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Le cannabis est-il responsable de schizophrénie? - Pr Christophe LANÇON

Le cannabis est-il responsable de schizophrénie ?

 

Pr Christophe LANÇON

Chef de service

Professeur des Universités, Praticien Hospitalier

Hôpital Sainte-Marguerite

Marseille

 

 

Texte de la communication de 2003 à Montpellier

 

Cette question n’est pas du tout nouvelle ; C’est une question qui traverse l’histoire de la psychiatrie, l’histoire de la folie et celle du cannabis.

 

J’ai lu Moreau De Tour (Jacques-Joseph Moreau De Tour 1804-1884  Du Hachisch et de l’aliénation mentale), il y a longtemps, plusieurs fois, je l’ai lu avant de venir ici. Je vais faire un commentaire un peu différent de ce qui a été dit ce matin. C’est très important de reprendre cette histoire parce que ça permet d’illustrer la question. Moreau De Tour qui consommait du haschich, lui-même, comme un certain nombre de médecins de l’époque, d’ailleurs. A l’époque les médecins consommaient des médicaments qu’ils donnaient aux malades. Voilà c’était une autre époque. C’est intéressant d’y réfléchir, c’est-à-dire qu’on pouvait faire aux autre ce qu’on se faisait à soi-même, ce n’est plus le cas maintenant.

Moreau De Tour disait une chose incroyable. Il disait que le cannabis, ça fait trois choses : d’abord c’est une substance merveilleuse parce que ça permet de connaître des choses de soi-même, de ce que c’est que la folie et c’est une expérience. Et dans les questions de l’addiction, c’est une chose jamais dite, que c’est quand même une expérience. C’est aussi une révélation de soi. C’est-à-dire que quand on est adolescent, qu’on prend des substances, c’est aussi d’un certain côté, la révélation de soi. À côté, finalement, c’est aussi une chose très important puisque ça conduit à club des Haschischins C’est la question de la transcendance. C’est-à-dire comment je peux sortir de ma condition humaine pour avoir accès à des choses incroyables. C’est n’est sûrement pas le propos, quand même on ne peut pas passer la question des substances psychoactives sans parler de cette affaire là.

 

La deuxième chose qu’il disait, c’est un médicament pour les fous. Ça pose une autre question. C’est-à-dire que si on diabolise ce qu’on appelle les drogues, je rappelle drogue en anglais c’est médicament, on est exactement dans la même société qui dit : les Français prennent trop de psychotropes, les médicaments psychotropes, ça rend malade... C’est le même type de raisonnement. C’est-à-dire diaboliser des substances qui ont été la base de la psychopharmacologie, c’est-à-dire que les substances psychoactives comme le cannabis, c’est ce qui a permis de créer des médicaments qui ont permis de faire que les malades mentaux sortent des asiles. Et non pas meurent dans les asiles comme en 1945. Ça aussi c’est une chose absolument incroyable. On ne peut pas ne pas imaginer que ce qui est appelé une drogue, ce n’est pas une substance psychoactive. Qu’est-ce qu’on sait sur les substances psychoactives? Les gens qui en prennent, comme moi, on sait que ça ne fait pas toujours la même chose, tout le temps et au même moment. C’est-à-dire quand on a cinquante ans et qu’on vient à une tribune et qu’on dit « moi le cannabis, finalement ça me fait du bien », c’est certainement juste. C’est oublié qu’on n’est pas pareil, à des tas de points de vue, à certain moment de sa vie, quand on a des soucis ou pas, quand on a dix ans, car le vrai souci, ce n’est pas quand on fume à cinquante ans. Le vrai souci c’est qu’est-ce qui se passe quand on fume à dix ans. Alors si on fait fumer des cigarettes à un rat prépubère, on le fait fumer régulièrement, ensuite on le laisse atteindre l’âge d’adulte. Et on regarde ce qui se passe : 70% d’entre eux sont dépendants. Les marchands de tabac ont compris, il faut faire fumer les gens avant la puberté. Si on les fait fumer après la puberté, les rats, l’être humain n’est pas très différent du rat vis-à-vis des substances psychoactives, ils sont très peu dépendants.

 

Troisième chose que disait Moreau de Tour, le haschich en rend fou certains. Et ça c’est sûr que ça en rend fou certains s’ils en prennent à forte dose. Ça c’est vrai. Il y a une chose qu’il ne faut pas dire, ce n’est pas pareil de fumer un microgramme de cannabis, (on ne sait pas ce qu’on met dans le cannabis) et quand on fumait 17 kilos, ce n’est pas pareil. Une foi qu`on a dit ça, je n’ai plus grand-chose à dire. Alors le problème c’est que, malgré tout, il y a un autre problème c’est qu’on a décrit des choses incroyables, qui était par exemple la psychose cannabique qui avait une idée que, finalement, certaines substances, pourraient créer des modèles. C’est ça qui est intéressant. Ça peut créer des modèles de maladies mentales.

Et puis on a tourné la question à l’inverse. Cette question est récupérée actuellement par les politiques. L’expertise INSERM dit, oui, il y a des arguments pour penser que ça va altérer la santé de nos enfants. C’est ça la question que ça pose. Est-ce que finalement quand on fume le cannabis à 14 ans, ça n’altère pas la santé de nos enfants. Ce n’est pas la question de la légalisation ou pas la légalisation. Est-ce qu’il y des arguments pour penser que l’usage d`un certaine nombre de substances psychoactives, il n’y a pas que le cannabis mais on parle du cannabis aujourd’hui, peut altérer et conduire vers des affections mentales ? Des gens qui vont se retrouver avec des choses incroyables. C’est ce que je vais essayer d’argumenter. Je n’ai pas de réponse absolue. Comme ça on pourra discuter. Alors qu’est-ce que ça apprend l’épidémiologie? Je ne suis pas le meilleur spécialiste de l’épidémiologie. Ça apprend une chose incroyable. Je la tourne à l’inverse la question. Je la fais de cette façon-là. Si on prend les gens qui souffrent de maladie, c’est une façon de répondre à la question un peu transversale. Si on prend les gens qui souffrent de schizophrénie, qu’est-ce qu’on se rend compte? On se rend compte que les gens qui souffrent des maladies mentales et surtout les gens qui souffrent de schizophrénie sont les gens qui ont le plus de problèmes avec des substances psychoactives. Ils ont des problèmes considérables. Tous les gens qui vivent en psychiatrie le savent, l’hôpital psychiatrique est le meilleur endroit pour rendre les gens dépendants. Qu’est-ce qu’on fait? On leurs apprend à fumer des clopes, et à boire du café. Et puis il y a l’hypothèse de l’automédication. Mais ce n’est pas vrai car je suis allé dans des tas d’hôpitaux où on ne boit pas de café, on ne fume pas de clopes, on ne devenait pas forcément dépendant. Donc il y a quand même une stratégie de milieu, une sorte de connivence vis-à-vis de la dépendance dans le milieu psychiatrique.

Il y a un très bon papier sur la schizophrénie dans un bulletin qui est sorti dans les années 90, qui indique qu’il y a d’autres conséquences que cette affaire-là, ce genre de connivence, avec l’usage des substances licites comme la cigarette. C’est que ça entraîne des choses incroyables. La prostitution, par exemple. L’histoire de la cigarette, c’est le début de la prostitution. Contre une cigarette, on peut demander beaucoup de choses. Ça va même plus loin. Ça fait que les malades mentaux sont ceux qui souffrent le plus des maladies sexuellement transmissibles, du Sida et de l’hépatite C. On ne peut pas vraiment régler ce problème sanitaire en trois minutes. Je reviens à ce que je voulais dire, les malades qui souffrent de troubles mentaux, dans toutes les études, sont ceux qui consomment le plus de substances psychoactives et ceux qui ont le plus de problèmes avec cette affaire. On ne parle pas des soignants. Alors qu’est-ce qu’ils consomment? Je fais un petit aparté sur l’étude des gens qui ont accidents de la route, on a dit que c’est le cannabis. Dans cette étude on a montré que 25% d’entre eux, les gens qui ont eu un accident dans la route, avaient du cannabis dans l’urine. Si on prend les gens à la sortie de la fac, alors 35 % ont du cannabis dans les urines. Est-ce qu’il y a d’autres choses dans les études ? Ils avaient des mélanges. C’est un problème qu’on ne parle jamais. Les substances pures, ça ne fait pas très mal, vous le savez, d’ailleurs. Quand vous en prenez, sans bon sens, et que vous mélangez, ça ne vous fait pas du bien. Alors qu’est-ce qu’ils prennent, les patients qui souffrent de la schizophrénie ? Comme ils sont pauvres, c’est un des problèmes, et puis il y a en d’autres aussi. Ils consomment d’abord du tabac. 90 % d’entre eux fument. On n’a jamais fait un colloque sur tabac et schizophrénie. C’est vraiment un problème de santé publique. C’est bien plus important que le cannabis. On n’a pas dit dans le rapport que le tabac rend les patients schizophrènes. Ils boivent de l’alcool à mort. Ils prennent le cannabis et puis dans des villes, où ils sont sortis des hôpitaux, où on fait la politique de la réhabilitation, ils sont victimes des dealers. Parce qu’ils sont de très bonnes victimes les malades mentaux pour des tas de trucs et ils prennent de la coke. Donc ils prennent beaucoup de chose et le cannabis, en tout cas, ce n’est pas la substance principale qu’on peut proposer à un patient schizophrène. Donc c’est un peu une première partie de la réponse. Les patients schizophrènes, ils prennent beaucoup de choses. Ils ne prennent pas que du cannabis.

 

Deuxième question, quand on souffre de schizophrénie, et qu’on prend des substances psychoactives, c’est-à-dire la majorité des malades schizophrènes, pas ceux qui sont dans les études, parce qu’ils n’ont pas ça. Qu’est-ce qui arrive ? Alors ça c’est un point, un argument très important pour le politique. Moi je crois qu’on n’insiste pas assez là-dessus. Quand on regarde dans les études, les patients qui ont un double diagnostic c’est à dire schizophrénie plus abus ou dépendance, on ne parle pas du cannabis en particulier, on parle des substances générales quelles qu’elles soient, c’est une synthèse.

Le début de la maladie est bien plus précoce. C’est un facteur très péjoratif. C’est un argument très fort. On rentre plus précocement dans la maladie.

 

Deuxième point, il y a un autre problème qui est lié au système de soin, le diagnostic est fait d’une façon beaucoup plus tardive. Un patient qui arrive avec des toxiques dans un service, c’est d’abord un toxico. Bien souvent pour qu’il devienne patient psychiatrique, il en faut... Donc on a un double facteur de chronicité, qui est le début précoce des troubles et cette question de diagnostic tardif et de prise en charge spécialisée tardive. C’est un énorme problème. Plus de rechutes, mauvaise compliance au traitement, comportements agressifs et violents, plus de symptômes positifs...La question des symptômes thymiques, ça c’est une question qui m’intéresse beaucoup. J’en parlerai après. Et puis, plus de suicides, la mortalité est quand même très importante. La mauvaise tolérance aux neuroleptiques. D’une manière générale, le fait de souffrir d’une maladie mentale et en plus d’avoir une conduite additive, ça rend la maladie mentale beaucoup plus grave.

 

Alors qu’est-ce qu’on sait du cannabis? Je vais juste répondre aux études signalées tout à l’heure. Qu’est-ce qu’on sait des liens entre cannabis et troubles mentaux dans la population générale? On sait que le lien entre cannabis et schizophrénie, il est fort. Ça ne veut pas dire que c’est une relation de cause à effet. Mais ce n’est pas un lien considéré comme négligeable. Il est fort en population générale et il est surreprésenté dans la population psychiatrique. Ce lien entre cannabis et schizophrénie existe dès le début des troubles. C’est une donnée très importante. C’est-à-dire les gens qui défendent l’hypothèse d’utiliser le cannabis pour l’automédication, c’est une hypothèse qu’on retrouve dans des tas de trucs, finalement, les gens deviennent toxicos parce qu’ils essaient de soigner leur maladie dans un processus adaptatif. L’hypothèse ne tient pas beaucoup quand on regarde les choses actuellement. Et surtout quand on regarde dans les études, la cinétique d’apparition. La consommation de cannabis précède pratiquement toujours l’apparition des troubles psychiatriques. C’est un argument très fort dans les études. Il y a au moins quatre études qui montrent ça. C’est vrai que ces études sont des études qui ont été conduites pour certaines d’entre elles, pas toutes, en prenant des sujets qui vont rentrer dans l’âge d’adulte, des adolescents, et on les suit ensuite, et puis on regarde ce qu’ils deviennent. Ils deviennent schizophrènes. Ces quatre études conduites depuis les années 90 montrent qu’effectivement les gens qui ont consommé du cannabis sont repérés comme consommateurs de cannabis sans troubles psychiatriques, seront plus fréquemment, 10 ans plus tard, des personnes porteuses du diagnostic de schizophrénie. Ça ne veut pas dire que le cannabis est un facteur de schizophrénie. C’est un facteur de repérage de personnes à risque potentiel. C’est intéressant puisque c’est de la prévention. C’est-à-dire que le fait de fumer le cannabis quand on a 16 ans, ça veut dire qu’il faut faire attention à la survenue d’un certain nombre de choses, un moyen de repérer des gens qui pourraient voir apparaître un trouble.

 

Alors on est dans la question : est-ce qu’il y a des modèles qui nous permettraient de comprendre la relation entre cannabis et psychose. La première d’entre elles c’est, le cannabis est un facteur de psychose. Il y a très peu d’arguments pour défendre ça. Ce n’est sûrement pas l’argument le plus fort. Le modèle qui est plus généralement développé, c’est la question de la vulnérabilité commune. C’est une chose absolument incroyable. Tout le monde n’est pas égal vis-à-vis du risque de devenir dépendant. Si vous fumez tous ici du cannabis tous les jours, vous n’allez pas tous, devenir dépendants. Et la dépendance c’est une maladie. Ne pas pouvoir ne pas fumer du cannabis tous les jours, c’est une maladie. C’est comme les gens qui fument des cigarettes tous les jours, ce n’est pas grave, mais ça fait des choses. On n’est pas tous égaux vis-à-vis des maladies. Et un des problèmes très important qu’on pourra discuter, c’est que ce qui conduit à un certain nombre de maladies mentales, et on verra, pas seulement la schizophrénie, ça a aussi à voir avec ce qui conduit à l’usage de substances, à la fois d’un point de vue de la génétique et de la biologie et aussi à la fois d’un point de vue de la psychopathologie. On n’a sûrement pas le temps de développer ça. Mais on ne peut pas faire comme si ce n’était pas une question qui a à voir et a des choses en commun. C’est assez important parce que c’est des choses qui nous permettent de comprendre la prévention. Vous savez la question qui nous a posé en tant que soignant, c’est qu’est-ce qu’on fait vis-à-vis d’un gamin qui fume dix-sept pétards par jour à douze ans. Moi je m’en fous de ce qui se passe quand Dominique Voynet vient à la télé et dit qu’elle fume du shit, ce n’est pas mon problème, ça ne m’intéresse pas du tout. Mais quand on montre un gamin qui n’est pas pubère, et qui utilise les substances psychoactives massivement. Là il y a une question qui m’est posée en tant que psychiatre et non pas en tant que citoyen : quel conseil je peux lui donner? Qu’est-ce que je dois rechercher? Et comment le système de soin que j’ai mis en place peut s’adapter à son problème? Et ça c’est la question qui nous est posée et on ne peut pas se détourner de cette affaire-là.

 

Il y a une autre question : est-ce que c’est un facteur précipitant chez les sujets vulnérables? Et enfin est-ce que c’est un facteur aggravant de la psychose ? Clairement utiliser des substances psychoactives, est un facteur aggravant de la psychose. Ça pose un problème aux psychiatres puisque normalement on n’utilise pas de substances psychoactives en psychiatrie, si on les utilise, on est viré. Ça signifie que les psychiatres, habituellement, ne soignent pas des gens qui ont des comorbidités, donc ils ne soignent que les patients schizophrènes qui vont bien. C’est un vrai problème pour nous. Les façons qu’on a de penser les choses ont une influence sur la santé publique. Je vais donner une autre réponse. Moi je fais parti des gens qui ne pensent pas que la schizophrénie est une maladie chronique. Je n’ai pas de temps de l’expliquer, ni une maladie d’évolution déficitaire. Donc c’est plus facile pour moi de parler de ces troubles.

 

Alors il y a encore une troisième façon de régler ce problème-là. Le cannabis, c’est vrai c’est utilisé. D’ailleurs ça va être commercialisé en France pour soigner un certain nombre de chose. C’est un très bon médicament. Par exemple en cancérologie, c’est un médicament de confort remarquable. Les gens qui ont des nausées sous chimiothérapie, prennent du cannabis, ils ont un confort de vie très important. Donc on a des données dans la littérature sur l’utilisation du cannabis à vertu médicinale. Chez des patients, à priori, qui ne sont pas des patients à forte vulnérabilité psychotique, qui sont les patients par exemple en cancérologie, qu’est-ce qu’on voit dans les études, par exemple, c’est quand on fait la méta-analyse de l’utilisation du cannabis à visée thérapeutique. 6% des gens ont des hallucinations et des idées délirantes. Ca c’est une chose qu’a racontée Moreau de Tour. Le cannabis, même à dose faible, ce n’est pas des doses aussi monstrueuses qu’utiliser du THC néerlandais. En tout cas, chez un sujet lambda, dans l’ordre d’utilisation médicale, une des complications ce sont les effets secondaires, 6% ont des effets secondaires psychotiques. Un certain nombre de faisceaux d’arguments pour dire que chez un certain nombre de personnes, l’usage de substances psychoactives et du cannabis, peut constituer un des facteurs de précipitation de troubles mentaux. Les quatre études ont signalées là. Les quatre études, elles montrent que le risque est un facteur statistique. Ce n’est pas un lien de cause à effet. Le risque, quand vous prenez un sujet, qui a 15 ans, 16 ans, ou 17 ans, qui consomme du THC à forte dose, le risque qu’il souffre de troubles psychiatriques, dix ans plus tard, a augmenté. Ça ne veut pas dire que c’est la cause mais le risque est fort. Aussi un aspect très important pour la prévention, c’est que les trois études qui sont ici, elles montrent qu’il y a une relation dose/effet. Ça veut dire si vous fumez plus de 10 pétards par jour, votre risque de voir apparaitre une maladie mentale, se multiplie par dix. C’est monstrueux. Après vous allez voir qu`il y a une autre étude qui est encore plus épouvantable. C’est difficile de dire que ça ne fait rien le cannabis. Ça c’est le problème. C’est ça qu’on va discuter. Alors le problème c’est que le cannabis, quand on prend les mêmes études, n’est pas un facteur de risque seulement pour la schizophrénie. Et c’est ça la grande difficulté. Dans l’étude suédoise, ils ont montré que c’était un facteur de risque pour d’autres choses, pour la dépression et l’anxiété à l’âge adulte. Le fait d’avoir 15 ans et d’utiliser les substances psychoactives comme le cannabis, c’est un marqueur de vulnérabilité de développer un certain nombre de maladies mentales qui nous concernent dans nos pratiques quotidiennes. Ça nous pose la question de la prévention. On n’enseigne jamais assez la prévention dans notre discipline et en médecine. Ça ne veut pas dire, dire aux gens d’arrêter de fumer. Il y a deux études qui montrent ça d’une façon très claire. Alors ça c’est une étude absolument incroyable, qui a été faite par l’équipe de Muray à Londres. Ils ont suivi des enfants, une cohorte depuis qu’ils sont nés, pendant vingt-six ans. On ne peut pas le faire en France. Ils les ont évalués à 11 ans, à priori, ils ne sont pas pubères. Après la puberté, et puis en post puberté. Ils ont évalué à la fois de l’ordre de la psychopathologie et du développement du psychomoteur, et à la fois de l’ordre de l’usage de substance. Ce qui est vraiment le facteur d’apparition des troubles de schizophrénie, c’est quand j’use ou j’abuse de cannabis avant l’âge de 15 ans. Tout ceux qui a 11 ans, pas tous ... Ceux qui a 11 ans, utilisaient de façon régulière et importante du cannabis, avaient un risque multiplié par dix, de voir apparaître à l’âge de 18 ans un trouble schizophrénique. C’est un facteur de risque de voir apparaitre des troubles de façon très précoce. Les enfants qui ont 11 ans, c’est bien on a un pédopsychiatre qui pourra nous dire comment il travaille avec les enfants de 11 ans qui utilisent du cannabis. Il y a une réflexion très importante à avoir sur : qu’est-ce qu’on en fait de ce résultat? Par contre, le fait d’utiliser du cannabis en période post-pubère, c’est un facteur de risque pour un certain nombre de troubles psychiatriques et non pas la schizophrénie. Ça c’est une donnée très forte. C’est un travail qui est sorti cette année.

 

Est-ce qu’on peut essayer de faire la physiopathologie? On sait quand même que la transmission du système canabinoïde, a à voir avec les systèmes dopaminergiques qui sont dysrégulés chez les malades de schizophrénie, qu’il y a une co-localisation entre le CB1 les phénomènes de transmission dopaminergique dans deux structures dont le noyau accumbens et l’aire tegmentale ventrale, qui ont tous les deux des fonction à la fois dans les modèles de vulnérabilité de schizophrénie et dans les modèles de vulnérabilité liés à l’addiction. Ce qui fait dire à certaines personnes, que ces deux systèmes-là sont dysrégulés et qu’il y aurait donc une vulnérabilité commune aux troubles, et que finalement il faut arrêter de discuter de toxicomanie, schizophrénie car il y a des choses qui sont en commun dans cette affaire-là. Il y a quelques arguments qui sont ténus ; parce que pendant longtemps c’était assez difficile de faire de la recherche sur le cannabis parce que pour utiliser des substances illicites, il faut faire plein de tampons, avoir un centre à agréé. Le fait que ce soit illégal, ça ne favorise pas la recherche scientifique, ça favorise la recherche légale. C’est vrai si vous voulez faire de la recherche sur les opiacés,  il y a des tonnes de papiers, et c’est plus compliqué que si vous n’utilisez pas des opiacés. Bon, on se rend compte que dans la schizophrénie il y a des  arguments pour montrer de façon simple que les systèmes canabinoïde, dès le début de la maladie sont dysrégulés.

 

Donc je reviens, quatre hypothèses :

-cannabis : facteur de psychose. C’est l’hypothèse actuellement la moins valide. Mais il y a un certain nombre d’arguments mais pas d’augmentation d’incidence de la schizophrénie au cours de ces dernières années. Sur ce point épidémiologique, est-ce que c’est vrai ou ce n’est pas vrai ? En tout cas, ce n’est pas superposable. Alors l’inondation de l’usage de cannabis, car il remplace l’alcool. Vous savez les Américains, quand ils ont fait la prohibition, vous savez qu’est-ce qu’ils ont fait? Ils ont autorisé le cannabis. Ils pensent ce n’est pas possible faire que les gens n’utilisent pas d’alcool donc on va vendre du cannabis parce qu’ils savaient que les jeunes ne pouvaient faire autrement ; ils ont autorisé le cannabis pendant deux ans. Puis ils se sont rendu compte que ça pose aussi des problèmes. Ils l’ont aussi interdit. C’est un argument pour dire que quand même, il ne faut pas délirer, on ne va pas avoir plus de patients qui souffrent de schizophrénie parce qu’on utilise du cannabis. Ce n’est pas ça le problème. Le problème il est là : on a un risque d’avoir un début plus précoce de la maladie, des formes plus graves, avec une évolution plus chronique.

Je termine sur cette étude qui est une étude très intéressante, conduite par Hélène Vardoux qui a fait un travail assez intéressant pour essayer de comprendre que Dominique Voynet et un certain nombre de mes patients, ils ne sont pas pareils. Je crois que c’est important. D’abord ils n’ont pas le même âge. Il y en a qui sont prépubères et d’autres qui sont largement… posthormonal. C’est une expérience absolument incroyable. Ils ont pris les étudiants. Est-ce que les étudiants, ce sont des sujets plutôt biens? Alors ce ne sont pas des délinquants de banlieue. Donc ça va, c’est déjà une population acceptable. Ils les ont scriné et ils leurs ont fait fumer du shit à des gens qui n’en fumaient pas. Ils ont regardé, ils les ont scriné, ils ont fait des tests psychologiques et ils ont regardé ce que cela leur faisait. Comment ça modifiait leur façon d’être au monde, pour parler comme un psychiatre. Ils ont analysé les effets en aigu. Ce sont des effets très importants parce que dans les modèles de schizophrénie, c’est vraiment l’accès aigu qui est une histoire très importante. Cette expérience délirante aigue qui va avoir un sens et qui va faire qu’on va aborder une maladie chronique. Et ensuite ils analysent ces histoires de manifestations psychotiques. Effectivement à priori, ça peut rendre les gens fadas. Et ils identifient les gens qu’ils appellent vulnérables de psychoses avec des échelles de psychopathologie. Qu’est-ce qu’ils voient? C’est que chez à peu près la majorité des gens effectivement, utiliser le cannabis, ça rend la vie plus cool. Le monde est moins hostile et on est plus gai. Mais les perceptions sont modifiées. Ça pose un problème pour la conduite automobile parce qu’on ne peut pas dire que quand on utilise le cannabis, on freine aussi vite que si on ne l’utilise pas. Désolé, si je fume du cannabis, je ne conduis pas. Comme quand on boit de l’alcool. Fumer chez quelqu’un qui ne fume pas, ça modifie les perceptions et ça les altère. Chez ceux qui sont vulnérables à la psychose, ça veut dire qui ont un spectre de personnalité pouvant…ce n’est pas une maladie d’être vulnérable à la psychose, ça donne une capacité personnelle à abréagir au monde. Qu’est-ce qui se passe? Il ne se passe pas du tout la même chose. Tout le monde n’est pas pareil.

 

Alors qu’est-ce qui se passe chez ceux-là ? C’est à l’inverse de ce qu’on voit chez le sujet lambda. Les sujets vulnérables représentent 10-15 % des étudiants. Ça veut dire que ce n’est pas deux pékins qui se baladent dans le fond de l’amphithéâtre. Ils ont une augmentation de la sensation d’hostilité. Quand on fait de la psychopathologie, on peut comprendre ce que ça peut induire. Ils ont une augmentation du sentiment d’étrangeté dans les minutes qui suit l’augmentation des taux sanguins du cannabis. Et pire, ils ont une augmentation beaucoup plus importante que les sujets non vulnérables, de la perception inhabituelle. Donc je crois qu`il faut être très prudent. Ce sont des sujets de 18 ans, on ne peut pas faire des expériences en France sur des sujets qui ont 12 ans. Il faut être très prudent avec les substances psychoactives. Je crois que Moreau de Tour avait raison : ça ne fait pas la même chose, au même moment de sa vie, chez tout le monde et tout le temps. Il y a rien de plus dangereux que de dire que le cannabis est mauvais ou le cannabis est bon. C’est dégueulasse pour certains et bon pour d’autres, ça rend malade d’autres.

Alors la question du traitement et je finis là-dessus, car quand on a dit tout ça, c’est la question du traitement. La vraie question qui se pose, c’est la prévention. Et l’identification des patients à risque c’est un mot qu’on n’aime pas beaucoup dans notre pays parce qu’on a peur. Est-ce qu’on peut identifier des patients à risque? À risque de quoi? Pour nous psychiatres, il y a un certain nombre d’arguments forts pour dire que quand on a 12 ans et qu’on fume 17 pétards par jour, on est un patient à risque de développer un certain nombre de troubles psychiatriques. Quand on peut regarder la question ; si votre risque est multiplié par dix, il n’y a aucun domaine médical dans lequel on ne mettra pas en place des choses qui sont de l’ordre de : Comment on peut faire pour éviter que les gens tombent malades? Il n’y a que nous qui attendons que les gens soient malade pour s’en occuper. Il faut changer notre façon de travailler. Deuxième question pour le pédopsychiatre : une fois qu’ils sont malades, ils ont la double pathologie, ça veut dire, pour tous, ils ont tous la cigarette, ils ont tous des trucs. Ce matin j’entendais « Ah mais ils ne se plaignent pas, ils ne demandent pas d’aide ». Après c’est sûr que si l’idéologie c’est finalement ce n’est pas grave de fumer, c’est normal parce que les schizophrènes fument, ils ne vont pas non plus venir vous le demander. Mais ce qui n’est pas tout à fait vrai, c’est que les gens dans l’addiction, ne demandent pas d’aide. Tous les types qui fument, tous les soirs ils ont ras-le-bol de fumer. Mais tous les matins, ils recommencent. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de moment où ils demandent de l’aide. Il suffit de repérer le moment et leur tendre la main au bon moment.

 

La question c’est comment on peut inventer un système dans lequel, finalement, la comorbidité s’est en partie inscrite dans le fait de souffrir de maladies mentales. C’est une des données de la maladie mentale, l’usage de ces substances psychoactives, c’est une donnée qui aggrave la maladie. Comment on peut bâtir des systèmes de soin, qui permettent de prendre en compte ces deux choses-là. Actuellement on est très mal à l’aise avec cette affaire : on a beaucoup de mal à travailler sur ces deux versants. Regardez comment fonctionne notre système de soin : les centres d’alcooliques d’un côté, les schizophrènes de l’autre, les CSCT. Alors quand vous avez trois problèmes, vous envoyez votre jambe à droite, votre tête à gauche et le reste au centre. Et alors il ne se passe rien pour vous et vous mourez.

 

Dernière question, est-ce que les neuroleptiques atypiques ont changé quelque chose? Ça nous permet de répondre à une question. Est-ce que nos interventions thérapeutiques n’aggravent pas cette affaire ? Est-ce que le fait d’avoir pris un certain nombre de médicament pendant des années, ça n’a pas aggravé la comorbidité ? Alors c’est difficile de sous-tendre l’hypothèse que l’usage de neuroleptiques est un facteur d’augmentation de consommation de substances psychoactives. Est-ce que les neuroleptiques atypiques, ça améliore ou ça a quelque chose à voir avec des troubles induits par les substances psychoactives ? Il y a plusieurs études avec les neuroleptiques atypiques. Il y a une étude, par exemple, montre que la rispéridone a des effets identiques à l’halopéridol chez des patients qui ont une psychose cannabique. Si un sujet prend des extasies un soir, qui développe des troubles délirants : quel traitement on lui donne ? Quel traitement il faut lui donner dans la pratique ? Ils viennent consulter pour ça. Et si vous leur donnez de l’Haldol, vous pouvez être sur qu’il n’y en a plus aucun qui revient.

 

Certaines stratégies de traitements ont une plus grande efficacité. Il y a quand même des études avec la clozapine, c’est un médicament qu’on a depuis très longtemps. Les patients qui souffrent de la schizophrénie, quand on améliore un certain nombre de choses qui sont de l’ordre de leurs fonctions cognitives, on peut plus facilement travailler avec eux leur problème d’addiction. Ce serait gâcher que vous utilisiez des neuroleptiques typiques, que vous ne mettiez pas en place en même temps, grâce à l’amélioration des fonctions cognitives, des stratégies de soin qui permettent de discuter avec vos patients sur : À quoi ça sert de fumer des clopes? À quoi ça sert de fumer du cannabis? Et donc travaillez sur cette comorbidité qui est inhérente à la maladie. Il y a des stratégies, quand même, qui font que par le biais de l’amélioration des fonctions cognitives et puis l’amélioration considérable de l’humeur des patients, il y a un usage des substances psychoactives alimenté par des troubles de l’humeur. Les gens dans l’addiction, ils font le malin, mais l’humeur n’est pas très bonne. Quand on est très déprimé, on fume beaucoup plus. Donc si on améliore l’humeur des patients grâce à des stratégies médicamenteuses, et leurs fonctions cognitives, nous pourrons mieux travailler sur cette question de la comorbidité.

En conclusion et je termine. Le cannabis ne rend pas fou, mais ça rend malade certains qui, malheureusement pour eux, vont commencer une carrière de maladies mentales.

 

Je vous remercie pour votre attention.

 

Animateur :

Il faut remercier Christophe Lançon de cette communication dynamique et fort intéressante. Est-ce que quelqu’un a une question à lui poser avant de passer à la communication suivante?

 

Auditeur :

Dans l’expérience de Verdout, il y a du cannabis qui est pris par des volontaires sains, vous disiez qu’il y a des sujets vulnérables et d’autres qui ne l’étaient pas. La manière dont c’était dit semblait laisser supposer que les sujets vulnérables étaient toujours les mêmes. Est-ce qu’il a été vu dans le temps que si certains sujets étaient vulnérables un jour, pouvaient devenir non vulnérables un autre et inversement?

 

Lançon : c’est une très bonne question. Non ça ne l’est pas dans l’étude. Vous avez raison. C’est le problème de toutes les études scientifiques. Elle ne répond qu’à une seule question. Elle en ouvre d’autres. Malgré tout, ça montre que si vous êtes constitué ou structuré d’une certaine façon, l’usage des substances psychoactives va vous entraîner des expériences particulières. Et on est un certain nombre à penser que la répétition, pour des tas de raisons, vous avez un risque de voir apparaître, quelque chose de l’ordre de la maladie mentale. C’est ça que ça montre. Et que dire? Oui, les expériences sur le cannabis, c’est pareil pour tout le monde. Tout le monde sait que ce n’est pas vrai. Il faut arrêter de dire comme ça.

 

Animateur :

J’ai une question qui prolonge un peu la question que vous avez posée. La vulnérabilité et troubles de la personnalité? Une prédisposition liée à un trouble de la personnalité. Imaginons que le sujet ne fume pas de cannabis et qu’il a cette prédisposition, le risque existe mais sera-t-il malade?

 

Lançon :

C’est le problème de la prédictivité des études. Personne ne sait mais on peut y répondre. Comme le bain cannabique est fort, de toute façon, je crois qu’il vaut mieux s’occuper de ceux qui y touchent que de ceux qui n’y touchent pas. Les études montrent que l’usage de cannabis anticipe et accélère la survenue de la psychose. Les maladies mentales, par rapport à ce qu’elles ont été dans le passé, sont anticipées. C’est-à-dire qu’il y a pas vraiment énormément de maladies mentales en plus, mais elles sont de plus en plus tôt et de plus en plus jeune. Et le fait d’utiliser des substances psychoatives, c’est vraisemblablement un facteur qui précipite.

 

Auditeur :

Timothy Leary dans les années 50 à Harvard avait travaillé sur la psilocybine et le LSD. Il semblait que la vulnérabilité, d’après ce qu’ils avaient fait puisqu’ils utilisaient aussi des étudiants, semblait quand même chez certaines personnes, être présente un jour et pas un autre. Il semblait que l’état d’esprit dans lequel se trouvait la personne jouait beaucoup ?

 

Lançon :

Bien sur. C’est ce que Moreau de Tour depuis le début. L’action des substances psychoactives n’est pas le même. Tout le monde le sait. Dans un moment compliqué de sa vie, ça va faire des effets. Malheureusement on n’a pas de chance. C’est que à certaines époques de sa vie et particulièrement quand on a 11 ans, on est à un moment plus compliqué quand on a 50 ans, et qu’on est ministre de la santé ou de l’environnement. Donc il faut quand même dire les choses telles qu’elles sont. C’est quand même dans certains moments de sa vie, on est plus vulnérable. C’est vrai que le sujet âgé est très vulnérable à la dépendance parce que si on regarde combien les sujets âgés consomment de médicaments et comment ils sont dépendants des médicaments, on se rendra compte qu’il y a des âges, c’est une vérité, et des situations de la vie dans lesquelles l’être humain est plus vulnérable. Il y en a d’autres. Il vaut mieux être riche et bien portant.

 

 

Page web mise à jour le 6 aout 2010

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