Accueil Textes Dr Pierre DECOURT Désir d'éternité: ontogénèse et destin - Dr Pierre DECOURT
Désir d'éternité: ontogénèse et destin - Dr Pierre DECOURT

Dernière mise à jour de la page: 10 avril 2010

Dr Pierre DECOURT

Psychiatre psychanalyste

Montpellier

Désir d’éternité: ontogenèse et destin

 

 "L’éternité c’est long surtout vers la fin" Woody Allen

 

Le désir d’éternité est une des composantes plus ou moins secrète de notre vie psychique, présente à des degrés variables chez chacun d’entre nous et cela tout au long de la vie, variable néanmoins selon l’age et les péripéties de l’existence. Constat qui rejoint le point d e vue de Wittgenstein pour qui « nous sentons et expérimentons que nous sommes éternels.»

 

L’éternité n’est pas à confondre avec l’immortalité, car il ne peut y avoir de conception de l’immortalité sans une interrogation sur ce que peut être la mort. L’immortalité à ce titre est une des composantes de l'éternité. Paradoxalement elle s’en différencie, car l’immortalité suppose un début, mais pas une fin. Si on prend l'exemple des cellules germinales, on constate qu’elles se perpétuent de génération en génération et sont en théorie du moins, immortelles.

 

Soulever le thème de l'éternité c’est de façon' incontournable affronter la question de la temporalité et par voie de conséquence, celle de l’origine et de la mort.

 

Le temps des philosophes

Le rapport du sujet au temps constitue une énigme compte tenu de son hétérogénéité; il est à ce titre au cœur du débat philosophique. De quel temps parlons-nous ?  Selon la mythologie grecs la temporalité se situe du coté des dieux .Elle se définit par des propriétés spécifiques séparées dont les dieux sont les messagers.

Chronos (en grec ancien Χρόνος / Khrónos) est un dieu primordial (Titan) personnifiant le temps ; il est la représentation du temps chronologique.

 Aïon s’oppose ou plutôt prolonge la conception du temps propre à Chronos . Celui-ci est le temps de la succession matérielle, c’est à dire le temps de l’action des corps, tandis que celui-là, est le temps de l'immanence de l'Instant pur, de l’événement.  Aïon est ce pur devenir du temps non identifiable, non repérable. Le temps s’écoule sans que l’on puisse le mesurer, sans qu'aucun cadre de la représentation ne puisse l'objectiver.

 

Aristote déjà considérait la question du temps comme embarrassante; « comment savoir si sans âme le temps existerait ou non? Le temps existe il indépendamment de nous ? « S’il existe, qu’est ce qui le caractérise? De quel temps parle-t-on ? 

Pour Heidegger, la question n'est pas qu’est-ce que le temps mais « qui est le temps? », donnant au temps une dimension essentiellement subjective. Il s’agit là du temps vécu, introduisant l’affect l’émotion, la sensibilité qui sont au cœur même de l’expérience ;

A  la question lancinante qu'est ce que le temps, la réponse de Saint Augustin ( Confessions) est la suivante; « Si personne ne me le demande, je le sais ; mais si on me le demande et que je veuille l’expliquer, je ne le sais plus … pour St Augustin, le seul temps qui existe c'est le présent ; « le présent du passé c 'est la mémoire; le présent du présent c 'est l’intuition, le présent de l' avenir, c 'est l'attente.»

 On pourrait prolonger ces références à l ’ infini tant la question est complexe d’ autant que bien souvent  les débatteurs ne parlent pas de la même chose, surtout si on réfère au  temps les astrophysiciens?

Pour Einstein je cite ; « pour nous autres physiciens convaincus, la distinction entre passé, présent et futur, n‘est qu‘une illusion, même si elle est tenace. ( Prigogyne la nouvelle alliance p 366)

La question du temps traverse les recherches théologiques de toutes les religions monothéistes ou polythéistes. Elles se retrouvent sur la conviction que l’éphémèrèité du temps qui passe n ‘est qu’un viatique vers l ‘éternité? La dimension évangélique et eschatologique garantissent aux fidèles le salut éternel de l’âme ?

On retrouve avec la pensée animiste les mêmes rapports à l'éternité. L’âme du défunt reste en connexion avec les ancêtres généralement via le rêve, les rituels, ou les sacrifices; cette communion entre le monde d’ici bas et l’au delà confèrent à la temporalité un point commun propres à toutes les religions. C’est dire sa dimension transcendantale et transculturelle.

 

Temps et identité 

Pour chacun d’entre nous

Le temps est une dimension intrinsèque de la construction de notre identité. La temporalité est une des composantes de nos interrogations, parfois de notre souffrance, lorsque l’attente se prolonge et que la satisfaction se dérobe.  Notre rapport au temps est à des degrés variables chez chacun d’entre nous quelque soit l’age, cependant nous avons tous fait l’expérience qu ‘avec l’age le rapport au temps se modifie, s’accélère, s’immobilise, parfois se ralenti, parfois s’évanouit.

Mais alors Comment avec le temps qui passe pouvons nous garantir une continuité dans la perception que nous avons de nous même comment assurer le sentiment de permanence socle de notre identité ? Car tous les changements physiques et psychiques entraînent une modification de la représentation de soi, exacerbent une incertitude identitaire. Il ne suffit pas d’accepter de voir la réalité de la métamorphose de notre corps dans le miroir qu’est le regard de l'autre, mais l'essentiel c'est pouvoir se reconnaître, préserver ce sentiment de continuité malgré le changement du au vieillissement. « Dis moi comment tu vieillis je te dirai qui tu es? Avec le vieillissement les activités cognitives fléchissent. Les troubles de la mémoire, la désorientation temporelle et spatiale fusent elles éphémères signent un fléchissement de l’activité de l a conscience. La conception du temps de ce point de vue est corrélative de l’activité d e la mémoire. Paradoxalement c'est dans ces moments d’incertitude quant à l'avenir que le désir d’éternité et son corollaire le déni de la mort s'embrasent et que les incertitudes identitaires s’affirment. Au crépuscule de la vie ce rapport au temps se développe avec une acuité particulière et avec lui l’énigme propre au désir d'éternité.

 

Les origines du désir d'éternité

 Quelles sont les sources du sentiment d’éternité ? Est ce que l a psychanalyse peut apporter sa contribution au débat sur le temps et l’éternité ?

Pour Freud le rôle des parents est déterminant dans l’apparition du sentiment d ‘éternité dont la toute puissance infantile est une des modalités d’expression. Je le cite :

« L’enfant aura une meilleure vie que ses parents. Il ne sera pas soumis aux nécessités dont on a fait l’expérience..Maladie, mort, renonciation de jouissance, restrictions à sa propre volonté ne vaudront pas pour l’enfant …il sera le cœur et le centre de la création. Il accomplira les rêves, les rêves de désir que les parents n’ont pas mis à exécution. Il sera un grand homme un héros à la place du père. Le point épineux du système narcissique de cette immortalité du moi que la réalité bat en brèche, a retrouvé un lieu sur en se réfugiant chez l’enfant ». (Pour introduire le narcissisme p 96)

Les sources de ce rapport au temps, à l’éternité sont du coté du narcissisme des parents qui projettent sur leur descendance leurs propres angoisses de mort.

N’y a t’il pas dans nos rêves les plus secrets la persistance de ce sentiment que nous sommes éternels, sentiment toujours susceptible de résurgence dans certaines circonstances.

La sensation de l’éternité s’apparente si l’on en croit une lettre de Romain Rolland à Freud à « un sentiment comme quelque chose de sans frontière, sans borne, pour ainsi dire océanique, » une sorte de perte du sentiment d’identité, de dépersonnalisation à minima .Ce sentiment océanique serait la source pour Romain Rolland  de l’énergie religieuse. Freud dans sa réponse récuse cette hypothèse.

Pour Ferdinand Alquié, l'expérience de l'éternité est le trait même de la passion; celle ci est hors du temps, intemporelle, l'amour sera pour toujours pour la vie et au delà sans fin !conviction farouche porteuse souvent de fantasmes d’emprise et de mort.

 

 

Le désir d’éternité et la confrontation avec le réel

Si la psychanalyse dit quelque chose de ses sources du désir d’éternité qu’en est-il et de ses limites ?

         1°Un premier obstacle au fantasme de toute puissance porté par le désir d’éternité est cette disposition particulière de l’enfant qu’est la néoténie. Elle se traduit par cet état de dépendance physique, physiologique et affective, de l’enfant confronté à cet état d’impuissance prolongé. La néoténie est une des caractéristiques de la condition humaine. L’enfant fait très tôt l’expérience de cette dépendance dés que ses besoins physiologiques s’affirment dans l’angoisse.

         2° La fonction de l’absence et la symbolisation ;

ce sont les ruptures de rythme , les discontinuités au cœur de la relation  mère enfant qui  fondent l’intégration de la catégorie du temps pour l' enfant ; le  jeu de l'alternance  présence , absence de la mère, et sa connotation affective scandée par le de plaisir –déplaisir ;  la faillite de la  hallucination et de son pouvoir de présentification de la mère absente permet la construction d’une vectorisation du temps d' une temporalité chronologique  rythmée par l'avant, l'après .

3°La Théorie psychanalytique enrichit la conception de la temporalité avec la découverte de l'inconscient en mettant en évidence d’autres catégories temporelles.

 

A la conception chronologique de la temporalité se greffe une conception circulaire du temps .Avant d’y venir rappelons brièvement les voies de développement de la libido qui repose sur une conception chronologique ou vectorielle. Elle s'inscrit dans un  temps chronologique défini par un début, et une fin, des va et viens au rythme de la mobilité des investissements et des potentialités régressives.  La libido se déploie en théorie du moins selon une progression linéaire. C’est la théorie stadologique qui voit la libido investir tour à tour les zones érogènes ; orales, anales, génitales, contribuant ainsi à la découverte du corps et du plaisir autoérotique, étape essentielle dans la connaissance de soi et la représentation de soi.

Mais  se greffe avec la découverte d e l'inconscient et de ses propriétés une autre conception du temps.

         Au temps chronologique, phylogénétique, se rajoute un autre type de temporalité qui révèle l’hétérogénéité du psychisme humain.  Il s'agit d’une temporalité circulaire, en boucle dont l’automatisme de répétition est la manifestation la plus singulière. Le sujet répète à son insu une série de symptômes ou de signes qui ne s'inscrivent pas dans une chronologie dont on pourrait saisir le début et la fin,

Mais dont les manifestations ne semblent répondre à aucune logique consciente. La répétition s'oppose à la remémoration. « Je rejoue à mon insu le même scénario en actes ou en fantasmes sans qu’à aucun moment je ne parvienne à en élaborer psychiquement le contenu dans l’espoir de lui donner un sens ».

Cette hétérogénéité de la conception du temps chez Freud s’enrichit à partir d’observations cliniques ou la pulsion de mort œuvre à engendrer des analyses interminables

La découverte du mécanisme de l’après coup propulse au devant de la scène une autre catégorie temporelle. C ‘est le temps de l’après-coup. L’illustration ses effets est magistrale dans le film de Scorcèse,  « Shutter Island », ou l’acteur Di Caprio, confronté au meurtre dramatique de ses enfants noyés par leur  mère folle est brutalement envahi, jusqu'à en devenir fou, par le souvenir des atrocités vues et perpétrées dans les camps nazis. Le collapsus de la temporalité faisant que le passé devient présent illustre l’assertion de Saint-Augustin qui donne au présent toute sa profondeur mémorielle et rejoindrait celle d’Einstein pour qui seul le présent existerait.

Qui n’ fait l’expérience d’un deuil dont les affects éprouvés initialement sont réactivés ultérieurement lors d’une disparition nouvelle. Il y a dans ces circonstances, ainsi un renforcement après–coup de la douleur initiale parfois même méconnue ou réprimée. D’où la suggestion de Freud « L’inconscient de ne connait pas le temps » ; il y a un télescopage entre une expérience douloureuse initiale et une seconde qui à des s effets potentialisateur. Cette superposition des expériences peut donner au deuxième temps du traumatisme une ampleur inattendue.

 

 

Brèves illustrations cliniques

 

La dimension défensive du désir d'éternité

         1°- Pour Adèle le désir d’éternité agit comme défense contre les angoisses de mort. Les angoisses de mort envahissantes pendant son enfance restent aujourd'hui présentes.  Seul le recours au désir d'éternité quand je suis enceinte m apaisent? Pourtant dit elle j e n ai pas recours à la croyance ; L'éternité c est la limite qui me permet de dire que je préfère vivre ou mourir?

 

         2°-Michel, schizophrène,  témoigne d'un rapport au temps particulier fondé sur un déni de la mort. Il en atteste par cette formule énigmatique;  « si un jour par hasard il m’arrivait de mourir par surprise »

 

         3°-les analyses interminables consacrent une expérience de la relation intersubjective hors du temps. L’œuvre de la pulsion de mort dans sa radicalité  consiste à anéantir toute forme de tension en cherchant à les réduire à zéro la relation à soi et à l'autre, mais au prix d’une désorganisation de  la pensée et d’une dépendance à²l’objet.

 

 

Psychanalyse et vieillissement

 

Le Vieillissement a toujours suscité un intérêt de la part des analystes essentiellement initialement pour des problèmes techniques ;

         -Quel est le pronostic du traitement à un certain âge, pouvait »on proposer une analyse passer un certain âge lorsqu’en particulier l'armature défensive est devenue trop rigide ?

-Jusqu’à a quel âge un analyste peut il prendre un patient soulevant un problème éthique de première importance.

Depuis quelques années il existe un renouvellement de l’intérêt pour le vieillissement en raison de problèmes démographiques posés par la question de l'âge de la population, même si la tendance actuelle vise à assimiler la vieillesse à une maladie, ce qui écarte ou rend difficile toute possibilité d ‘en approcher la dynamique -sous-jacente

Pour les psychanalystes Le problème ainsi posé n’est pas celui d e la vieillesse et de ses avatars, mais celui du vieillissement est qui est un processus dynamique pas seulement un compte à rebours mais la manifestation d’une évolution spécifique.

Cet intérêt pour la question du vieillissement problématise aussi le cadre et les outils conceptuels, Induisant une évolution chez les psychanalystes. Celle ci permettant grâce à une meilleure connaissance des processus à l'œuvre au cœur du fonctionnement psychique de ces personnes et un élargissement des indications de psychothérapie ou d’analyse. Car la psychanalyse offre une source féconde d’outils conceptuels permettant de saisir le vieillissement qui en retour fournit une opportunité inattendue d’interroger ses propres limites pratiques et théoriques. La question de la régression avec le retour de l’infantile fait figure de modèle. En quoi la position dépressive, stade de développement de l ‘enfant se trouve t elle réactivée? Question qui reste en chantier.

 

Le vieillissement comme expérience de perte. Le deuil de soi-même (C. David)

         -Le repli s'accompagne d’un investissement du moi au détriment du monde environnant. Ce retrait est souvent accompagné d'un mouvement de désenchantement, d e nostalgie et illustre la dynamique dépressive -sous-jacente et la difficulté à prendre le risque d ' une confrontation à l'inconnu.

         -Le rapport au temps lui même change, à la fois il s'éternise et se fige même, à la fois il file…

         -La baisse de la libido avec des conséquences différentes chez l'homme ou la femme

Chez la femme, il convient de bien différencier le maternel du féminin.

 Le maternel a déjà fait l’objet d’un renoncement dont le moteur est physiologique, renoncement assez généralement accepté par les mères et psychologiquement assumé depuis longtemps, alors que le deuil du féminin est d’une tout autre complexité plus douloureux narcissiquement. Le deuil du   féminin suppose l’acceptation de l’impossible, c’est à dire  le fléchissement progressif du potentiel de séduction qui contribue pourtant au maintien d'une estime de soi.

Pour l'homme la quête stérile de la puissance perdue oblige à une réorganisation de  ses choix, moins centrés sur la performance et la maitrise et la lutte contre les angoisses de castration.

 

Le vieillissement est un de Deuil de soi qui impose un travail psychique spécifique

Ce n’est pas une forme extrême de résignation de détachement de soi mais une acceptation de la modification de ses propres performances physiques et intellectuelles .Mais Il s'agit d'un Travail psychique parfois douloureux qui permet de saisir du dedans le changement et de ses conséquences traumatiques qu’est la violence faite par le temps.- Pour Proust (à la recherche du temps perdu)  la vieillesse nous rend incapable d’entreprendre mais non de désirer, j'ajouterai et de penser...

 

Deuil et transmission

 

Le problème du sens et de la transmission pour tous infléchit   notre rapport au temps dans son inéluctabilité. Transmettre est un élément déterminant de notre rapport au monde et  dans  notre rapport avec nous  même. Le passage de témoin via la sublimation donne un sens à sa vie et favorise une certaine dédramatisation de la perspective  la de mort.

 Pour conclure « provisoirement »  sur un trait d'humour, il faut bien constater selon l’adage populaire qu’avec l’âge on devient de  plus en plus sélectif mais de moins en moins sélectionné!

 


 

 

 

 

 

 

 
Ce site respecte les principes de la charte HONcode de HON Ce site respecte les principes de la charte HONcode.
Site certifié en partenariat avec la Haute Autorité de Santé (HAS).