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Graphosphère : Dr Fabrice LORIN
Dr Fabrice LORIN : Fibromyalgie: le point de vue du psychiatre


Dr Fabrice LORIN
Centre d’Evaluation et de Traitement de la Douleur
Hôpital Saint Eloi
CHU de Montpellier

f-lorin@chu-montpellier.fr

Cours Faculté de médecine, Capacité Traitement de la douleur



Mon Dieu, préservez-moi des douleurs physiques, je m’arrangerai avec les douleurs morales
Nicolas de CHAMFORT (1741-1794)



Fibromyalgie et psychiatrie: y a t'il des liens et quels sont-ils? La question nous est souvent posée et fait l'objet de recherches actuelles. Nous souhaitons faire un modeste état des lieux basé sur une pratique clinique de psychiatrie de liaison en CHU.

La fibromyalgie est une nouvelle pathologie, articulée autour de deux symptômes cardinaux, la douleur musculaire et la fatigue. Elle est au carrefour de la modernité et elle est l’enjeu de discussions au sein de la communauté médicale. Les questions sont quotidiennement posées au médecin généraliste par des patients inquiets. Ils sont ensuite orientés vers le rhumatologue ou le rééducateur fonctionnel, le neurologue ou le psychologue et last but not least le psychiatre. C’est un sujet ouvert, quant à son origine, son étiologie, sa réalité factuelle puisque les bilans ne montrent aucune anomalie. Refusant de nous payer de mots, nous souhaitons approcher le coeur de la machine. La médecine était un Art mais au XIXème siècle, elle quitte le domaine artistique et veut devenir scientifique. L’absence de marqueurs objectifs biologiques ou radiologiques dans la fibromyalgie, renouvelle une prudence circonspecte. Enfin l’aspect médico-légal et la reconnaissance comme pathologie invalidante sont très discutés. Peu de psychiatres en réalité rencontrent ces patients. Notre expérience pluridisciplinaire au Centre d’Evaluation et Traitement de la Douleur du CHU de Montpellier, les nombreuses discussions avec mes confrères d’autres spécialités, nous poussent à ouvrir le débat sans tabou sans apriori ni dogme, dans le cadre de l’enseignement universitaire. Alors fibromyalgie et psychiatrie: quels sont les liens?

Au regard de l’histoire, la fibromyalgie, à l’inverse des autres pathologies, n’a pas d’historicité ancienne; c’est une maladie nouvelle voir quasiment anhistorique. Certes, elle était dénommée polyenthésopathie quelques années auparavant. Ce terme signifie « maladie des enthèses », c'est-à-dire ce lieu de transition histologique (tissulaire) entre l’os et le tendon, lieu d’attache intermédiaire, zone frontière, près de la border line. Elle est aussi appelée SPID Syndrome Polyalgique Diffus, parfois fibrosite.

L'OMS la reconnaît comme maladie rhumatismale « non spécifique » depuis 1992.

La prévalence est évaluée de 2 à 5 % de la population mondiale avec une prévalence de 3,4 % chez les femmes et de 0,5 % chez les hommes.

La définition est classiquement une représentation graphique des trois grâces.

Je ne reviendrais pas sur la description usuelle, la douleur diffuse depuis au moins 3 mois et les 11 des 18 points douloureux retrouvés à l’examen somatique. Par contre les symptômes secondaires sont intéressants pour le psychiatre. Les voici :

Troubles du sommeil: 85 à 90%, Asthénie: 89%, Troubles cognitifs: 87%, Syndrome anxiodépressif: 86%, Symptômes digestifs: 32% (Blotman: l’observatoire du mouvement, Novembre 2003)

Plusieurs pistes psychogéniques s’offrent au regard clinique du psychiatre : d’abord les liens entre fibromyalgie et hystérie, puis entre fibromyalgie et dépression, entre fibromyalgie et dysthymie et, enfin j’aborderai la neurasthénie de Beard.


1-Fibromyalgie et Hystérie

D’un point de vue clinique, les psychiatres et psychanalystes, avancent rapidement et (trop) facilement que la fibromyalgie est une expression moderne de l’hystérie. Le langage du corps et de la conversion hystérique épouse l’époque. Or l’époque est à la douleur. Le théâtre hystérique met donc en scène le corps fibromyalgique.

Pour parler d’hystérie, il faut opérer en deux temps. D’abord repérer la personnalité hystérique puis les symptômes de conversion. 

La personnalité hystérique. Depuis des années, j’utilise la clinique décrite par Lucien ISRAEL, et les six signes qu’il a décrit avec finesse et pertinence :

1. Théâtralisme
2. Séduction/érotisation
3. Suggestibilité
4. Perturbation des conduites sexuelles
5. Infantilisme
6. Mythomanie.

Mais l’hystérie a disparu de la nosographie, effacée depuis le DSM-III, elle est démembrée en personnalité histrionique et troubles somatoformes. Alors qu’elle était décrite depuis l’Antiquité égyptienne et grecque, les experts l’ont supprimé. Nous reconnaissons dorénavant la personnalité histrionique.

Il s'agit d'un mode général de réponses émotionnelles excessives et de quête d'attention, qui apparaît au début de l'âge adulte et est présent dans des contextes divers, comme en témoignent au moins cinq des manifestations suivantes:

1. le sujet est mal à l'aise dans les situations où il n'est pas au centre de l'attention d'autrui
2. L’interaction avec autrui est souvent caractérisée par un comportement de séduction sexuelle inadaptée ou une attitude provocante
3. Expression émotionnelle superficielle et rapidement changeante
4. Utilise régulièrement son aspect physique pour attirer l'attention sur soi
5. Manière de parler trop subjective mais pauvre en détails
6. Dramatisation, théâtralisme et exagération de l'expression émotionnelle
7. Suggestibilité, le sujet est facilement influencé par autrui ou par les circonstances
8. Considère que ses relations sont plus intimes qu'elles ne le sont en réalité.

(American Psychiatric association, DSM-IV, Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Traduction française, Paris, Masson, 1996, 1056p)

Les distinctions sont subtiles mais je trouve la description sémiologique d’ISRAEL plus complète. Il aborde l’immaturité et les troubles sexuels sous-jacents. Les névroses ont disparus des classifications de maladies mentales DSM-IV et CIM 10. Il y a une discrète jubilation pour les thérapeutes à les voir resurgir sous d’autres aspects, ces entités soi-disant disparues. (La disparition des névroses annonçait-elle l’extinction des psys Old school ?)

Conversion hystérique et fibromyalgie : la fibromyalgie est-elle une forme moderne de troubles dissociatifs et de conversion ? Le terme de conversion a d’ailleurs survécu dans les manuels de DSM-IV et la CIM 10. «  Dans les années 70 j’étais spasmophile. Maintenant j’ai 54 ans et je suis fibromyalgique » me disait une patiente. L'Hystérique peut faire ce qu'on appelle une conversion somatique ou une conversation somatique car le symptôme de l'Hystérique est langage (cf. Etudes sur l’hystérie de Freud). Les algies hystériques peuvent intéresser n'importe quelle partie du corps. Sans substratum organique, elles résistent à tous les antalgiques et sédatifs habituels. Les céphalées sont actuellement si fréquentes, embarrassant le praticien qu'il faut se demander si elles ne sont pas la forme la plus moderne de la maladie.

La description des algies hystériques est impossible, car il y a autant de formes que de patients. Elles surviennent seules ou avec un cortège d'autres symptômes. Elles se résument en une plainte qui ici encore, entraîne le refus ou l'espacement des relations sexuelles.

Dans les formes sévères, nous trouvons un mode de vie et une identité entièrement structurés autour de la plainte douloureuse que je nomme Lamentum doloris.

La psychanalyse a beaucoup apporté à la compréhension des phénomènes de conversion. Les études explorant l’imagerie cérébrale de la conversion hystérique sont encore rares. Cependant elles montrent que les bases cérébrales de la conversion sont différentes de la simulation (Spence et al.2000). De même l’imagerie fonctionnelle de la fibromyalgie est récente. Dans les deux maladies, l’aire cingulaire antérieure est hyperactivée. Mais cette zone est également très impliquée comme projection corticale principale dans les processus de douleur chronique. Nous sommes encore dans la préhistoire de l’imagerie fonctionnelle et les pathologies se superposent sur des zones aux limites trop imprécises. Notons également que la psychothérapie -dont la psychanalyse- montre un déplacement de cette hyperactivation de la région antérieure vers la région postérieure de l’aire cingulaire. Le Tep Scan objective les modifications cérébrales d’une prise en charge psychothérapique. En conclusion, dans ma pratique, je n’ai pas souvent retenu le diagnostic d’hystérie de conversion pour des patients fibromyalgiques. La personnalité histrionique est rarement retrouvée.


2-Fibromyalgie et dépression

Il ya trois types de symptômes communs :

L’asthénie, les troubles du sommeil et les troubles cognitifs

Dans la fibromyalgie, les patients décrivent une impression de très mauvaise qualité de sommeil avec une sensation de sommeil léger, agité et rempli de nombreux rêves. La durée totale du sommeil est raccourcie mais la latence d’endormissement est normale ou légèrement raccourcie. Par contre il y a une carence chronique en sommeil lent profond (notamment absence de stade IV).

Dans la dépression, le réveil est précoce, le patient présente des difficultés d’endormissement lors de manifestations anxieuses associées. Il existe une diminution de la latence du sommeil paradoxal.

Les troubles cognitifs sont présents dans la fibromyalgie à type de ralentissement idéique, et de trouble de la mémoire de fixation.

Toutes les études confirment la fréquence plus élevée d’épisodes dépressifs majeurs (EDM) et d’antécédents d’EDM chez les patients souffrant de fibromyalgie par rapport à la population générale.

L’existence de symptômes de détresse morale contribue de manière essentielle au comportement de recherche de soins et au handicap fonctionnel, psychologique et social lié à la maladie.

La très grande proximité entre fibromyalgie et dépression peut conduire à l’idée d’une même pathologie, d’autant que les antidépresseurs sont le seul traitement efficace. Une autre piste est de considérer la fibromyalgie comme un syndrome résiduel de dépressions récurrentes.

Cependant certains auteurs persistent à séparer rigoureusement les deux entités, afin d’affirmer la réelle autonomie de la fibromyalgie et sa reconnaissance en tant que telle. Nous leurs laissons le choix de cet avis, sans le partager.


3-Fibromyalgie et dysthymie

La dysthymie est un terme psychiatrique encore peu connu du grand public et correspond à ce que l’on dénommait autrefois « dépression chronique ». La définition est la suivante :

La dysthymie est caractérisée par un état accablant et chronique de dépression, manifesté par une humeur dépressive la plupart du temps, pendant plus de jours que l'inverse, pendant au moins 2 années.

 La personne qui souffre de ce trouble ne doit pas avoir été pendant plus de 2 mois sans éprouver deux ou plus des symptômes suivants :

1-Faible appétit ou manger avec excès.
2-Insomnie ou hypersomnie
3-Faible énergie ou fatigue.
4-Faible estime de soi
5-Faible concentration ou difficulté à prendre des décisions
6-Sentiments de désespoir

Cette symptomatologie au long cours, invariante et monotone, durable et peu changeante, nous rapproche beaucoup de la fibromyalgie et nous éloigne pour le diagnostic différentiel de l’hystérie bruyante et labile, de l’épisode dépressif majeur de durée définie également réversible. La fibromyalgie comme la dysthymie sont des pathologies chroniques installées dans la durée. La plupart des psychiatres de liaison intervenant dans les services de rhumatologie, de rééducation fonctionnelle, d’algologie, au CHU de Montpellier, considèrent qu’il s’agit d’une seule et même pathologie. Il y a un abaissement considérable du seuil de la douleur dans certaines formes de dysthymie et cela recouvre en fait le champ de la plupart des fibromyalgies. Les projections corticales de la douleur et de la dépression sont très proches dans l'aire cingulaire antérieure. L'efficacité des antidépresseurs plaide également en faveur de cette hypothèse.


4-Fibromyalgie et Neurasthénie

Nous aurions pu nous arrêter là et conclure que fibromyalgie= dysthymie. Mais la relecture du psychiatre newyorkais le Dr George BEARD (1839-1883) et de sa description invention de la fameuse neurasthénie en 1868, nous a surpris par les points communs et l’actualité de son observation.

La neurasthénie de Beard :

1-Céphalées en casque « en galeatus »
2-Insomnie, cauchemars
3-Rachialgie et Hyperesthésie spinale avec plaques cervicale et sacrée, voir coccygodynie
4-Asthénie surtout matinale jusqu’à la clinophilie avec atrophie musculaire
5-Troubles dyspeptiques. Charcot dit: « L’affection de l’estomac complète le tableau »
6-Troubles de la sexualité: hyperexcitabilité génitale au début, éjaculation précoce: « Une simple course dans un omnibus mal suspendu sur le gros pavé des rues, détermine chez eux la turgescence du pénis pendant tout le trajet » puis impuissance. Chez la femme, perte du désir génésique voir dégoût
7-Asthénie psychique
8-Diminution de la mémoire
9-Indécision, aboulie
10-Préoccupations hypochondriaques

Si nous rappelons les symptômes secondaires de la fibromyalgie, évoqués au début de l’exposé,

Troubles du sommeil: 85 à 90%
Asthénie: 89%
Troubles cognitifs: 87%
Syndrome anxiodépressif: 86%
Symptômes digestifs: 32%

Nous constatons une superposition renouvelée entre la neurasthénie de Beard et la fibromyalgie. Il n’y a pas de découvertes, que des redécouvertes !

5-Douleur chronique et abus sexuel

Dans un effort psychopathologique, les études épidémiologiques mettent l’accent, à juste titre, sur les évènements de vie douloureux ou traumatiques vécus antérieurement. Dans la douleur chronique, les personnes ont très souvent vécu des situations traumatisantes avec le sentiment de ne pas pouvoir avoir d’aide ou d’espoir : « Helplessness », 

« Hopelessness ». Il y a parfois impossibilité psychique à établir un lien avec les traumatismes d’origine. (Wood et al. 1990)

Les femmes ayant des douleurs pelviennes chroniques ont fréquemment des antécédents d’abus sexuels (Walker et al. 1993)

Dans la fibromyalgie, l’anamnèse révèle souvent des antécédents d’abus sexuels, d’abus physiques, de traumatismes émotionnels violents ou encore de négligence par le parent (1997)

20 % de patients douloureux évoquent des abus sexuels de l’enfance avec une nette prévalence pour les femmes =39 %, hommes =7 %. (Wurtele et al. 1990).

Mon expérience au Centre Anti-Douleur du CHU de Montpellier, trace la permanence d’histoires de vie très perturbées, avec carence affective ou abandon, syndrome de négligence parentale, absence de holding (tenue, soutien) maternel, abus sexuels ou physiques etc.


6-Phrases de patientes

« J’ai la fibro-spasmo et bataquère…comme si on m’avait passé un rouleau compresseur »

« La fibromyalgie ça brûle partout, je suis intouchable, même les seins »

« C’est comme un essaim d’abeille qui me brûle et me pique souvent là ou des fois là; et je suis fatiguée surtout le matin »

« Quelque chose me grignote la nuit, plus que des fourmillements, le dessus des jambes, ça me brûle; c’est cette fameuse fibromyalgie. C’est amélioré par les teintures-mères de l’homéopathe ».

« J'ai des brûlures sur tout le corps, comme si j'avais un zona de la tête aux pieds.


Conclusion

Les liens entre fibromyalgie, dysthymie et neurasthénie sont patents. La fibromyalgie est considérée comme une maladie douloureuse chronique. En allant plus loin,c'est une maladie du système de contrôle de la douleur, en somme une maladie de la douleur, que je nomme algopathie. Le fameux seuil de la douleur chez un individu, est abaissé en raison d'une histoire de vie difficile, de stress, de tendances dépressives, d'accidents somatiques intercurrents etc. De plus, dans la fibromyalgie, il y a une hyperlexialgie: une augmentation inflationniste de la lecture de la douleur corporelle. Les deux néologismes que je propose, algopathie et hyperlexialgie, sont en concordance avec les données de l'imagerie cérébrale fonctionnelle.

Interrogeons-nous sur la question de la question (?) même de la fibromyalgie. Oui, elle est langage du corps et oui elle entre dans ce no mens land des « Troubles fonctionnels ». Elle peut en être un modèle. Alors faut-il donner un nom aux troubles fonctionnels ? Et pourquoi l’Homme a-t’il ce besoin de nommer ?

Depuis Aristote et Hippocrate, la taxinomie ou art de nommer, est le premier outil scientifique. La taxinomie se démocratise avec Internet, la transparence est de rigueur, autrefois le Lafrousse Médical était sur la cheminée ou dans la bibliothèque. L’usager doit savoir. Alors nous créons de nouvelles terminologies. Mais pourquoi nommer et désigner ? Le diagnostic médical sécurise. Face à la peur de mourir, il apporte un apaisement, une identification, une tribalisation du malade. Les sites web sur la fibromyalgie ont cette fonction. Plus généralement les forums médicaux sont des lieux d’échanges, d’informations, de solidarité, de soutien, de conseils, d’expressions, de réassurance et d’anxiolyse. Le site Internet est le nouveau totem de tribus. Mais pour le professionnel, le diagnostic psychiatrique est réducteur. Il entrave le travail psycho-dynamique car nommer c’est réduire et limiter, faire une médecine jivaro. Faut-il dire à une patiente fibromyalgique, que son problème est psychologique ? Et l’envoyer chez le psy au forceps? Nous sommes au cœur d’une alternative : l’interprétation et la proposition peuvent être vécues comme une libération et une ouverture ou comme une intrusion et un inaudible intolérable. « On me dit que je suis pour le psy, mais je ne suis pas folle, j’ai vraiment mal partout, et en plus on ne me croit pas ! ».

Les philosophes grecs nous ont transmis une grande sagesse dans l’appréhension de la douleur. Le poète latin Ovide, en exil loin de Rome nous dit : « Accueilles ta douleur, tu apprendras d’elle ».

 


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