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Corps en Séance- Dr Pierre DECOURT

Dernière mise à jour de la page: 2 juillet 2009

 
 

La souffrance et la découverte du corps, la pensée pour rendre compte de cette découverte.

                                                                              F.Nietzsche.

 

Toute la vie mentale est réglée par des actes ou discontinuités régulières que nous ne percevons que par exception.

P.Valery

Je vous ferai  part avant tout de mes  hésitations à traiter du thème «le corps en séance  » tant ce thème est complexe et vaste. Elles témoignent  d’une assez grande difficulté non seulement à traiter le problème dans son ensemble mais aussi de choisir un axe de travail plutôt qu‘un autre; corps érogène, corps dans son rapport avec la construction de l’identité dont il est le support, corps de langage et d‘échange, corps du rêve, langage du corps, mais aussi lieu de souffrance et de mémoire. Avant de m’attacher à ces deux derniers points plus particulièrement, un élément de certitude  est à souligner! Soulever la problématique du corps en séance implique une double approche qui dessinera au sein de l’espace de la séance une singulière chorégraphie, écrite et interprétée à deux. Le corps de l’analysant, celui de l’analyste, sont mis en jeu, tant dans leurs gestuelles que dans les représentations auxquelles ils donneront naissance. La richesse  des expressions gestuelles ou/et representationnelles est infinie fonction bien souvent du climat transfero-contretransférentiel du moment. Tantôt une profonde dysharmonie dans les échanges signe la distance  extrême qui  sépare  ces deux corps; tantôt à l’opposé on observera avec Joyce Mac- Dougal, certaines situations fusionnelles, réalisant une sorte de  «corps pour deux  », illustrant ainsi certains moments régressifs de la cure.

Avant d’en venir au thème, deux problèmes en partie abordés par les conférenciers précédents, sont à examiner; il s’agit d’un problème méthodologique et d’un problème de définition.

 1° le problème méthodologique.

L’instrumentation psychanalytique est- elle la plus pertinente pour traiter du corps  et de ses manifestations? Constitue t’elle le dispositif idéal  d’observation ?

2°le problème de définition 

De quoi parle t’on dans le champ psychanalytique à propos du corps  ?  Corps fantasmé, lieu du désir et de la jouissance, du corps représenté et mis en scène dans l’imaginaire ou du corps dans ses rapports avec le fonctionnement du moi  ?

Le dispositif analytique

Qui contesterait que le dispositif analytique n’est pas le seul modèle pour observer et traiter les manifestations corporelles dans leur polymorphisme ! D’autant que ce dispositif repose sur une mise en suspens artificielle du corps, plus précisément de la motricité, de la gestuelle. Il est précisément conçu pour différer l’acte  !La position allongée impose un  retrait sensori- moteur, afin de valoriser le champ de la parole et des représentations. L’ injonction fameuse, «vous devez dire tout ce qui vous vient  à l’esprit  !» exclue à priori la dimension corporelle au profit de la pensée et du langage. Cette exclusion se fait et c’est son but, pour d’éviter la décharge motrice  qui court-circuiterait la mentalisation des conflits inconscients. Enoncée ainsi, la règle fondamentale est   porteuse d’une double ambiguïté, mais cette ambiguïté [1] aura pour effet d’instituer le processus analytique, en induisant une dissymétrie non seulement entre les protagonistes mais également entre le processus  (liberté d’associer) et la technique (cadre). «  Vous devez tout dire  mais ne rien faire  » or, dire est déjà faire, complète les éléments d’une sorte  de double contrainte. Aucune réponse ne peut satisfaire totalement des exigences contraires  !

La règle fondamentale engage le sujet

1°A parler; mais parler est un acte qui nécessite la mise en jeu contrôlée de la motricité, donc du corps.

2° Elle est intrinsèquement  porteuse  d’une valence séductrice (dites-moi tout…) et interdictrice, surmoique (vous devez…). le dispositif analytique détermine ainsi une double clôture de l’espace psychique  ;

- clôture au niveau du pole perceptif qui supprime les informations du  monde extérieur, la plus part d’entre elles assurément. Elle focalise les perceptions sur l’univers endo-psychique qui devient l’objet d’un surinvestissement.

- clôture au niveau du pole moteur qui interdit la motricité, l’action.[2]

Ce que vise le dispositif analytique dont la règle fondamentale est le moteur c’est la valorisation du pensé, du représentatif, véhiculé par le dire, au détriment du geste. Celui ci, dont le surgissement est toujours possible, sera indexé d’une valeur plus ou moins péjorative lorsque la mise en jeu de la motricité prend la valeur d’un acting, court-circuitant l’élaboration des tensions psychiques survenues  au sein du processus analytique. Assez classiquement on considère que l’acting  vient à la place d’une parole qui n’a pu être dite ou entendue.

Le corps omniprésent

 

On observera, c’est ce que je vais essayer de montrer que paradoxalement la mise à l’écart apparente du corps au sein du dispositif analytique ne le ferra pas disparaître pour autant du champ d’observation ainsi défini  ; bien au contraire  ! Si le corps est omniprésent dans la cure, il a pourtant une place singulière.

Ce qui définit le corps dans le champ psychanalytique c’est le rapport

toujours incertain entre l’inconscient pulsionnel en constante poussé et l’image du corps, support de notre identité. Une équation régule les rapports entre image du corps et identité. Cette dernière est à la fois faite d’une certaine permanence - nous nous reconnaissons malgré le temps qui passe-  mais elle est aussi marquée par le changement infligé par la vie et ses vicissitudes. L’identité est ce qui garantie cette «mêmeté avec soi-même  »mais la présence de ses deux composantes - permanence et changement-  nourrissent un potentiel de conflit quasi incessant! Cette dimension conflictuelle est proprement structurelle. Le  corps sera le lieu et l’enjeu de toute problématique identitaire. Il n’y a pas d’analyse sans qu’a un moment ou un autre le corps ne figure. Son apparition peut revêtir des formes multiples.Tantôt, c‘est le corps réel qui manifestera sa plainte, sous forme de symptôme(somatisation) tantôt son expression métaphorique donnera au rêve une présence plus érotique  ; bref les modalités d’expression du corps sont pratiquement infinies  ? Précisons-les  !

Le corps pendant la séance

 

De quel corps s’agit il  en séance ? Il s’agit avant tout du corps dans sa dimension sexuée, tel qu’il est parlé, ressenti, éprouvé et rêvé, du corps tel qu’il est figuré, représenté, qui contribue à la création de l’image de nous même. On peut ainsi définir trois champs d’expression  ;

 -La motricité comme décharge libératrice d’une tension accumulée.

- le corps comme langage.

Les mouvements du corps sont initialement du coté de l’auto-conservation  ; ils assurent les besoins immédiats de l’enfant et sont compris généralement comme vitaux par la mère. (La bouche qui se tend vers sein…)

Le geste est porteur d’un message en quête de sens  et sollicite en retour une réponse adaptée; faim, souffrance besoin d ‘affection sont autant de messages intersubjectifs qui ils s’inscrivent dans une volonté d’échange et de reconnaissance entre mère et enfant. Ces messages témoignent d’une attente, d’une réponse en retour, dont la motricité se fait le vecteur.

- le corps sensoriel  .

L’activité pulsionnelle auto-érotique centrée sur les zones érogènes, source de sensation de plaisir ou de déplaisir, va concourir à dessiner les contours de l’image que nous faisons de nous même grâce à sa double fonction  ; exploratoire et constructrice  ; elle contribuera à définir deux espaces, le dedans et le dehors. Ainsi, est  assurée la différenciation entre l’intériorité et le monde du dehors grâce à la création de cette limite cutanée qui marque une différenciation fragile entre deux univers. Sous l’impulsion d’une «nouvelle action psychique », les différentes activités auto-érotiques  vont se solidariser pour donner naissance au narcissisme.  La représentation de soi se construit progressivement, a partir de l’investissement narcissique de nos propres contours  ; elle sera le support de notre identité. 

La conception conversive du symptôme somatique 

Qui n’a fait l’expérience du retentissement somatique de certains tracas survenus dans notre univers personnel, pour ne pas être convaincu que le corps est souvent le lieu d’inscription et d’expression de tensions intra-psychiques  . Expérience encore plus marquée dans la cure, le corps est le lieu d’expression de la souffrance psychique. La mise en jeu de la motricité a une vertu libératrice, cathartique même.Mais en la circonstance, elle est aussi le véhicule d’un message qui s’adresse à autrui  ; le corps ou plutôt les symptômes constituent là encore, les éléments d’un langage  visant non seulement à traduire une souffrance mais à attendre parfois à l’insu du sujet en retour une réponse adaptée. C ‘est la grande découverte de la première topique freudienne. Le symptôme corporel est l’expression d’un conflit dont le sens reste à découvrir, celui ci a un  contenu éminemment sexuel.

Le  modèle hystérique est une amplification de ces petits phénomènes auxquels je faisais allusion et dont nous faisons régulièrement l’expérience. Il illustre le phénomène de la conversion qualifié par Freud de «saut dans le soma  ». Le symptôme, infini dans ses formes, est l’expression somatique d’un conflit psychique. Ce qui est profondément nouveau dans la compréhension de l’économie symptôme convertionnelle, c’est son caractère sexuel. En s’opposant  aux interdits personnels ou culturels, le désir sexuel emprunte une autre voie d’expression. Le refoulement fait  disparaître la représentation interdite de la sphère psychique. Elle disparaît, mais pour faire retour, surgir dans le corps sous des formes extrêmement variées, pour emprunter des voies d’expression qui réactivent  l’ excitation de certaines zones corporelles, ayant fait l’ objet qui dans l’histoire du sujet, d ‘investissements très particuliers. (soins maternels excitants, valorisation de la curiosité de l’entourage etc…)

 L’enthousiasme du  pionnier qu’était Freud l’a porté à croire un temps, que  l’interprétation du sens de cette manifestation détournée, qu’est la conversion, la ferait disparaître. Malheureusement  la révélation du désir sous-jacent au symptôme à expression somatique et le mécanisme défensif qui a engendré son apparition, ne remédiera pas toujours à cette erreur d’aiguillage. En effet, d’autres processus en cours peuvent contribuer à la fixation des symptômes incriminés, et rendent leur disparition difficile ou éphémère. On observera que  le symptôme à expression somatique constitue un maillon d’une chaîne langagière qui un temps aurait perdu sa logique discursive et signifiante. Il traduit la faillite des processus langagiers débordés par le trop d’excitation liée au contenu sexuel de la représentation. Il y a eu un simplement glissement d’un registre à un autre  ; Freud parle de  «conversion symbolisante.  » Si ce n’était la connotation eschatologique on pourrait dire que le mot ou plutôt le conflits’est fait chair  ! Le corps parle un langage qui lui est propre dont l’expression suppose un certain déchiffrage, et dont la réversibilité est fonction – en partie- de l’habileté de l’analyste à en saisir la mélodie et à en transmettre le contenu. L’interprétation restitue à la conscience une représentation qu’elle avait récusée.

Le corps est un médiateur et le symptôme un enjeu dans  la relation à l’autre. La réinscription du conflit dans le courant des pensées associatives, dans la chaîne symbolique un temps rompu  qui lie les deux interlocuteurs est porteuse d’un espoir de guérison.

Le corps comme lieu d’une blessure symbolique

angoisses de castration, angoisses de morcellement

En touchant et réactivant dans et par le transfert des éléments d’une histoire enfouie, oubliée, l’analyse peut engendrer de  profondes transformations. Le sujet éprouvera, confronté a certaines situations transférentielles marquées par la confrontation avec l’interdit de l’inceste, qui signe l’intégration de la différences des sexes et des générations,  la  perte d’un sentiment de toute puissance. Cette perte s’accompagne d’une altération  du sentiment d’unité psychique, conséquence de l’émergence d’angoisses profondes. Elles sont  induites par la crainte fantasmatique de la castration barrant l’accès à la réalisation des souhaits incestueux.

Quiconque dans une analyse suffisamment poussée se souviendra de ces moments, survenus au décours d’une interprétation, d’un rêve, de ces angoisses profondes qui brise le sentiment d’unité narcissique.[3] Selon les structures psychiques en jeu, ces angoisses de castration peuvent activer d’autres angoisses plus primitives. Je veux parler des angoisses de morcellement et de désintégration à un degré plus archaïque encore.

Le morcellement psychotique dans sa forme, paradoxalement se présente comme une lutte contre l’effondrement  : se diviser pour survivre  ! Le sujet maintien des liens chaotiques avec les parties morcelées de lui-même. Ces parties  projetées dans l’autre, constituent une tentative de maintenir un lien avec l’objet. L’identification projective, en projetant en l’autre parties de soi garanti le maintien d’ un lien vital avec l’objet.

 

la clinique des situations limites 

 

Soulève un autre type de d’interrogations initialement posées par Ferenczi et largement repris et développées par Roussillon[4]. Certaines expériences psychiques que l’on qualifie de «limites  » révèlent l’absence d’organisation de l’ image corporelle présentée par certains patients, traversés par un profond sentiment  de non appartenance, de dépossession. L’accent est alors mis sur la difficulté pour ces sujets  à garder la  trace de certaines expériences en raison de la qualité de celle ci. Elles n’ont pu  s’inscrire dans un souvenir. Ainsi, quelque chose de l’histoire individuelle n’a pu se construire, et tisser une trame constitutive d’un passé  .Le passé est amputé, la mémoire aussi  [5]! L’identité se trouve affectée, fragmentée  ; la trace de l’événement paraît définitivement dissoute, absente du monde des représentations, parfois perdue à jamais.

Parfois, paradoxalement, on observera à distance  les effets  de cette  trace insidieusement présente, trop présente, bruyante responsable d’une clinique bien spécifique. Le champ d’expression de la symptomatologie est particulier. Y prédominent la violence, le potentiel aux agirs destructeurs, les troubles identitaires, la dépression narcissique,  la déréalisation, le morcellement, l’agonie psychique.

Vous l’aurez compris nous évoluerons dans l’univers où dominent  les troubles de la symbolisation  primaire, celui ou les outils même du processus de symbolisation n’ont pu se constituer!

Comme le souligne Ricoeur[6], l’oubli est ici destructeur. Il entraîne avec lui, la partie de soi engagée dans l’expérience traumatique  : la mémoire est amputée tant dans ses capacités que dans son contenu. Certaines expériences traumatiques n’ont laissées  aucune trace mnésique, elles ont altéré l’ensemble du rapport entre psyché et soma. Cette souffrance se manifeste par une profonde distorsion dans le rapport intime que le sujet entretien avec son propre corps  ; celui ci n’est plus qu’une simple machine désinvestie, réduite à une fonctionnalité chaotique  ; le sujet s’est retiré de lui- même, il déshabite son corps pour survivre. Cela se traduit alors par un déni d’appartenance, une situation d’agonie mentale de chaos psychique. Le sujet n’habite plus son corps  ; s’il l’habite encore, il ne peut ni le reconnaître, ni l’ aimer  ! Pire encore, le martyriser, le faire souffrir, nourrit étrangement et paradoxalement de fugaces sensations d’auto-appartenance, d’existence, au prix d’une douleur singulière. Le monde de la paradoxalité règne en maître et ses conséquences  transférentielles sont assez spécifiques. Le sujet répète en séance ces expériences traumatiques au lieu de se souvenir. Il s’agit pourtant d’une répétition particulière. Elle vise à engloutir toute forme de lien intersubjectif qui pourrait constituer les prémisses d’une historisation de son passé  ;

-«  je m’auto-mutile dira une jeune fille, car s’est pour moi une transformation possible  ! Transformation, poursuit- elle d’une douleur morale en une douleur physique  !  »  plus supportable s’entend.

-«  il n’y  a plus rien à dire  !» dira cet autre analysant, constatant qu’il répète toujours la même chose éludant toute perspective d’ arrêt de la cure, comme si en répétant le même thème de l’insatisfaction, il s’assurait de ne jamais quitter son analyste, dont il attend qu’il lui permette de renouer avec l’univers follement idéalisé de son enfance.

Quelles sont les caractéristiques  des relations transférentielles propres à ces «situations limites  »  ? S’il  n’existe pas de trace de l’expérience traumatique originelle, comment les conséquences de cette absence vont se manifester dans la situation analytique?

Peut-on postuler la présence en négatif de ces traces  ?C’est la question à laquelle J.L Donnet  [7]répond  en l’ ouvrant  vers de nouvelles directions; «  L’existence postulée d’une trace fait s’interroger non seulement sur l’effacement de la trace, mais sur la trace de l’effacement  »  Le contenu effacé n’est pas de l’ordre de la représentation de ce qui aurait ainsi disparu. Ce contenu est de l’ordre du perceptif. L’effacement lui -même est diffèrent du déni. Il porte sur une perception inscrite mais non intégrée. Il s’agit dans cette clinique parfois déconcertante, dont on peut observer parfois les conséquences à distance, d’un événement qui psychiquement n’aurait pas eu lieu, serait non advenu. Seul  le processus même de l’effacement pourrait faire trace.

Sous quelles formes ce processus de l’effacement qui n’a rien de commun avec le refoulement ou le déni se manifestera t’il dans la cure? Quelles conséquences sur la relation transfero-contretransferentielle  ? Cette relation  permet t’elle de renouer avec l’effacé, c’est a dire avec un contenu jamais advenu et de donner une représentation psychique possible? Voilà les questions complexes auxquelles nous renvoie la clinique actuelle des configurations cliniques définies de plus en plus comment des états frontières, qui conduisent à la frontière de la technique, et de la pratique, mais surtout à la frontière et aux sources de la vie psychique. L’enjeu est assez clair  : peut-on rendre figurable un événement oublié dont le corps sera le vecteur et le porteur et dont seuls les éléments sensoriels afférents à l’événement lui-même persistent  avec la même acuité?

Du corps sensoriel au corps relationnel

Le  partage d ‘un éprouvé commun peut engager un rapprochement assez singulier entre les deux acteurs et signer l’authenticité de l’expérience vécue. Il ne s’agit pourtant pas du retour d’une scène oubliée, pas plus que l’on puisse qualifier ce moment de transférentiel. Je préfère la désignation proposée par François Roustang qui propose pour définir ce temps particulier de la rencontre «de relation réelle  », rencontre marquée par le partage d’affects souvent émotionnellement chargés, directement en rapport avec un événement traumatique non symbolisé, appartenant à l’histoire du sujet.

 En effet dans la conception originelle du transfert, telle que la cure le révèle, on assiste à la naissance artificielle d’une relation qui constitue «une nouvelle édition  » d’une conflictualité ancienne. Le transfert n’est autre qu’une une névrose artificielle, répétition d’un modèle venu du passé et fondé sur les premières relations d’objet.

L’efflorescence de la sensorialité, dans les cas auxquels je faisais référence, ainsi  activée permet de parcourir les traces enfouies, dont l’expression sera non pas facteur de réminiscence, mais d’avantage facteur d’un agir ayant une valeur de médiation symbolique. Faut-il se rappeler que «émotion  »[8] à la même origine linguistique que mouvement, motion.

l’analyste est envahi par les effets hypnotiques de cette efflorescence sensorielle, effet de l’appropriation de la problématique traumatique perçue inconsciemment mais non représentée. Une sensation de flottement identitaire partagée, peut résulter de cette forme archaïque d’échange purement mimétique.

 Ce rapport hypnotique ne bloque pas la processualité de l’échange interpersonnel. IL offre au contraire, d’autres possibilités d’échanges et de dialogue  ! 

Parfois les effets se prolongent au sein même de la corporeité  de l’analyste. Ils sont faits d’impressions cénesthésiques bizarres, marquées par le besoin de bouger, de libérer par une micro motricité les tensions musculaires erratiques. Ces manifestations témoignent de la proximité du noyau traumatique. Du coté du patient, il y a évacuation, expulsion, sur le modèle de l’abcès incisé qui s’évacue son potentiel de contamination pour l’autre.

Il n’y a pas, à mon sens d’élaboration possible de l’expérience, mais drainage des effets du traumatisme par la mise en jeu du pouvoir cathartique de l’action

 Freud avait saisi l’importance de la dimension cathartique de l’action, dans Remémoration, répétition perlaboration[9]  .

Il compare les effets de la perlaboration à «l’abré-action  » des charges affectives refoulées il suggère que l’un et l’autre aient la même vertu modificatrice en levant les résistances. «  Cette élaboration des résistances peut, pour l’analysé, constituer, dans la pratique, une tache ardue et être pour le psychanalyste une épreuve de patience. De toutes les parties du travail analytique, elle est pourtant celle qui exerce sur le patient la plus grande influence modificatrice, celle aussi qui différencie le travail analytique de tous les genres de traitements par suggestion. On peut la comparer du point de vue théorique, à l’abréaction des charges affectives séquestrées par le refoulement et sans laquelle le traitement analytique demeurerait inopérant.  »

Cette chorégraphie intime qui réuni les protagonistes constitue une  véritable médiation symbolique de l’action. La configuration empirique du geste et son pouvoir signifiant porteur d’un sens figuré, devient dans certaines circonstances  un inducteur de récit dont la trame se construira alors. L’action ne ravive pas  la mémoire, mais assure le transit des événements à travers le présent. S’organise ainsi une temporisation de l’expérience, une hiérarchisation intérieure de l’expérience dont le corps portera la trace et la mémoire.

 Corps et rêve

Non pour clore, mais ouvrir encore le débat autour du thème «corps et mémoire  », il faut se référer à la fonctionnalité de l’inconscient, gigantesque mémoire dont seuls quelques chapitres nous sont accessibles et signaler la fonction mémorielle et transformatrice du travail du rêve.

Qu’est ce que le rêve heautoscopique, si ce n’est la mise en scène de sa propre personne, si ce n’est la possibilité, pour chacun, de percevoir hallucinatoirement ses propres contours lorsqu’ ils deviennent incertains. La découverte des sources somatiques du rêve  est ancienne. Aristote considérait déjà que le rêve avait la capacité de signaler le début de maladies jusque là inaperçues, attribuant au rêve, une sorte de fonction prophétique.

Cette capacité diagnostique  du rêve a été reprise et développée par Freud [10]«  Généralement reconnue et retenue comme énigmatiques, les souffrances corporelles sont souvent ressenties plutôt et plus nettement que pendant la veille et surviennent agrandies jusqu’au gigantisme. C’est agrandissement est de nature hypocondriaque  ».

L’hypothèse d’une mémoire hors de l’activité de conscience est ici bien démontrée. La séance, dont les analogies avec le rêve ont été maintes fois soulignées, est porteuse parfois, de quelque chose de prophétique. A coup sûr, son déroulement offre une immense potentialité de mémorisation d’un  passé qui reste bien souvent à construire ou à imaginer.

Pierre Decourt

115, avenue de Lodeve

34070 Montpellier

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[1] La confrontation avec cette double ambiguïté est porteuse d’un potentiel traumatique susceptible de renvoyer le sujet à des expériences déréalisantes. On comprendra la restriction qui s’impose alors face à certaines demandes d’analyse.

[2] Green. A. De l’esquisse à l’interprétation des rêves. in l’espace du Rêve  N.R.P.n°5 Gallimard .Printemps 1972

[3] Freud avec l’analyse de l’homme aux loups montrera comment l’hallucination du doigt coupé figurera la problématique de la castration et ses conséquences particulières en la circonstance.

[4] Roussillon. R. Agonie, clivage et symbolisation, PUF, 1999.

[5] Freud S. «l’hypothèse de la conservation de tout ce qui s’est passé ne vaut pour la vie d’âme aussi, qu’à condition que l’organe de la psyché soit demeuré intact, que son tissu n’ait souffert ni de trauma, ni d’inflammation.  »in Malaise dans la culture, vol 18 ,oeuvres complètes , P.U.F  .

[6] Ricoeur P. La Mémoire, l’Histoire, L Oubli. Le Seuil 2000.

[7] Donnet jean-luc. L’antinomie de la résistance, in l’Inconscient, n°4,  p  ;69

[8] Emprunté au latin, motion, «mouvement  » in Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain Rey tome 1 p, 681.

[9] Freud S  ; La technique psychanalytique.  PUF  ; p 115,1972

[10] Freud. S. in Révision de la doctrine du rêve  ; in Œuvres complètes, vol 10, p 246, P.U.F 1995.

 

 
 
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