La résilience

Réflexions sur la résilience

Dr Fabrice Lorin

 

Ma première rencontre avec la résilience fut la lecture du livre du Dr Victor Frankl[1], médecin psychiatre juif qui a survécu à Auschwitz et qui a raconté sa déportation et la survie en camp. Il est libéré en 1945, toute sa famille est anéantie et  il écrit : « Et cependant dire oui à la vie ! ».

 

La résilience rentre dans le cadre général des processus de réparation chez l’Homme. Le coping pour les anglo-saxons qui vient de to cope with  qui signifie « faire face ».   Nous pouvons encore l’appeler créativité, flexibilité mentale, fonctions exécutives et surtout adaptation. C’est le propre d’Homo Sapiens. S’adapter. L’immaturité du nouveau-né humain ou néoténie, permet tous les câblages d’adaptation future à l’environnement. Le monde d’aujourd’hui est dans le changement permanent et c’est pourquoi les thèmes de la résilience, de l’adaptation sont si présents. S’adapter ou disparaître. 

 

Boris Cyrulnik insiste sur les moyens de la résilience. Pour un nourrisson c’est lui amener une base de sécurité affective chaleureuse et verbale. Le même soutien affectif sera apporté aux psycho-traumatisés du Bataclan ou de l’Ukraine. Il faut donc aider le traumatisé. Mais la médecine de catastrophe nous apprend que cette aide n’est pas à sens unique. Pour se réparer, pour être résilient, il faut aussi aider les autres. Imaginons une femme qui est assise devant sa maison détruite et dans laquelle elle a perdu sa famille. Elle est mutique, prostrée et choquée. Le secouriste lui proposera doucement d’aller chercher de l’eau et de donner à boire à ses voisins allongés, aux blessés et à tous les autres rescapés. Elle redevient utile, elle s’ancre dans le réel et donne un sens à sa survie. Être utile pour les autres. C’est d’ailleurs ce que fait Boris Cyrulnik depuis des années pour s’en sortir. 

 

Comme dans toute copie de philosophie ou discussion talmudique, après la thèse il faut énoncer les avis contraires. Les voici. Tout d'abord la résilience, n'est-elle qu'un oubli soft? Ensuite l'époque est à l’injonction  au bonheur, au bien-être et à l’épanouissement. Une nouvelle injonction à la résilience se profile. Un nouveau Graal. C’est un modèle de développement personnel et de réussite.  Dès lors se pose une première question pour celui ou celle qui n’arrive pas à rebondir. Pourquoi suis-je inapte au bonheur ? Pourquoi ne suis-je pas résilient ? Pourquoi n’ai-je pas la plasticité et l’adaptation d’Arlequin? Dans la Commedia dell’arte, Colombine et Arlequin débordent d’optimisme, d’énergie et de malice. Pas moi. Mon incapacité à la résilience, peut générer un effet inverse : ma culpabilité. Qu’ai-je donc commis comme faute pour ne pas pouvoir rebondir ? Pour ne pas mériter la résilience ? Que dire de l’effondrement ? De Primo Levi et de Joseph Bornstein[2] ? Dire qu’un merveilleux malheur est une chance, c’est un oxymore.

Est-ce que la résilience s’adresse à quelques élus et happy few ? Est-ce le signe d’une vie réussie ? Non pas grâce à un capital, à un patrimoine ou un réseau mais à mes capacités personnelles? La résilience a-t-elle une valeur universelle ? Être résiliant c’est être rare et donc prestigieux, c’est-à-dire que tout le monde ne peut pas y accéder. Le psychisme devient une ressource au même titre que l’argent, le capital, le réseau. Enfin dans l’armée, un soldat résiliant est-il un soldat insensible à la mort de son camarade ? Un soldat qui poursuivra le combat ? Il y a une limite difficile à préciser entre l’empathie nécessaire à la condition humaine, et la résilience nécessaire à la survie personnelle. 

 

Quelles que soient la société, la culture et l’époque, nous sommes tous confrontés au malheur et à la contingence et, la culture va élaborer des modèles de défense face au malheur. Que dit au fond le concept de résilience ? Face au malheur, l’individu est capable de se transformer. Il échappe au déterminisme pour retrouver la liberté. Ce qui ne me tue pas me rend plus fort[3]. Sur le plan philosophique, une forme contemporaine du stoïcisme grec, c’est-à-dire de se tenir droit face au chaos du monde. La résilience est un message d’espoir et de soutien. L’énergie, l’élan vital[4] et le conatus[5] se transmettent entre les Hommes. Alors refusons le déterminisme et  la passivité plaintive victimaire face au malheur, et continuons le perfectionnement  moral de nous-même. 

 



[1] Victor Frankl, Un psychiatre déporté témoigne, éditions du chalet, 1973, Paris

[2] Le père d’Elisabeth Borne, Première ministre française

[3] Nietzsche

[4] Henri Bergson

[5] Spinoza

 
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