qu'il nous confronte à de nouvelles incertitudes ou apories.La désignation d'une première topique par rapport à une deuxième institue une chronologie trompeuse et défensive qu'il convient de récuser si l'on veut faire jouer les concepts entre eux selon de nouvelles perspectives.ça n'est pas seulement à une reconsidération, à une extension de la théorie du traumatisme telle que la deuxième topique s'y essaye avec la notion de répétition dans son articulation avec la pulsion de mort, qu'il convient de refléchir.Etrangement la confrontation avec certaines formes nouvelles de la pathologie mentale rend caduque l'opérativité de l'après coup contraignant l'analyste à une prise en compte de l'événementiel, souvent dans une perspective abréactive, cathartique.

     L'impossible intégration du conflit basal opposant pulsion de vie et pulsion de mort trouvant ses sources dans un dysfonctionnement du refoulement originaire constitue le point axial de toute réflexion clinique et métapsychologique.On se référera à l'hypothèse de J Bergeret([20]) consacrant à la violence primitive de niveau narcissique primaire un réel pouvoir de désorganisation,plus particulièrement dans cette phase première, avant la liaison avec la libido.

     La tentation est grande de proposer une analogie(le retour des métaphores corporelles) entre ces formes nouvelles d'affectation de la vie mentale et la désorganisation immunitaire des processus défensifs dont sont responsables certains virus.L'hypothése communément partagée par les chercheurs concerne cette aptitude singulière du virus à se transformer pour prendre d'autres formes d'expression au moment précis ou il pourrait faire l'objet d'une identification.Ne sommes nous pas confrontés à cette même problématique? Faut il voir dans cette impossibilité de recouvrir une identité pour ces patients réputés difficiles, quelque chose de salutaire?la non identification de ces sujets faisant office de marquage,( mais pas d'identité ),nous impose un incéssant travail de recherche, d'identification, aux sources de notre pratique quelqu'en soit la forme.

                   Pierre Decourt

                   115 avenue de Lodéve

                   Montpellier


Pierre Decourt

Résumé

Notre intention au cours de cette contribution visera moins à developper les interactions entre psychiatrie et psychanalyse qu'à tenter de réfléchir aux problémes internes  et épistémologiques que soulevent l'exercice conjoint des deux disciplines.Nous examinerons les différentes modalités du travail psychique qu'imposent cette double pratique à l'analyste ,en insistant sur la conflictualité interne qu'elle engendre.

Mots clés.

confusion,clivage,aprés-coup,substitution



[1] Freud S.Psychanalyse et Psychiatrie;in Introduction à la psychanalyse:PBP 1972 p 225.

[2] Freud S De la psychothérapie in la Technique Psychanalytique Puf 1967

[3] Searles H:L'effort pour rendre l'autre fou;Edition Gallimard,1987

[4] Freud S.Révision de la théorie des rêves in Nouvelles conférences sur la psychanalyse coll Idées 1971 p12

[5] Freud S Introduction à la psychanalyse op cit p11

[6] Assoun P L Introduction à l'épistémologie freudienne Payot 1981

[7] Freud S la Dynamique du transfert in la Technique psychanalytique. Puf 1967

[8] Congrés de Saint Alban La psychothérapie institutionnelle;transferts et déplacements1987

[9] Donnet JL .Site et Situation analysante in Bulletin du Groupe méditerranéen de la SPP.

[10] Freud S. Introduction à la psychanalyse(op cit)p236

[11] Diatkine R, Quartier Frings F, Andreoli A;Psychose et Changement. Puf 1991

[12] Freud S. Nouvelles conférences (op cit) p8

[13] Freud S.la Négation; Résultats Idées ,Problémes trad J Laplanche Puf 1985

[14] Freud S Introduction à la psychanalyse (op cit) p424

[15] Racamier P C; conférence faite au groupe,Lyonnais de Psychanalyse 1988

[16] Searles H .Le contre transfert Editions Gallimard 1981 p 221

[17] Roussillon R .Paradoxes et Situations limites de la psychanalyse le fait psychanalytique Puf 1991 p 242

[18] Lembeye P.Carnets Toxicomanes:à paraître

[19] Green A. Pulsion de mort ,narcissime négatif,fonction désobjectalisante in la pulsion de mort Puf 1986.

[20] Bergeret J. Freud ,la Violence et la depression Puf 1995.

 

 
 
Double: Fonction et Paradoxe- Dr Pierre DECOURT

Dernière mise à jour de la page: 2 juillet 2009

 

Freud confère au thème du double une dimension intégrant les points de vue économique, topique et dynamique. Il  prolonge tout en s’en dégageant une tradition philosophique et romancière. Pour lui, le "   motif  du double" n’est pas un simple trouble de la représentation de soi ou un avatar de la construction du moi ; il a une double portée, comme organisateur du moi, et comme témoin du fonctionnement ou du dysfonctionnement de l’inconscient. Symptôme, défense ou processus, le motif du double tel qu’il est repris dans l’article de Catherine Couvreur[1] est comme «  une sentinelle, témoin  infatigable et révélateur de l’activité  de l’inconscient secondaire.  »

C’est à ce titre que l’expérience du double dans l’analyse est centrale. L’intérêt des analystes, du fait de leur double filiation et de la double écoute à laquelle ils procèdent, en présence d’un matériel doublement inscrit, à la fois dans le passé et dans l’actuel, les prédispose à une réflexion sur le thème du double. De surcroît pour Freud, le double ancrage sexuel de l’être humain «  lui même et la femme qui lui donne les soins  », instaure une conflictualité originaire intra psychique et intersubjective.

Trop nombreux sont les auteurs pour les citer ici, pour lesquels le thème du double constitue un analyseur spécifique de l’épistémologie et de la praxis Freudienne  . Porteur intrinsèquement d’un caractère amphibolique,  le motif du double peut être l’objet de glissements de sens  infinis, selon son usage comme  adjectif ou substantif ou selon qu’il est appréhendé comme symptôme ou processus.

S’il n’existe pas dans l’ œuvre de Freud d’ouvrage spécifiquement consacré au thème du double, les références sont multiples. Elles balisent l’ensemble des développements de la pensée Freudienne. On trouvera le thème du double présent à toutes les étapes du développement de la métapsychologie.

Mon intérêt pour le thème du double a des origines multiples  ; certaines sont anecdotiques, d’autres  plus sérieuses au sens ou elles se fondent sur la pratique psychanalytique et son histoire.

Parmi ces origines, une est de nature  patronymique certes, ou le de(deux) a sa place, l’autre, davantage liée à la singularité de notre pratique, illustrée dernièrement par cet événement.

Anne Marie grande délirante érotomane ne cessait de me persécuter par ses multiples appels téléphoniques quotidiens .»Je veux parler au Docteur Paul Decourt  » demandait elle avec insistance. Aucune de mes réponses indiquant avec une fermeté croissante que je ne connaissais pas cette personne, ne mirent fin à ce pénible harassement .Las, comme pour me protéger, je finis par m’entendre lui dire  ; «  Rappelez moi ce soir  !  »

A quel double de moi même lui proposais je ainsi de s’adresser  ?

Enfin, j’ai pu considérer au fil de nombreuses cures combien Alain Delon, sorte de double inversé, était devenu une figure familière, qui condensait les aspirations identificatoires les plus triomphantes, pour moi même et les patients.

Si cet intérêt pour le thème du double, un peu circonstanciel n’était relayé par un certain nombre d’interrogations issues de la pratique de l’analyse, nous ne nous serions peut être pas demandé en quoi recoupe t’il celui de Freud, ni n’aurions été conduit à examiner comment ses recherches s’inscrivent dans une tradition épistémologique et philosophique ancrée au plus profond de notre culture  , résumée par Ferdinand Alquié[2] ;  »  la conscience suppose un dédoublement, une certaine séparation d'avec ce dont on a conscience. Avoir conscience de soi, c’est se prendre pour objet, c’est donc ne pas coïncider avec soi, c’est renoncer à ce qu’on était  ».

 

Qu’ est ce que le double  ;

 

Le double est une figure instable, souvent composite qui recoupe plusieurs réalités, ce qui contribue à la confusion conceptuelle à laquelle Perel Wilgowicz[3] tente d’apporter quelques lumières, à partir d’ une interrogation centrale. L’utilisation du même  vocable est elle justifiée pour décrire une modalité psychique rattachée à une problématique œdipienne ou spéculaire et une autre qui relève davantage du narcissisme primaire  ?

L'auteur différencie; l’image  , le masque, le  reflet, l’ombre.

L’idée proposée est la suivante. Elle différencie les doubles «  porteurs de vitalité, et de lumière  », c’est à dire à la source du processus identificatoire et créatif, des «  ombres antérieures  » avec leur part maudite quand elles nourrissent l’emprise.

Examinons les différents aspects du double, tel qu’on peut les définir à partir de leur expression dans la clinique;

1)Dans le champ de la  pychopathologie;

Ils  recouvrent une palette de manifestations cliniques, allant de la dépersonnalisation à la dissociation, en passant par les phénomènes d’ inquiétante étrangeté, de double conscience dont l’ hypnose est parfois, à titre expérimental ou thérapeutique le paradigme.

2)Défensive;

La fonction du double comme modalité défensive constitue «  un défi à la puissance de la mort  »[4] .La réduplication du même confère au moi l’ assurance d’une éternité en devenir. Le potentiel défensif s’élargit encore de cette possibilité de secourir " la fragilité de l’unité menacée en créant sa réplique comme un remède.[5] " .c'est en ce sens précis que Jean Guillaumin [6]lie le thème du double à celui de la perte de l'objet de l'auto-conservation. La perte de l'objet induirait selon l'auteur la recherche intarissable d'une représentation du passé.

3)Organisatrice; grâce à son rôle dans la construction de l’objet, c’est la polarité génétique de la fonction du double qui assure le passage de l’auto-érotisme à l’objet, via le narcissisme. Ce passage  s’effectue selon deux modalités  ;par étayage, et /ou par effet de spécularité.

Le double joue un rôle trophique: Il nourrit le narcissisme de reflets imaginaires spéculaires riches de l’intégration de références concordantes et symétriques, projetées dans un autre soi même  idéalisé. Il installe et renforce ainsi le narcissisme.

En ouvrant  aussi le moi à un corpus référentiel autre, sexuel dans son essence, qui aboutira à la construction d' une représentation de l’objet, à partir de l'investissement  homoérotique puis homosexuel de celui ci, il contribue au développement de la bisexualité psychique.

A ce point du développement on constate qu'il ne peut y avoir de définition univoque, du thème du double, mais une pluralité non seulement de sens, mais aussi de tâches. La fonction du double est précisément double  , elle travaille dans deux directions, qui pourtant paradoxalement se recoupent, s' opposent .

Fonctions du double

 

A) Le double " entre signe et figure"

On pourrait considérer que son champ d'action se situe entre «  Entre signe et figure» selon que le thème du double se développe a partir de la mise en jeu du pole perceptif ou représentatif  .

1°Le pole perceptif

-Le double animique en est la forme la plus manifeste. L' autre, son double est indistinct du sujet .Ils entretiennent des rapports marqués par l'indifférenciation, la confusion .

-Le double auto-érotique, permet au sujet de s'auto-eprouver grâce à sa capacité d’auto-observation, à partir de la perception de l'image de lui même qu'il identifie dans le miroir.

2° Le pole représentatif

Le double narcissique est le produit des projections idéalisantes de l’idéal du moi sur l'objet. L’amour pour l’autre soi même constitue un temps homoérotique. Avec le dégagement de cette étape identificatoire singulière, et la construction d'une représentation de soi s'effectuera le passage du narcissisme à l' altérité. Cette construction est complexe, liée à la relation que le sujet entretient avec l' image interne qu'il se fait de lui même, et qu'il échafaude par un effet de spécularisation interne. Cette relation avec ce double interne suppose la mise en jeu d'une activité de la mémoire. La mémoire de soi, organise et se nourrit de ce  double interne. Venu de l'investissement des traces mnésiques qui vont définir ses propres contours, il va donner corps à une représentation de soi dont l'aboutissement jaillirait dans cette affirmation;" c'est bien de moi dont il s'agit" .Moment jubilatoire d' affirmation fragile du sentiment de continuité psychique.

B) Le double comme " Figure de la limite et du paradoxe" [7]

 

Selon que l’on se place du coté du moi ou du coté du narcissisme,  nous voyons que le thème du double est au croisement de deux logiques, qui entretiennent des rapports complexes. Ces deux logiques sont potentiellement porteuses de conflits et le double constitue une sorte d’interface au croisement de leurs champs respectifs. Il marque l’existence d’un conflit originaire irréductible entre la détermination unifiante (réduplication du même) du narcissisme et l’aspiration identificatoire du moi, porteuse de conflits.

Paradoxe  «  originaire  »

 

Le double serait une sorte d’interface entre auto-conservation  et sexualisation médiateur entre  altérité et mêmeté. Permettant le passage de l’auto-érotisme à la investissement de l’objet érotique, la fonction du double construit le moi dans cette double contradiction. Pour Lacan "   Freud lie le moi d’une double référence, l’une au corps propre, c’est le narcissisme, l’autre à la complexité des trois ordres d’ identification."

Pour autant paradoxalement, on sait que l’irruption soudaine du double au sein des représentations engendre, inquiétante étrangeté, confusion parfois même dépersonnalisation, et déstructuration mentale. La répétition du même engendre l’inquiétante étrangeté  .On assiste alors à l'émergence de quelque chose qui était dans l’ombre, qui aurait du y rester, et dont le retour en  débordant le refoulement et les autres procédures défensives, menace l'activité synthétique du moi.

Au  regard du narcissisme; la création du double narcissique flatte l'idéal du moi, et assure la reproduction du même, manifestation de l' auto-conservation, mais à ce titre, il peut être au service de la pulsion de mort  ; le même s’affiche alors comme négation de la subjectivité. Le double régule le fonctionnement de l’économie narcissique[8]:il vise la reproduction de l’identique. Le double narcissique doit se modeler selon les caractéristiques fidèles et immuables de l’objet conduisant à une fusion entre la représentation de soi et cet objet. C’est le temps mimétique de la pure spécularité, de la pure symétrie, de l’indifférencié marqué par le besoin d’étayage, le besoin d’obtenir un appui ,un apport narcissique extérieur pour assurer sa propre existence.

Au regard du moi  ;

La fonction du double contient en elle même une autre valence  , objectale en sa nature. Elle ouvre à la dimension de l’altérité et du désir. Pour cela, elle institue une dialectique relationnelle entre l’identique et le différent. Soustrait à l’identification primaire, le double conduit sur le chemin de l’altérité via le jeu des identifications secondaires. A partir de l'expérience du dédoublement " s’originera" les fondements de la bilatéralité, des doubles identifications, de la  bisexualité psychique. Le motif du double annule et reconnaît la différence des sexes, et joue un rôle majeur dans l’intégration de la différences des sexes.

L’ autre en ouvrant le sujet à l’ altérité bouleverse radicalement le monde de l’équilibre homeostatique.

Le moi fonctionne comme processus intégrateur de ces différentes fonctions du double, de ces courants antinomiques, animés par des finalités à la fois différentes, complémentaires, voire opposées, c’est à dire organisatrices et désorganisatrices à la fois. La finalité de l’une, rappelons le, est la préservation unitaire  ;symétrie  et continuité en constituent les paradigmes et participent à une procédure d’évitement du déplaisir, l'autre bouleverse l'équilibre par la mise en jeu des identifications secondaires, et leur cortège d'ambivalence.

Si le moi est la matrice de l’intégration toujours conflictuelle de courants antinomiques préjudiciables à son unité, au maintien du sentiment de continuité psychique, comment s’y prend il pour réaliser cette intégration?

Une conciliation possible entre ces deux logiques  ?

 

L’hallucination joue un rôle dans l’articulation entre ces deux logiques. Même absent du champ perceptif, elle assure une présence  de l’objet investi, procurant  par cette substitution sporadique le remplacement d’une satisfaction réelle par une satisfaction de nature psychique . Ainsi l'hallucination révèle sa double fonction : maintenir le lien à l'objet absent, évitant la réduplication d'un double confusant, desubjectivant( c'est à dire destructeur), et préserver le narcissisme dépossédé d'un objet étayant.

Réflexions

 

Si la cure, en tant qu’expérience spéculaire, met en scène le thème du double dans la pluralité de ses formes, la répétition transférentielle est l’agent de cette mise en scène. Créateur de double et d’étrangeté, la cure se donne comme lieu de reprise possible des premières intégrations du corps et du langage, fondatrices du sujet, grâce aux liens qu’elle permet de tisser ou de retisser entre les différents «  motifs du double  ».

 La répétition transférentielle secrète les conditions du redoublement, et paradoxalement, du dédoublement du rapport imaginaire à l’autre, et à soi. Le transfert est le lieu géométrique où convergent et se recoupent représentation et langage, l’imaginaire et le symbolique.

La captation imaginaire de l’autre dans le mouvement transférentiel ne sera que pure réduplication, si ce mouvement reste figé dans une pure symétrie aliénante, ayant  pour seul but, de réparer les effets de la perte originaire, celle de l’objet d’auto-conservation. Dans ces conditions, «  L’identification au double serait au service de la recréation de l’objet perdu.  [9]»  

S. et C.Botella[10] ont montrés que le thème du double implique;         

1° Une théorie de l’identification

il s’agit fondamentalement du rapport du sujet à l’image de son semblable, comme matrice de lui même, qui dans le processus  de l’identification  conditionnera son rapport à l’autre, et à lui même. La fonction du double au sein  de la combinatoire des identifications a une valeur heuristique, facteur essentiel de structuration, de transformation du moi, l’enrichissant d’une potentialité nouvelle, initialement spéculaire. L’identification du sujet à son image témoigne des potentialités spéculaires du moi;  le double joue un rôle dans l’activité de représentation de soi via l’identification au même. Ainsi «  le  temps d u double  », est un temps originaire donnant naissance à la construction de sa propre image, et à ses reflets.

La représentation du double perdure au delà du narcissisme primaire, et du rapport spéculaire à l’objet. Elle fournit l’impulsion nécessaire à la création de la    " conscience morale" [11], cousine germaine de l’auto-critique, qui traitera le moi comme un objet. L’ identification au Surmoi définit par Freud comme instance structurale acquise par intériorisation de l’autorité parentale est corrélative de l’acquisition d’une capacité d’auto-observation plus précisément d’autocritique fonctionnant sur le mode d’une spécularisation interne permettant le «  traitement  » de ses propres conflits, à la lumière des idéaux introjectés. Selon la nature de ces idéaux  le Surmoi peut être  pour le moi l’équivalent de son double narcissique[12].

2° Une théorie du narcissisme

L’identification homeomorphique s’appuyant  sur l’analogie des formes tel que le miroir les renvoie, précède l’identification du reflet et du contenu de l’image spéculaire comme double de lui même. C’est l’identification au double spéculaire qui témoigne de l’unification des auto-érotismes, sous l’impulsion «  d’une nouvelle action psychique  ». La relation narcissique à sa propre l’image, consacre la prise de conscience que ce double, c’est bien moi  !Pour Freud, le thème du double est profondément ancré dans l’ idéal du moi. Il en constitue un des prolongements: «    On peut attribuer au double , toutes les possibilités de forger notre destin...et toutes les aspirations du moi qui n’ont pas abouties...    »[13].

 

3° Une théorie de la pulsion de mort.

 

Il s’agit du caractère paradoxal de l’expérience du double dont le pouvoir déréalisant par excès de symétrie, agit comme effacement néantisant de sa propre finitude, comme perte identitaire . L’incapacité à maintenir un degré de différenciation suffisant en résulte, faisant vaciller le sentiment d’appartenance, et la capacité d’auto représentation. En ce sens, l’image spéculaire a un pouvoir déréalisant, porteur de mort. L’illusion de symétrie nourrit les expériences de double, voire de dédoublement  : elle confère au transfert un point maximum de résistance, à l’identité, un point maximum d’incertitude.

4° Une théorie du refoulement.

 

«  L’inquiétante étrangeté  », comme preuve(ou épreuve) du relâchement des procédures de contrôle, illustre comment le moi est alors envahi, débordé par des représentations, des souvenirs ou fantasmes, mettant en scène le sujet lui même. L’échec du refoulement, ou le lâchage momentané de sa fonction, consacre le retour du refoulé[14] , l’irruption du motif du double, dans un moment régressif transitoire est facteur d’étrangeté, de dépersonnalisation, avec l’impression de déjà vu, de déjà entendu  désorganisant le sentiment d’appartenance.  «  On met le moi étranger à la place du moi propre, donc il y a  dédoublement du moi, permutation du moi ,et enfin retour permanent du même[15]...»En introduisant la notion nietzschéenne de «  retour du même  »Freud introduit une causalité qui dépasse le simple dysfonctionnement du refoulement, il préfigure déjà la révision de la théorie des pulsions.

J’ajouterais que le thème du double implique aussi  :

4° Une théorie de la cure.

«  C’est à travers le dévoilement de ses doubles, deux perpétuellement dans la diachronie et dans la synchronie, que s’instaure l’analyse, tout autant dans sa théorie que dans sa pratique  [16]»

Parce que l’analyse est un jeu qui se joue à deux, elle génère de façon singulière des moments d’intimité, de partage d’une expérience commune dont le transfert tisse la trame. L’impression est parfois donnée au patient  qu’il traverse un champ déjà balisé, délimité par le parcours  de l’analyste lui même, où il reconnaît ses propres marques. Ce que vous éprouvez et me faites vivre, je crois savoir ce dont il s’agit, pense t’ il, bien souvent à tord! L’analogie entre les expériences propres à chacun des deux acteurs à sa propre limite. Ce perpétuel renvoi de l’un à l’autre, secrète les conditions d’un authentique fonctionnement en double. Le travail en double[17] ne peut se réduire à un mécanisme d’identification. Il s’agit d’une perception primitive, une appréhension du fonctionnement psychique de l’autre, un mode de relation en prise directe avec l’autre.  Se crée une identité de pensée et de perception entre les deux protagonistes propice à la réorganisation des expériences infantiles traumatiques.

Pourtant l’énoncé de la règle fondamentale, spécifique à la cure psychanalytique, est fondateur d’une dissymétrie entre les deux acteurs. Son acceptation est toujours ambiguë et conflictuelle. L’impression de symétrie résonne en fait comme une virtualité défensive, précisément  contre les effets de cette même règle. Le fonctionnement en double peut être aussi une tentative de contre-investir le pouvoir de la règle fondamentale et son potentiel d’actualisation de problématiques diverses. (absence, mort, bisexualité).Ainsi, chasse t’ il, tout en le révélant, ce qu’il y a de plus étranger, et de plus intime en nous. La quête de l’autre comme référence mimétique idéale et absolue vise à effacer la structuration bisexuelle de notre moi et la blessure narcissique imprimée par cette division.

La double structuration de notre sexualité psychique, est une donnée jamais tout à fait acquise parce que scandaleuse au regard de nos aspirations unificatrices. La recherche de l’unité perdue suppose un renoncement jamais totalement acquis au mythe de l’unité. Pour Platon,  «  l’ amour recompose l’antique nature, s’efforce de fondre deux êtres en un seul, et de guérir la nature humaine  [18]».Trouver son double narcissique et non sexuel, aurait alors cette vertu reconstructrice.

Nous ne pourrons que souligner la pluralité «  des doubles  », à l'œuvre dans le transfert;(le double registre du transfert positif, négatif; le transfert comme double déplacement  dans le temps et sur la personne).La double polarité du transfert telle que Green[19]  l’envisage.(Le transfert sur la parole  et sur l’objet). Enfin, indiquer l’enchevêtrement des deux courants du transfert, narcissique  et objectal.[20]

L’apparition du double influence le contre- transfert; «  je suis, et c’est moi! » résume l’enjeu d’une dialectique de la différenciation du dédoublement entre deux espaces psychiques. L’apparition du double, sorte de parousie teintée d’étrangeté, a toujours une connotation surnaturelle, voire théologique, quelques fois délirante, accomplissant le destin narcissique omnipotent du sujet. Cette apparition peut avoir un effet de sidération pour la pensée de l’analyste.

En même temps, l’analyste doit être non seulement capable d’une manière générale, de créer en lui même un double de soi analogue à la représentation que son patient lui transmet à partir de son expérience  interne, il est en outre, et en particulier en mesure de produire, d’inventer une réplique de lui même dotée d’un autre sexe .

De ce point de vue l’ analyse permettrait le passage d’une catégorie du double à l’autre grâce aux possibilités de transitionnalisation des exigences conflictuelles  du moi face à la fonction du narcissisme dans son goût pour la mêmeté. L’issue de ce conflit entre ces logiques est parfois incertaine.

Ne s’agira t’il pas alors, de déjouer les effets de fascination spéculaire par/ pour le double et de son pouvoir de séduction interne pour permettre  le passage de la capture imaginaire à l’expérience symbolique de la castration en intégrant l’autre comme diffèrent et semblable à la fois .



[1] Couvreur Catherine, Les motifs du double in, Le Double , Monographie de la S.P.P, puf,1995.

[2] Alquié Ferdinand, Le désir d'éternité, Quadrige,PUF, 1996

[3] Wilgowicz, L'art de la fugue ou l'art de vivre avec ses doubles, in la Revue française de psychanlyse, XXX1X (3) 1975.

[4] Rank Otto. Don Juan et le double PBP, 1973.

[5] Green André, Le Double et l'Absent , in la Deliaison, Les Belles Lettres Paris 1992

[6] Guillaumin Jean , L' objet de la perte dans la pensée de Freud, in 48°congrés des psychanlystes de langues française , Geneve 1988.

[7] Baranés Jean José. Double narcissique et clivage du moi, in LeDouble.Monographie de la revue française de psychanalyse, P.U.f, 1995

[8] Bergeret Jean, Le transfert narcissique, in la pathologie narcissique, Dunod , 1996.

[9] Andreoli Antonio. Le moi et son objet narcissique.48°congrés des psychanalystes de langues française. Genève, 1988.

[10] Communication aux 12° Journées Occitanes de Psychanalyse, Toulouse, 1994.

[11] Donnet Jean Luc, Le surmoi freudien et son ambiguïté, in le Bulletin du groupe méditerranéen de la S.P.P, novembre 1993

[12] Donnet Jean luc .(op.cit)

[13] Freud Sigmund. L'inquiétante étrangeté et autres essais. N.r.f, Gallimard 1985.

[14] On pourrait dire que le thème du double consacre une métapsychologie du caché et de l'enfoui

[15] Freud Sigmund .(op.cit)

[16] Cain Jacques .Le double jeu , essai psychanalytique sur l’identité , Payot,1977.

[17] Botella S.C.L' homosexualité inconsciente et la dynamique du double en séance, Revue française de psychanalyse n 4

[18] Platon. Le banquet .GF. Flamarion 1964.

[19] Green André. Le langage dans la psychanalyse, 2°Rencontres psychanalytiques d’Aix -en -Provence, les Belles Lettres, 1984.

[20] Godfrain Jacqueline. Les deux courants du transferts, P.u.f. 

 
Corps et Mémoire- Dr Pierre DECOURT

 

Dr Pierre DECOURT

Psychiatre psychanalyste

Montpellier

 

Introduction

Je ne vous ferai pas part de mes  hésitations à partir du thème «  le corps dans la cure  ». Elles témoignent d’une assez grande difficulté à aborder le problème dans son ensemble mais aussi de la difficulté à choisir un axe de travail plutôt qu’un autre  ; corps érotique, corps dans son rapport avec la construction de l’identité dont il est le garant, corps de langage et d’échange  ; corps du rêve mais aussi,  lieu de souffrance et  de mémoire  ; c’est à ce dernier point que je vais m’attacher plus particulièrement pour terminer en faisant une brève remarque à propos du rêve.

Le corps dans la cure  ; une place singulière

Il n’y pas d’analyse sans qu’un à moment ou à un autre le corps ne figure. Sous forme de rêve, symptôme, somatisation, ou par la mise en jeu de la motricité qui soutiendra un acte  ; bref les modalités d’expression du corps sont pratiquement infinies  ; ainsi les «  voies d’entrée  » du corps dans la cadre de la cure sont nombreuses  ;

Mais de quoi parle t’on dans la théorie psychanalytique lorsqu’on, évoque la  place du corps  ?

De quel corps s’agit il  ? s ‘agit il du

Corps biologique dont le fonctionnement est celui d’une machine d’une infinie complexité qui n’en fini pas chaque jour de livrer quelques-uns de ses mystères  ?

Du corps érotique qui grâce à l’activité auto-érotique centrée sur les zones érogènes procèdent à la constitution du corps imaginaire dont les contours dessinent l’image que nous faisons de nous même  et dont l’investissement  assure une fragile différenciation entre l’ intériorité et le monde du dehors. il définit deux espaces il est à l’interface de deux univers

S’agit il de ce  corps en mouvement dont les manifestations gestuelles et comportementales sont porteuses d’un message en quête de sens.

Le corps comme langage

 Une première différenciation s’impose selon que la mise en jeu du corps s’adresse à un autre ou non  ; avant d’y venir et Pour éviter bien des malentendus j’essayerai de définir quels sont leurs fondements épistémologiques propres à chacune des catégories citées. Si On a pu penser un temps qu’il y a une coupure radicale entre le corps biologique et le corps fantasmatique, Les psychosomaticiens aujourd’hui auraient une position plus nuancée. Ce qui définit le corps en psychanalyse c’est le rapport entre l’inconscient et l’image du corps et son fonctionnement.

C’est ce que je vais essayer de montrer. Fidèle à la démarche freudienne, c’est donc à partir de certains dysfonctionnements tels qu’ils peuvent surgir dans la cure que  je proposerai une définition de ces formes différentes et formulerai quelques hypothèses.

Le dispositif analytique

Pourtant, on pourrait penser que le dispositif analytique n’est pas le modèle le plus pertinent pour observer et traiter les manifestations corporelles dans leur polymorphisme. Car le dispositif  analytique repose sur une mise en suspens artificielle du corps, de la motricité. La position allongée impose assez violemment  un  retrait sensori- moteur, qui vise à valoriser le champ de la parole conféré par cette injonction fameuse, au détriment de la sensorialité et de la motricité, c’est à dire au détriment de ce qui pourrait être éprouvé ou mis en acte  !

 «  Vous devez dire tout ce qui vous vient  à l’esprit  !» Ainsi peut s’annoncer la règle fondamentale  porteuse d’une double ambiguïté [1]qui aura pour effet d’ instituer le processus analytique  car elle engage de manière brutale une dissymétrie non seulement entre les protagonistes mais également entre le processus  (liberté d’associer) et la technique (cadre). 

1°parler est aussi un acte qui nécessite la mise en jeu de la motricité

2° La règle est intrinsèquement  porteuse  valence séductrice (dites moi tout…) et interdictrice, surmoique ( vous devez…)(J.LDonnet).

une double clôture de l’espace psychique  ;clôture au niveau du pole perceptif qui supprime le informations du  monde extérieur, la perception. Clôture au niveau du pole moteur qui interdit la motricité, l’action .[2]

Ce que vise le dispositif analytique dont la règle fondamentale est le moteur c’est la valorisation du pensé, du représentatif, véhiculé par le dire, au détriment du geste. Celui ci, dont le surgissement est toujours possible, sera indexé d’une valeur plus ou moins péjorative lorsque la mise en jeu de la motricité prend la valeur d’un acting, court-circuitant l’élaboration des tensions mises survenues  au sein du processus analytique. Assez classiquement on considère qu’il vient alors à la place d’une parole qui n’a pu être dite, ou n’a pu être entendue.

Pourtant dans la cure, on assiste à une

une omniprésence du corps

1°c’est une banalité de dire que le corps est un  lieu d’expression de la souffrance psychique. IL joue un rôle de médiateur, entre les tensions intra psychique et la motricité dont la fonction cathartique a une vertu libératrice.

2° Il est un lieu privilégié de mémoire,( primo levi) à ce titre il est porteur d’une histoire, celle de chacun.. De ce fait il participe  à la construction de l’identité et à son maintien. L’ importance de la sensorialité, bruits odeurs , mouvements contribuent à la résurgence d’expériences émotionnelles enfouies.

3° Certaines expériences psychiques que l’on qualifie aujourd ‘hui de «limites  »seront examinées. L’accent sera alors mis sur la difficulté pour le sujet  à garder une trace  de cette expérience, elle ne peut s’inscrire dans un souvenir. Ainsi  quelque chose de l’histoire individuelle n’a pu se construire et tisser une trame constitutive d’un passé  ; le passé est amputé. L’identité se trouve affectée, fragmentée  ; la trace de l’événement paraît définitivement dissoute, absente du monde des représentations, parfois perdue à jamais. Parfois Paradoxalement, elle est de manière insidieuse présente, trop présente, bruyante responsable d’une clinique bien spécifique. Le champ d’expression de la symptomatologie défini est particulier. Y prédominent la violence, le potentiel aux agirs destructeurs, les troubles identitaires, la dépression narcissique  la déréalisation, le morcellement.

Vous l’aurez compris nous évoluerons dans l’univers où dominent  les troubles de la symbolisation ; face à ces configurations cliniques bien particulières , j’ e dirai quelques mots concernant les problèmes techniques posés.

 

 le corps comme messager

Une première conception conversive du symptôme somatique  ;

-la psychopathologie de la vie quotidienne personnelle

Le symptôme s’avère être une des modalités d’expression d’une problématique intra-psychique dont l’expression est porteuse d’un sens à découvrir.

Exemple 

         -le  modèle hystérique est une amplification de ces petits phénomènes dont nous faisons régulièrement l’expérience .Il illustre le phénomène de la conversion qualifié par Freud de saut dans le soma. Le symptôme infini dans ses formes est l’expression somatique d’un conflit psychique. ce qui est profondément nouveau dans la compréhension de l’économie symptôme convertionnelle c’est son caractère sexuel, c’est  à dire transressif. En s’opposant  aux interdits personnels ou  culturels le désir emprunte une autre voie d’expression. Le refoulement fait  disparaître la représentation interdite de la sphère psychique. Elle disparaît mais pour faire retour, surgir dans le corps sous des formes extrêmement variées et emprunte des voies d’expression qui réactivent certaines zones corporelles objet d ‘investissements anterieurs.

 L’enthousiasme de ce pionnier qu’était Freud lui a laissé croire un temps que  l’ interprétation du sens de cette manifestation détournée, la ferait disparaître. Malheureusement cela ne marche pas toujours et  la révélation du désir sous- jacent et le mécanisme défensif qui à engendré l’apparition d’un symptôme à caractère somatique, ne remédiera pas toujours à cette erreur d’aiguillage. en effet d’autres processus en cours peuvent contribuer à la fixation des symptômes incriminés.

Mais et c’est cela le plus important, l’interprétation  permettra la réinscription du conflit dans le courant de ses pensées associatives, dans la chaîne symbolique un temps rompu  ! Ce qui est intéressant, c’est d’observer que  le symptôme à expression somatique constitue un maillon d’une chaîne langagière qui un temps aurait perdu sa logique discursive et signifiante. Il traduit la faillite des processus langagiers débordés par le trop d’excitation liée au contenu sexuel de la représentation. Il y a eu un simplement glissement d’un registre à un autre  ;Freud parle de  «  conversion symbolisante.  » Si ce n’était la connotation eschatologique on pourrait dire que le mot ou plutôt le conflit s’est fait chaire  ! Le corps parle un langage qui lui est propre dont l’expression suppose un certain déchiffrage, et dont la réversibilité est alors fonction de l’habileté de l’analyste à en saisir la mélodie et à en transmettre le contenu. il restitue à la conscience une représentation qu’elle avait récusée.

On constate que l’expression symptomatique du conflit psychique emprunte un autre mode d’expression, mais le plus important est de comprendre que cette expression s’adresse à un interlocuteur,  investi d’une place particulière. Cet interlocuteur peut être son voisin, ou plus vraisemblablement une représentation intériorisée d’une imago parentale

Le corps est un messager, il est le lieu ou se dépose le conflit et il en véhicule un sens àretrouver. le corps est porteur d’une trace, dont il garde la mémoire. C’est celle d’une représentation au contenu sexuel  toujours susceptible de retrouver son potentiel traumatogene lorsque elle est réactivée.

Exemple d’interprétation toux de Dora

 Séparation et troubles digestifs ( analyse MA)

Le corps comme médiateur et enjeu de la relation à l’autre

B ° Corps désincarné

Corps et psychose

Un bref rappel concernant le profondes transformations que le sujet éprouve et transmet dans certaines expériences  psychotiques

 j’ y ferai une courte allusion pour centrer mon propos sur d’autres formes d’altération du vécu corporel tel certaines expériences traumatiques précoces les engendrent.

Le morcellement psychotique paradoxalement se présente comme une lutte contre l’effondrement  : se diviser pour survivre  ! le sujet maintien des liens chaotiques avec les parties morcelées de lui-même. Les troubles de la représentation du corps révèlent l’importance des troubles de la représentation de  soi  ; projetées dans l’autre, elles constituent une tentative de maintenir un lien avec l’objet. C’est la fonction de l’identification projective

la clinique des situations limites’Ferenczi Roussillon

je souhaite maintenant insister sur certains configurations cliniques ou le corps est le  lieu ultime d’expression de la souffrance, d’ une souffrance psychique indicible. Le sentiment prédomine qu’au cours de ces états le sujet se retire de lui-même  ; il déshabite  son corps pour survivre, cela se traduit par un  déni d’appartenance, agonie, chaos) . Le sujet n’habite plus son corps .s’il l’habite encore il ne peut ni le reconnaître, ni l’aimer. Pire encore le martyriser, le faire souffrir, nourrit étrangement et paradoxalement de fugaces sensations d’appartenance, d’existence au prix d’une douleur singulière.

Cette souffrance traduit  une profonde distorsion dans  le rapport que le sujet entretiendra avec son propre corps  ;. Simple machine désinvestie, réduite à une fonctionnalité chaotique.

Le monde de la paradoxalité ses conséquences transférentielles

Exemples

1° clinique

A°»je m’auto mutile dira une jeune fille, car c’est pour moi une transformation possible  ; transformation poursuit elle d’une douleur morale en une douleur physique  !  » Plus supportable s’entend.

le transfert paradoxal

         B° «il n’y plus rien à dire  »répétera un patient sans envisager en aucune manière la séparation, l’interruption de l’analyse

Description

2° quelles sont les caractéristiques des relations transférentielles :mémoire et temps l’authenticité des affects Séparation traumatisme temps

Ricoeur ‘temps et recit ‘cite Saint augustin

P27 «qu’est ce se souvenir  ?C’est avoir une image du passé  ;Comment est ce possible  ?parce que cette image est une empreinte laissée par les événements et qui reste fixée dans l’esprit  .

 D’ailleurs quand on raconte des choses vraies mais passées, c’est de la mémoire qu’on tire, non les choses elles mêmes, qui ont passées, mais les mots conçus à partir des images qu’elles sont gravées dans l’esprit, comme des empreintes, en passant par les sens  »

Le présent du passé c’est la mémoire

Quelle structure de l’image qui vaut tantôt comme empreinte du passé, tantôt

comme signe du futur  ?Image empreinte, image signe «  p 29  »

Le travail de retrospectionP36

L’introduction du sentir

Qu’est ce que retenir ce qui a cessé.. Le présent du passé

Une action qui ravive  la mémoire  :le corps/ dynamisation progressive/Le transit des événements à travers le présent( temporalisation de l’experience/hiérarchisation intérieure de l’expérience)

Ricoeur /il existe une corrélation entre l’activité de raconter une histoire et  le caractère temporel de l’expérience humaine qui n’est pas purement accidentelle, mais présente une forme de nécessité transculturelle p85

La médiation symbolique de l’action diffère selon ricoeur de celui ce mouvement physique p88

Une relation d’intersignification

P92

Médiation symbolique de l’action  ; la configuration empirique du geste et son pouvoir signifiant (lever le bras), porteur d’un sens figuré, que l’on peut tenir comme inducteur de récit( mobiliser dans le présent l’ expérience héritée du passé)

historialiser

3°Deux registres psychopathologiques doivent être explorés même si les expressions symptomatiques se recoupent  ;

C’est le registre du trop de l’excès, (Violence, traumatisme  ),

C’ est le registre du manque, de l’absence (défaut d’investissement  ; les carences auto érotiques.)

sans nous étendre sur les conditions trop fréquemment rencontrées dans la clinique, nous mettrons l’accent sur certaines spécificités en rapport avec ces expériences globalement traumatiques la question est comment le processus analytique peut il permettre de Penser, habiter son corps, caractérisation de la relation les inscrire dans une histoire transmissible, communicable alors prédominent dans ces configurations de très graves desordres des fonctions symboliques. il peut être porteur d’un lourd passé transmis, d’une mémoire inaccessible, corps auquel manqueraient les outils qui permettraient de transmettre l’histoire de ses souffrances, de ses plaisirs qui ont permis son développement.

A la recherche  l’éprouvé  : la lutte contre le vide

 

rupture de asymbolisations quelles traces, quelle temporalité

Penser, habiter son corps, caractérisation de la relation. Le passage d’un corps sensoriel à un corps relationnel avec soi même et autrui

le corps comme machine

Le symptôme corporel est double entrée

mais Le corps soufrant peut être l’expression de tout autre chose, somatoses , troubles psychosomatiques expression d’un mode particulier de dysfonctionnement mais être l’expression de profondes carences  dont l a pathologie actuelle révèle la complexité  (les pathologies limites ) decrire  la carence des representation  ‘preconscient)

exemples

Le symptôme n’est un enjeu ou un médiateur (auto-érotisme, masochisme, auto mutilation a décrire la transformation d’une souffrance psychique en une souffrance corporelle)

la révélation d’un manque dans l’activité auto-érotique, la répétition comme tentative de reconstruire une image corporelle non finie

pour comprendre les modalités de fonctionnement de ce type de symptomatologie rappel de la construction de la représentation de soi dans ses rapports avec la construction et le maintien de l’identité

le passage du perceptif au représentatif

perception, figuration, représentation

la transformation d’une zone sensorielle en une zone érogène

la mise en jeu de toutes les fonctions perceptivo-motrices  ; regard, toucher, odeur, bruits, une symphonie de tous les organes sensoriels orientés vers la découverte l’exploration et la connaissance et re-connaissance de l’image de soi. un auto engendrement par la mise en jeu de l’activité sensorielle qui deviendra auto erotique

Spécularité et double

Le rôle des auto érotismes dans la construction d’une image de soi(succion/ auto conservation et libido)

 

Technique/Le contre transfert

Le partage d ‘un éprouvé commun

Expérience de l’authenticité

/retrouver ou trouver

historisation de l’expérience  ; renouer avec la «  passeité  » Ricoeur p454 redonner une fonctionnalité à la mémoire amputée (représentation substitutive)

C° le corps du rêve

Complément metapsychologique à la doctrine du rêve*

la capacité diagnostique (cf r madame F)  «  généralement reconnue et tenue pour énigmatique  »les souffrances corporelles sont souvent ressenties plus tôt et plus nettement que pendant la veille ‘p 246) et surviennent agrandies jusque au gigantisme  /Cet agrandissement est de nature hypochondriaque.

Le rêve est une projection du corps, d’un processus interne

La définition des trois formes de régression p250

Différence entre rêve et schizophrénie ( à discuter avec le dernier texte de l’ abrégé  ; le rêve est une psychose)

Le moi defini comme fondé sur une operationpsychiqu eréele consistant en une «  projection  » de l’organisme sur le psychisme.VOCB P        253

 REVE

Complément metapsychologique à la doctrine du rêve*

IMAGE MOTRICE  ? MOUVEMNT SYMBOLOSATION

Le souvenir primaire d’une perception est toujours une hallucination

Rendre figurable un evenment oublié dont le corps sera le vecteur et le porteur

le role du transfert dans ce retour sur d’une scene oubliée

le role du reve  : modification de la theorie du reve

Pourquoi est ele oubliée deux raisons



[1] La confrontation avec cette double ambiguïté est porteuse d’un potentiel traumatique susceptible de renvoyer le sujet à des expériences déréalisantes. On comprendra la restriction qui s’impose alors face à certaines demandes d’analyse.

[2] A.Green .De l’esquisse à l’interprétation des rêves  .in l’espace du Rêve  N.R.P.n,5 Gallimard .Printemps 1972

 

 
Corps en Séance- Dr Pierre DECOURT

Dernière mise à jour de la page: 2 juillet 2009

 
 

La souffrance et la découverte du corps, la pensée pour rendre compte de cette découverte.

                                                                              F.Nietzsche.

 

Toute la vie mentale est réglée par des actes ou discontinuités régulières que nous ne percevons que par exception.

P.Valery

Je vous ferai  part avant tout de mes  hésitations à traiter du thème «le corps en séance  » tant ce thème est complexe et vaste. Elles témoignent  d’une assez grande difficulté non seulement à traiter le problème dans son ensemble mais aussi de choisir un axe de travail plutôt qu‘un autre; corps érogène, corps dans son rapport avec la construction de l’identité dont il est le support, corps de langage et d‘échange, corps du rêve, langage du corps, mais aussi lieu de souffrance et de mémoire. Avant de m’attacher à ces deux derniers points plus particulièrement, un élément de certitude  est à souligner! Soulever la problématique du corps en séance implique une double approche qui dessinera au sein de l’espace de la séance une singulière chorégraphie, écrite et interprétée à deux. Le corps de l’analysant, celui de l’analyste, sont mis en jeu, tant dans leurs gestuelles que dans les représentations auxquelles ils donneront naissance. La richesse  des expressions gestuelles ou/et representationnelles est infinie fonction bien souvent du climat transfero-contretransférentiel du moment. Tantôt une profonde dysharmonie dans les échanges signe la distance  extrême qui  sépare  ces deux corps; tantôt à l’opposé on observera avec Joyce Mac- Dougal, certaines situations fusionnelles, réalisant une sorte de  «corps pour deux  », illustrant ainsi certains moments régressifs de la cure.

Avant d’en venir au thème, deux problèmes en partie abordés par les conférenciers précédents, sont à examiner; il s’agit d’un problème méthodologique et d’un problème de définition.

 1° le problème méthodologique.

L’instrumentation psychanalytique est- elle la plus pertinente pour traiter du corps  et de ses manifestations? Constitue t’elle le dispositif idéal  d’observation ?

2°le problème de définition 

De quoi parle t’on dans le champ psychanalytique à propos du corps  ?  Corps fantasmé, lieu du désir et de la jouissance, du corps représenté et mis en scène dans l’imaginaire ou du corps dans ses rapports avec le fonctionnement du moi  ?

Le dispositif analytique

Qui contesterait que le dispositif analytique n’est pas le seul modèle pour observer et traiter les manifestations corporelles dans leur polymorphisme ! D’autant que ce dispositif repose sur une mise en suspens artificielle du corps, plus précisément de la motricité, de la gestuelle. Il est précisément conçu pour différer l’acte  !La position allongée impose un  retrait sensori- moteur, afin de valoriser le champ de la parole et des représentations. L’ injonction fameuse, «vous devez dire tout ce qui vous vient  à l’esprit  !» exclue à priori la dimension corporelle au profit de la pensée et du langage. Cette exclusion se fait et c’est son but, pour d’éviter la décharge motrice  qui court-circuiterait la mentalisation des conflits inconscients. Enoncée ainsi, la règle fondamentale est   porteuse d’une double ambiguïté, mais cette ambiguïté [1] aura pour effet d’instituer le processus analytique, en induisant une dissymétrie non seulement entre les protagonistes mais également entre le processus  (liberté d’associer) et la technique (cadre). «  Vous devez tout dire  mais ne rien faire  » or, dire est déjà faire, complète les éléments d’une sorte  de double contrainte. Aucune réponse ne peut satisfaire totalement des exigences contraires  !

La règle fondamentale engage le sujet

1°A parler; mais parler est un acte qui nécessite la mise en jeu contrôlée de la motricité, donc du corps.

2° Elle est intrinsèquement  porteuse  d’une valence séductrice (dites-moi tout…) et interdictrice, surmoique (vous devez…). le dispositif analytique détermine ainsi une double clôture de l’espace psychique  ;

- clôture au niveau du pole perceptif qui supprime les informations du  monde extérieur, la plus part d’entre elles assurément. Elle focalise les perceptions sur l’univers endo-psychique qui devient l’objet d’un surinvestissement.

- clôture au niveau du pole moteur qui interdit la motricité, l’action.[2]

Ce que vise le dispositif analytique dont la règle fondamentale est le moteur c’est la valorisation du pensé, du représentatif, véhiculé par le dire, au détriment du geste. Celui ci, dont le surgissement est toujours possible, sera indexé d’une valeur plus ou moins péjorative lorsque la mise en jeu de la motricité prend la valeur d’un acting, court-circuitant l’élaboration des tensions psychiques survenues  au sein du processus analytique. Assez classiquement on considère que l’acting  vient à la place d’une parole qui n’a pu être dite ou entendue.

Le corps omniprésent

 

On observera, c’est ce que je vais essayer de montrer que paradoxalement la mise à l’écart apparente du corps au sein du dispositif analytique ne le ferra pas disparaître pour autant du champ d’observation ainsi défini  ; bien au contraire  ! Si le corps est omniprésent dans la cure, il a pourtant une place singulière.

Ce qui définit le corps dans le champ psychanalytique c’est le rapport

toujours incertain entre l’inconscient pulsionnel en constante poussé et l’image du corps, support de notre identité. Une équation régule les rapports entre image du corps et identité. Cette dernière est à la fois faite d’une certaine permanence - nous nous reconnaissons malgré le temps qui passe-  mais elle est aussi marquée par le changement infligé par la vie et ses vicissitudes. L’identité est ce qui garantie cette «mêmeté avec soi-même  »mais la présence de ses deux composantes - permanence et changement-  nourrissent un potentiel de conflit quasi incessant! Cette dimension conflictuelle est proprement structurelle. Le  corps sera le lieu et l’enjeu de toute problématique identitaire. Il n’y a pas d’analyse sans qu’a un moment ou un autre le corps ne figure. Son apparition peut revêtir des formes multiples.Tantôt, c‘est le corps réel qui manifestera sa plainte, sous forme de symptôme(somatisation) tantôt son expression métaphorique donnera au rêve une présence plus érotique  ; bref les modalités d’expression du corps sont pratiquement infinies  ? Précisons-les  !

Le corps pendant la séance

 

De quel corps s’agit il  en séance ? Il s’agit avant tout du corps dans sa dimension sexuée, tel qu’il est parlé, ressenti, éprouvé et rêvé, du corps tel qu’il est figuré, représenté, qui contribue à la création de l’image de nous même. On peut ainsi définir trois champs d’expression  ;

 -La motricité comme décharge libératrice d’une tension accumulée.

- le corps comme langage.

Les mouvements du corps sont initialement du coté de l’auto-conservation  ; ils assurent les besoins immédiats de l’enfant et sont compris généralement comme vitaux par la mère. (La bouche qui se tend vers sein…)

Le geste est porteur d’un message en quête de sens  et sollicite en retour une réponse adaptée; faim, souffrance besoin d ‘affection sont autant de messages intersubjectifs qui ils s’inscrivent dans une volonté d’échange et de reconnaissance entre mère et enfant. Ces messages témoignent d’une attente, d’une réponse en retour, dont la motricité se fait le vecteur.

- le corps sensoriel  .

L’activité pulsionnelle auto-érotique centrée sur les zones érogènes, source de sensation de plaisir ou de déplaisir, va concourir à dessiner les contours de l’image que nous faisons de nous même grâce à sa double fonction  ; exploratoire et constructrice  ; elle contribuera à définir deux espaces, le dedans et le dehors. Ainsi, est  assurée la différenciation entre l’intériorité et le monde du dehors grâce à la création de cette limite cutanée qui marque une différenciation fragile entre deux univers. Sous l’impulsion d’une «nouvelle action psychique », les différentes activités auto-érotiques  vont se solidariser pour donner naissance au narcissisme.  La représentation de soi se construit progressivement, a partir de l’investissement narcissique de nos propres contours  ; elle sera le support de notre identité. 

La conception conversive du symptôme somatique 

Qui n’a fait l’expérience du retentissement somatique de certains tracas survenus dans notre univers personnel, pour ne pas être convaincu que le corps est souvent le lieu d’inscription et d’expression de tensions intra-psychiques  . Expérience encore plus marquée dans la cure, le corps est le lieu d’expression de la souffrance psychique. La mise en jeu de la motricité a une vertu libératrice, cathartique même.Mais en la circonstance, elle est aussi le véhicule d’un message qui s’adresse à autrui  ; le corps ou plutôt les symptômes constituent là encore, les éléments d’un langage  visant non seulement à traduire une souffrance mais à attendre parfois à l’insu du sujet en retour une réponse adaptée. C ‘est la grande découverte de la première topique freudienne. Le symptôme corporel est l’expression d’un conflit dont le sens reste à découvrir, celui ci a un  contenu éminemment sexuel.

Le  modèle hystérique est une amplification de ces petits phénomènes auxquels je faisais allusion et dont nous faisons régulièrement l’expérience. Il illustre le phénomène de la conversion qualifié par Freud de «saut dans le soma  ». Le symptôme, infini dans ses formes, est l’expression somatique d’un conflit psychique. Ce qui est profondément nouveau dans la compréhension de l’économie symptôme convertionnelle, c’est son caractère sexuel. En s’opposant  aux interdits personnels ou culturels, le désir sexuel emprunte une autre voie d’expression. Le refoulement fait  disparaître la représentation interdite de la sphère psychique. Elle disparaît, mais pour faire retour, surgir dans le corps sous des formes extrêmement variées, pour emprunter des voies d’expression qui réactivent  l’ excitation de certaines zones corporelles, ayant fait l’ objet qui dans l’histoire du sujet, d ‘investissements très particuliers. (soins maternels excitants, valorisation de la curiosité de l’entourage etc…)

 L’enthousiasme du  pionnier qu’était Freud l’a porté à croire un temps, que  l’interprétation du sens de cette manifestation détournée, qu’est la conversion, la ferait disparaître. Malheureusement  la révélation du désir sous-jacent au symptôme à expression somatique et le mécanisme défensif qui a engendré son apparition, ne remédiera pas toujours à cette erreur d’aiguillage. En effet, d’autres processus en cours peuvent contribuer à la fixation des symptômes incriminés, et rendent leur disparition difficile ou éphémère. On observera que  le symptôme à expression somatique constitue un maillon d’une chaîne langagière qui un temps aurait perdu sa logique discursive et signifiante. Il traduit la faillite des processus langagiers débordés par le trop d’excitation liée au contenu sexuel de la représentation. Il y a eu un simplement glissement d’un registre à un autre  ; Freud parle de  «conversion symbolisante.  » Si ce n’était la connotation eschatologique on pourrait dire que le mot ou plutôt le conflits’est fait chair  ! Le corps parle un langage qui lui est propre dont l’expression suppose un certain déchiffrage, et dont la réversibilité est fonction – en partie- de l’habileté de l’analyste à en saisir la mélodie et à en transmettre le contenu. L’interprétation restitue à la conscience une représentation qu’elle avait récusée.

Le corps est un médiateur et le symptôme un enjeu dans  la relation à l’autre. La réinscription du conflit dans le courant des pensées associatives, dans la chaîne symbolique un temps rompu  qui lie les deux interlocuteurs est porteuse d’un espoir de guérison.

Le corps comme lieu d’une blessure symbolique

angoisses de castration, angoisses de morcellement

En touchant et réactivant dans et par le transfert des éléments d’une histoire enfouie, oubliée, l’analyse peut engendrer de  profondes transformations. Le sujet éprouvera, confronté a certaines situations transférentielles marquées par la confrontation avec l’interdit de l’inceste, qui signe l’intégration de la différences des sexes et des générations,  la  perte d’un sentiment de toute puissance. Cette perte s’accompagne d’une altération  du sentiment d’unité psychique, conséquence de l’émergence d’angoisses profondes. Elles sont  induites par la crainte fantasmatique de la castration barrant l’accès à la réalisation des souhaits incestueux.

Quiconque dans une analyse suffisamment poussée se souviendra de ces moments, survenus au décours d’une interprétation, d’un rêve, de ces angoisses profondes qui brise le sentiment d’unité narcissique.[3] Selon les structures psychiques en jeu, ces angoisses de castration peuvent activer d’autres angoisses plus primitives. Je veux parler des angoisses de morcellement et de désintégration à un degré plus archaïque encore.

Le morcellement psychotique dans sa forme, paradoxalement se présente comme une lutte contre l’effondrement  : se diviser pour survivre  ! Le sujet maintien des liens chaotiques avec les parties morcelées de lui-même. Ces parties  projetées dans l’autre, constituent une tentative de maintenir un lien avec l’objet. L’identification projective, en projetant en l’autre parties de soi garanti le maintien d’ un lien vital avec l’objet.

 

la clinique des situations limites 

 

Soulève un autre type de d’interrogations initialement posées par Ferenczi et largement repris et développées par Roussillon[4]. Certaines expériences psychiques que l’on qualifie de «limites  » révèlent l’absence d’organisation de l’ image corporelle présentée par certains patients, traversés par un profond sentiment  de non appartenance, de dépossession. L’accent est alors mis sur la difficulté pour ces sujets  à garder la  trace de certaines expériences en raison de la qualité de celle ci. Elles n’ont pu  s’inscrire dans un souvenir. Ainsi, quelque chose de l’histoire individuelle n’a pu se construire, et tisser une trame constitutive d’un passé  .Le passé est amputé, la mémoire aussi  [5]! L’identité se trouve affectée, fragmentée  ; la trace de l’événement paraît définitivement dissoute, absente du monde des représentations, parfois perdue à jamais.

Parfois, paradoxalement, on observera à distance  les effets  de cette  trace insidieusement présente, trop présente, bruyante responsable d’une clinique bien spécifique. Le champ d’expression de la symptomatologie est particulier. Y prédominent la violence, le potentiel aux agirs destructeurs, les troubles identitaires, la dépression narcissique,  la déréalisation, le morcellement, l’agonie psychique.

Vous l’aurez compris nous évoluerons dans l’univers où dominent  les troubles de la symbolisation  primaire, celui ou les outils même du processus de symbolisation n’ont pu se constituer!

Comme le souligne Ricoeur[6], l’oubli est ici destructeur. Il entraîne avec lui, la partie de soi engagée dans l’expérience traumatique  : la mémoire est amputée tant dans ses capacités que dans son contenu. Certaines expériences traumatiques n’ont laissées  aucune trace mnésique, elles ont altéré l’ensemble du rapport entre psyché et soma. Cette souffrance se manifeste par une profonde distorsion dans le rapport intime que le sujet entretien avec son propre corps  ; celui ci n’est plus qu’une simple machine désinvestie, réduite à une fonctionnalité chaotique  ; le sujet s’est retiré de lui- même, il déshabite son corps pour survivre. Cela se traduit alors par un déni d’appartenance, une situation d’agonie mentale de chaos psychique. Le sujet n’habite plus son corps  ; s’il l’habite encore, il ne peut ni le reconnaître, ni l’ aimer  ! Pire encore, le martyriser, le faire souffrir, nourrit étrangement et paradoxalement de fugaces sensations d’auto-appartenance, d’existence, au prix d’une douleur singulière. Le monde de la paradoxalité règne en maître et ses conséquences  transférentielles sont assez spécifiques. Le sujet répète en séance ces expériences traumatiques au lieu de se souvenir. Il s’agit pourtant d’une répétition particulière. Elle vise à engloutir toute forme de lien intersubjectif qui pourrait constituer les prémisses d’une historisation de son passé  ;

-«  je m’auto-mutile dira une jeune fille, car s’est pour moi une transformation possible  ! Transformation, poursuit- elle d’une douleur morale en une douleur physique  !  »  plus supportable s’entend.

-«  il n’y  a plus rien à dire  !» dira cet autre analysant, constatant qu’il répète toujours la même chose éludant toute perspective d’ arrêt de la cure, comme si en répétant le même thème de l’insatisfaction, il s’assurait de ne jamais quitter son analyste, dont il attend qu’il lui permette de renouer avec l’univers follement idéalisé de son enfance.

Quelles sont les caractéristiques  des relations transférentielles propres à ces «situations limites  »  ? S’il  n’existe pas de trace de l’expérience traumatique originelle, comment les conséquences de cette absence vont se manifester dans la situation analytique?

Peut-on postuler la présence en négatif de ces traces  ?C’est la question à laquelle J.L Donnet  [7]répond  en l’ ouvrant  vers de nouvelles directions; «  L’existence postulée d’une trace fait s’interroger non seulement sur l’effacement de la trace, mais sur la trace de l’effacement  »  Le contenu effacé n’est pas de l’ordre de la représentation de ce qui aurait ainsi disparu. Ce contenu est de l’ordre du perceptif. L’effacement lui -même est diffèrent du déni. Il porte sur une perception inscrite mais non intégrée. Il s’agit dans cette clinique parfois déconcertante, dont on peut observer parfois les conséquences à distance, d’un événement qui psychiquement n’aurait pas eu lieu, serait non advenu. Seul  le processus même de l’effacement pourrait faire trace.

Sous quelles formes ce processus de l’effacement qui n’a rien de commun avec le refoulement ou le déni se manifestera t’il dans la cure? Quelles conséquences sur la relation transfero-contretransferentielle  ? Cette relation  permet t’elle de renouer avec l’effacé, c’est a dire avec un contenu jamais advenu et de donner une représentation psychique possible? Voilà les questions complexes auxquelles nous renvoie la clinique actuelle des configurations cliniques définies de plus en plus comment des états frontières, qui conduisent à la frontière de la technique, et de la pratique, mais surtout à la frontière et aux sources de la vie psychique. L’enjeu est assez clair  : peut-on rendre figurable un événement oublié dont le corps sera le vecteur et le porteur et dont seuls les éléments sensoriels afférents à l’événement lui-même persistent  avec la même acuité?

Du corps sensoriel au corps relationnel

Le  partage d ‘un éprouvé commun peut engager un rapprochement assez singulier entre les deux acteurs et signer l’authenticité de l’expérience vécue. Il ne s’agit pourtant pas du retour d’une scène oubliée, pas plus que l’on puisse qualifier ce moment de transférentiel. Je préfère la désignation proposée par François Roustang qui propose pour définir ce temps particulier de la rencontre «de relation réelle  », rencontre marquée par le partage d’affects souvent émotionnellement chargés, directement en rapport avec un événement traumatique non symbolisé, appartenant à l’histoire du sujet.

 En effet dans la conception originelle du transfert, telle que la cure le révèle, on assiste à la naissance artificielle d’une relation qui constitue «une nouvelle édition  » d’une conflictualité ancienne. Le transfert n’est autre qu’une une névrose artificielle, répétition d’un modèle venu du passé et fondé sur les premières relations d’objet.

L’efflorescence de la sensorialité, dans les cas auxquels je faisais référence, ainsi  activée permet de parcourir les traces enfouies, dont l’expression sera non pas facteur de réminiscence, mais d’avantage facteur d’un agir ayant une valeur de médiation symbolique. Faut-il se rappeler que «émotion  »[8] à la même origine linguistique que mouvement, motion.

l’analyste est envahi par les effets hypnotiques de cette efflorescence sensorielle, effet de l’appropriation de la problématique traumatique perçue inconsciemment mais non représentée. Une sensation de flottement identitaire partagée, peut résulter de cette forme archaïque d’échange purement mimétique.

 Ce rapport hypnotique ne bloque pas la processualité de l’échange interpersonnel. IL offre au contraire, d’autres possibilités d’échanges et de dialogue  ! 

Parfois les effets se prolongent au sein même de la corporeité  de l’analyste. Ils sont faits d’impressions cénesthésiques bizarres, marquées par le besoin de bouger, de libérer par une micro motricité les tensions musculaires erratiques. Ces manifestations témoignent de la proximité du noyau traumatique. Du coté du patient, il y a évacuation, expulsion, sur le modèle de l’abcès incisé qui s’évacue son potentiel de contamination pour l’autre.

Il n’y a pas, à mon sens d’élaboration possible de l’expérience, mais drainage des effets du traumatisme par la mise en jeu du pouvoir cathartique de l’action

 Freud avait saisi l’importance de la dimension cathartique de l’action, dans Remémoration, répétition perlaboration[9]  .

Il compare les effets de la perlaboration à «l’abré-action  » des charges affectives refoulées il suggère que l’un et l’autre aient la même vertu modificatrice en levant les résistances. «  Cette élaboration des résistances peut, pour l’analysé, constituer, dans la pratique, une tache ardue et être pour le psychanalyste une épreuve de patience. De toutes les parties du travail analytique, elle est pourtant celle qui exerce sur le patient la plus grande influence modificatrice, celle aussi qui différencie le travail analytique de tous les genres de traitements par suggestion. On peut la comparer du point de vue théorique, à l’abréaction des charges affectives séquestrées par le refoulement et sans laquelle le traitement analytique demeurerait inopérant.  »

Cette chorégraphie intime qui réuni les protagonistes constitue une  véritable médiation symbolique de l’action. La configuration empirique du geste et son pouvoir signifiant porteur d’un sens figuré, devient dans certaines circonstances  un inducteur de récit dont la trame se construira alors. L’action ne ravive pas  la mémoire, mais assure le transit des événements à travers le présent. S’organise ainsi une temporisation de l’expérience, une hiérarchisation intérieure de l’expérience dont le corps portera la trace et la mémoire.

 Corps et rêve

Non pour clore, mais ouvrir encore le débat autour du thème «corps et mémoire  », il faut se référer à la fonctionnalité de l’inconscient, gigantesque mémoire dont seuls quelques chapitres nous sont accessibles et signaler la fonction mémorielle et transformatrice du travail du rêve.

Qu’est ce que le rêve heautoscopique, si ce n’est la mise en scène de sa propre personne, si ce n’est la possibilité, pour chacun, de percevoir hallucinatoirement ses propres contours lorsqu’ ils deviennent incertains. La découverte des sources somatiques du rêve  est ancienne. Aristote considérait déjà que le rêve avait la capacité de signaler le début de maladies jusque là inaperçues, attribuant au rêve, une sorte de fonction prophétique.

Cette capacité diagnostique  du rêve a été reprise et développée par Freud [10]«  Généralement reconnue et retenue comme énigmatiques, les souffrances corporelles sont souvent ressenties plutôt et plus nettement que pendant la veille et surviennent agrandies jusqu’au gigantisme. C’est agrandissement est de nature hypocondriaque  ».

L’hypothèse d’une mémoire hors de l’activité de conscience est ici bien démontrée. La séance, dont les analogies avec le rêve ont été maintes fois soulignées, est porteuse parfois, de quelque chose de prophétique. A coup sûr, son déroulement offre une immense potentialité de mémorisation d’un  passé qui reste bien souvent à construire ou à imaginer.

Pierre Decourt

115, avenue de Lodeve

34070 Montpellier

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[1] La confrontation avec cette double ambiguïté est porteuse d’un potentiel traumatique susceptible de renvoyer le sujet à des expériences déréalisantes. On comprendra la restriction qui s’impose alors face à certaines demandes d’analyse.

[2] Green. A. De l’esquisse à l’interprétation des rêves. in l’espace du Rêve  N.R.P.n°5 Gallimard .Printemps 1972

[3] Freud avec l’analyse de l’homme aux loups montrera comment l’hallucination du doigt coupé figurera la problématique de la castration et ses conséquences particulières en la circonstance.

[4] Roussillon. R. Agonie, clivage et symbolisation, PUF, 1999.

[5] Freud S. «l’hypothèse de la conservation de tout ce qui s’est passé ne vaut pour la vie d’âme aussi, qu’à condition que l’organe de la psyché soit demeuré intact, que son tissu n’ait souffert ni de trauma, ni d’inflammation.  »in Malaise dans la culture, vol 18 ,oeuvres complètes , P.U.F  .

[6] Ricoeur P. La Mémoire, l’Histoire, L Oubli. Le Seuil 2000.

[7] Donnet jean-luc. L’antinomie de la résistance, in l’Inconscient, n°4,  p  ;69

[8] Emprunté au latin, motion, «mouvement  » in Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain Rey tome 1 p, 681.

[9] Freud S  ; La technique psychanalytique.  PUF  ; p 115,1972

[10] Freud. S. in Révision de la doctrine du rêve  ; in Œuvres complètes, vol 10, p 246, P.U.F 1995.

 

 
 
De quelques obstacles épistémologiques propres à l'évaluation des processus psychiques - Dr Pierre DECOURT

Dernière mise à jour de la page: 2 juillet 2009

 

Dr Pierre DECOURT

Psychiatre psychanalyste

Montpellier

 

La conception erronée de la science se révèle dans la soif d'exactitude

Karl Popper, p287

Introduction

L'argument proposé pose très clairement les enjeux du problème et soulève

1° Une question politique sur laquelle nous ne nous prononcerons pas

L'argument invoque le poids du socius et les dérives possibles dont la forme la plus extrême conduirait la tutelle à cette formulation;

" je paye pour un service et j'évaluerai le rapport qualité prix, sinon j'attendrai les soldes!!!

Plus sérieusement"

2°L'argument suggère sans le poser réellement  un problème épistémologique complexe qui traduit avec l'introduction de l'exigence evaluative, un double changement de paradigme ; Avec la volonté de propulser la médecine au rang des sciences dites dures[1], s'opère un saut de nature qualitative, révolutionnaire pour la pensée de ceux qui sont confrontés dans leur exercice à la complexité du fonctionnement psychique;

;Les conséquences seraient les suivantes

-                La médecine ne serait plus hippocratique dans son essence en perdant l'exercice de cet l'art bien spécifique qui la caractérisait[2] , fondée sur la relation interpersonnelle.

-                Cette position imposerait un renoncement radical à toute approche psychopathologique, en ne faisant plus de la recherche du sens l'objectif du changement. La tradition  herméneutique, s'évanouirait!

Le credo de ces changements paradigmatiques est le suivant

une méthode thérapeutique,  faute d'être attestée par des preuves concluantes peut bel et bien être considérée comme dénuée de toute valeur substantielle"

Le corollaire de cette assertion est le suivant: Seule l' évaluation d' une méthode thérapeutique est en mesure de fournir des preuves concordantes, quant à son efficacité, à défaut de preuve elle sera considérée caduque. (les sous-entendus économiques et jurisprudentiels)

" Tu dois apporter les preuves de ton efficacité ,tu sera sinon considéré comme un charlatan" , mais dans le domaine de la vie psychique qu'est ce que  l'efficacité. Quelles preuves opposer à cet argument? ( infalsifiable-K.P.?)

la disparition des phobies narcissiques invalidantes au profit d'un délire intrusif ?Comment attester du bien fondé d'une structuration masochiste du moi, dernier rempart contre la desintrication pulsionnelle et la régression maligne au bout du chemin.

 

 

3) Qu' est qu'une preuve en psychologie ou dans le domaine de la psychopathologie?

Une trace objective? Qu'est ce que l'objectivité dans le champ de l' intersubjectivité, de l'intrapsychique?

Un accord tacite entre les protagonistes concernant la disparition de tel ou tel symptôme, qui peut garantir qu'il ne s'agit que d' un effet d'une Séduction, ou la manifestation d'une guérison paradoxale?[3]

Donnez moi la preuve de la validité de votre pratique ou de vos hypothèses alors que la preuve est improuvable car la pratique ne se fonde que d' une conviction partagée engagent la subjectivité des acteurs.

Cette petite perversion de la pensée en raison de son fondement paradoxal cherche à satisfaire des exigences contradictoires (scientifiques,  juridiques, et thérapeutiques)Elle procede d'une injonction qui se caractérise par le coté aporétique de l'exigence et n' appelle que des réponses insatisfaisantes au regard de l'autorité, au regard de la science,  car réductrice du point de vue de la complexité du fonctionnement mental.

Elle participe à la confusion entre Etiopathogenie( causalité temporalité lineaire)etpsychogenese; (processus, temporalité après coup)

La preuve est le produit transmissible de la rencontre de deux expériences émotionnelles partagées dans une même temporalité dont naîtra la conviction, parfois la certitude, dans tout les cas une adhésion nuancée, à la fois " irréductible et dubitative" [4]; On comprendra dans cette approche que sa modélisation soit complexe, et insatisfaisante au regard de l'exigence tutélaire.( organismes payeurs, justice, etc)

 

Qu'est ce que l'évaluation?

un problème d'étymologie: évaluer, c'est définir une valeur un cours, un coût. Ce qui nous est aujourd'hui proposé sous la pression tutélaire, confère à l'évaluation une portée extensive qui recoupe des réalités différentes . Elle inclura plusieurs paramètres  allant de l'appréciation de la méthode au résultat obtenu eu égard à un modèle préétabli, souvent à l'aune de l' outil statistique et financier. A ce titre le concept d'évaluation est assez " confusant" pour l'esprit même si les objectifs sont aujourd'hui implicitement axés autour de l'idée de la recherche d'efficacité, et de maîtrise des coûts sous tendus par une idéologie qui, il ne faut pas le nier, a sa validité. L' ambiguïté de la démarche qui nous est proposée est perceptible d'emblée puisque les mêmes items (mathématiques- statistiques,  psychométriques( Lester Luborsky[5])devront selon un modèle binaire apprécier, un coût, une méthode et ses résultats, souvent dans une perspective prophylactique. Ainsi plusieurs champs distincts, financiers , méthodologiques et intersubjectifs et prédictifs seront évalués avec le même outil!  Pourtant, l'extrapolation des résultats statistiques, le traitement probabiliste de ces résultats posent en soi des problèmes complexes et contiennent une part spéculative et inductive non négligeable, susceptible de modifier les résultats de l'expérience. Il ne suffit pas de prolonger les courbes graphiques pour prédire l'avenir!

Un consensus

 

S' il peut y avoir  une réelle complexité à savoir de quoi parle t'on à propos de l' évaluation, il y a pourtant un consensus fort chez les utilisateurs qui repose sur les points suivants, non négligeables;

Rendre intelligible le changement

Réduire l'arbitraire

Poursuivre des objectifs scientifiques transmissibles(La falsifiabilité)

Une incertitude pourtant; Les résultats de toute évaluation ont ils une valeur prédictive? Valeur, considéré par certains comme le critère scientifique par excellence: définir des algorithmes capables de prédire, voilà l'enjeu!

A partir de ces données je voudrais faire  quelques remarques et soumettre  quelques hypothèses à la  réflexion

1° Critique méthodologique

 

La position des philosophes des sciences et la critique de l'argument scientifique."L'exigence d'objectivité scientifique rend inévitable que tout énoncé scientifique reste et à jamais donné à titre d'essai" (K.P.p,286)

 

A)    Les outils d'évaluation proposés pour certains champs scientifiques ont ils une valeuruniverselle? Peuvent ils être valides quelques soient la discipline évaluée, y compris dans les sciences dites humaines? Est il légitime de puiser dans d'autres champs scientifiques des outils d'analyse pour rendre compte de phénomènes observés dans le domaine de la pensée? ( l'exemple de Freud /rôle de metaphorisation)

 

B) L'illusion de l'objectivité

- L'évaluation se définit par rapport à des buts, des objectifs, elle s'effectue au moyen d'outils qui, ne l'oublions jamais,  comme dans tout discipline scientifique engagent lasubjectivité de l'observateur. Ces buts et ces objectifs ne sont ils pas enclins à infléchir les résultats observés dans telle ou telle direction? N' il y a t'il pas toujours une dose d'induction dans l' observation, ne serait ce pour valider les théories sous jasantes à la recherche.

- Toute observation est aussi un jugement même s' il vise à l'objectivité, en cherchant à se dégager des effets de séductions induits par l' objet de son évaluation ou la théorie qui le supporte.

Quelque soit le mode d'observation, y compris s' il est fait usage d' un appareil pour rendre compte du phénomène observé, l'exploitation du résultat, c'est à dire sa transmission nécessite une dose d'interprétation qui n'est jamais neutre.

-L'évaluation s'effectue à un temps t et suppose une stabilité structurelle de l'objet observé, ce qui dans le domaine de la psyché est plus qu' improbable

- tant en raison de la longue maturation de l' appareil psychique qu'en vertu des remaniements perpétuels du moi soumis a l'activité pulsionnelle incessante; l' appareil psychique est un univers instable soumis à la poussée constante de la pulsion et au temps

-                qu'en raison de la plasticité du moi toujours soumis aux effets hypnotiques de l'objet , effets hypnotiques dont Freud n'a jamais totalement malgré le dispositif fauteuil divan faire réellement l'économie.

- Les présupposés theoriques: Les conceptions que l'on aura du fonctionnement psychique orienteront la démarche evaluative.

Nous limiterons ces conceptions à deux

La causalité psychique et le modèle freudien

L' opposition entre

-                une conception causalisteK.P.P59

le principe de causalité consiste dans l'affirmation que n'importe quel événement peut être expliqué par un lien causal. Cet événement peut être prévu de manière déductive (conception positiviste- déterminisme/métaphysique)

 P.Valéry indique que " Rien ne prouve que le principe de causalité soit applicable en psychologie"

Dans le même sens,RTp133" La notion de cause est une notion trompeuse  la réalité est faite d'un réseau complexe d'interactions " ; En ce sens elle simplifie à l'extrême la complexité desphénomènes, dont les scientifiquesont tendance depuis 20 ans à faire l'éloge

Pour le même auteur, l'approche réductionniste, (conséquence du principe decausalité), échoue face au phénomène quasi universel d'une hiérarchie de niveaux, telle que la métapsychologie freudienne en atteste? et qui figure dans sa conception des instances psychiques( cs,,precs, ics ; moi, surmoi, ça)

Fiction clinique

 

Edmond est un jeune élève du conservatoire. Violoniste plutôt doué il découvrit sa passion des son jeune âge baigné par l'atmosphère musicale que sa grand mère maternelle avait fait naître et su entretenir grâce à son goût pour le chant. Sorti dans un bon rang de l'école les difficultés commencèrent vraiment pour Edmond: Sa passion ne lui permettait pas de subvenir à ces besoins malgré l'aide de sa famille La confrontation avec les exigences de la vie, que sa volonté d'indépendance induisait, l'obligea à renoncer à l a perpective de faire une carrière artistique .IL se retrouva au Mac do du coin; à lire les partitions griffonnées des commandes des clients pressés. Quelques mois après cette conversion, de violentes douleurs abdominales apparurent progressivement, les dimanches, rythmées par la perspective du retour à son poste le lundi à 7heures.Les interventions médicales répétées s'avérèrent peu efficientes, et les examens dits complémentaires sans particularité, n'apportèrent aucun complément!.

Comment 'évaluer le symptôme digestif si ce n'est en terme de quantité, ( plus ou moins)sauf à prendre en considération la dynamique invisible sous jacente, que l'on entrevoit et qui nécessite un changement de paradigme,( pour en comprendre la fonctionnalité) introduisant subjectivité et histoire; c'est à dire la dimension diachronique; la souffrance psychique de l'artiste  indique quel que chose de profondément personnel qui le submerge, et apparaît dans les dédales d'une symptomatologie banale; je suis un artiste qui souffre de ne pouvoir vivre de ma passion, et je dis cette souffrance à mon insu par un détour inchiffrable au regard d' un approche evaluative standardisée. Mais cette souffrance ne prend sens qu'à la lumière de son interprétation; elle ne peut avoir de valeur généralisante.

Le symptôme indique  au moins deux choses; la souffrance d'un organe, et dévoile l'émergence d'une passion refoulée qui donne sens au symptôme; Il objective un signe et la réalité d'un conflit psychique et son destin détourné. La disparition du signe ne modifiera en rien la causalité, sauf à donner satisfaction au désir empêché dans sa réalisation

La seule prise en compte du symptôme selon une logique causaliste conduit à une impasse. En isolant le symptôme d'un contexte fantasmatique particulier propre à l'histoire d'Edmond, nous nous priverions d'une compréhension générale de sa souffrance et d'une réponse appropriée.

Les guérisons paradoxales

Comment comprendre et évaluer ces phénomènes assez fréquents,

1) à savoir la disparition inattendue de tel ou tel symptôme, sauf à convoquer les effets de Suggestion comme tentative de séduction (manifestation de l' aliénation hypnotique)

(L'exemple du deuxième entretien préliminaire)

2)Le fonctionnement négatif et la prise en compte de ce qui n'est pas dit


Pourtant le thème de l'evaluation et la logique qui le soutend est un nouveau défi pour la pensée psychanalytique

 

le thème de l'évaluation contraint les analystes à une réflexion qui suppose une révision de leur propres paradigmes, même s'ils s'en defendent ;

 

 

1)La formation des analystes ;Quelle évaluation?

 

 2)Méthode

A° Une dynamique de l'incertitude, qui permet de tirer parti du coté inachevé parfois inachevable de l'analyse

Un mouvement de doute méthodique comme instrument de  progrès

B° la subjectivité de l'observateur; comme outil d' appréciation et de mesure du processus (l'interpretation) L'introduction du contre transfert: le vécu pulsionnel liée au phénomène observé

3)Les objectifs

Comprendre comment se forge la conviction et la croyance afin de théoriser le mouvement( valeur structurelle)

Le sens est il facteur  de changement

Les changements à l'insu des protagonistes

L'  évaluation du changement(Wildlocher-1980) et sa complexité ; le point de vue topique

Penser le passage d'un système différentiel à un autre système, ainsi le changement ne se limite  pas au niveau conscient , il se produit parfois à l'insu même du sujet et parfois de l'analyste au niveau precs( enrichissement du capital des représentations), ou ics( sublimation)

 

Dans le cas des processus psychiques tels qu'ils se développent s'enrichissent dans le mouvement intersubjectif qui structure le relation interhumaine que peut on évaluer?

La charge émotionnelle, la syntaxe, les représentations qui fleurissent, les discontinuité du discours , cad les oublis les lapsus (Mais Complexification de la démarche evaluative si on introduit la discontinuité des processus psychiques le rêve, les lapsus)

? Tout cela est bien difficile voir dérisoire

La particularité que je voudrais souligner tient au fait qu'il impossible d'évaluer un signe, un symptôme, son destin, disparition ou aggravation, sans prendre en considération la structure sur laquelle il pousse, et se déplace

 Evaluer Quoi sans évaluer qui ?Le signe/ le symptôme  est intrinsèquement articulé avec le conflit qui le détermine

L'introduction du sens qui va donner à un symptôme hystérique par exemple une valeur spécifique si on compare le même symptôme observé chez un patient mélancolique; Le sens à construire, ( états limites)ou reconstruire

 

Auguste Comte

" Chaque discipline à le droit d'avoir recours à une conceptualisation spécifique"

L'évaluation ne peut avoir de prétention scientifique, tout au plus elle est uneméthodologie , une sorte de langage permettant d'organiser les données de l'expérience , à conditions de lui soustraire pour ce qui concerne le champ de la vie psychique toute prétention généralisante

Mais le plus convainquant concernant l'intérêt de cette démarche sera dans l'évaluation (de l' évaluation) de sa capacité de transmission d'une connaissance à partir des données qui lui sont propres, en oubliant jamais que " la conception erronée de la science se révèle dans sa soif d'exactitude" .

Platon

L'argument est le suivant : le chercheur dit alors qu'il limite sa démarche à l'unique observation des faits" à l'état brut" .Position qui  ne peut conduire qu'a l'accumulation d'une connaissance chaotique dépourvue de toute organisation interne RTp58.[6]

 



[1] Kuhn ;Une succession d'évolution continue, séparée par des sauts brusques  de nature qualitative différente.

[2] Fort heureusement la pratique renvoie sans cesse a la méditation du praticien des incertitudes dont l'effet placebo n'est pas le moindre

[3] On comprend mieux que l'hystérie ne figure pas dans les classification modernes .Elle subvertit toute rationalité affichée et invalide la logique causaliste.

[4] " une croyance selon Heidegger qui va au dela des choses percues" (Heidegger Questions 2 commentaire de Platon la caverne)

[5] En fait les grilles de lecture se concentrent plus particulièrement sur l'évaluation des symptômes dont l'auteur apprécie, l'intensité , la résistance ou la disparition en fonction de telle ou telle approche thérapeutique ou en vertu des facteurs environnementaux

[6] Les faits doivent être vus en relation avec une certaine problématique, en l'occurrence identitaire!Quand on évalue un symptôme on sollicite implicitement ou explicitement une interrogation plus complexe qui porte sur l' identité du sujet


 

 


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