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Animalnonyme- Dr Pierre DECOURT

                                                    L’animalité ; une proximité ontologique

 

 

Nous réduisons le fossé que les époques antérieures ont creusé de façon excessive entre homme et animaL.

Moise et le monothéisme.

S. FREUD

Dr Pierre Decourt

Montpellier

 

Résumé :

 

La fonction animiste efface la dichotomie entre le monde interne et le monde externe. Elle, permet de prendre la mesure de l’importance de la sensorialité comme facteur de connaissance, de savoir et révèle l’animalité instinctuelle refoulée en chacun. Celle- ci suffit-elle à engager des rapports avec autrui sur des bases autres que celles fournies par la raison et l’entendement et dominées par les lois de la causalité ? Question au cœur de cette contribution.

 

Mots clés : Animisme, animalité, totem, pensée magique

 

 

Les références chez Freud au monde animal sont nombreuses. Elles sont diverses, souvent présentes, connotées d’une dimension phobique ou contra phobique. Arpad, Hans, l’homme aux Loups, l’homme aux rats et tant d’autres exemples figurent dans les exposés cliniques. Elles fournissent à Freud l’opportunité d’interroger et de développer les mécanismes à l’œuvre dans l’ontogenèse des angoisses phobiques nées de la rencontre avec l’animal : cheval, rat, volatile, coléoptère, chenille etc. inspirant « effroi et dégoût[1] ». Mais cette dimension psychopathologique, conséquence de l’ « incarnation animalière » du père, ne recouvre qu’un des aspects de l’intérêt de Freud pour l’univers animal. Ses recherches concernant l’animalité de l’homme sont présentes tout au long de son œuvre. Il fera d’ailleurs crédit à Darwin d’avoir « abattu la cloison édifiée par l’orgueil, entre l’homme et l’animal [2]».Freud accepte sans détour les théories évolutionnistes dont il dira la blessure qu’elles représentent pour l’humanité[3], allant même jusqu’ à considérer certains comportements humains comme l’expression d’un fonds instinctuel proche de l’animal.

C’est à une réflexion qui conduit du passage de ce fonds instinctuel à sa mentalisation que nous serons conduit et dont « l’animalité » serait l’expression la mieux partagée par la communauté humaine.

 

Animalité, humanité ; une opposition ?

 

Classiquement le concept d’animalité remplit, de par sa structure et son contenu une fonction importante dans la définition de l’humain lui–même. Ainsi la définition de l’animalité est présentée en opposition à l’univers de l’humain dans une sorte d’ontologie négative. Or l’animalité puise sa force et son histoire dans notre passé archaïque dont l’inconscient garde les traces mémorielles. Nous pouvons faire l’hypothèse qu il existe une analogie quasi structurelle de l’homme avec l’animal. Elle figure dans l’étymologie du mot animal et par extension avec le concept d’animalité. Ils se réfèrent au latin « anima [4]» et par extension à « âme ». L’animalité porte en elle l’idée de souffle, de vie, et de ce fait témoigne d’une proximité naturelle avec l’humain. Nous essayerons d’en approcher la richesse, la complexité, l’étonnante et insistante présence chez l’homme.

            Venons-en aux sources inconscientes de l’animalité. Les pulsions ne constituent-elles pas cette force « animatrice »de la libido et de ses manifestations corporelles et psychiques? L’animalité fait corps avec la fonction pulsionnelle et sa poussée constante, guidée par la recherche de satisfactions sexuelles immédiates. Cette quête de satisfaction peut être différée, secondarisée, transcendée -la sublimation en est le modèle- ou éprouvée dans la création au sens le plus élargi, sauf à s’engouffrer dans certaines dérivations perverses pour autant source d’un  plaisir d’une autre nature, aux confins de la jouissance et de la bestialité.

Avec l’homme aux Loups, mais pas seulement dans ce cas, Freud indexe à la sexualité humaine une composante franchement bestiale. Dans l’analyse de Serguei il évoque la contemplation traumatique faite par le jeune enfant du coït parental que Freud qualifie de «more ferrarum- de coitus a tergo» -à la manière des bêtes sauvages-. La vue de l’accouplement des parents est porteuse d’un potentiel désorganisateur pour l’enfant, pourtant pas si innocent, résonnant vraisemblablement comme un avant–coup traumatique. Serguei ayant été prématurément initié aux jeux sexuels séduit par sa sœur, peut-être même par la Nania. Cette scène primitive évoque analogiquement pour Serguei le spectacle de l’accouplement d’animaux observé dans les vastes étendues de la propriété familiale, ou celui offert par les animaux domestiques attachés à la maison.  Le rapprochement entre sexualité des adultes et sexualité des animaux devient superposable dans son fantasme, elles se conjuguent, se nourrissent l’une de l’autre ; le rapport sexuel des adultes est alors « animalisé », et trouve ainsi son support, son étayage chez l’animal, et organise le fantasme oedipien.

Mais il me semble qu’une autre conception de l’animalité conduit au delà ou en deçà de cette perspective sexualisante et traumatique. Une conception faisant le pont avec l’univers de l’auto-conservation, l’univers de l’accomplissement des besoins vitaux, au service du maintien de la vie, ceux là même qui président à ces expériences de survie et dont l’actualité se délecte à montrer leur caractère « non humain », voire invraisemblable. « Où a-t-il ou a-t-elle puisé de telles ressources pour surmonter l’épreuve ? » entend-t-on souvent !  L’histoire des grands explorateurs[5] fourmille d’exemples. Elle atteste de ces épreuves surmontées par des individus qui puisent on ne sait où des ressources insondables. « Ce que j’ai fait aucun animal l’aurait réalisé… » . Les expériences concentrationnaires souvent évoquées constituent les témoignages les plus bouleversants de ces aptitudes du moins pour certains à survivre en milieu hostile face à des environnements désastreux. Les ressources psychiques sollicitées dans ces situations reposent, on le sait, sur des capacités régressives protectrices d’un narcissisme malmené et se nourrissent d’identifications salutaires, identifications plus précisément à l’agresseur dans ce qu‘il peut avoir paradoxalement d’inhumain. Mais ces ressources sont aussi liées au retour de ce qu’il y a de plus archaïque en nous, voire de plus violent, illustrant bien la conception de Bergeret de la violence fondamentale. Je me souviens d’un patient mélancolique chronique, évoquant douloureusement le souvenir du débarquement en Normandie et de cette lutte acharnée pour survivre en s’accrochant à un morceau de bois dont la flottabilité ne pouvait assurer la survie que de quelques rares soldats... il n’en dira jamais plus !  .

Rapidement évoquées ces situations extrêmes où les composantes auto-conservatrices du sujet font barrage aux aspects hostiles de l’environnement humain et non humain.

 

Animalité et savoir

 

Avec le développement du concept « d’âme sentante[6] », c’est une fonction essentielle selon Hegel qui confère à l’animalité une dimension première, « magnétique » déclare-t-il, et qu’il oppose avec vigueur à une philosophe de l’entendement et de la raison. L’animalité affirme-t- il, est un outil de connaissance, laissant naître « des impressions sensorielles d’une individualité étrangère comme étant les siennes propres[7] ». La sensorialité dans ses fondements les plus archaïques ou plutôt les plus primitifs constitue ainsi un outil de connaissance d’une grande richesse. Elle est propice à la création d’un savoir profond et intime au coeur même de toute relation intersubjective, mais aussi dans le rapport secret avec soi-même. « L ‘âme sentante » précise-t-il est une modalité du sentir peu éloignée en ce sens du texte freudien portant le titre, « Le Traitement d’âme [8]», sauf que Freud y voit à propos de la parole et de ses effets une dimension magique énigmatique[9], qui ne cessera  de le hanter.

Ce « sentir » détermine pour l’individu la manière dont il va entrer en contact avec autrui selon des modalités qui ne nécessitent pas la médiation du langage mais se définissent comme le produit d’une interaction primaire émotionnelle, sensorielle, sensori-motrice...

On peut se demander à la relecture de « Mon analyse avec Winnicott » de Margaret Little[10] sur quoi reposait cette aptitude particulière qu’elle prête à son analyste et sur laquelle elle revient à plusieurs reprises dans son texte. Winnicott pouvait, dit-elle, saisir dans l’immédiateté de la rencontre avec un patient qu’elle était la nature profonde des besoins de ce dernier et les faire siens. Intuition, empathie, identification narcissique ne suffisent pas à rendre compte du caractère singulier et peut-être même fulgurant de ce phénomène qui touche à la mise en lumière de manifestations perceptives et sensorielles dont on peut faire l’hypothèse qu‘elle trouve ses ressors dans ce fonds inconscient que constitue « l’animalité » et dont le corps se fait le messager. Le geste, la posture, le regard, les odeurs, le mouvement dans l’espace, en un mot les signifiants corporels, portent en eux une possible exhumation du fonds sensoriel de la mémoire inconsciente. De l’exploration de ce fonds pourra naître une rencontre possible entre « l’animalité » du patient et celle de l’analyste en deçà de toute référence aux mots. Cette rencontre étant révélatrice alors de la demande du sujet, de sa souffrance, de ses attentes implicites. De cet éprouvé partagé peut surgir l’éclosion de signifiants communs, dont l’émergence actualisera un passé enfoui jusque là, et dont l’élaboration les rendra susceptibles de se transformer en figuration, dans le meilleur des cas en représentation, ou en acte. C‘est ainsi que ces patients très régressés cherchent à faire « sentir » ou faire « éprouver » à l’analyste quelque chose de méconnu par eux même, d’insolite, d’étrange, pan d’une histoire jamais écrite, en mal de figuration et de sens. La dimension contre-transférentielle puise sa source dans la mise en jeu de ces processus singuliers, faits de partage, d’échange, de regards, d’occupation de l’espace. Le contre transfert ne se construit-il pas sur l’intégration de messages énigmatiques empreints d’une profonde vérité. Ça ne triche pas, ça dit vrai ! Çà se sent ! Ultime consécration d’un vécu parfois indicible.

 

Une proximité ontologique

 

 La résurgence de l’animalité qui apparaît selon l’usage des modes d’échanges avec l’univers environnant humain ou non humain, témoigne de la présence toujours active de la pensée animiste. Quand je dis à mon labrador ; « viens on va se promener ! », émerge alors dans mon propos les traces irrationnelles d’une supposition. « Comprend-t-il l’injonction puisqu‘il « entend et répond ? » à sa façon. Il faudrait mieux se demander que ressent-il ? Cette imputation au monde animalier de capacités spécifiquement humaines traduit certes la dimension anthropomorphique de l’interprétation de la réponse motrice du labrador, mais révèle aussi de mon coté la saisie de l’intentionnalité de l’animal par incorporation mimétique. L’échange avec l’animal résulte de la mise en jeu d’une intentionnalité commune supposée qui me permet d’anticiper le point de vue de la bête. S’établit ainsi une sorte de partage fondé sur une analogie de nos intentions, se nourrissant des reliquats d’une toute puissance de la pensée animiste. C’est à partir de l’étude du modèle analogique, mode singulier de l’identification, « un des outils les plus versatiles de la cognition humaine[11] »qu’il faut interroger le processus animiste en jeu.

Freud dans Totem et tabou, considère que « c’est principalement le problème de la mort qui a du fournir le point de départ de cette théorie (animiste) »[12]. On peut s’étonner de l’affirmation de Freud qui considère que « l’animisme est un système intellectuel »[13]. L’animisme n‘est-il pas aussi un exercice spirituel via les transes, les rituels, célébrations sacrées du monde des origines ? Pour Freud l’étude de l’animisme répond à une autre finalité. Explorer les sources archaïques de l’animisme c’est penser l’analogie avec les mythes et les pensées du Rêve. Le point de vue des anthropologues est radicalement différent. Selon Descola[14], le propre de la pensée animiste efface, transcende la distinction entre le monde interne celui des émotions, des pensées et le monde du dehors qui constitue l’environnement, les espaces, le climat, la voûte céleste...sans oublier les défunts. Une continuité s’établit ainsi pour les peuplades aborigènes entre « deux mondes » perçus comme issus d’une même origine dont les «Récits Etiologiques » et les rites retracent, renouvellent et enrichissent l’histoire… « Quelle que soit la diversité, de leur formes apparentes, les humains et non humains qui composent le groupe totémique sont réputés être issus d’une même nature, l’être du Rêve[15] ».

Cette incursion dans l’univers anthropologique montre selon les cultures, la non séparation entre le dedans et le dehors, et illustre la proximité ontologique avec le monde animal totémique. Quand un Achouar se définit comme appartenant au clan du jaguar, il indique l’intériorisation ontologique des qualités de l’animal ; vélocité, sens de l’observation, dons pour la chasse, courage … etc. signifiant la proximité de l’homme avec l’univers animal auquel il prête ses propres contenus de pensée et s’approprie en retour les propriétés enviées de l’animal. La continuité est absolue, elle se cultive, se transmet au travers des rites et des coutumes, et définit une identité groupale. Cette interpénétration des mondes consacre la fonction totémique ; elle est de nature sacrée, et signale qu’humains et non humains partagent l’appartenance identitaire à une même classe totémique pour donner corps à une relation englobante structurant des relations hétérogènes.

 

  L’animisme et la clinique

 

Ces remarques pour introduire des éléments de la clinique psychanalytique qui vont illustrer la présence ics des mécanismes analogiques et de substitutions et tenter de montrer que la hiérarchisation freudienne entre période animiste, période religieuse et période scientifique, supposée indiquer une évolution des cultures, signe d’un hypothétique progrès est probablement à reconsidérer dans le contexte psychologique et sociologique actuel.

 

Anne consacre sa vie à la psychanalyse avec passion, dévotion, exigence, ferveur. En un mot c’est sa vie ! Son existence aura pris un sens dit-elle, depuis notre rencontre pourtant souvent orageuse, il y a bien des années. On ne sait plus quand parfois …, si la psychanalyse c’est sa vie, elle fut longtemps sa survie, à une époque où les symptômes fleurissaient, où l’espoir s’était évanoui face aux déboires venus de son enfance chaotique entre une mère glaciale et un père déprimé ; Il avait tué accidentellement un cycliste ; il ne l‘ avait pas vu, pas plus qu’il n’avait vu grandir sa fille, pousser ses seins, devenir presque une fille…presque ! Il ne la voyait toujours pas ; ce n’était pas un père ; Elle le surnomme d’ailleurs Jules, qualificatif plus ou moins impersonnel, délibidinalisé. Le risque de bascule dans un processus psychotique fut longtemps présent. Les moments de régression ont souvent mis à mal le cadre et mes propres possibilités de penser. Mon écoute était parfois saturée par des éléments incohérents, affectivement chargés d’une violence indéfinie. L’identification projective faisant des ravages, éprouvante, mais elle créait du lien. Combien de fois me suis-je demandé pourquoi l’avais-je pris en analyse trois fois par semaine. Je me sentais souvent comme cette mère dépassée, incapable. Si la psychanalyse est si investie c’est qu’Anne en attend toujours beaucoup et que ses exigences furent et sont toujours parfois douloureusement ressenties dans le contre transfert ; une idéalisation démesurée à la hauteur des reproches paroxystiques qui fusaient en salves. Pendant de longues années, la fonction réparatrice du travail fut essentielle. Combler les brèches, suturer les déchirures faites à un narcissisme en lambeaux ; le besoin d’étayage s’avérait vital. Elle évoquait cette représentation d’elle-même comme un sac troué, percé en de multiples endroits, « ça fuit de partout ! » ponctuait-elle. Elle se maltraitait, prix à payer pour renforcer masochiquement son inébranlable conviction de n’être rien; elle ne valait rien ; elle se haïssait et cherchait à me convaincre avec opiniâtreté du bien fondé de cette opinion... Récuser cette conviction était lui faire offense. Elle était en quête du moindre indice qui l’aurait renforcé dans cette certitude, qu’elle était nulle.

Sa féminité déniée pouvait donner l’impression qu’elle appartenait à un troisième genre : le genre ni femme ni homme, une catégorie indéfinissable. Une façon de ne pas être désirée et de ne pas désirer ; quelques rencontres cependant sans chaleur, fortuites, une sexualité « opératoire » pourrait on dire, une sexualité « sans sexe », probablement sans représentation, ni plaisir.

Quelque chose d’une ébauche d’hystérisation de la relation put enfin se tisser prudemment patiemment sur le mode d’une hystérisation primaire où l’affect se dévoile, se rétracte et s’évanouit dans l’instant même de son apparition, s’évacue dans  quelque rares rêves. Fugace, car dangereux en ce que l’affect peut marquer une forme d’attachement dont elle connut dans l’enfance les risques. Elle fut abandonnée pour vivre chez des cousins. Ses insomnies étaient devenues insupportables pour ses parents.

La relation d’emprise longtemps entretenue avec l’analyste visait à la protéger de quelque manquement. Avait-elle peur d’être adressée chez des « cousins analystes » lorsque elle percevait les limites de mes propres insights ?

Ma mort appartenait à ces manquements possibles, mais pas seulement. Le croisement furtif, les bruits de voix ou de talons d’une autre patiente attisaient des réactions passionnelles. Son attention était fixée sur la recherche d’éléments afin de valider cette conviction quasi délirante. Bien sûr, « elle n’avait pas sa place ici ». Exigeante, parfois tyrannique elle ressentait les modifications du cadre avec une immense détresse et une haine sans borne.  Ne pouvait-elle inventer[16], élaborer l’absence, construire les traces durables d’une présence ? Malgré des années de travail soutenu, elle n’a jamais manqué une séance en dix ans. Elle se sent toujours menacée par l’intérêt que je pourrai porter à d’autres, ce qui résonne à un premier niveau avec la rivalité avec cette sœur plus jeune, objet de toutes les attentions familiales.

Voici une séquence qui témoigne de son évolution et essentiellement du rôle de la fonction animiste et sa dimension structurante.

Le printemps s’accompagne du retour des chants des oiseaux. Anne tend l’oreille et perçoit le même gazouillis dans les arbres voisins de mon cabinet que ceux entendus chez elle avant de se rendre à la séance. Son attention reste fixée à la périphérie de l’espace de la séance ; elle a croisé sur le chemin conduisant à mon bureau la patiente précédente. Elle sait bien qu ‘elle n’est pas la seule, mais la voir est autre chose. Anne est à nouveau envahie par cette idée qu’elle n’est pas à sa place ici…Long silence puis retour associatif aux oiseaux.

« Figurez-vous me dit-elle que dimanche j’ai observé dans mon jardin un drôle de remue-ménage. Ces imbéciles de pies ont couvé à leur insu l’oeuf d’un coucou geai ; l’oisillon plus gros qu’elles, n’était pas gêné, il faisait en plus un drôle de charivari; pas gêné du tout le coucou. Je voyais ces pies vraiment idiotes faire des efforts à sa place. Figurez-vous que le coucou n’avait même pas honte. Ce gros pépère se laissait nourrir, de plus il était encouragé à sortir du nid. Elles chassaient les chats intrigués mais menaçants pour lui faire place nette. »

 

Face à ce matériel aussi riche et transférentiel dans son contenu plusieurs pistes s’offrent à l’interprétation. Anne fine, a tout de suite repéré l’analogie entre la situation de l’analyse et son fantasme d’être « un imposteur » comme le coucou. Le nid métaphore de l’espace analytique est ce lieu ou elle a pu « naître », grossir, se développer. Comme le coucou elle éprouve la même difficulté à en sortir, difficulté majorée par la perspective des vacances de l’été.

Mon intervention va se limiter dans un premier temps à lui rappeler alors ce fantasme du début de l’analyse. Elle affirmait, désemparée. : « Mes parents ne sont pas mes parents », identifiée au coucou imposteur, coucou couvé et nourri par des parents incrédules qui ne sont pas les siens.

-Vous vous trouviez dans la même situation ?

 « La différence existe pourtant; moi je ne mangeais pas (allusion à uns phase anorexique à l’adolescence) pour ne rien coûter à mes parents.

L’interprétation du transfert prolonge le mouvement et porte alors sur cette « nourriture » que je lui sers trois fois par semaine et dont elle profite souvent avec parcimonie, qu ‘elle recrache parfois, mais sur laquelle elle compte avant tout.

« La différence encore, c’est que moi, je ne veux pas quitter le nid, mais rester seule dans le nid».

Cette séquence illustre le processus animiste à l’œuvre qui réunit la problématique du Coucou et celle d’Anne dans une sorte de communauté « animale », effaçant la distinction entre deux univers séparés, l’univers humain et celui de l’animalité objet de ses projections. La non séparation résonne ici comme un processus archaïque qui enrichit l’imaginaire de la patiente auquel l’interprétation va donner sens. La fonction animiste joue ici un rôle essentiel : l’oiseau vient s’intercaler comme médiateur tiercéisant au sein d’une relation transféro-contre-transférentielle cible de mouvements pulsionnels erratiques et désorganisateurs. S’ouvre des lors une dialectisation des échanges permettant l’évocation prudente des angoisses de séparation. Anne suspendue dans la douleur de la peur du rejet put enfin trouver les mots justes pour en dire la crainte et ses conséquences. En écho je pensais en silence ;

-« Vous êtes bien dans/sur un « nid-divan » au sein duquel vous trouvez à vous nourrir, à prendre soin de ce corps souffrant, « incarnation » d’une souffrance inédite, dont le modèle offert par l’observation des vicissitudes du monde  animal vous permet de trouver une figuration possible. »

Restent évidemment les obstacles « à déblayer » avant toute perspective lui permettant de prendre son envol. La peur du vide est encore bien trop présente.

 

 

Conclusion

 

Affirmer la présence de l’animalité en nous dont la pensée animiste est une des modalités d’expression a ceci d’intéressant qu’elle constitue un mode de connaissance de notre fonds inconscient. La sensorialité et son immédiateté colorent cette pensée à l’œuvre. Médiatrice entre l’éprouvé et sa figuration, cette sensorialité exacerbée et partagée offre l’opportunité de tisser la trame d’une relation possible avec les patients en souffrance identitaire. Elle sollicite pour cela les capacités de l’analyste à éprouver et élaborer les effets de la régression topique et son destin dans le contre-transfert.

 

 Notes bibliographiques:




[1] Freud .S l’homme aux Loups in Cinq psychanalyses P u f p. 332

[2] Freud. S. in Les Résistances contre la psychanalyse, in Résultats, idées, problèmes t.2 P u f.1925 p.125

[3] Ne signale-t-il pas dans une comparaison audacieuse la fascination qu’exercent les grands fauves au même titre que celle produite par les belles et grandes hystériques dont le regard sur autrui sont fait d’une condescendance désarmante et attirante à la fois. Cette référence au pouvoir du narcissisme sur l’autre, et ses jeux de miroir restent énigmatiques liés probablement à des effets hypnotiques conjuguant à la fois une modification de l’état de conscience et l’émergence des identifications primaires.

[4] Rey Alain .Dictionnaire historique de la langue française. Édition Robert

[5] Zweig Stephan. Magellan. Les cahiers rouges .Grasset

[6] Hegel Le Magnétisme Animal. Traduction François Roustang. P u f. 2005 p 13

[7] Sic. « Chez l’animal L’âme sentante n’est pas soumise à l’espace et au temps et pas davantage à la pure connexion de la cause et de l’effet ».

[8] Sic. P. 26

[9] Freud Sigmund .Le traitement d’âme in Résultats problèmes idées.  t. 1. 1890 P u f.

 

[10] Little Margaret. Des États limites ; l’alliance thérapeutique in coll. des Femmes 1992

[11] Descola Philippe. Un monde enchevêtré, in « la Fabrique des Images ». Catalogue du musée du quai Branly p.165

[12] Freud Sigmund. Animisme, Magie, et Toute- puissance des idées, in Totem et Tabou p. b. Payot p.91

[13] Sic. p. 92

[14] Descola Philippe. Par delà nature et culture. Nr f. Ed. Gallimard

[15] Sic.p.127  

 

 
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